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Introduction

Depuis près d’une dizaine d’années, les solutions logicielles de type « cloud computing » ne cessent de se développer. Ces solutions modifient la façon dont l’individu utilise Internet au travail en apportant plus de flexibilité, en offrant des perspectives de collaboration dépassant les frontières pour échanger des informations, travailler sur des projets (Plouin, 2013). L’échange d’information rapide et sécurisé est devenu non seulement primordial pour les individus, mais aussi pour les entreprises. Le marché arrive aujourd’hui dans une phase qui permet réellement de s’équiper en logiciels de gestion à des coûts réduits. Ces coûts sont particulièrement faibles dans le cas de services délivrés par des « clouds publics », c’est-à-dire qu’un même logiciel, maintenu par le fournisseur du service et hébergé sur une infrastructure informatique qui lui appartient ou qu’il loue, est partagé entre plusieurs utilisateurs qui peuvent y accéder simultanément et payent en fonction de leur consommation du service. C’est la forme de service en ligne désignée habituellement par le sigle SaaS (Software as a Service) (Sultan, 2011). Une telle solution peut être particulièrement intéressante pour les PME qui ne disposent pas de la capacité financière des grandes entreprises qui peuvent s’équiper et maintenir des systèmes d’information implantés in situ (Aljabre, 2012 ; Sultan, 2011). Or, peu d’études ont porté sur les motivations d’implantation d’une solution de type « cloud » (Venters et Whiteley, 2012).

Les « clouds publics » font partie des quatre modèles de déploiement du « cloud » avec les « clouds privés », les « clouds hybrides » et les « clouds communautaires » (Alam, Pandey et Rautaray, 2015). Les « clouds privés » sont généralement administrés par l’entreprise. Ils ont des prix moins attractifs et peuvent difficilement rivaliser en termes d’innovation, tout en nécessitant une bonne connaissance des pratiques de l’entreprise (Tiers, Mourmant et Leclercq-Vandelannoitte, 2013). Les « clouds hybrides » sont une combinaison des deux précédentes et les « clouds communautaires » ont une infrastructure partagée entre plusieurs organisations qui ont des centres d’intérêt communs. D’après Garrison, Wakefield et Kim (2015), les « clouds hybrides » offriraient plus de souplesse et garantiraient une meilleure performance que les autres.

L’adoption d’une solution en ligne, qui peut s’analyser comme une externalisation, la standardisation en plus, permet de se décharger de l’acquisition et de la gestion des machines physiques, de la maintenance et des mises à jour des logiciels. Elle permet aussi de ne pas avoir à surdimensionner son système d’information (SI) en vue de faire face à une croissance de l’activité. Les services de calcul délivrés en ligne s’adaptent quasi instantanément à la croissance des informations à traiter grâce à la virtualisation et le coût s’adapte lui aussi au service consommé. C’est le moyen de déployer rapidement un système d’information qui suit les évolutions de l’entreprise (Marston, Li, Bandyopadhyay, Zhang et Ghalsasi, 2011). Cela accroît aussi l’efficacité des individus dans la réalisation de leurs tâches, dans la rapidité d’exécution, la facilité d’utilisation et influence la performance individuelle (Tripathi et Jigeesh, 2015), et par voie de conséquences, sans doute, la performance organisationnelle. En même temps, l’utilisation des ressources informatiques s’en trouve optimisée (Garrison, Wakefield et Kim, 2015).

Les applications de type SaaS sont aujourd’hui nombreuses et les développeurs font preuve de toujours plus de créativité pour s’adapter au marché. L’ancêtre de ces applications est sans doute le courrier électronique, mais on trouve aujourd’hui sur Internet nombre d’applications auxquelles il est très facile de s’abonner pour bénéficier de services rendus par des logiciels qui se trouvent implantés sur des machines situées dans des centres de données. L’utilisateur ne connaît même pas l’emplacement physique des machines, il sait simplement qu’à travers le réseau Internet il peut accéder aux ressources, dont il a besoin, à partir de n’importe quel endroit du monde. Il suffit d’avoir une liaison Internet ou une liaison téléphonique à haut débit pour accéder au service à travers une interface familière, le navigateur Web.

D’un autre côté, depuis plus d’une quinzaine d’années déjà, les entreprises se tournent de plus en plus vers des systèmes d’information intégrés de type ERP (Enterprise Resource Planning) ou PGI (progiciels de gestion intégrés) afin d’assurer la cohérence interne de leurs données. Ces produits relativement lourds lorsqu’ils sont implantés sur des serveurs internes, proposent des modules orientés métiers qui sont tous compatibles entre eux et assurent ainsi la cohérence et l’intégrité de la base de données à laquelle ils sont connectés. Les deux géants du domaine sont SAP et Oracle. Sage et Microsoft proposent des applications plus spécifiquement destinées aux PME, mais l’implantation de ces systèmes nécessite des investissements importants tant en matériel qu’en licences logiciel et en moyens humains.

C’est pourquoi depuis cinq à six ans certains éditeurs proposent des solutions ERP en ligne relativement performantes et d’un coût tout à fait accessible – l’application étant partagée par plusieurs utilisateurs. Les éditeurs traditionnels ont aujourd’hui dans leur catalogue des solutions « cloud », mais de nouveaux entrants font leur apparition. Arnesen (2013) cite NetSuite, Workday, Intacct, Acumatica, ou encore, Plex. Concernant ce dernier produit, White (2009) rapporte que l’entreprise Fisher & Company, fabricant d’accessoires pour les sièges automobiles et implantée dans plusieurs pays a sélectionné l’ERP en ligne Plex Online pour la gestion de ses activités, mettant ainsi fin à un système composé de modules disparates.

Comme l’ont mis en lumière Johansson, Alajbegovic, Alexopoulo et Desalermos (2015), aujourd’hui les ERP en ligne ne manquent pas d’atouts pour les PME, tant sur le plan financier que sécuritaire. Ils seraient même tout à fait adaptés en raison de la simplicité des processus de gestion mis en oeuvre dans ces entreprises, car il faut reconnaître que ces produits ne disposent pas encore de toute la souplesse adaptative des grands ERP traditionnels. De ce fait ils sont moins adaptés aux processus complexes.

