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La spectacularisation des espaces urbains, ce phénomène de mise en valeur et en scène des attributs physiques et symboliques de la ville contemporaine, a atteint un nouveau paroxysme. Bien que cette pratique ne soit pas récente – pensons, entre autres, à la reconstruction de la basilique Saint-Pierre-de-Rome au XVIe siècle, à l’haussmannisation du cœur parisien au XIXe siècle, ou encore à la réinvention de Las Vegas dans la première moitié du XXe siècle –, elle est aujourd’hui devenue un standard et, de surcroît, est reproduite à différentes échelles et selon diverses approches. Ainsi, partout sur la planète, que ce soit à l’échelle macro ou micro, les discours et les représentations d’ordre spectaculaire sont fonctionnalisés à des fins politiques, économiques, culturelles et touristiques, comme en témoignent de nombreux méga-projets urbains. Mentionnons, pour n’en nommer que quelques-uns, ceux du Global Center (Chengdu, Chine), des Khazar Islands (Baku, Azerbaïdjan) ou encore de Pagcor City (Manille, Philippines). Ces projets d’une envergure démesurée, bien qu’ils soient inégaux, partagent néanmoins une même vision conceptuelle essentiellement axée sur l’utilisation accrue des formules spectaculaires comme méthode de distinction et de reconnaissance. Or, cette idée d’avoir recours à la spectacularisation s’est mondialisée et, à l’heure actuelle, une majorité de métropoles et de villes du monde ont adopté ce paradigme jadis mis en œuvre par quelques grandes villes seulement. La ville de Montréal et son Quartier des spectacles n’échappent pas à cette logique fonctionnaliste. Le présent article se penche justement sur ce modèle en analysant, à l’aide d’une double approche, historique et phénoménologique, le processus de spectacularisation du Quartier des spectacles à Montréal (QdS). Nous verrons ainsi que ce méga-projet urbain, s’étalant sur une décennie environ, a permis à la métropole québécoise de consolider son discours, ses représentations et, conséquemment, son statut de ville festive et spectaculaire. Dans cet article, nous nous attarderons initialement au concept de spectacularisation. Par la suite, nous retracerons la trame historique, culturelle et festive du Quartier des spectacles, avant d’examiner la mise en projet de ce dernier. Enfin, notre analyse débouchera sur l’articulation entre la théorie et l’empirie, en tentant de démontrer, par l’intermédiaire d’une lecture impressionniste, ainsi qu’en tant que phénoménologue quelque peu naïf[1], que le méga-projet du QdS est venu consolider cette idée de spectacularisation de l’espace urbain, une conception « de et pour » Montréal originellement imaginée par Jean Drapeau.

Spectacularisation

Le spectacle est un concept prédominant dans la littérature scientifique. Plusieurs chercheurs – dans des disciplines aussi diverses que la géographie, l’urbanisme, la science politique, la sociologie, l’histoire ou le marketing – se sont intéressés à celui-ci. Initialement développé par Debord (1971) dans son essai La société du spectacle, le concept de spectacle a depuis été décliné de diverses manières, notamment celle des penseurs de l’urbain. Des auteurs comme Zukin (1991 ; 1996), Davis (1997), Ward (1998) Hannigan (1998), Sassen (1999 ; 2011), Bélanger (2000 ; 2005), Gibson (2005) ou Smith (2012) se sont tous interrogés sur la relation entre la ville, la mondialisation et le spectacle. Or, la spectacularisation n’est pas, comme certains ont tenté de le faire croire, la conséquence exclusive d’une esthétisation (ou cosmétisation) des espaces urbains ; au contraire, il s’agit davantage d’un processus dynamique, et souvent historique, mettant en scène une série de stratégies, de tactiques, de dispositifs et de pratiques où la concrétisation s’avère être la reconnaissance, aussi bien locale et nationale qu’internationale. Bien sûr, la satisfaction ne s’arrête pas exclusivement à la reconnaissance du projet ; pensons notamment à l’ensemble du processus de revitalisation et de revalorisation et aux transformations physiques et symboliques de l’environnement et des environs immédiats qui en résultent. En somme, la spectacularisation s’inscrit à l’intérieur d’un schème temporel à moyen ou long terme, parfois les deux.

Cela dit, parmi les stratégies adoptées, la revitalisation est certainement l’une des plus importantes et des plus répandues. Effectivement, cette opération cherchant à redonner vie à d’anciens espaces abandonnés ou dévitalisés – bien qu’ayant été employée à divers degrés, pour de nombreuses raisons et à différentes périodes de l’histoire (Rome, Paris, Las Vegas et bien d’autres) – a été popularisée par James W. Rouse avec ses festivalmarketplaces (FMP) dont l’objectif était de redonner vie aux fronts d’eau de certaines villes de la côte est étasunienne (Gravari-Barbas, 1998 : 261). Bien sûr, les art centers, érigés dans les années 1950-1960 dans plusieurs villes européennes et américaines, avaient d’ores et déjà mis la table à cette démocratisation du concept (Evans, 2001). Plus tard, l’édification de grandes infrastructures sportives (1980-1990) a, en quelque sorte, consolidé cette conception urbaine.

