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L’union des colonies de l’Amérique du Nord britannique dans un système fédéral, « sous la couronne du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande, avec une constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni », posait, dès les premiers termes du préambule de 1867[1], le problème de la compatibilité du fédéralisme avec les fondements du régime britannique. Ce système de Westminster, pensé pour un État unitaire, est caractérisé par la collaboration entre les pouvoirs de l’État réunis sous une couronne, indivisible et souveraine. Ce sont pourtant ces principes constitutionnels britanniques et cette couronne indivisible qui ont permis, dans une certaine mesure, l’émancipation à la fois du Dominion du Canada dans son ensemble, à l’époque impériale, et le maintien des provinces et du fédéral dans une relative égalité de statut au sein de la fédération canadienne. Véritable trait d’union du fédéralisme canadien[2], la Couronne est l’institution par laquelle la souveraineté canadienne peut se partager entre deux ordres de gouvernement, tout en demeurant indivisible[3].

Ajoutant notre contribution à celle d’autres qui ont étudié la relation entre la Couronne et le fédéralisme[4], nous souhaitons démontrer que la notion de « Couronne », malgré son symbolisme d’un passé colonial[5], a juridiquement permis la mise en place d’un fédéralisme fondé sur des rapports d’égalité entre le fédéral et les provinces, et ce, même si le texte de la Loi constitutionnelle de 1867[6] pouvait, à certains égards, laisser présager le contraire. Les règles non écrites de droit strict[7] et les conventions constitutionnelles au sujet de la Couronne ont donc, en quelque sorte, grandement limité la portée de certains éléments du texte constitutionnel[8].

Il convient de commencer par l’esquisse d’un portrait des règles fondamentales constituant la Couronne ainsi que de ses pouvoirs dans le système impérial britannique (1) pour, ensuite, observer la manière dont ces principes constitutionnels britanniques ont favorisé la mise en place d’un fédéralisme d’égalité au Canada (2).

1 De l’Empire à l’indivisibilité

Forme juridique difficile à définir, l’Empire britannique alliait l’unité politique et un certain degré d’autonomie pour ses parties[9]. Au coeur de ce système impérial, la Couronne était considérée comme une et indivisible à travers l’Empire lors de l’union en 1867. Ainsi, le Canada ne formait qu’un seul royaume avec le Royaume-Uni et ses autres colonies[10].

1.1 Les origines de la Couronne impériale

Selon le système britannique, la Couronne est une institution juridique. Dès l’époque de la Magna Carta, Bracton énonçait que « the law makes the King », et c’est précisément la raison pour laquelle ce dernier est soumis au droit[11]. Selon sir William Blackstone, la Couronne est une corporation sole[12], et elle est dévolue sans interrègne[13] suivant la common law, telle qu’elle a été confirmée et modifiée, de temps à autre, par des lois du Parlement impérial[14]. Ce système sui generis constitue, pour Benoît Pelletier, la charge du souverain et les règles de succession : « By constitutional custom, these laws and principles are part of a system that is sui generis. The amalgamation of these statutes and customary principles constitute the office of the sovereign as well as the rules of succession[15]. »

Ces règles et principes étaient, à l’époque impériale, modifiables uniquement par le Parlement impérial par l’effet de la common law constitutionnelle, codifiée plus tard dans la Colonial Laws Validity Act, 1865[16].

Depuis, environ, les XVe et XVIe siècles, la Couronne anglaise est, suivant les enseignements de Plowden, indivisible, ce qui correspond à une règle d’indivisibilité de l’État[17], et elle est impériale, puisque souveraine sur l’Angleterre elle-même[18]. Blackstone écrit : « The meaning therefore of the legislature, when it uses these terms of empire and imperial, and applies them to the realm and crown of England, is only to assert that our king is equally sovereign and independent within his dominions, as any emperor is in his empire[19]. »

Pour Guilluy, il s’agit de la conception Tudor de l’Empire, laquelle est synonyme de souveraineté : le roi d’Angleterre est tout autant souverain que pouvait l’être un empereur[20]. La vocation unificatrice du caractère impérial de la Couronne, quant à elle, sera posée par les rois Stuart[21], et perdurera jusqu’à l’apogée de l’Empire britannique.

En 1603, le roi d’Écosse, Jacques VI, de la dynastie des Stuart, est devenu également roi d’Angleterre en tant que Jacques Ier[22], sans pour autant que ses royaumes et ses couronnes s’unissent juridiquement[23]. Cinq ans plus tard, la Calvin’s Case[24] est venue établir que les sujets des couronnes écossaise et anglaise partageaient une allégeance commune au souverain personnellement, sans égard à la divisibilité de ses royaumes[25]. Ainsi, les sujets écossais pouvaient posséder des biens immobiliers en Angleterre. L’allégeance est une institution de common law qui correspond à la citoyenneté contemporaine : elle comporte, notamment, pour le sujet, un devoir d’obéissance à son roi et, pour ce dernier, un devoir de protection envers ses sujets[26].