Tous ces arguments militent en faveur d’une diffusion des ERP en ligne auprès des PME qui pourraient trouver là un moyen d’accéder à des systèmes d’information performants et flexibles en termes de capacité de traitement, à des coûts que les solutions alternatives ne permettent pas. Plusieurs auteurs se sont déjà interrogés sur les facteurs d’adoption d’une solution « cloud » dans les entreprises, de type ERP ou non (Gupta, Seetharaman et Raj, 2013 ; Lin et Chen, 2012 ; Nkhoma, Dang et De Souza-Daw, 2013 ; Wu, 2011a, 2011b ; Tiers, Mourmant et Leclercq-Vandelannoitte, 2013 ; Peng et Gala, 2014 ; Hsu, Ray et Li-Hsieh, 2014). Mais nous n’avons relevé qu’une seule étude croisant tous les aspects qui nous intéressent, à savoir l’adoption d’un ERP de type « cloud » par les PME (Mahara, 2013). À la suite de ces auteurs, nous nous interrogeons, dans cet article, sur les facteurs qui peuvent inciter ou freiner les PME dans le choix spécifique d’une solution ERP en ligne. Plus précisément, nous nous intéressons à l’intention d’adopter un tel système pour les entreprises qui ne seraient pas encore équipées et à l’intention de continuer l’expérience pour celles qui en seraient déjà équipées, dans l’esprit des travaux menés par Karahanna, Straub et Chervany (1999).

La suite de cet article est structurée en cinq sections. La première présente une revue de la littérature. La seconde décrit le modèle structurel et les hypothèses à tester alors que la troisième s’intéresse au modèle externe et à l’échantillon utilisé. La quatrième section présente les résultats obtenus. Enfin, la dernière est consacrée à leur interprétation.

1. Revue de littérature

Les ERP ont été largement adoptés dans les entreprises depuis les années 1990. Ils garantissent une information fiable, cohérente et instantanée facilitant le fonctionnement de l’entreprise grâce à des modules parfaitement compatibles entre eux et partageant une même base de données. Mais l’importance des investissements nécessaires à l’implantation de ces systèmes, tant sur le plan matériel et logiciel que sur le plan organisationnel, peut les rendre inaccessibles aux PME (une revue des recherches conduites sur les ERP a été produite par Grabski, Leech et Schmidt, 2011). La solution peut alors être l’externalisation du SI avec les problématiques qui lui sont habituellement associées (Lacity et Willcocks, 1998 ; Willcocks et Lacity, 1999 ; Fimbel, 2003 ; Walden et Hoffman, 2007 ; Lacity, Willcocks et Khan, 2011 ; Paquet, 2011). Lacity, Khan et Willcocks (2009) avaient réalisé une revue de la littérature qui ne dénombrait pas moins de 191 études portant sur la question à l’époque. Le recours au « cloud computing » présenté très souvent comme un changement de paradigme dans l’intelligence des SI, s’apparente pourtant à une forme d’externalisation puisque les ressources informatiques sont déportées dans des centres de données administrés par des spécialistes que l’utilisateur n’a jamais rencontrés (Mahesh, Landry, Sridhar et Walsh, 2011). Mais le recours à ces solutions pose des questions plus spécifiques, liées au fait qu’il s’agit d’une technologie nouvelle qui peut être vue comme un progrès, mais qui peut susciter aussi certaines craintes, notamment en termes de sécurité et de confiance dans la disponibilité et la qualité du service (Subashini et Kavitha, 2011 ; Neumann, 2014). C’est la raison pour laquelle nous nous attachons dans cette recherche à déterminer quels sont les facteurs incitatifs et de réticence dans l’adoption et l’utilisation d’un ERP en ligne.

Pour aborder cette question, plusieurs théories peuvent être mobilisées, mais la majorité des travaux dans le domaine s’appuie sur le modèle TAM (Technology Acceptance Model) (Davis, 1986, 1989) ou ses dérivés comme le modèle UTAUT (Unified Theory of Acceptance and Use of Technology) (Venkatesh, Morris, Davis et Davis, 2003). La TRA (théorie de l’action raisonnée) qui vise à expliquer et prédire l’adoption des comportements individuels (Fishbein et Azjen, 1975) a inspiré le modèle TAM. La TRA a été utilisée par de nombreux chercheurs dans le domaine des SI pour expliquer les intentions comportementales. Malgré cela, certains travaux ont envisagé d’autres voies. Nkhoma, Dang et De Souza-Daw (2013), Hsu, Ray et Li-Hsieh (2014) s’inspirent du modèle « Technology-Organisation-Environment » (TOE) de Tornatzky et Fleischer (1990) pour mettre en évidence l’incidence de ces trois éléments sur la décision d’adoption du « cloud computing », mais Nkhoma, Dang et De Souza-Daw conviennent que leurs résultats sont décevants. Le modèle élaboré par Tornatzky et Fleischer donne des résultats plus probants pour les grandes entreprises, mais s’agissant des PME, seule la variable représentant les préoccupations des entreprises, au sens global de la qualité du service obtenue, semble influer sur l’intention d’adopter une solution « cloud ». Gangwar, Date et Ramaswamy (2015), en combinant le modèle TAM et TOE, arrivent à la conclusion que l’engagement de la direction, la préparation de l’organisation agissent sur l’adoption du « cloud computing ». Lin et Chen (2012) s’intéressent au comportement des professionnels des SI en faisant appel à la théorie de la diffusion de l’innovation (TDI) de Rogers (1995) tandis que Tiers, Mourmant et Leclercq-Vandelannoitte, (2013) mobilisent le concept de maturation multiple. Pour ces auteurs, c’est la combinaison de différents niveaux de maturité, atteints dans quatre grands domaines, qui favorise l’adoption d’une solution « cloud ». Ces domaines sont représentés par la maturité organisationnelle de l’entreprise, la maturité sécuritaire, la maturité technologique de la solution et enfin, la maturité juridique de son environnement, c’est-à-dire les lois et règlements qui entourent ces nouvelles technologies. Kéfi (2010) met en oeuvre la théorie du comportement planifié (Ajzen, 1991) pour déterminer l’intention d’utilisation d’un système d’information. À l’aide d’un modèle structurel il met en lumière l’influence des trois construits identifiés par la théorie sur l’intention d’utilisation d’un système d’information. Ces derniers sont l’attitude, le contrôle comportemental perçu, réduit ici à l’efficacité perçue, et les normes subjectives.

Notre recherche s’inscrit davantage dans le cadre théorique des modèles TAM et UTAUT que dans l’un de ceux qui viennent d’être mentionnés.

Le modèle TAM initié par Davis en 1986 a été spécifiquement développé pour identifier les variables qui conduisent à l’adoption d’une nouvelle technologie. Ces variables sont l’utilité perçue (PU), la facilité d’utilisation perçue (PEOU) et l’intention comportementale, c’est-à-dire l’intention d’utiliser le système ou non. Plusieurs versions de ce modèle de base ont par la suite été déclinées pour aboutir à la théorie unifiée d’acceptation et d’utilisation de la technologie (UTAUT) (Venkatesh et al., 2003) puis au modèle TAM3 (Venkatesh et Bala, 2008) qui enrichit les versions précédentes en stipulant de nouvelles relations entre variables, mais d’autres variantes ont aussi été imaginées selon l’utilisation qui en est faite (Wallace et Sheetz, 2014).