Encore aujourd’hui, le méga-projet urbain, par l’entremise de nouvelles formules comme la thématisation spatiale[2] (Gottdiener, 2001) ou la signature architecturale[3] (Kotler etal., 1999), représente la tactique régulièrement privilégiée par les villes. Toutefois, il ne suffit pas de créer une signature (brand) particulière pour assurer la spectacularisation ; d’autres éléments doivent être conjugués en plus des dispositifs nécessitant une mobilisation, pour en arriver à mettre en place une ambiance complète qui assurera conséquemment une expérience exclusive aux visiteurs, ainsi qu’une représentation distincte du lieu. Parmi ceux-ci, la festivisation de l’espace constitue une approche prisée par les villes.

Par le biais d’une combinaison de méthodes – comme les festivals (on assiste actuellement à une multiplication fulgurante des activités festivalières[4]), l’événementiel éphémère (jeux olympiques, expositions internationales, grands prix multiples, etc.), la culture (l’exemple des capitales européennes de la culture) et l’entertainment (et ses diverses déclinaisons, dont l’edutainment[5]) – les villes, partout sur la planète, festivisent et mettent en scène leur espace afin d’assurer une expérience originale. Dans cette optique, la spectacularisation est la conséquence d’une série d’étapes pouvant se chevaucher dans le temps et l’espace – commençant généralement par une stratégie (revitalisation), suivie d’une tactique (méga-projet) et d’une approche (festivisation) – ; elle est couramment agrémentée d’une pratique d’esthétisation de l’espace et d’une promotion soutenue. Un exemple concret serait sans contredit le Quartier des spectacles à Montréal[6]. Malgré ce modèle représentatif, il est essentiel de mentionner que les villes font aussi appel à d’autres formules, employant une stratégie ou une tactique différente, dépendamment des besoins, du contexte, des capitaux et de l’expertise disponibles, ainsi que de l’objectif visé. Près de nous, pensons au Quartier international de Montréal ou au quartier Saint-Roch à Québec.

Cela dit, il importe, afin de saisir l’importance du concept et de son opérationnalisation, de comprendre pourquoi et comment sont nés cette idée, ce désir de « spectaculariser » la ville.

Des impératifs en la matière existaient préalablement, ont même toujours existé depuis la fondation des premières entités urbaines, comme nous l’avons brièvement souligné en introduction. Toutefois, la fin des Trente Glorieuses – avec ses conséquences, dont la désindustrialisation massive des anciens centres[7] ainsi que l’accroissement d’une compétition interurbaine sur le plan international – a joué un rôle important dans la massification du phénomène, poussant les villes à chercher de nouvelles avenues pour se développer et acquérir une notoriété. C’est en grande partie dans ce contexte spécifique qu’ont émergé le désir et la nécessité, pour les villes, de se distinguer, d’un point de vue aussi bien physique que symbolique.

Les discours et les représentations spectaculaires étaient, à cette époque, des moyens d’acquérir une certaine reconnaissance et, subséquemment, d’attirer diverses formes de capitaux (notamment humains, économiques, symboliques). Au-delà de la conjoncture particulière, l’entrée des femmes (après la Seconde Guerre mondiale) sur le marché de l’emploi, l’instauration de meilleures conditions de travail (salaire, horaire, congés, etc.), la démocratisation des transports aériens et, par le fait même, l’accroissement de la mobilité individuelle et collective, la croissance du tourisme ainsi que l’augmentation du temps consacré aux divertissements et aux loisirs constituent également des facteurs qui ont influé sur la réorientation orchestrée par les villes et les métropoles.

Le renforcement de cette idée de spectacularisation s’est opéré entre autres avec l’émergence des notions d’économie du savoir et du divertissement, ainsi que celle de classe créative (Florida, 2002 ; 2005). Au tournant du XXIe siècle, plusieurs recherches, autant qualitatives que quantitatives, ont démontré l’importance grandissante du tourisme, du loisir, du divertissement, de la culture et du savoir pour l’économie des villes et des pays. L’accroissement de la demande d’expériences ludiques, festives et éducatives en milieu urbain a par ailleurs conforté cette transition vers une économie immatérielle axée sur le vécu, le sensoriel et le sensationnel. Or, dans le but de séduire une clientèle locale, mais aussi touristique et professionnelle, les villes n’ont eu d’autres choix que de (re)vitaliser certains espaces clés et de mettre en place un spectacle perceptif afin d’y projeter l’image d’un environnement éclectique, festif et dynamique, tout en essayant de ne pas trop altérer l’histoire et l’identité du lieu. Comme souligné précédemment, la construction successive des art centers, des FMP, des infrastructures sportives, des palais des congrès et des quartiers thématiques tend à démontrer cette approche de revitalisation spectaculaire, dans une optique de séduction et de rétention des capitaux.

