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Ce volumineux ouvrage cherche à comprendre la dynamique entrepreneuriale des petites et moyennes entreprises en s’appuyant sur de nombreux exemples tirés du contexte québécois. Très documenté (les références citées en fin d’ouvrage s’étendent sur presque 50 pages), il s’inscrit en trois parties et onze chapitres pour défendre une problématique du renouveau possible du développement territorial par les petites entreprises.

La première partie pose le décor, justifie le choix des petites entreprises et définit les clés principales du développement territorial : des opportunités saisies par l’entreprise et l’appui sur l’innovation. Les petites entreprises, qui se caractérisent à la fois par leur taille (moins de 300 salariés) et la forme de propriété (l’absence de dispersion du capital) sont par la création ou la reprise d’une entreprise existante susceptibles de promouvoir une dynamique territoriale se traduisant par davantage de croissance et d’emploi. La seconde partie propose un bilan théorique et empirique des variables qui déterminent l’entrepreneuriat. On retrouve finalement les résultats issus des variables traditionnelles (du modèle de Solow) pondérées de manière plus ou moins spécifique suivant les modèles. La dernière partie s’intéresse plus particulièrement à la question régionale, question peu abordée par les modèles principalement tournés vers le comportement des entrepreneurs, la question du contexte, celle du management et des innovations et enfin celle des réseaux (p. 166-168).

Un des apports de l’ouvrage est incontestablement de fournir des clés de lecture pour comprendre le phénomène de l’entrepreneuriat autant du point de vue des individus que des dynamiques territoriales. Par exemple, le chapitre 3 passe en revue les « modèles » ou cadres conceptuels qui peuvent expliquer la dimension entrepreneuriale (et aussi permettre de comprendre pourquoi certains territoires ont plus ou moins d’activité d’entrepreneuriat). Évidemment, il faut différencier deux éléments, souvent confondus, la logique de création d’entreprise (dont le moteur est l’innovation selon les critères schumpétériens) et la pérennisation de celles-ci (ce critère étant lié au développement territorial). Les modèles les plus intéressants distinguent bien deux temps : ce qui motive l’entrepreneur (par exemple les motivations individuelles, organisationnelles ou environnementales liées à l’entrepreneur et l’action d’entreprendre) et les effets de la décision d’entreprendre de l’ensemble des entreprises pour le territoire. Là se trouve la compréhension de la dynamique territoriale que le modèle de Julien (2005) aborde à travers quatre éléments : l’information, les réseaux, le capital social et la confiance. Cette caractérisation du milieu (ou de l’écosystème) permet aux entreprises de devenir potentiellement proactives sur le territoire.

Un des enjeux du développement de l’entrepreneuriat et des PME est bien, au Québec comme en France, de trouver des leviers face au déclin des entreprises et du tissu industriel. On connaît en France la question récurrente de la fragilité du tissu des entreprises de taille intermédiaire face à la structuration des entreprises allemandes. Les entreprises françaises ayant atteint un stade de développement stabilisé sont fréquemment rachetées par les grands groupes alors qu’en Allemagne elles demeurent autonomes, continuent d’innover et peuvent exporter. Pour parler comme l’ouvrage, un des enjeux de la compréhension de développement territorial est le passage entre la configuration de firme « banale » à une forme plus avancée. À ce titre, la distinction entre type d’entreprise (reproduction, imitation aventure ou valorisation) et type d’environnement (turbulent ou non) par exemple est assez intéressante. Par contre, contrairement aux travaux français, l’ouvrage met un poids beaucoup plus important sur les dimensions microéconomiques (liées à l’entreprise) plutôt que les variables de réseau (par exemple les configurations sectorielles, les modes d’organisation, etc.) ou institutionnelles (les politiques publiques, les régulations sectorielles ou de branche, les arrangements institutionnels).

C’est pourquoi il peut être très instructif de s’intéresser à la question de l’entrepreneuriat vu du point de vue québécois, qu’on peut imaginer plus fortement influencé par le modèle anglo-saxon (pour faire vite plus libéral) que le modèle rhénan (pour faire vite davantage institutionnalisé et régulé). Il est vrai qu’en France on s’intéresse davantage au contexte entrepreneurial (milieu innovateur par exemple ou formes d’innovation) qu’à la situation précise des entreprises.

Un des atouts de l’ouvrage est sa richesse empirique. Le travail s’intéresse aux dix-sept régions québécoises et à des territoires institutionnels plus petits (les municipalités régionales de comté). On remarque à cet égard l’attractivité de la région du Grand Montréal (50 % de l’économie québécoise et 40 % des nouvelles entreprises selon les auteurs), ce qui est sans doute une caractéristique commune du phénomène d’attractivité des métropoles, observé partout.

Les résultats des tests économétriques à l’échelle des territoires indiquent que globalement les différences de dynamisme entrepreneurial entre les régions sont principalement expliquées par des variables démographiques (part des citoyens âgés de 25 à 34 ans ; croissance de la population et de l’immigration). Néanmoins il est difficile de savoir si ces facteurs sont des causes ou des effets. Ensuite vient la structure industrielle (un effet d’entraînement lié au nombre d’entreprises déjà présentes). On trouve aussi le niveau du revenu (interprété comme une plus faible dépendance aux transferts d’État). Le dynamisme des régions voisines peut jouer dans les deux sens (frein ou entraînement), alors que les aides locales n’ont pas d’effet statistique.

Du point de vue spatial, l’effet métropole peut à la fois être entraînant (par effet habituel d’agglomération) ou au contraire « étouffant » (la métropole absorbant les petites entreprises). De ce fait, l’éloignement des métropoles peut être un atout, ce qui est un argument intéressant pour la question du développement rural et l’autonomie des territoires.

Enfin, les auteurs s’intéressent aux dimensions socioculturelles comme la culture entrepreneuriale, le soutien institutionnel (les règles du jeu), la présence du capital social et des réseaux.

L’ouvrage apparaît donc comme une synthèse très documentée sur cette question de l’entrepreneuriat et du développement territorial. Il apporte une somme considérable d’informations sur la question autant par la recension des modèles existants que par les études empiriques collectées.

Néanmoins, il reste assez conventionnel dans l’analyse des déterminants et la méthodologie adoptée : on ne trouvera pas d’analyse qualitative sur la question des ressources territoriales voire même de la question du mode de développement : qu’est-ce qui fait, finalement, au-delà des déterminants individuels qu’une région sera « gagnante » ? Faut-il maintenir le modèle industriel antérieur ou au contraire le modifier ? Il reste également assez conventionnel dans son approche du lien entre activité économique et développement, ne proposant pas, par exemple, d’analyse sur la structuration des entreprises (par exemple sur le rôle des entreprises du secteur non marchand) ni sur le type d’activité. Peut-on identifier des leviers pour redynamiser des territoires ? Les logiques de relocalisation, de labellisation sont-elles des facteurs dynamisants ou pas ?

On pourrait imaginer que le développement territorial puisse reposer sur différents modèles d’entreprise, notamment en lien avec les questions de développement durable qui ne sont pas abordées dans l’ouvrage. Or, il existe également beaucoup de débats sur les formes que pourrait prendre le développement des territoires (notamment ruraux avec la dimension de multifonctionnalité agricole) dans une perspective de soutenabilité (forte ou faible). Dans cette perspective, les formes d’entrepreneuriat, les modes d’organisation de l’activité, les formes d’innovation, les échelles, mais aussi les politiques publiques, seraient sans doute des variables clés à prendre en compte.