La création de la Grande-Bretagne en tant qu’État unitaire s’est néanmoins faite un siècle plus tard. La Couronne britannique est le résultat de l’union législative de l’Écosse et de l’Angleterre, mise en oeuvre par les Unions Acts de 1706-1707[27], et de l’uniformisation des règles principales du droit public de ces royaumes et de leurs colonies[28]. La Couronne britannique, en tant qu’héritière de la Couronne anglaise, était donc également impériale et indivisible. Ces attributs ont été mobilisés pour permettre la gouverne de l’Empire : au xixe siècle, les tribunaux ont établi que la prérogative et les droits de la Couronne étaient indivisibles à travers l’Empire puisque la Couronne elle-même l’était[29].

Il faut reconnaître que la Couronne est, dans la structure constitutionnelle de l’Empire en général, tout comme dans celle des colonies (ou ex-colonies) en particulier, une notion juridique « aussi imprécise qu’omniprésente[30] ». Au-delà de sa signification identitaire ou politique[31] tirée de la règle de common law d’allégeance à la Couronne, ou des serments prêtés par les titulaires de charges publiques à l’endroit de Sa Majesté[32], la « Couronne » est un terme juridique pouvant référer à, au moins, deux réalités constitutionnelles. D’une part, comme la reine détient seule, en droit strict, le pouvoir exécutif[33], on fera parfois référence à la Couronne en voulant précisément parler de ce pouvoir. Ainsi en est-il, par exemple, lorsqu’on décrit l’interaction de la Couronne et du Parlement[34]. La Couronne est alors équivalente aux pouvoirs et aux droits détenus par la reine et son gouvernement. Encore que, dans certains cas, le terme « Couronne » désigne la reine seulement, et n’inclut pas ses ministres ou son gouvernement[35], solution très stricte généralement écartée en droit canadien[36], probablement parce que Sa Majesté canadienne doit, dans l’immense majorité des cas, exercer ses pouvoirs par l’entremise de l’un de ses gouvernements en raison du fédéralisme[37].

D’autre part, la Couronne correspond à l’État. Comme André Émond le souligne, la Couronne « symbolise et se confond juridiquement avec l’État anglais » et, strictement, le mot « État » ne fait pas partie de la terminologie juridique britannique[38]. D’ailleurs, la Cour suprême du Canada a récemment affirmé que la Couronne est « l’État dans sa globalité[39] ». Il faut dire que, fondamentalement, la Couronne détient tous les pouvoirs de l’État. Cet enseignement a été dernièrement expliqué par la Cour suprême dans l’affaire Ontario c. Criminal Lawyers’ Association of Ontario, où la juge Karakatsanis, pour la majorité, écrit :

Au fil de plusieurs siècles de transformation et de conflits, le système anglais est passé d’un régime où la Couronne détenait tous les pouvoirs à un régime où des organes indépendants aux fonctions distinctes les exercent. L’évolution de fonctions exécutive, législative et judiciaire distinctes a permis l’acquisition de certaines compétences essentielles par les diverses institutions appelées à exercer ces fonctions[40].

Malgré cette évolution, une constante demeure : les « diverses institutions » qui exercent les trois fonctions de l’État soit comprennent Sa Majesté, soit exercent leurs pouvoirs sur sa nomination et en son nom[41]. Le pouvoir exécutif appartient à la reine[42], c’est-à-dire à la Couronne au sens exécutif du terme, tandis que le pouvoir législatif appartient à la « Reine-en-Parlement[43] » et le pouvoir judiciaire est exercé par des tribunaux nommés par la reine et constitués par la « Reine-en-Parlement ». Par exemple, les cours supérieures sont, comme la Cour suprême l’a rappelé dès 1879, les « tribunaux de la Reine[44] ». Cette confusion des pouvoirs de l’État s’est vu progressivement neutraliser par l’effet des conventions constitutionnelles et des règles jurisprudentielles. Dans l’affaire R. (Canada) c. R. (Île-du-Prince-Édouard), la Cour d’appel fédérale a bien synthétisé cette « séparation » fonctionnelle des pouvoirs dans la Constitution britannique à l’époque de l’union de 1867. Le juge en chef Jackett, pour la majorité, écrit :

b) que, vers 1867, comme résultat de cette évolution progressive (législative, jurisprudentielle et conventionnelle), le gouvernement était exercé au Royaume-Uni :

(i) du point de vue législatif, par le souverain agissant par l’entremise des chambres du Parlement du Royaume-Uni et sur leur avis et de leur consentement ;

(ii) du point de vue exécutif, par le souverain agissant soit sur l’avis soit par l’entremise de ministres (appelés collectivement le « gouvernement » du « jour ») lesquels ministres n’étaient pas, en règle générale, choisis par le souverain, mais remplissaient leurs fonctions en conservant la confiance du Parlement ;

(iii) du point de vue judiciaire, par des juges nommés par le souverain sur l’avis des ministres, mais qui, une fois nommés, étaient, durant bonne conduite, indépendants en fait, sinon en droit, du souverain, du gouvernement exécutif et du Parlement ;

de sorte que, sous réserve des exceptions contenues dans la loi, alors que d’autres détenaient en fait le pouvoir et la responsabilité, tous les actes du gouvernement, au sens le plus large du terme, étaient, en droit, des actes du souverain et que tous les biens publics lui étaient dévolus[45].