Bien que la spectacularisation soit devenue une référence pour les villes du monde entier, celle-ci n’est pas nécessairement un gage de succès économique et social. Au contraire, certains auteurs ont mis en évidence des cas où le processus de spectacularisation, bien que réussi sur le plan physique, n’a pas obtenu les résultats escomptés d’un point de vue symbolique ou économique. Les projets de la City of Tomorrow et du Bo01 Housing Fair à Malmö en Suède (Jansson, 2005), du Parc olympique à Montréal (Roult et Lefebvre, 2010) ou encore du 22@ à Barcelone en Espagne (Leon, 2008) représentent tous à divers degrés des exemples d’échecs.

Dans le cas de Malmö, la revitalisation d’un ancien site industriel, en combinant un méga-projet urbain (City of Tomorrow) et un événement éphémère de grande envergure (Bo01 Housing Fair), s’est avéré un désastre sur les plans économique et symbolique. Les révélations de corruption – par rapport à la construction, au financement et au fonctionnement du projet – ont créé une forte stigmatisation et une image négative, perceptibles encore aujourd’hui ; un épisode qui n’est pas sans rappeler le fiasco du Parc olympique montréalais.

Or, les causes d’échec, loin d’être limitées à la seule corruption, peuvent être multiples ; par exemple, le processus décisionnel (participatif ou unilatéral), la gouvernance, la gestion et la promotion, le respect de l’environnement et la couverture médiatique sont tous des facteurs propices à influencer l’appropriation, la perception et la reconnaissance du lieu et plus particulièrement du projet. Toutefois, un problème demeure, soit celui de se distinguer des autres. D’ailleurs, Boyer et Rojat-Lefebvre (1994) ont souligné cette incohérence selon laquelle les villes tentent, à l’aide de la même recette, de se réinventer et de se distinguer des autres.

Les projets de spectacularisation urbaine sont donc pour la plupart régis par une vision standardisée, employant plus souvent qu’autrement les mêmes stratégies, tactiques, etc. Bien que croyant innover, les villes ne font finalement que répliquer les modèles qui ont déjà connu du succès. N’est-ce pas là une méthode contraire à l’idée de distinction recherchée par les villes ? N’est-ce pas un a priori douteux susceptible de provoquer l’insuccès ?

Enfin, certains auteurs (Bélanger, 2005 ; Vlès etal., 2005), sans pour autant détenir de solutions miracles, ont mis en relief l’importance des récits et des représentations vernaculaires comme éléments pouvant favoriser la réussite des projets et du spectaculaire urbain. Le respect de l’environnement, de son histoire, de sa culture, de son architecture et de ses habitants constitue, à cet égard, un élément qui risque de contribuer plutôt que de nuire à la réussite.

Du faubourg Saint-Laurent au Quartier des spectacles

Vlès, Berdoulay et Clarimont (2005 : 74) ont affirmé que la morphologie de l’espace doit faire écho aux grands thèmes structurants du récit de la ville. Le Quartier des spectacles, situé au centre-ville de Montréal, fut hors de tout doute pensé originellement en ce sens. L’idée d’implanter un quartier thématique entre les rues Saint-Denis à l’est, de Bleury à l’ouest, René-Lévesque au sud et Sherbrooke au nord n’est guère la conséquence du hasard ou d’une décision insensée. Nous avons mentionné l’importance de prendre en considération les récits du passé, ainsi que les représentations vernaculaires comme façon de se prémunir, au mieux, contre les possibilités d’échecs reliés à la spectacularisation. Pour démontrer cette importance d’articuler les éléments historiques aux représentations d’ordre spectaculaire, nous dresserons, en nous basant principalement sur les travaux de Bélanger (2005), un bilan historico-culturel du QdS[8].

L’idée d’un lieu festif au cœur de la métropole québécoise ne date pas d’hier. De fait, la consolidation du spectaculaire est le résultat d’un long processus de festivisation, de mise en scène et d’appropriation physique et symbolique de ce quartier anciennement appelé le faubourg Saint-Laurent (Anctil, 2002). Depuis 1801, cinq moments sociohistoriques distincts se sont succédés, contribuant, d’une part, à l’enracinement de la symbolique festivo-culturelle et, d’autre part, à confirmer la vocation touristique et spectaculaire de ce lieu.