Considérant que ce modèle était incomplet, Lopez-Nicolas, Molina-Castillo et Bouwman (2008) en proposent une extension par intégration de la théorie de la diffusion de l’innovation de Rogers. En particulier, ils stipulent un impact de l’influence sociale sur l’intention d’utiliser le système. Au final, le modèle comporte huit construits en interaction, l’influence des médias, l’influence sociale, l’attitude envers les innovations, les bénéfices perçus en termes de statut, les bénéfices perçus en termes de flexibilité ainsi que les trois construits de base du modèle TAM soit, l’utilité perçue, la facilité d’utilisation perçue et l’intention comportementale.

Le modèle TAM, même s’il n’est pas exempt de critiques, ainsi que ses dérivés (Benbasat et Barki, 2007), a souvent été mobilisé dans la littérature portant sur l’adoption ou l’intention d’adopter un système d’information. Parmi ces recherches on citera, Bueno et Salmeron (2008), Hernandez, Jimenez et Martin (2008) et plus spécifiquement sur l’adoption de services en ligne, Lopez-Nicolas, Molina-Castillo et Bouwman (2008), Wu (2011b), Lévy Mangin, Bourgault, Moriano Leon et Martinez Guerrero (2012), Gupta, Seetharaman et Raj (2013).

À partir d’un échantillon de 211 entreprises implantées à Singapour et dans les pays environnants, Gupta, Seetharaman et Raj (2013) mettent en évidence que les préoccupations premières des PME dans l’adoption du « cloud computing » sont la facilité d’utilisation et la sécurité. La réduction des coûts n’arrive qu’en troisième lieu. Par ailleurs on note aussi que la sécurité est un antécédent de la facilité d’utilisation perçue. On retrouve cette relation testée par Wu (2011b) à partir d’un échantillon d’entreprises taïwanaises, mais la sécurité n’a pas d’influence directe sur l’intention d’utilisation du « cloud computing ». Par contre, les bénéfices perçus apparaissent comme un antécédent de la facilité d’utilisation et comme un antécédent d’une nouvelle variable, l’attitude envers les innovations technologiques. Lee (2009) utilise un modèle hybride alliant le modèle TAM avec la théorie du comportement planifié pour expliquer l’adoption du canal Internet en matière de services bancaires. Sur la même question de recherche, Lévy Mangin et al. (2012) mettent en oeuvre le modèle TAM en y adjoignant trois variables latentes, l’impression qu’a l’utilisateur de maîtriser le système, le plaisir qu’il en retire et une variable, Innovation, que l’on peut interpréter comme l’attitude envers les innovations technologiques déjà utilisées par Wu (2011b). Cette variable influence positivement l’intention d’utilisation du système alors que cette hypothèse est réfutée chez Wu.

La construction de notre modèle de recherche s’appuie clairement sur le modèle TAM et s’inspire des travaux mentionnés ci-dessus.

2. Le modèle structurel et les hypothèses à tester

Si le point de départ de notre construction théorique reste le modèle TAM, celui-ci est enrichi sur la base des propositions faites par Lopez-Nicolas, Molina-Castillo et Bouwman (2008), Wu (2011b) ou encore Lévy Mangin et al. (2012).

La base du système de relations du modèle TAM fait appel à trois variables latentes, la facilité d’utilisation perçue (PEOU), l’utilité perçue (PU) qui influent toutes deux sur l’intention d’adopter un système (BI). Mais, PEOU affecte aussi la variable PU (Lopez-Nicolas, Molina-Castillo et Bouwman, 2008 ; Venkatesh et Bala, 2008 ; Venkatesh et Davis, 2000). PEOU représente le degré selon lequel le futur utilisateur pense que le système sera facile d’utilisation. PU représente l’idée que le futur utilisateur se fait de l’utilité de l’application pour améliorer ses performances.

Cela nous conduit à poser les hypothèses suivantes :

  • H1-1 : PEOU a un effet positif sur PU.

  • H1-2 : PEOU a un effet positif sur BI.

  • H2 : PU a un effet positif sur BI.

Mais la sécurité et la confiance (S&T) dans le bon fonctionnement d’une application de type « cloud » reste une variable fondamentale (Subashini et Kavitha, 2011 ; Neumann, 2014 ; Hsu, Ray et Li-Hsieh, 2014, Chung et Kwon, 2009) parmi les facteurs affectant l’intention d’utilisation. Cette variable se réfère à tous les risques et problèmes qu’une entreprise peut rencontrer en adoptant un logiciel de gestion en ligne (perte de données, intrusions dans le système, qualité de service et bande passante insuffisantes…).

  • H3 : S&T a un effet positif sur BI.

Les bénéfices perçus en termes de statut (PB), au sens où le fait d’adopter une solution de type « cloud » valorise son utilisateur ou l’entreprise qu’il dirige, peut avoir un effet positif sur PU. Plus l’utilisateur se sent valorisé, plus il a tendance à penser que le système lui sera utile dans l’exercice de ses tâches. Par ailleurs, l’attitude envers les innovations technologiques (ATI) représente le degré d’affinité qu’entretient le futur utilisateur, ou le décideur, avec les nouvelles technologies. À la suite de Lopez-Nicolas, Molina-Castillo et Bouwman (2008), et Wu (2011b), on peut s’attendre à ce que ces deux variables soient influencées par PB.

  • H4-1 : PB a un effet positif sur PU.

  • H4-2 : PB a un effet positif sur ATI.

L’influence sociale (SI) représente le degré selon lequel l’utilisateur, ou le décideur dans l’implantation du système, est sensible à son environnement social : l’influence des médias, l’opinion des spécialistes du domaine ou encore le bouche-à-oreille. Dans l’esprit, cette variable est assez proche des normes sociales de la théorie du comportement planifié de Ajzen. Elle peut impacter de nombreuses autres variables (Lopez-Nicolas, Molina-Castillo et Bouwman, 2008 ; Wu, 2011b). Elle peut façonner l’attitude de l’utilisateur ou du décideur selon plusieurs dimensions en agissant aussi bien sur les bénéfices perçus en termes de statut (PB) que sur l’utilité perçue (PU), la facilité d’utilisation perçue (PEOU), son attitude envers les innovations (ATI) ou encore sur la sécurité perçue (S&T).

  • H5-1 : SI a un effet positif sur PB.

  • H5-2 : SI a un effet positif sur PU.

  • H5-3 : SI a un effet positif sur PEOU.

  • H5-4 : SI a un effet positif sur ATI.