La jurisprudence récente de la Cour suprême a eu pour effet de formaliser encore plus, par l’ajout de garanties d’indépendance administrative et financière à la garantie de l’inamovibilité qui existait déjà, l’indépendance entre le pouvoir judiciaire et les autres pouvoirs de l’État[46]. À l’époque impériale, cette étanchéité était cependant bien moins complète. Par l’entremise de l’indivisibilité de la Couronne impériale, le pouvoir exécutif du Canada appartenait à la « Reine de l’Empire[47] », le pouvoir législatif suprême à la « Reine-en-son-Parlement impérial[48] » et le pouvoir judiciaire ultime à la « Reine-en-conseil, fontaine de toute justice[49] ».

La Couronne impériale était donc le système de contrôle de l’Empire britannique : elle permettait au gouvernement de Sa Majesté pour le Royaume-Uni d’exercer le pouvoir exécutif par les avis donnés à Sa Majesté concernant le Canada, et le pouvoir législatif par l’entremise du du Parlement impérial[50].

1.2 L’indivisibilité de la Couronne au service de l’autonomie des dominions

Si la Couronne, comme forme d’organisation de l’État, était l’instrument de contrôle du Royaume-Uni sur le Canada, c’est pourtant la même institution juridique qui a permis, dans une certaine mesure, l’octroi de pouvoirs aux gouvernements de la fédération canadienne.

Cette reconnaissance de pouvoirs aux exécutifs fédéral et provinciaux du Canada s’est opérée par le « véhicule » de la prérogative royale[51], source de pouvoirs exécutifs tirée directement de la common law, mais pouvant être limitée à tout moment par la loi du Parlement[52].

Une des premières reconnaissances de pouvoirs tirés de la prérogative à l’exécutif fédéral canadien a eu lieu dans l’affaire Canada v. Bank of Nova Scotia en 1885. Dans cette dernière, l’insolvabilité de la Bank of Prince Edward Island a provoqué un conflit entre le gouvernement fédéral et la Banque de Nouvelle-Écosse quant à l’ordre de collocation. La Cour suprême de l’Île-du-Prince-Édouard a nié toute existence de la prérogative du gouvernement fédéral d’être payé en priorité sur les autres créanciers suivant la common law[53], affirmant, du même coup, que ce n’était qu’un créancier ordinaire. Infirmant la décision, la Cour suprême du Canada a reconnu que la prérogative est indivisible à l’échelle de l’Empire comme la Couronne est elle-même indivisible. Le juge Strong écrit :

That, for the purpose of entitling itself to the benefit of its prerogative rights, the Crown is to be considered as one and indivisible throughout the Empire, and is not to be considered as a quasi-corporate head of several distinct bodies politic (thus distinguishing the rights and privileges of the Crown as the head of the government of the United Kingdom from those of the Crown as head of the government of the dominion, and, again, distinguishing it in its relations to the Dominion and to the several provinces of the dominion) is a point so settled by authority as to be beyond controversy[54].

En conséquence, la Couronne ne hiérarchise pas juridiquement l’exécutif britannique par rapport à l’exécutif fédéral canadien. Le gouvernement fédéral canadien n’a pas une simple délégation de pouvoirs de la Couronne britannique : il fait partie de la Couronne britannique elle-même. Bien sûr, les prérogatives les plus importantes de la Couronne, comme celles qui sont relatives aux affaires étrangères, ne pourront être exercées, quant au Canada, que de l’avis des ministres britanniques conformément aux conventions constitutionnelles existantes à l’époque. Cependant, en droit formel, tout est en place pour que le Canada puisse affirmer sa souveraineté. Le simple changement de conventions constitutionnelles ayant eu lieu entre la Première Guerre mondiale et le Statut de Westminster[55], dont le point d’orgue a été la Déclaration Balfour de 1926, a permis l’exercice des prérogatives royales les plus importantes par les ministres canadiens[56]. Des traités pourront être conclus, des guerres pourront être déclarées entre le Canada et d’autres États, le tout de l’avis des ministres canadiens[57].

L’institution de la Couronne permettra la mise en place de la souveraineté canadienne en fournissant une assise juridique à l’exercice par les exécutifs canadiens, notamment, du jus tractatuum, du droit de déclarer la guerre et de signer la paix, du pouvoir d’adopter des symboles de l’État (dont les titres royaux) et d’octroyer des honneurs. Ultimement, la Couronne se divisera en droit formel entre le Canada et le Royaume-Uni[58], mais c’est parce qu’un jour il y a eu indivisibilité de la Couronne impériale que l’exécutif au Canada est doté de toute la puissance et des prérogatives de la Couronne telles qu’elles existaient dans la Constitution britannique.