Nous avons intitulé le premier moment sociohistorique : la « Création ». S’étalant du début du XIXe siècle jusqu’à la crise de 1929, cette période est caractérisée par la formation des premiers récits du faubourg. Dès les balbutiements du lieu, que ce soit l’ouverture de Montréal sur le monde ou encore l’émergence des premiers éléments de festivisation, une identité spécifique, dominée par des récits vernaculaires, s’est graduellement mise en place. Comme l’explique Bélanger (2005), plusieurs facteurs ont contribué à faire de Montréal la « Mecque » du divertissement ; parmi ceux-ci notons : la situation géographique de la ville, Montréal étant un hub[9] (nœud) de communications prépondérant ; l’importance de l’immigration, la métropole étant la porte d’entrée canadienne pour les immigrants européens[10] ; la mise en vigueur de la prohibition aux États-Unis, avec l’établissement du 18e Amendement et du Volstead Act[11] ; et, enfin, la proximité du marché américain[12], le Québec étant la cour arrière, voire le terrain de jeux de plusieurs Américains de la côte est. C’est donc principalement pour ces raisons que le faubourg Saint-Laurent est devenu une destination incontournable pour nombre de visiteurs internationaux en quête d’entertainment, de spectacles et de plaisirs de toutes sortes.

Il faut noter que le lien entre les éléments de festivisation à l’époque de la « Création » et ceux d’aujourd’hui se retrouvent dans les récits vernaculaires véhiculés par les populations locales, régionales et même internationales (voyageurs/touristes). Bien sûr, il ne s’agit pas des mêmes éléments festifs qui sont appelés à contribuer, mais ils demeurent néanmoins des éléments essentiels des premiers récits du faubourg.

Le deuxième moment, s’étalant du krach jusqu’au début des années 1950, est caractérisé par la « décadence de la Main ». Une série d’événements ont alors affaibli l’image et le statut de la métropole québécoise en tant qu’espace de plaisirs et de festivités. Dans un premier temps, la crise boursière de 1929 fut un élément déclencheur, venant consumer le pouvoir d’achat des consommateurs et, dans la foulée, restreindre le tourisme. Dans un second temps, l’abolition de la prohibition en 1933 redonna le droit de production, de distribution et de consommation d’alcool sur le territoire des États-Unis. Ces deux facteurs ont poussé conséquemment les artistes étasuniens (par exemple, la célèbre Texas Guinnan) à retourner au sud, contribuant de ce fait au déclin et à la faillite de plusieurs établissements commerciaux du Red Light montréalais. Malgré ces durs coups pour l’industrie du divertissement, une tradition ayant forgé des représentations vernaculaires et une image de marque festive, longue de plusieurs dizaines d’années, a subsisté.

En résumé, ces deux moments sociohistoriques ont permis la construction d’un imaginaire spécifique où Montréal a acquis le statut de ville festive et culturelle, en plus de devenir une référence en termes de divertissement. C’est d’ailleurs dans ce contexte que le faubourg Saint-Laurent a été employé comme expression métonymique de la métropole québécoise ; une expression qui refera surface plus d’un demi-siècle plus tard.

Le troisième moment sociohistorique, entre le début des années 1950 et la fin des années 1970, s’intitule la « Dénégation ». Après 150 ans de vie festive, le quartier était certes devenu une référence en matière de divertissements de toutes sortes, mais avait simultanément acquis une réputation d’espace infâme où gravitait le monde interlope ; un lieu où la moralité et la vertu avaient perdu leurs fondements. Devant les problèmes sociaux ainsi que la corruption générée par une période de laisser-faire en matière de lois et de sanctions, une contestation naquit afin de nettoyer physiquement, moralement et symboliquement le faubourg de son image négative, de ses industries et ses activités parallèles, ainsi que de ses populations clandestines (Gubbay, 1989). Ce grand nettoyage, orchestré sous l’impulsion de l’avocat-policier Pacifique « Pax » Plante et du maire Jean Drapeau, avait notamment pour objectif de modifier certains récits et représentations du quartier. Alors que pendant plus d’un siècle la dimension vernaculaire s’était imposée dans l’imaginaire interne et externe, voilà que les autorités décident de mettre en place une campagne de modification des anciens récits par des projets et des représentations d’ordre spectaculaire. S’ensuivent, entre autres, la naissance de la Place des Arts et, avec elle, l’émergence d’une vision spectaculaire de la ville par la mise en place d’infrastructures culturelles modernes.

Ainsi, les années 1960-1970 sont marquées par l’opérationnalisation des discours spectaculaires dans le but d’inscrire Montréal sur l’échiquier international. C’est la période des « Grands projets[13] » – avec notamment la construction du métro souterrain, de la Place des Arts, du Complexe Desjardins – et des événements à grand déploiement – par exemple Expo 67 et les Jeux olympiques de 1976 – qui ont pour objectif de faire de la métropole une ville globale, une ville d’envergure spectaculaire. Sous ce rapport, l’image jadis projetée par les récits vernaculaires est réarticulée, sans pour autant être supprimée, sous l’impulsion des nouveaux marquages et des nouvelles représentations spectaculaires. Ce moment souligne les débuts d’une reconnaissance officielle.