  • H5-5 : SI a un effet positif sur S&T.

L’attitude envers les innovations technologiques (ATI) peut affecter directement l’intention d’utilisation (BI) (Lévy Mangin et al., 2012 ; Lopez-Nicolas, Molina-Castillo et Bouwman, 2008 ; Wu, 2011b). Bien que les résultats empiriques divergent sur ce point, nous conservons cette hypothèse. L’utilité perçue (PU) devrait aussi être impactée par ATI (Lopez-Nicolas, Molina-Castillo et Bouwman, 2008 ; Wu, 2011b). En effet, plus on est tourné vers les innovations technologiques, plus on est enclin à les expérimenter et plus on leur accorde des qualités qui nous semblent utiles dans l’exercice de nos tâches.

  • H6-1 : ATI a un effet positif sur BI.

  • H6-2 : ATI a un effet positif sur PU.

À ces variables qui constituent le coeur du modèle, nous en ajoutons deux autres qui sont propres à notre étude : la taille de l’entreprise (taille) et une variable binaire qui indique si l’entreprise est déjà équipée ou non de ce type d’application (antécédent). Par rapport aux études déjà menées, notre variable BI revêt donc une signification particulière : l’intention d’adopter une solution en ligne pour les entreprises non équipées et l’intention de continuer à utiliser le système pour celles qui sont déjà équipées. Nous faisons ici l’hypothèse que la structure du modèle est la même, mais que la force des liens peut être différente, à l’instar des travaux de Karahanna, Straub et Chervany (1999). De ce fait, la variable BI peut être influencée par la variable « antécédent » et ainsi prendre à sa charge une partie de la variance que le reste du modèle ne saurait expliquer. Une entreprise déjà équipée aura plutôt tendance à continuer l’utilisation du système, sauf si elle a connu de gros déboires. Quant à la variable « taille », mesurée à l’aide d’une répartition par tranches du nombre de salariés (Tableau 2, section 3), elle nous a semblé utile en tant qu’antécédent de la variable ATI. Nous faisons ici l’hypothèse que plus l’entreprise est grande plus le chef d’entreprise – donc le décideur pour l’acquisition du logiciel en ligne – est sensible aux innovations technologiques. Sa culture et son niveau d’éducation, mais aussi ses fréquentations le prédestineraient à être davantage tourné vers ces innovations que le chef d’une entreprise plus modeste. Selon une étude menée par Vacher et Demoly (2015), il est moins probable de trouver des personnels spécialisés en TIC dans les petites entreprises que dans celles de taille plus confortable. Or, on peut penser que la présence d’une équipe TIC, même réduite, crée un contexte rendant le dirigeant plus réceptif aux innovations technologiques dans ce domaine. À notre connaissance la prise en compte directe de cette variable dans un tel modèle en tant qu’antécédent de l’attitude envers les innovations n’a jamais été réalisée. Hsu, Ray et Li-Hsieh (2014) l’utilisent en tant qu’antécédent de l’intention d’adopter une solution « cloud », mais ce lien n’est pas validé statistiquement. Au jeu d’hypothèses déjà posées, nous ajoutons donc les suivantes :

  • H7 : la taille a un effet positif sur ATI.

  • H8 : le fait d’être déjà équipé d’un ERP en ligne (antécédent) a un effet positif sur BI.

Notre modèle se présente donc tel que l’indique la figure 1.

Figure 1

Le modèle à tester

Le modèle à tester

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3. Le modèle externe et les données

3.1. L’échantillon

Nous avons travaillé à partir du fichier tenu par la chambre régionale de commerce et d’industrie de la région Centre-Val de Loire. L’intérêt de ce fichier est qu’il comporte, en règle générale, directement l’adresse électronique du chef d’entreprise. En utilisant cette adresse pour le solliciter, il nous a ainsi semblé plus probable que le courrier ne s’égare pas dans un secrétariat. Une extraction a été réalisée en croisant plusieurs critères :

  • l’élimination des établissements secondaires, c’est-à-dire les entreprises qui appartiennent à un groupe et qui sont généralement dépendantes d’un système informatique de gestion centralisé ;

  • l’élimination des entreprises de moins de 30 salariés, considérant que la problématique d’acquisition d’un ERP ne les concernait que faiblement. En effet, nous avons considéré que l’utilisation d’un ERP, produit relativement complexe, ne présentait d’intérêt qu’à partir du moment où les processus de gestion eux-mêmes étaient porteurs d’une certaine complexité. On peut penser que cette complexité croît avec le nombre de salariés, même si cette variable n’en constitue sans doute pas l’unique déterminant ;

  • l’élimination des entreprises de plus de 250 salariés qui n’appartiennent pas à la catégorie des PME (décret d’application n° 2008-1354 de l’article 51 de la loi de modernisation de l’économie).

Aucun critère concernant la taille de l’entreprise n’a porté sur le chiffre d’affaires, car cette rubrique n’était pas toujours renseignée. Mais, au vu des entreprises ayant répondu à l’enquête il est très peu probable que l’une d’entre elles dépasse un chiffre d’affaires de 50 millions d’euros (seuil de passage dans la catégorie des ETI).

Cette extraction nous a conduits à un échantillon de 1 089 entreprises réparties sur les six départements que compte la région Centre-Val de Loire. Un courrier leur a été adressé une première fois dans la semaine du 2 juin 2014, puis trois relances ont été effectuées à une semaine d’intervalle en prenant soin de ne pas recontacter les entreprises ayant déjà répondu. Ce courrier décrivait succinctement l’objet de la recherche, donnait quelques explications concernant les ERP et le « cloud », et les invitait à répondre à un questionnaire en ligne en précisant que nous souhaitions que celui-ci soit rempli par le chef d’entreprise (méthodologie déjà utilisée par Hernandez, Jimenez et Martin, 2008) ou à défaut par la personne en charge du système d’information. Le nom de l’entreprise et la fonction du répondant étaient souhaités, mais non obligatoires. À une exception près, ces rubriques ont été renseignées. Cela nous a permis de ne pas solliciter plusieurs fois des entreprises ayant déjà répondu, évitant ainsi les doublons. Les envois ont été effectués par blocs de 10 afin d’éviter qu’ils ne soient considérés comme « indésirables » par certains fournisseurs d’accès.

Sur les 1 089 entreprises contactées la première fois, 118 courriers électroniques n’ont pu être délivrés pour des raisons diverses (adresse erronée, boîte à lettres saturée…), c’est donc 971 entreprises qui ont été contactées.

À l’issue de la troisième relance, nous avons recueilli 64 questionnaires exploitables, soit un taux de réponse de 6,6 %, ce qui est faible, mais pas inhabituel dans ce type d’enquête. Le tableau 1 donne la structure des répondants en termes de secteur d’appartenance et le tableau 2 en termes de nombre de salariés.