2 De l’indivisibilité au fédéralisme

Le principe de l’imbrication du pouvoir exécutif canadien dans l’institution de la Couronne, par application du modèle britannique, s’est reproduit dans le fédéralisme canadien. Détentrice des pouvoirs exécutifs fédéraux et provinciaux du Canada, la Couronne est, en définitive, l’un des principaux vecteurs du fédéralisme au sein de l’architecture constitutionnelle canadienne.

2.1 Le texte de 1867 et le désir contradictoire des constituants

Les débats ayant mené à l’union des colonies britanniques d’Amérique du Nord ont été marqués par une controverse sur le situs de la souveraineté en contexte fédéral. Difficile dès lors de se référer aux réflexions qui portent sur le modèle britannique quant à cette question, ce dernier demeurant celui d’un État unitaire. Or, les Pères de la Confédération canadienne auraient pu se tourner vers le modèle américain, nouvellement établi, pour résoudre leur problème. À juste titre, Marc Chevrier précise que leurs homologues américains avaient d’ailleurs contourné le problème de la souveraineté en contexte fédératif en octroyant celle-ci au peuple, qui l’exercerait à travers des organes se limitant mutuellement par l’effet d’un système de poids et de contrepoids (checks and balances) :

Les Américains contournèrent la difficulté qu’elle soulevait en définissant la fédération comme un ordre politique sans souverain qui se maintient par l’équilibre concurrentiel des pouvoirs, et si cet équilibre venait à être rompu, par insuffisance des freins et contrepoids, on en référerait alors au juge subsidiairement […] Les fédéralistes [américains] parvinrent à répondre à l’objection des défenseurs de la souveraineté des États en transformant le sens du concept classique de souveraineté. Pour ce faire, ils critiquèrent le concept de souveraineté parlementaire de Blackstone et insistèrent plutôt sur l’idée que tout ordre politique doit tirer sa légitimité de la souveraineté du peuple[59].

Au Canada, la Constitution est inspirée par un vecteur de « revanche loyaliste sur la pensée révolutionnaire américaine[60] ». Plus encore, nombre de « Pères » fondateurs canadiens, dont John A. Macdonald en première ligne, estimaient que cette mauvaise attribution de la souveraineté aux États-Unis était en réalité la plus grande faiblesse de leurs voisins du Sud[61]. George-Étienne Cartier, fervent partisan de l’Empire, prétendait que l’atteinte du « vrai bonheur » demeurait même impossible « sous une forme républicaine de gouvernement[62] ». En somme, Andrew Smith souligne que la « tapisserie » de l’union est plutôt teintée par les fils d’un certain « loyalisme » envers la Grande-Bretagne[63]. Nulle part il n’est question de souveraineté dans l’Acte de l’Amérique du Nord britannique : on parle plutôt d’un réaménagement de la relation qui unit les colonies canadiennes à l’Empire, le tout largement influencé par le modèle impérial britannique[64].

Cette forme de loyalisme à l’endroit de la métropole et de son modèle se perçoit éloquemment dans les références, au sein de la Loi constitutionnelle de 1867, à la reine, qui conserve le pouvoir exécutif[65], à ses représentants (gouverneur général et lieutenants-gouverneurs) et au maintien de la suprématie législative de Westminster[66], ce qui comprend le Comité judiciaire du Conseil privé comme organe judiciaire ultime[67]. La souveraineté appartient à la Couronne, qui est, pour l’heure, la même que celle du Royaume-Uni. Marc Chevrier écrit :

Le cadre colonial plaçant la souveraineté dans le Parlement britannique, il devenait plausible de penser qu’une telle union reposerait sur des attributions de compétences entre deux paliers de gouvernement que garantirait la loi impériale, qui jouerait alors un rôle équivalent à celui de la Constitution américaine. Les États provinciaux tireraient donc leurs pouvoirs directement de la loi impériale, et non par délégation du Parlement fédéral[68].

Le fédéralisme établi en 1867, quant à lui, est situé quelque part entre un système des plus décentralisés[69] et celui d’un État unitaire[70]. Le choix canadien a été rapidement qualifié de « quasi-fédéralisme[71] » ou de fédéralisme imparfait[72]. En effet, le potentiel juridique dont disposent les autorités fédérales par l’effet du texte de 1867 pour « dominer le dispositif institutionnel[73] » est significatif. John A. Macdonald aurait d’ailleurs préféré reproduire le modèle d’union législative établi par l’Acte d’Union de 1840[74] dans le nouveau dominion, comme la Grande-Bretagne elle-même avait été formée de l’union des royaumes d’Écosse et d’Angleterre 160 ans plus tôt[75]. Comme l’écrivait Jean-Charles Bonenfant, « John A. Macdonald eut préféré l’union législative au fédéralisme, mais à cause du Bas-Canada et des provinces maritimes il comprit qu’elle était impraticable, mais il fit en sorte que la nouvelle constitution fut la plus centralisatrice possible[76] ».