Les années 1970 sont aussi marquées par le début de la festivalisation de Montréal et, plus particulièrement, du faubourg Saint-Laurent. Que ce soit la création du Festival du nouveau cinéma (FNC) en 1971, du Festival des films du monde (FFM) en 1977 ou du Festival international de jazz de Montréal (FIJM) en 1979, ces événements, à leur façon, marquent le territoire et ses représentations. Autrement dit, ils participent à la construction de la grande histoire du quartier, à son appropriation physique, mais aussi symbolique, en jouant un rôle déterminant dans la festivisation et, par conséquent, dans la spectacularisation de Montréal et de son centre-ville.

Le quatrième moment est celui de la « Réhabilitation ». Les années 1980-1990 sont caractérisées par des tentatives de reformulation des mémoires et des récits du passé au profit d’un discours spectaculaire plus adapté à la période contemporaine. Dans le contexte du déclin industriel, d’une désindustrialisation massive des centres urbains et de l’émergence d’une nouvelle société postindustrielle, le vernaculaire et le spectaculaire, pour paraphraser Bélanger (2005), cherchent une nouvelle articulation. Sous l’impulsion du secteur privé et dans l’optique d’une compétition interurbaine[14] de plus en plus féroce, la Ville de Montréal décide alors de mettre en place une nouvelle série de projets « locomotifs » (Quartier international de Montréal, Palais des congrès, etc.) qui viendraient compenser la désindustrialisation de la métropole, jadis une ville portuaire, ferroviaire et manufacturière d’importance en Amérique du Nord.

Le vernaculaire, loin d’être nié ou même aboli, est retraduit et « cosmétisé » pour en faire un discours promotionnel spectaculaire. En d’autres mots, la dimension vernaculaire devient un outil de marchandisation aux fins du processus de spectacularisation de Montréal. La récupération et, de surcroît, l’aseptisation des récits vernaculaires ne servent pas exclusivement à générer des retombées économiques ; ce sont aussi, et surtout, des moyens de narrer et de généraliser une interprétation hégémonique de l’histoire de la ville afin qu’elle devienne socialement acceptée et reconnue comme telle par la majorité. Cette dialectique fait émerger une nouvelle articulation entre les dimensions vernaculaire et spectaculaire où la ville cherche à obtenir une légitimité internationale (l’idée de ville globale) par l’intermédiaire d’une double opération de spectacularisation et de distinction basée, entre autres, sur les récits historiques et culturels locaux.

Ce moment marque également – devant la réussite du FIJM, du FNC et du FFM – l’émergence d’une multitude de festivals, dont Juste pour rire, les Nuits d’Afrique, les FrancoFolies et Divers/Cité, qui, à leur tour, viennent consolider cet esprit festivalier, festif et spectaculaire de la métropole et de son centre. Nous y reviendrons à la section suivante.

La « Restauration » constitue le dernier moment sociohistorique. Depuis les années 1990, dans un contexte où les récits et les représentations spectaculaires tentent d’assimiler et de « marchandiser » les discours du passé, une dynamique de contre-balancement tend à émerger. Se positionnant de facto à contre-courant par rapport aux moments dits de la dénégation et de la réhabilitation, ces mouvements nostalgiques sont en fait une réaction aux changements brusques qui affectent la société, la ville et l’imaginaire collectif, tout en étant également une critique de la marchandisation des éléments constitutifs du passé. De nouvelles luttes font conséquemment surface, d’une part, entre les représentations spectaculaires et vernaculaires et, d’autre part, au cœur même des différentes dimensions. Ces courants de contestation sont cependant encore marginaux au point où la spectacularisation est sur le point de triompher.

En somme, le Quartier des spectacles n’est pas un projet dépourvu de sens, imaginé par hasard. Au contraire, une logique de renforcement des représentations et des récits spectaculaires est définitivement derrière l’idée même du QdS à Montréal. L’essor festivalier qu’a connu la métropole depuis les années 1970 a certainement eu un impact sur la vision et la conception du projet, ainsi que sur son orientation.

L’essor festivalier

La brève présentation historique du faubourg Saint-Laurent a permis de montrer que la culture, les activités ludiques et festives constituent des éléments clés du dynamisme montréalais. Les divers projets mis en place par l’administration Drapeau et par ses successeurs ont permis à la métropole québécoise de passablement bien vivre la transition entre les périodes industrielle et postindustrielle, en spectacularisant les anciens récits vernaculaires. Au même moment, nous l’avons mentionné, la création de nombreux événements festifs et festivaliers est venue renforcer la perception de Montréal, ville festive, ville spectaculaire.