Tableau 1

Secteur d’appartenance des entreprises ayant répondu à l’enquête

Secteur d’appartenance des entreprises ayant répondu à l’enquête

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Tableau 2

Effectif salarié des entreprises ayant répondu à l’enquête

Effectif salarié des entreprises ayant répondu à l’enquête

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On note que l’essentiel des entreprises (59 sur 64) comporte un effectif inférieur à 150 salariés. Notre échantillon est donc composé essentiellement d’entreprises de taille modeste. Précisons que celui-ci ne prétend pas représenter la structure du tissu économique de la région Centre.

3.2. Le modèle de mesure et le questionnaire

Des indicateurs ont été élaborés pour chacun des construits du modèle de recherche. Ceux-ci sont, dans l’esprit, assez largement inspirés des travaux de Lin et Chen (2012), Wu (2011), Lopez-Nicolas, Molina-Castillo et Bouwman (2008) et Lévy Mangin et al. (2012) tout en cherchant à les adapter au contexte de notre recherche. Ils sont recensés dans le tableau 3.

Tableau 3

Les construits et leurs indicateurs*

Les construits et leurs indicateurs*

* Les questions s’adressaient au chef d’entreprise en tant que décideur parlant au nom de celle-ci.

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Étant donné que nous n’avions aucun renseignement sur les configurations des systèmes d’information de gestion des entreprises interrogées, certaines pouvant déjà être équipées d’une application en ligne, notre variable BI (intention d’utilisation) tient compte de cette possibilité. Elle se définit comme l’intention d’adopter un ERP en ligne pour les entreprises qui ne sont pas encore équipées et comme l’intention de continuer à utiliser une telle solution pour celles qui sont déjà équipées. Ces dernières sont au nombre de 21, soit 33 % de notre échantillon. Ce taux est bien supérieur à celui avancé par Deltour et Lethiais (2015), soit 4 %, mais on peut penser que cette estimation ne concerne que les solutions implantées in situ. Le fait que les entreprises soient déjà équipées ou non est mesuré par une variable binaire qui prend la valeur 2 si l’entreprise est équipée et la valeur 1 sinon.

La construction du questionnaire s’est naturellement appuyée sur le tableau 3 auquel ont été ajoutées les questions concernant le nom de l’entreprise, la fonction du répondant et une confirmation du nombre de salariés. Chacun des items a été assorti d’une échelle de Likert à sept positions, allant de « pas du tout d’accord » (noté 1) à « tout à fait d’accord » (noté 7). En outre un espace était réservé à d’éventuels commentaires de la part des répondants.

Précisons enfin qu’un test préalable du questionnaire a été effectué auprès de quatre entreprises afin de nous assurer que les items étaient bien compris. Ce test nous a amenés à reformuler, à la marge, certains de ces items pour aboutir à ceux qui sont présentés dans le tableau 3.

4. Les résultats

Notre démarche se veut exploratoire, par conséquent nous opérons de façon itérative.

4.1. Du modèle d’origine au modèle définitif

Notre modèle a été estimé par la méthode PLS (Partial Least Squares) qui présente l’avantage d’être peu exigeante sur le plan des propriétés statistiques des variables et peut se satisfaire d’un échantillon de taille modeste (Chin, 1998 ; Bueno et Salmeron, 2008 ; Gupta, Seetharaman et Raj, 2013). Les données ont été traitées à l’aide du logiciel Smartpls, largement utilisé aujourd’hui dans le traitement de modèles structurels (Hair, Hult, Ringle et Sarstedt, 2014).

Les premiers résultats sur le modèle de départ sont repris sur la figure 2.

Figure 2

Modèle de départ avec ses coefficients de régression*

Modèle de départ avec ses coefficients de régression*

* Le modèle de mesure reporte les coefficients de corrélation.

Sur chaque variable latente figure le coefficient R2.

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À ce stade, s’agissant du modèle de mesure, et après avoir estimé les valeurs du t de Student par la technique du boostrap (avec un ré-échantillonnage de 700) il est apparu que tous les indicateurs étaient significatifs au seuil de 1 % à l’exception de l’indicateur q6-3 (t = 0,326) relatif à la variable PEOU. Par ailleurs l’alpha de Cronbach sur cette variable est insuffisant (0,45). Ce résultat signifie qu’il ne peut être considéré comme un indicateur de la facilité d’utilisation perçue. Il sera donc éliminé dans la suite de nos calculs.

Concernant le modèle structurel, il convient d’abord de remarquer que deux coefficients n’ont pas le signe attendu. Il s’agit des coefficients correspondant aux hypothèses H1-2 (PEOU>BI avec un coefficient de – 0,173) et H1-1 (PEOU>PU avec un coefficient de – 0,140). De plus ces coefficients ne sont pas statistiquement significatifs (p = 0,166 et 0,402 respectivement). Ces deux hypothèses ne sont donc pas validées. Ensuite, la valeur du t de Student du coefficient relatif à l’hypothèse H6-1 (ATI>BI) qui est de 1,204 (p = 0,229) montre que celui-ci est loin d’être significatif. Par conséquent, cette hypothèse est aussi réfutée.

Sur ces bases, nous reformulons notre modèle en éliminant ces trois relations ainsi que l’indicateur q6-3. Nous arrivons ainsi à la formulation du modèle définitif, tel que représenté sur la figure 3.

Figure 3

Le modèle définitif*

Le modèle définitif*

* Le modèle de mesure reporte les coefficients de corrélation.

Sur chaque variable latente figure le coefficient R2.

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4.2. Validité du modèle de mesure

La validité convergente du modèle peut être appréciée à travers plusieurs indicateurs, l’indice de fiabilité composite, CR (Composite Reliability) et l’alpha de Cronbach, dans un premier temps. Il est admis que ces deux indices doivent être supérieurs à 0,7 pour obtenir une bonne fiabilité (Nunnally et Bernstein, 1994). La valeur de la variance moyenne extraite, AVE (Average Variance Extracted) dans un deuxième temps. Cette dernière doit être supérieure à 0,5 (Fornell et Larker, 1981). Le tableau 4 donne la valeur de ces indices ainsi que celle du test t de Student.

Tableau 4

Critères de validité du modèle de mesure

Critères de validité du modèle de mesure

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Tous les indices de fiabilité composite (CR) sont largement supérieurs à 0,7 et la variance moyenne extraite (AVE) est supérieure à 0,5. Pour ces deux indicateurs, la technique du bootstrap nous donne des valeurs du t de Student significatives à un seuil de confiance inférieur à 1 %. Ces critères sont donc remplis dans toutes les situations. S’agissant de l’alpha de Cronbach, il est supérieur à 0,7 dans tous les cas de figure sauf un, concernant la variable ATI (0,67), mais le bootstrap fait apparaître un t de Student de 6,85 (non reporté dans le tableau), donc significatif à un seuil inférieur à 1 %. Enfin, tous les tests t de Student pratiqués sur les coefficients sont hautement significatifs comme le montrent les deux dernières colonnes du tableau 4.