La rédaction du texte de 1867 ayant été réalisée sous la supervision des autorités de Whitehall, qui voulaient également une autorité centrale forte, une foule de détails permettaient d’asseoir une interprétation constitutionnelle à l’avantage du gouvernement central, contrairement au désir du Bas-Canada et des provinces maritimes. Au-delà de l’évident pouvoir de désaveu et de réserve[77], il y a notamment la nomination du lieutenant-gouverneur par le gouverneur-en-conseil[78], la qualification unique du Parlement fédéral comme « Parlement[79] », la désignation de « Conseil privé de la Reine » au fédéral par opposition à l’appellation « Conseil exécutif provincial[80] », et une tentative apparente de substituer le lieutenant-gouverneur à la reine dans la législature provinciale[81].

Malgré tout, une ambivalence subsiste chez les constituants. Devant les centralisateurs, certaines provinces, dont le Québec et les provinces maritimes, concevaient la Loi constitutionnelle de 1867 comme ajoutant un ordre de gouvernement fédéral, égal aux provinces, aux constitutions provinciales, lesquelles demeuraient telles qu’elles existaient avant l’union — sauf pour ce qui est nécessaire aux fins du fédéralisme[82].

En définitive, hormis la souveraineté clairement remise à la Couronne, la Loi constitutionnelle de 1867 laisse planer le flou quant à la nature exacte des pouvoirs législatif et exécutif des provinces.

2.2 La Couronne au service des provinces

À terme, le désir contradictoire des constituants quant à la nature du fédéralisme canadien a été tranché par la jurisprudence, surtout celle du Comité judiciaire du Conseil privé britannique, et par les conventions constitutionnelles.

Particulièrement quant au pouvoir exécutif des provinces, mais aussi quant à leur pouvoir législatif, le Comité judiciaire interprétera implicitement la Constitution de 1867 à la lumière du droit constitutionnel britannique. C’est, en définitive, l’application d’un système où la Couronne (l’État) est une, indivisible et souveraine à un pays où il y a deux ordres de gouvernement. Dans la définition de la nature des pouvoirs exécutif et législatif des provinces, l’égalité de statut l’emportera sur des détails textuels à l’avantage du fédéral.

Prélude à l’affirmation de l’indivisibilité de la Couronne canadienne, le célèbre arrêt Hodge c. La Reine[83], dès 1883, a donné le ton en refusant d’interpréter le texte de 1867 comme hiérarchisant le législatif provincial par rapport à son homologue fédéral. Alors que l’accusé soulevait la maxime Delegatus non potest delegare devant une poursuite fondée sur un règlement pris en vertu d’une législation ontarienne, le Comité judiciaire a affirmé la souveraineté des législatures provinciales dans leurs champs de compétence. Sir Barnes Peacock, rendant le jugement de Leurs Seigneuries, écrit :

It appears to their Lordships, however, that the objection thus raised by the appellants is founded on an entire misconception of the true character and position of the provincial legislatures. They are in no sense delegates of or acting under any mandate from the Imperial Parliament. When the British North America Act enacted that there should be a legislature for Ontario, and that its legislative assembly should have exclusive authority to make laws for the Province and for provincial purposes in relation to the matters enumerated in sect. 92, it conferred powers not in any sense to be exercised by delegation from or as agents of the Imperial Parliament, but authority as plenary and as ample within the limits prescribed by sect. 92 as the Imperial Parliament in the plenitude of its power possessed and could bestow. Within these limits of subjects and area the local legislature is supreme, and has the same authority as the Imperial Parliament, or the Parliament of the Dominion, would have had under like circumstances to confide to a municipal institution or body of its own creation authority to make by-laws or resolutions as to subjects specified in the enactment, and with the object of carrying the enactment into operation and effect[84].

Ainsi, malgré la dénomination employée dans le texte de 1867[85], il n’existe pas qu’« un » Parlement au Canada, il y en a également un par province.

Neuf ans plus tard, dans l’affaire Liquidators of the Maritime Bank of Canada v. Receiver General of New Brunswick, l’exécutif provincial du Nouveau-Brunswick a voulu se prévaloir de son droit d’être payé en priorité dans la liquidation de la Banque maritime suivant, de nouveau[86], la common law[87]. Ce droit lui avait été nié sous prétexte que la Loi constitutionnelle de 1867 avait coupé les liens entre la Couronne et le gouvernement provincial. Cet argument, pourtant conforme à l’opinion des autorités exécutives britanniques sur la position des provinces[88], a été rejeté sans équivoque. Lord Watson, rendant le jugement de Leurs Seigneuries, écrit :

Their Lordships do not think it necessary to examine, in minute detail, the provisions of the Act of 1867, which nowhere profess to curtail in any respect the rights and privileges of the Crown, or to disturb the relations then subsisting between the Sovereign and the provinces. The object of the Act was neither to weld the provinces into one, nor to subordinate provincial governments to a central authority, but to create a federal government in which they should all be represented, entrusted with the exclusive administration of affairs in which they had a common interest, each province retaining its independence and autonomy[89].