Entre les années 1970 et 1990, plusieurs festivals et événements d’ampleur ont vu le jour ; c’est le cas notamment du Festival du nouveau cinéma (1971), de la Carifête (1974), du Festival des films du monde (1977), du Grand Prix du Canada (1978), du Festival international de jazz de Montréal (1979), du Festival international du film sur l’art (1981), du Festival présence autochtone (1981), du festival Juste pour rire (1983), de l’International des feux Loto-Québec (1985), du Festival international des Nuits d’Afrique (1987) et des FrancoFolies (1989). Notons que la majorité de ces événements ont encore lieu chaque année et que certains d’entre eux sont même reconnus sur la scène internationale comme étant des happenings majeurs[15].

Plus récemment, soit depuis environ une vingtaine d’années, la ville de Montréal a vécu un essor événementiel fulgurant. De nombreuses activités ponctuelles – par exemple, le Black and Blue (1991), le Grand Prix cycliste de Montréal (1992), Divers/Cité (1992), le Bal en blanc (1994), le Mondial de la bière (1994), le Festival de musique de chambre (1995), le Festival FanTasia (1996), le FestiBlues international de Montréal (1997), le Festival Élektra (1999), MEG [Montréal Électronique Groove] Montréal (1999), Métropolis bleu (1999), le Festival international Montréal en arts (1999), Montréal en lumière (2000), Mutek (2000), le Festival Mode & Design (2001), Pop Montréal (2002), Piknic Électronik (2003), le Marathon de Montréal (2003), Osheaga (2006), l’IglooFest (2007), le Festival TransAmérique (2007), les Nascar Nationwide Series (2007), le ZooFest (2009) et, finalement, le Championnat de golf de Montréal (2010) – ont vu le jour et sont venus, conséquemment, consolider l’idée que Montréal représente un pôle festif et festivalier de premier plan. Mentionnons que près du tiers de la trentaine d’événements d’envergure ont lieu dans les divers espaces publics et privés situés dans le quadrilatère du QdS.

Ces moments festivaliers ponctuels ont joué et continuent d’ailleurs, pour la plupart, à jouer un rôle dans la spectacularisation de Montréal, par l’intermédiaire notamment de leur ancrage territorial spécifique, de leur notoriété, de leur histoire, de leur importance touristique, de leurs discours et pratiques, de leurs liens directs entre le passé et l’avenir, c’est-à-dire entre la tradition et la modernité festive de la métropole (Kammer, 2006). La signature particulière, mais aussi globale, générée par ces nombreux événements, s’inscrit dans une logique historique de festivisation, d’entertainment et de happening au cœur de Montréal.

D’ailleurs certains événements comme le FIJM, le FFM, Juste pour Rire, les FrancoFolies, les Nuits d’Afrique et bien d’autres, par leur implantation au cœur de l’ancien faubourg Saint-Laurent, ont eu un impact déterminant dans la construction d’une image festivalière, ainsi que dans la perpétuation d’une vision festive du quartier. L’essence même d’un quartier des spectacles, avant même sa conception, était présente avec la diversité et la récurrence de ces multiples événements festivaliers. En fait, ces festivals, au-delà de leur succès sur les plans de la fréquentation et de leur reconnaissance, ont joué un rôle dans l’inscription thématico-spatiale du quartier, en plus de participer activement, quoique peut-être inconsciemment, à la consolidation du spectaculaire.

L’émergence des multiples festivals et événements depuis les années 1970 ainsi que leur pérennisation se sont superposées à l’intensification des opérations physiques et symboliques dans le but de mettre en place un environnement spectaculaire. Au fil du temps, la ville a su s’adapter aux nouvelles réalités socioéconomiques, modifiant, au besoin, son approche et ses méthodes, tout en continuant à exploiter les grands thèmes structurants du récit de la ville et, ainsi, en restant fidèle à la trame historique, culturelle et festive de la métropole. C’est d’ailleurs dans cette optique que s’inscrivent la création, la promotion et la mise en valeur du QdS.

L’implantation du Quartier des spectacles

Le QdS est une initiative lancée par Jacques Primeau, ancien président de l’Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo (ADISQ), lors du Sommet de Montréal 2002[16]. Un an plus tard, la Ville de Montréal créait le Partenariat du Quartier des spectacles, une organisation sans but lucratif chargée de la gestion, de la vocation culturelle et festive, ainsi que de la promotion du quartier. Il a toutefois fallu attendre près de quatre ans (avec le Rendez-vous novembre 2007 – Montréal, métropole culturelle) avant de voir le dossier progresser[17]. L’inauguration de la Place des festivals, première place publique emblématique de la revitalisation du quartier, et celle de la Maison du Festival (de jazz) Rio Tinto Alcan ont eu lieu deux ans plus tard (2009).