La validité discriminante est vérifiée en utilisant le critère de Fornell et Larker (1981) selon lequel la racine carrée de l’AVE pour chaque construit doit être supérieure aux corrélations interconstruits. Le tableau 5 recense ces résultats.

Tableau 5

Racine carrée de l’AVE (diagonale) et corrélations interconstruits

Racine carrée de l’AVE (diagonale) et corrélations interconstruits

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Nous vérifions bien qu’aucun des coefficients de corrélation croisée n’excède les éléments de la diagonale du tableau 5.

La validité discriminante est confirmée en examinant les contributions factorielles croisées. Le tableau reporté en annexe montre que pour chaque construit les contributions factorielles qui s’y rapportent sont supérieures aux contributions factorielles croisées.

À la suite de toutes ces vérifications, nous estimons que le modèle de mesure est validé.

4.3. Le modèle structurel

Comme le montre la figure 3, le coefficient R2 de la variable BI (intention d’adopter ou de continuer à utiliser le système) s’établit à 0,524. Cela signifie que le modèle explique 52,4 % de la variance de cette variable, ce qui est tout à fait honorable au regard des résultats obtenus par d’autres recherches.

La validité des hypothèses testées peut être appréciée à travers les coefficients de régression standardisés (path coefficients), des relations entre variables latentes et le t de Student associé, obtenu grâce à la technique du bootstrap. Ces coefficients figurent directement sur la figure 3 et sont repris dans le tableau 6, assortis du test t, pour les hypothèses vérifiées.

Tableau 6

Les hypothèses vérifiées et les coefficients de régression standardisés

Les hypothèses vérifiées et les coefficients de régression standardisés

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Selon la statistique t de Student, toutes ces hypothèses sont validées à un seuil de confiance inférieur à 5 %. Les coefficients les plus forts sont indiqués en caractères gras dans le tableau 6.

Pour rappel, les hypothèses non validées lors des différentes étapes de la construction du modèle définitif sont les suivantes :

  • H1-1 : PEOU>PU.

  • H1-2 : PEOU>BI.

  • H6-1 : ATI>BI.

4.4. Entreprises déjà équipées vs entreprises non équipées

Rappelons que notre échantillon comporte deux sortes d’entreprises, celles qui ne sont pas encore équipées d’un ERP en ligne et celles qui le sont déjà. Ainsi, notre variable BI mesure l’intention d’adopter un tel système pour les premières et l’intention de continuer à utiliser une telle solution pour les secondes.

Aussi, nous cherchons à savoir quelle est l’incidence de cette hétérogénéité sur notre modèle, c’est-à-dire, quel est l’impact de la variable « antécédent ».

Pour ce faire, il pourrait être envisagé de tester le modèle, amputé de la variable « antécédent » successivement sur les deux sous-échantillons afin d’apprécier les écarts d’estimation des coefficients. Malheureusement, la taille de notre échantillon (64 entreprises) ne nous permet pas de mettre en oeuvre une telle procédure. En effet, bien qu’il n’y ait aucune règle démontrée, il est courant d’appliquer une règle empirique habituellement attribuée à Chin et Newsted (1999), qui dit que le nombre d’observations devrait être au moins égal à dix fois le nombre d’indicateurs sur la variable la plus complexe. Cela nous donne 60 observations dans notre cas alors que le sous-échantillon des entreprises non équipées est de 43 et celui des entreprises déjà équipées est de 21.

Nous situant dans une démarche exploratoire, il nous a semblé malgré tout envisageable de réestimer le modèle amputé de la variable « antécédent » sur le sous-échantillon des entreprises non équipées puis sur l’échantillon complet de façon à mettre en lumière l’impact de l’introduction des entreprises déjà équipées sur la valeur des coefficients.

Pour ce faire, nous avons utilisé la méthode MGA (Multi-group Analysis) implémentée sur le logiciel Smartpls. Cette méthode s’appuyant sur la technique du bootstrap permet d’estimer les coefficients sur les deux échantillons analysés, et construit une statistique permettant de se prononcer sur la significativité de leurs différences.

Après avoir vérifié la validité du modèle de mesure à l’aide des différents critères déjà utilisés, nous nous sommes intéressés aux coefficients de régression standardisés du modèle interne (Tableau 7).

Tableau 7

Les coefficients de régression standardisés relatifs aux deux échantillons (modèle amputé de la variable « antécédent »)

Les coefficients de régression standardisés relatifs aux deux échantillons (modèle amputé de la variable « antécédent »)

* R2 BI indique la valeur du coefficient R2 de la variable BI.

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Dans le tableau 7, l’avant-dernière colonne (|Diff.|) représente la valeur absolue de la différence des coefficients tandis que la dernière (Proba.) représente la probabilité de rejeter à tort l’hypothèse de nullité de cette différence, c’est-à-dire l’égalité des coefficients.

Au vu de ce tableau, il apparaît que sur l’échantillon d’origine, le fait d’amputer le modèle de la variable « antécédent » en réduit très fortement le pouvoir explicatif puisque le coefficient R2, mesuré sur la variable BI passe de 0,524 à 0,259 soit une diminution de plus de moitié. Cela confirme le pouvoir explicatif de la variable « antécédent » qui prend à sa charge une partie de la variance non expliquée par le reste du modèle. Si maintenant nous comparons les deux estimations de ce modèle incomplet, il apparaît que sur l’échantillon des entreprises non équipées, la valeur du coefficient R2 de la variable BI est de 0,415, plus élevée que sur l’échantillon complet (0,259). Le fait de travailler sur un échantillon plus homogène provoque une augmentation du pouvoir explicatif du modèle, semblant montrer qu’il est plus adapté à cette population qu’à la population d’origine.

On remarquera encore que le coefficient correspondant à l’hypothèse H2 (PU>BI) passe de 0,527 pour les entreprises non équipées à 0,225 lorsque l’on introduit les entreprises déjà équipées. Cette chute de plus de moitié semblerait indiquer que les entreprises déjà équipées sont moins sensibles que les autres à l’utilité perçue. On peut penser que pour ces entreprises, l’utilisation d’un ERP en ligne est devenue un acte banal et que la croyance en l’utilité d’un tel système s’est estompée. C’est un outil que l’on utilise au même titre que les autres sans plus se poser la question de son utilité. Un dirigeant non encore équipé d’un ERP en ligne, donc inexpérimenté, ressentirait une implication plus grande à acquérir un tel outil, d’où la sensation d’une utilité perçue plus importante par rapport au dirigeant ayant déjà acquis une certaine familiarité, routine dans ce domaine. L’habitude acquise par ce dernier simplifierait son processus de décision et diminuerait l’utilité perçue d’utiliser un ERP en ligne.