Le Comité judiciaire a décidé que la nomination du lieutenant-gouverneur par le gouverneur général ne changeait rien à son statut d’égal représentant de la souveraine :

There is no constitutional anomaly in an executive officer of the Crown receiving his appointment at the hands of a governing body who have no powers and no functions except as representatives of the Crown. The act of the Governor-General and his Council in making the appointment is, within the meaning of the statute, the act of the Crown ; and a Lieutenant-Governor, when appointed, is as much the representative of Her Majesty for all purposes of provincial government as the Governor-General himself is for all purposes of Dominion government[90].

Puisque le gouvernement fédéral n’a de pouvoirs que comme représentant de la Couronne, la nomination du lieutenant-gouverneur est un acte de cette dernière. De plus, le Comité judiciaire juge alors que le pouvoir exécutif des provinces est exercé par le lieutenant-gouverneur au nom de la reine et que les propriétés provinciales appartiennent en droit à Sa Majesté. Partant, la Couronne est une et indivisible à l’échelle canadienne.

Cependant, la question de l’aménagement pratique de cette indivisibilité en contexte fédéral demeurait ouverte. Dans l’affaire In Re Silver Brothers Ltd., le Comité judiciaire a établi que, malgré l’indivisibilité de la Couronne, les propriétés de chaque ordre de gouvernement sont à distinguer. Le vicomte Dunedin, rendant jugement pour Leurs Seigneuries, écrit : « It is true that there is only one Crown, but as regards Crown revenues and Crown property by legislation assented to by the Crown there is a distinction made between the revenues and property in the Province and the revenues and property in the Dominion. There are two separate statutory purses. In each the ingathering and expending authority is different[91]. »

Autrement dit, chaque gouvernement de Sa Majesté possède un trésor et des propriétés distinctes, de même qu’un procureur général afin de poursuivre et d’être poursuivi en son nom[92]. La Couronne canadienne connaît ainsi une forme de « divisibilité fonctionnelle[93] », tout comme la Couronne impériale elle-même en connaissait une lors de l’apogée de l’Empire.

Dans l’affaire Bonanza Creek Gold Mining Co. v. R., le Comité judiciaire a décidé que le partage de l’autorité exécutive, et donc de la prérogative royale, suivait en substance le partage des compétences législatives[94]. Ce principe primordial quant à la structure du fédéralisme canadien emporte un bon nombre de conséquences pratiques sur les pouvoirs provinciaux, notamment les suivantes.

Dès 1896, dans l’affaire In re Queen’s Counsel, la Cour d’appel de l’Ontario reconnaissait le pouvoir de cette province d’octroyer le titre de « conseiller de la Reine » aux avocats[95]. La décision de la Cour suprême en 1879 dans l’affaire Lenoir v. Ritchie[96], qui refusait aux provinces ce pouvoir somme toute mineur, mais lourd de sens sur le plan constitutionnel, avait été infirmée par celle du Comité judiciaire dans l’affaire Liquidators of the Maritime Bank v. Receiver General of New Brunswick[97].

La prérogative en matière d’honneurs et de symboles étatiques semble aussi appartenir aux exécutifs tout autant fédéral que provinciaux. Beaucoup seront peut-être surpris d’apprendre que le drapeau du Québec a d’abord été adopté en vertu de la prérogative royale, par un décret (« arrêté en conseil ») daté du 21 janvier 1948[98], et ce, afin de remplacer l’Union Jack, lui-même adopté par prérogative royale par le roi George III en 1801[99]. Les médailles du lieutenant-gouverneur du Québec sont également octroyées sans aucune habilitation législative.

De manière plus importante, c’est l’indivisibilité de la Couronne qui a incité les tribunaux britanniques à accorder l’immunité contre les poursuites internationales aux sociétés d’État provinciales canadiennes. Dans l’affaire Mellenger c. New Brunswick Development Corporation, la Cour d’appel d’Angleterre reconnaît que, comme mandataire de la Couronne du chef de la province, la New Brunswick Development Corporation bénéficie de l’immunité des États[100]. La province est en définitive un État souverain au sens de cette règle. Lord Denning écrit : « The Crown is sovereign in New Brunswick for provincial powers, just as it is sovereign in Canada for dominion powers : see Maritime Bank of Canada (Liquidators) v Receiver General of New Brunswick. It follows that the Province of New Brunswick is a sovereign state in its own right, and entitled, if it so wishes, to claim sovereign immunity[101] ».