Lors de l’inauguration officielle de la Place des festivals, il était difficile de nous remémorer l’espace pré-QdS tant l’environnement était dévitalisé avec des espaces abandonnés, des friches urbaines, ainsi qu’une scène peu esthétique. Pourtant cet endroit avait jadis été le lieu de plusieurs plaisirs et divertissements montréalais. Il nous a fallu plusieurs visites pour nous familiariser avec le nouvel environnement urbain et le nouvel esthétisme.

Comme phénoménologue naïf, nous avons pu constater cette mise en relation entre, d’une part, les discours et les représentations d’ordre spectaculaire, c’est-à-dire à travers la trame narrative et les récits vernaculaires (le festif, le festivalier, l’événementiel, etc.) de la ville, et, d’autre part, la revalorisation de l’espace central montréalais, par l’intermédiaire d’une revitalisation et d’une esthétisation des lieux et de l’environnement immédiat. Dans cet ordre d’idées, soulignons aussi la mise en scène du quartier par le truchement d’une signalétique lumineuse[18] particulière, qui n’est pas sans rappeler l’imaginaire du Red Light. Ainsi, comme flâneur et en raison de notre présence soutenue sur le territoire, nous avons pu constater ce lien étroit entre l’histoire de Montréal et les opérations physiques visant à spectaculariser la métropole et son centre.

Bien sûr, les espaces publics, entre autres la Place des festivals et le Parterre, favorisent dorénavant une nouvelle dynamique de « sociabilisation » en plus de créer une nouvelle expérience sensorielle pour le visiteur ; mais il faut surtout retenir la synergie entre la mise en place des infrastructures récentes et l’histoire culturelle/festive du quartier. Une lecture historique nous permet ainsi de constater que peu de choses ont été laissées au hasard. La ville s’est donc véritablement consacrée à faire chevaucher les anciens récits avec les nouvelles représentations, tout en prenant en compte cette dimension dans le processus de revitalisation. Autrement dit, la conception des places, du mobilier et des infrastructures du QdS a été pensée en fonction de la trame narrative et des objectifs historiques de la métropole, créant un continuum adapté, cohérent et pertinent avec l’idée de spectacularisation montréalaise.

Dans le même ordre d’idées, l’esthétisation du QdS est certainement une réussite. Nous avons mentionné préalablement la mise en lumière (la signalétique lumineuse), mais il faut noter également la revitalisation et, par conséquent, la revalorisation de sites : les abords de la Place des Arts, un symbole important de la redynamisation culturelle de Montréal dans les années 1960 ; l’axe Sainte-Catherine/Saint-Laurent, avec la création de l’édifice du 2-22 (et bientôt du quadrilatère Saint-Laurent) ; la rue Sainte-Catherine (projets d’esthétisation et de piétonisation en cours) ; différents îlots (comme ceux abritant le Wilder et le Blumenthal, l’îlot Président-Kennedy, l’îlot Saint-Urbain et bien d’autres) ; ainsi que plusieurs édifices.

Ces éléments de revalorisation et d’esthétisation sont, par ailleurs, conjugués à divers projets de mise en valeur et de mise en scène du quartier. Comme phénoménologue naïf, nous avons pu constater l’apparition de plusieurs entreprises culturelles, sociales et artistiques comme les balançoires musicales, les projections lumineuses et les projets de luminothérapie, les fontaines interactives, les activités temporaires (par exemple le mégaphone, les projections multimédias, le cinéma urbain à la belle étoile, les expositions itinérantes, etc.), l’animation des places publiques et bien d’autres.

À cette mise en scène des espaces du QdS s’ajoute un éventail d’événements ponctuels – dont plusieurs des festivals mentionnés précédemment, une panoplie d’activités pour les citoyens et les visiteurs, des événements et des happenings – qui viennent participer à la spectacularisation du quartier, ainsi qu’à celle de la ville.

Le mélange éclectique d’événements, d’activités, d’ambiances et d’expériences sensorielles, parfois ponctuels ou parfois éphémères, vient consolider la spécificité et l’aspect spectaculaire de la métropole québécoise. En l’absence d’un élément attractif majeur, d’une œuvre architecturale « signature » – par exemple, Dubaï avec le Burj, Bilbao avec le musée Guggenheim –, Montréal a fait le choix de revitaliser et de revaloriser un lieu qui, depuis longtemps, constitue l’essence du dynamisme de la ville. Bien que le QdS ne soit pas la marque d’un architecte urbain de renom, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’un projet phare, s’inscrivant parfaitement dans le scénario de la ville, celui de mettre en place un projet novateur et rassembleur, tout en n’altérant pas son essence particulière, afin d’englober, de consolider et de valoriser les atouts de la métropole.