Il faut cependant noter que pour aucun des coefficients il n’est possible de rejeter l’hypothèse d’égalité au seuil de confiance de 5 %.

Enfin on notera encore que quelques coefficients (probabilités entre parenthèses dans le tableau 7) perdent leur significativité statistique tendant ainsi à justifier la présence de la variable « antécédent » dans le modèle. Mais on peut aussi se demander si cette variable « antécédent » ne cache pas le fait qu’un modèle unique ne soit pas complètement adapté à l’explication des comportements analysés. Cette question mériterait d’être approfondie à l’avenir.

5. Interprétation des résultats et discussion

Sur les quinze hypothèses formulées au départ, notre modèle en valide douze. En dehors de l’hypothèse H8 qui est contingente à nos données, il apparaît que les quatre relations les plus fortes sont PB>ATI (H4-2), SI>PEOU (H5-3), SI>S&T (H5-5) et SI>PB (H5-1). La première relation montre que l’attitude envers la technologie est fortement dépendante des bénéfices perçus en termes de statuts. Plus on a l’impression d’être valorisé à travers l’adoption ou l’usage d’une solution en ligne, plus on a une attitude positive envers les innovations technologiques. Les trois dernières relations montrent le rôle central joué par l’influence sociale dans l’élaboration de l’idée que l’on peut se faire de la facilité d’utilisation d’un ERP en ligne, sur la façon d’en appréhender la sécurité et la confiance et sur les retombées que l’on imagine en termes de statut. Mais, dans une moindre mesure, SI influence aussi l’utilité perçue (PU), et l’attitude envers la technologie (ATI). D’une façon générale, les décideurs sont très sensibles à ce qui se dit ou s’écrit sur le sujet et cela façonne leur attitude. S’agissant plus précisément du lien entre SI et S&T, il est intéressant de noter que l’un des répondants nous indique en commentaire que « […] la clé est la fiabilité de l’éditeur et de l’hébergeur en question, et donc le bouche-à-oreille est fondamental. ». Sur tous ces points, nous confirmons les résultats obtenus par Wu (2011b) et les hypothèses H5-1, H5-2, H5-3, H5-4 et H4-2 sont aussi validées par Lopez-Nicolas, Molina-Castillo et Bouwman (2008). La taille de l’entreprise apparaît bien comme antécédent de ATI, tendant à confirmer notre hypothèse H7 selon laquelle les décideurs des entreprises de taille supérieure sont plus sensibles aux innovations technologiques que ceux des entreprises plus modestes. Le contexte, leur culture et leur niveau de réflexion en matière de système d’information sont plus élaborés que dans les entreprises de taille modeste, ce qui les amène à montrer une attitude plus positive envers les innovations technologiques.

L’intention d’adopter ou de continuer à utiliser un ERP en ligne (BI) est directement dépendante de deux variables, l’utilité perçue (PU) et surtout le ressenti quant à la sécurité et la confiance dans le système (S&T). Ces deux variables jouent donc un rôle crucial dans l’explication du comportement des décideurs vis-à-vis de cette question. Ces résultats confirment ceux de Bueno et Salmeron (2008), Lévy Mangin et al. (2012) ou encore Wu (2011b) pour la première relation (PU>BI) et ceux de Hsu, Ray et Li-Hsieh (2014) pour la seconde (PU>BI). Mais il faut noter que cette relation est plus forte pour les entreprises non encore équipées que pour celles qui le sont déjà, sans que toutefois cette différence ne soit statistiquement significative. En revanche, ni la facilité d’utilisation perçue (PEOU) ni l’attitude envers les innovations technologiques (ATI) ne semblent influencer l’intention d’adoption ou de continuer à utiliser un tel système : les deux hypothèses H1-2 et H6-1 étant réfutées.

D’un point de vue qualitatif cette fois, les questions liées à la sécurité et à la fiabilité du réseau Internet (S&T) sont évoquées dans neuf commentaires sur quinze laissés par les répondants. On retiendra par exemple les commentaires suivants « C’est la sécurité du cloud qui me rend frileux », « Quand Internet est en panne tout s’arrête dans la société, risque trop important pour une PME. Nous perdons la maîtrise de notre outil. » ou encore, « Les liaisons Internet ne sont pas assez fiables à Châteaudun pour envisager toute application en ligne ». Ces comptes rendus sont de nature à conforter la relation statistique mise en évidence et montrent combien cette variable a d’importance dans la prise de décision d’utiliser ou de continuer l’utilisation d’un ERP en ligne, confirmant ainsi les résultats obtenus par Johansson et Ruivo (2013).

Une enquête annuelle sur les TIC (menée auprès d’entreprises implantées en France), va dans le même sens, montrant que 30 % d’entre elles auraient tendance à réduire leur utilisation du « cloud » pour des raisons de sécurité, sur les plans technique et juridique (Vacher et Demoly, 2015). Pourtant, les hébergeurs de ces produits ont fait de réels progrès en matière de sécurité et de maintien de l’intégrité des données (Johansson et al., 2015).

L’attitude envers les innovations technologiques (ATI) influence directement l’utilité perçue (PU) comme l’avaient déjà mis en lumière Lopez-Nicolas, Molina-Castillo et Bouwman (2008). Une attitude positive envers les innovations technologiques serait de nature à accroître le sentiment d’utilité d’un ERP en ligne. Mais cette dernière variable est aussi influencée par les bénéfices perçus en termes de statuts. Plus le chef d’entreprise ou le décideur en termes de système d’information se sent valorisé par l’utilisation d’un ERP en ligne, plus il en perçoit son utilité dans la gestion de l’entreprise.

En résumé, deux variables influencent directement le comportement du décideur en termes d’adoption ou d’utilisation d’un ERP en ligne, c’est la sécurité et la confiance dans le système (S&T) et son utilité perçue (PU). Mais il y a aussi de nombreux effets indirects exercés par l’influence sociale (SI), l’attitude envers les innovations technologiques (ATI) ou encore les bénéfices perçus en termes de statut (PB). En revanche, la facilité d’utilisation perçue (PEOU) est fortement dépendante de l’influence sociale, mais n’apparaît comme antécédent d’aucun des autres construits, contrairement aux hypothèses stipulées dans le modèle TAM et validées par plusieurs auteurs (Gupta, Seetharaman et Raj, 2013 ; Hernandez, Jimenez et Martin, 2008 ; Wu, 2011b ; Lopez-Nicolas, Molina-Castillo et Bouwman, 2008 ; Lévy Mangin et al., 2012).