De même, l’immunité fiscale de la Couronne, constitutionnalisée par l’article 125 de la Loi constitutionnelle de 1867[102], recevra une interprétation généreuse. Dans le Renvoi relatif à la taxe sur le gaz naturel exporté, la majorité de la Cour suprême écrit :

Clement, dans The Law of the Canadian Constitution (3e éd., 1916), à la p. 643, a jugé inutile l’art. 125 de l’A.A.N.B. [TRADUCTION] « Il n’est pas destiné, dit-il, à porter atteinte à la règle générale concernant l’exemption des biens de la Couronne de la taxation comme cette règle doit s’appliquer, par exemple, en Angleterre ou dans une colonie dotée d’une seule législature. Il a été inséré, par souci de précaution, pour empêcher le Dominion d’imposer des taxes à des fins fédérales sur les biens détenus par la Couronne à des fins provinciales, et vice versa. »

Quoi qu’il en soit, l’art. 125 a manifestement pour objet d’empêcher un palier de gouvernement d’empiéter, par voie de taxation, sur les biens d’un autre palier de gouvernement[103].

Même sur les revenus tirés de l’exportation de leurs biens, cette immunité profite aux sociétés de la Couronne (du chef d’une province) comme Hydro-Québec.

Dans l’affaire Alberta c. Canada (Commission canadienne des transports), la Cour suprême a appliqué l’indivisibilité de la Couronne à la règle codifiée dans la Loi d’interprétation[104] fédérale, voulant que la Couronne ne soit liée par une loi du Parlement que par mention expresse ou par implication nécessaire[105]. En l’espèce, le gouvernement albertain s’est soustrait à la réglementation fédérale sur l’aéronautique, la Couronne étant indivisible[106].

Plus récemment, l’indivisibilité de la Couronne a servi d’assise à la reconnaissance du statut des gouvernements provinciaux comme interlocuteurs des Premières Nations dans les champs de compétence provinciaux. Dans l’affaire Première Nation de Grassy Narrows c. Ontario (Ressources naturelles)[107], la Cour suprême avait à déterminer si le gouvernement fédéral devait participer à la délivrance de permis d’exploitation forestière et minière par la province sur un territoire couvert par un traité de 1873. Négocié et signé par le gouvernement fédéral avant l’annexion du territoire à la province de l’Ontario, ce traité reconnaissait certains droits aux Ojibwés.

Sans jamais être explicitement exprimé, le principe de l’indivisibilité de la Couronne a permis à la Cour suprême d’établir, à l’unanimité, quelques règles qui, de fait, favorisent l’autonomie des provinces même lorsque des droits plus larges sont reconnus aux peuples autochtones. Résumant cette position, la juge en chef McLachlin écrit :

Les promesses contenues dans le Traité no 3 étaient celles de la Couronne, non du Canada [le gouvernement fédéral]. Leur respect incombe aux deux ordres de gouvernement en conformité avec le partage des pouvoirs opéré par la Loi constitutionnelle de 1867. Ainsi, lorsqu’il a été déterminé que les terres visées par le traité lui appartenaient, la province de l’Ontario est devenue responsable de leur administration dans les domaines relevant de sa compétence suivant l’art. 109, le par. 92 (5) et l’art. 92A de la Loi constitutionnelle de 1867, sous réserve des dispositions du traité. Dès lors, la province peut prendre des terres visées par le traité à des fins d’exploitation forestière[108].

Comme « émanation[s] de la Couronne[109] », les gouvernements provinciaux sont les seuls responsables des obligations de celle-ci envers les peuples autochtones en matière provinciale. Ils doivent donc respecter les obligations découlant du principe de l’honneur de la Couronne et de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. La juge en chef McLachlin écrit :

Toutefois, ce pouvoir n’est pas inconditionnel. La province de l’Ontario est liée, dans l’exercice de ce pouvoir, par les obligations qui incombent à la Couronne. Elle doit l’exercer conformément à l’honneur de la Couronne et elle est assujettie aux obligations fiduciaires de Sa Majesté à l’égard des intérêts autochtones. Ces obligations lient la Couronne. Le gouvernement qui exerce un pouvoir de la Couronne – qu’il s’agisse du gouvernement fédéral ou d’un gouvernement provincial – est assujetti aux obligations de la Couronne envers le peuple autochtone concerné[110].

Ce raisonnement préserve la compétence législative et exécutive des provinces sur les territoires à l’intérieur desquels des droits constitutionnels sont reconnus aux Autochtones[111].

L’indivisibilité de la Couronne et le partage de l’autorité exécutive opérés par l’arrêt Bonanza Creek Gold Mining Co. v. R.[112] servent finalement d’assise à l’exercice des relations internationales par les gouvernements provinciaux. Le Québec, en particulier, a été en mesure d’établir des délégations et des missions diplomatiques à l’étranger[113], notamment en suivant la doctrine Gérin-Lajoie, laquelle défend également un jus tractatuum provincial dans les champs de compétence du Québec[114]. Comme la compétence législative de mettre en oeuvre des traités autres que ceux de l’Empire suit le partage des compétences prévu dans la Loi constitutionnelle de 1867[115], la prérogative royale de signer les traités devrait, en application de l’arrêt Bonanza Creek Gold Mining Co. v. R.[116], suivre le même partage. Ce point n’est cependant pas exempt de difficultés et suscite une controverse doctrinale[117].

Sur le plan conventionnel, le gouvernement responsable provincial s’est placé comme une limite à l’exercice de pouvoirs par le gouvernement fédéral à l’endroit du lieutenant-gouverneur[118]. En effet, il semble reconnu que toute ingérence de la part des ministres fédéraux à l’endroit du lieutenant-gouverneur comme partie du gouvernement de la province violerait la convention constitutionnelle selon laquelle le lieutenant-gouverneur n’agit que de l’avis de ses ministres ayant la confiance de la chambre élue par la province[119]. D’ailleurs, la Cour suprême a elle-même reconnu que le lieutenant-gouverneur n’est pas un fonctionnaire fédéral, malgré sa nomination par le gouverneur-en-conseil[120]. L’exercice du désaveu et de la réserve des lois provinciales violerait également les conventions constitutionnelles[121]. Cependant, la nomination du lieutenant-gouverneur demeure le fait du gouvernement fédéral, ce qui est, de toute évidence, une entorse à l’égalité des deux ordres de gouvernement au Canada. Du moins, à défaut d’une révision formelle de la Constitution, il serait souhaitable que le gouverneur général nomme le lieutenant-gouverneur de l’avis du premier ministre de la province visée, à la manière dont la reine procède pour le gouverneur général depuis 1930[122].

En 1978, le gouvernement fédéral a proposé, au sein de son projet de loi no C-60 sur la réforme constitutionnelle, de donner au gouverneur général sa « propre autorité constitutionnelle[123] », afin qu’il n’agisse plus simplement par délégation de pouvoirs de la reine. Les provinces ont refusé unanimement ce changement à l’équilibre fédéral existant au sein de la Couronne, puisque cela aurait fait du gouverneur général, de facto, le chef d’État du Canada[124]. Outre qu’il aurait modifié « le symbole de la souveraineté canadienne en substituant à la fiction des pouvoirs royaux celle des pouvoirs du gouverneur général[125] », le projet de loi aurait placé le gouverneur général officiellement « au-dessus de toute autre fonction publique[126] ». Néanmoins, même si un tel changement n’a pas été apporté par la Loi constitutionnelle de 1982, des traces de cette tentative de hiérarchisation fédérale-provinciale se trouvent dans la procédure de modification prévue à la partie V, qui prévoit que le gouverneur général proclamera les amendements constitutionnels une fois qu’ils auront fait l’objet d’une résolution de chaque chambre parlementaire visée[127]. Il ne faut pas y voir, selon nous, davantage qu’une question procédurale, d’autant plus que l’alinéa 41 a) a pour objet de protéger, par la procédure unanime, les règles liées à « la charge de Reine[128] » et que le gouverneur général n’a de pouvoirs que comme représentant de Sa Majesté[129].

Conclusion

Paradoxalement, c’est l’application du modèle unitaire britannique qui sauve les provinces de dispositions semblant les subordonner au fédéral. En principe, la Couronne canadienne est indivisible, et l’exercice de ses pouvoirs est partagé entre deux ordres de gouvernement égaux[130]. À ce sujet, nous abondons dans le sens de D. Michael Jackson et Lynda M. Haverstock : selon leur conclusion, la Couronne et la forme monarchique de la Constitution canadienne ont davantage servi l’autonomie des provinces que les volontés centralisatrices[131]. Bien entendu, les acteurs politiques qui ont animé cette couronne à travers les époques n’ont pas toujours été les défenseurs de la souveraineté partagée que ladite couronne représente pourtant.

Malgré leur portée limitée par l’effet de la jurisprudence et des conventions constitutionnelles, les détails textuels de la Loi constitutionnelle de 1867 hiérarchisant l’État fédéral par rapport à l’État provincial nourrissent, depuis leur rédaction, les plaidoiries pour un régime axé sur la primauté de l’État fédéral, où le lien direct entre la Couronne et le gouvernement provincial est rompu. De l’affaire Liquidators of the Maritime Bank v. Receiver General of New Brunswick[132] en 1892 (négation des prérogatives royales des provinces) à l’affaire Motard c. Canada (Procureure générale)[133] en 2015 (procédure de modification unilatérale fédérale des règles de désignation du chef de l’État), il y a, en définitive, une constante. Cette « tentation » impériale, qui mène à ce que certains ont qualifié de « fédéralisme dominateur[134] », est d’autant plus dangereuse qu’elle peut s’appuyer parfois sur certaines pratiques symboliques[135], parfois sur le texte de la Constitution afin d’établir une forme de subordination contraire au principe de l’égalité entre le fédéral et les provinces. Fort heureusement, l’indivisibilité de la Couronne demeure un rempart contre cette tentation.