Comme le notent Chauhan et Jaiswal (2015), les fournisseurs d’ERP en ligne doivent travailler sur différents facteurs affectant la qualité de service pour améliorer et différencier leurs offres : une rétroaction constante, une communication bidirectionnelle et une bonne fonctionnalité à faible coût.

Conclusion

Cette recherche à caractère exploratoire nous a permis au terme de deux étapes successives d’aboutir à un modèle relationnel construit sur les bases du modèle TAM complété par les apports de la théorie de la diffusion de l’innovation ; ce modèle cherchant à expliquer l’intention d’adopter un ERP en ligne ou de continuer à l’utiliser pour les entreprises qui en étaient déjà dotées (BI). À notre connaissance aucune étude concernant les PME et s’appuyant sur un modèle similaire n’a été réalisée en France. Avec un pouvoir explicatif de 52 % de la variable dépendante (BI) et le nombre d’hypothèses validées, il aboutit à des résultats encourageants, tant sur le plan théorique que managérial.

Sur les quinze hypothèses formulées au départ, notre modèle en valide douze. Les résultats montrent que la variable BI est directement influencée par la sécurité et la confiance que les décideurs mettent dans une telle application, mais aussi, et naturellement par l’utilité qu’ils en perçoivent. Cela étant, ces construits sont eux-mêmes très dépendants de l’influence sociale, c’est-à-dire de l’opinion des experts, des informations données par les médias ou encore du bouche-à-oreille. Cette variable (SI) apparaît comme jouant un rôle central dans le modèle en tant qu’antécédent de cinq construits, PB, PU, PEOU, ATI et S&T. Cela montre combien la décision d’adopter un ERP en ligne y est sensible, même si ce n’est que de façon indirecte. Les éditeurs de logiciel devront faire en sorte que le bouche-à-oreille soit positif en comptant sur leurs clients satisfaits pour véhiculer des informations positives sur eux. Pour faciliter ce bouche-à-oreille, ils pourront, par exemple, proposer à leurs clients de parrainer une ou plusieurs entreprises en contrepartie d’avantages tels que des réductions sur leur abonnement. Ils pourront aussi développer leur présence sur les réseaux sociaux pour montrer leur dynamisme et leurs compétences avec, bien sûr, un contenu de qualité.

Il convient aussi d’insister sur l’aspect sécurité et confiance dans le réseau Internet, car cette variable influence directement la décision. Au-delà de la relation statistique mise en évidence, plus de la moitié des commentaires laissés par les répondants mettent en exergue les préoccupations exprimées dans ce domaine. Cette remarque, alliée à la précédente concernant l’influence sociale montre que les supports de communication et les experts du domaine doivent prioritairement chercher à rassurer les utilisateurs potentiels sur cette question. Les éditeurs de logiciels et les hébergeurs doivent eux aussi s’attacher à communiquer positivement sur cet aspect. Ils peuvent présenter des témoignages d’entreprises clientes, faire apparaître sur leur site Internet les noms, logos de ces entreprises, ce qui renforcera la confiance que l’on peut leur accorder. Ils peuvent s’attacher à soigner leurs contenus Web afin d’avoir une meilleure visibilité auprès des entreprises à la recherche d’informations sur les ERP en ligne, réduisant ainsi l’asymétrie d’information. Ils peuvent aussi témoigner de leur expertise grâce à des blogs, lettres d’information électroniques, vidéos ou livres blancs (guides pratiques de quelques pages) en donnant des informations sur les produits et services offerts. La relation SI>PU montre qu’ils doivent aussi s’efforcer de démontrer l’utilité et les avantages d’une telle solution dans la gestion d’une PME. Ils doivent être à l’écoute, répondre aux attentes spécifiques des PME, les accompagner et s’impliquer dans la réussite de leurs projets. Il leur faut les rassurer en prouvant que l’ERP en ligne est une alternative fiable aux logiciels installés sur serveurs internes. Il s’agit là encore d’une question de communication, mais la présence de versions de démonstration sur les sites des éditeurs peut aussi se révéler efficace.

Notons encore qu’il sera plus facile de convaincre un décideur ayant a priori une attitude positive envers la technologie, plutôt précurseur dans le domaine, qu’un autre plutôt suiveur, considérant qu’il s’agit là d’un simple passage obligé. Le premier en percevra plus facilement et sans doute plus rapidement l’utilité du point de vue de la gestion de l’entreprise (ATI>PU). Cette attitude envers la technologie est d’ailleurs dépendante de la taille de l’entreprise, les décideurs appartenant aux structures de tailles les plus importantes étant plus réceptifs aux innovations technologiques que ceux appartenant à des structures plus modestes, conformément à notre hypothèse H7. Cela montre qu’il convient de sensibiliser les chefs des petites structures aux nouvelles technologies, car ceux-ci ne sont pas spontanément enclins à s’y intéresser, en tout cas moins que les chefs d’entreprises de taille plus importante.

Notre étude présente cependant quelques limites, notamment au niveau de la taille de l’échantillon que nous aurions espéré plus conséquente. Cela nous a interdit de le scinder en deux sous-échantillons distincts, l’un portant sur les entreprises non encore équipées et l’autre sur les entreprises déjà équipées. La variable BI y aurait gagné en homogénéité. Ce problème a été contourné en introduisant la variable « antécédent » qui montre effectivement que BI est dépendante de la situation actuelle des entreprises en termes d’équipement. Celles qui sont déjà équipées ont plutôt tendance à vouloir poursuivre l’expérience de la solution « cloud ». Ces résultats mériteraient donc d’être confirmés en utilisant deux échantillons distincts. En effet, la méthode utilisée qui a consisté à estimer successivement le modèle sur les entreprises non encore équipées puis sur l’échantillon complet fait apparaître des glissements dans les coefficients, sans toutefois que la différence ne soit statistiquement significative. Cela pourrait être dû au fait que le nombre d’entreprises déjà équipées d’un ERP en ligne ne soit insuffisant pour creuser la différence entre les deux estimations. Par ailleurs, la variable sécurité et confiance (S&T) pourrait être affinée en la décomposant en plusieurs dimensions de façon à cerner plus précisément les aspects qui inquiètent ou qui au contraire rassurent, à l’instar de ce qu’a pratiqué Lee (2009) pour sa variable de risque. Le modèle de mesure, bien que donnant de bons résultats, peut aussi faire l’objet de nouvelles investigations. Ces améliorations peuvent être conduites sous réserve de disposer d’un échantillon plus important.