Dans cette optique, l’effervescence d’activités et d’événements festivaliers et de divertissement ne suffit pas à assurer la place de la métropole parmi les villes de calibre international. Ce positionnement sur l’échiquier des destinations résulte également d’une intégration des attributs distinctifs sur le plan spatial. C’est pour cette raison principalement qu’il était indispensable, pour la ville, d’établir une inscription spatiale dominante, de concevoir un pôle festif, créatif et vivant, un emplacement où une majorité des événements, aussi bien ponctuels qu’éphémères, pourraient avoir lieu et, de ce fait, qui serait facilement et rapidement adopté par les Montréalais aussi bien que les visiteurs. Sur ce point, la ville a déterminé que la mise sur pied d’un nouveau projet de QdS permettrait de transformer physiquement l’espace pour le rendre plus esthétique et plus convivial, tout en ne modifiant pas la vocation originelle du lieu. L’articulation des anciennes représentations du quartier avec l’orientation spectaculaire, loin de dénaturer l’imaginaire de la métropole, a plutôt renforcé et concrétisé le caractère culturel, créatif, ludique et festif de Montréal.

Cela dit, en choisissant le site de l’ancien Red Light, la Ville a su user de stratégie. Elle a ainsi assuré la consolidation de ses acquis, en protégeant la continuité historico-culturelle, en plus de conforter son discours et sa symbolique spectaculaire. Ce quadrilatère – riche d’une histoire bicentenaire – était le site idéal pour ce genre d’opération. À ce sujet, des analyses préliminaires avaient déjà indiqué que le site nécessitait simplement quelques améliorations et optimisations afin d’en faire une plaque tournante du divertissement touristique montréalais. Comme cet environnement urbain – culminant au croisement des rues Sainte-Catherine et Saint-Laurent – était préalablement investi par une majorité de lieux liés de près ou de loin au spectacle (une trentaine de salles de spectacles), à la culture (des dizaines de lieux de création, de diffusion et d’exposition), aux festivals (pensons à l’importance du FIJM, des FrancoFolies, de Juste pour Rire et d’autres) et au tourisme, il est rapidement devenu évident que la spectacularisation de la ville et plus spécifiquement sa consolidation passait par la revitalisation, ainsi que la revalorisation de ce lieu prépondérant de l’histoire festive et culturelle de Montréal.

Bien plus, en tant qu’endroit déjà fortement marqué par son histoire, son emplacement, ses activités et ses lieux de divertissement, le QdS requérait, au-delà des opérations physiques et esthétiques, une mise en scène et en ambiance afin de renforcer une identité déjà porteuse de sens. À cet effet, le choix du toponyme (Quartier des spectacles) – constituant un élément important de l’histoire, de la culture et de l’identité – et celui du territoire sont venus adjoindre des éléments à la mythologie de cet espace, assurant la reproduction, la conformation et la confirmation de l’imaginaire festif.

La consolidation du spectaculaire

Plusieurs personnes seraient sans contredit tentées de postuler que la consolidation du spectaculaire est un mythe ; qu’en fait, il semble plutôt que la spectacularisation à Montréal subisse un recul important depuis la fin de l’ère Drapeau. Ces personnes n’ont pas tout à fait tort, mais n’ont pas raison pour autant. Il est vrai qu’en matière de mega-happenings – par exemple, les événements de type olympique ou les expositions universelles comme Expo 67 – la ville fait figure de parent pauvre comparativement à d’autres villes dans le monde ; cela même si dans les dernières années la métropole a accueilli les onzièmes Championnats mondiaux de natation (2005), les premiers Outgames mondiaux (2006) et les Mosaïcultures internationales de Montréal (2013).

Néanmoins, les mega-happenings sont des événements exceptionnels et rarissimes. À cet effet, les villes qui peuvent se targuer d’avoir été l’hôte de jeux olympiques ou d’une exposition universelle sont rares, encore plus celles qui ont accueilli les deux. Montréal a donc déjà eu son lot de méga-événements ; c’est entre autres pour cette raison que la métropole a décidé de se réorienter vers une nouvelle forme de spectacularisation, voire un nouveau récit historico-touristique, par le biais duquel les infrastructures peuvent servir quotidiennement.

Or, dans une perspective où la consolidation du spectaculaire ne se résume pas simplement à tenir des événements éphémères, à leur nombre ou encore leur fréquence, le Quartier des spectacles prend tout son sens. L’importance du QdS comme espace festif dédié aux activités et aux événements ponctuels d’envergure à la fois locale et internationale – sur ce dernier point, pensons encore au Festival international de jazz de Montréal, au festival Juste pour Rire, aux FrancoFolies ou au Festival des films du monde – s’inscrit donc dans cette vision, ce processus de réorientation du branding de la métropole, tout en cherchant à conserver et à confirmer les récits vernaculaires qui historiquement ont fait de Montréal une plaque tournante du divertissement et de la culture en Amérique du Nord.

Sous ce rapport, nous estimons que c’est précisément la mise en place et de surcroît la scénarisation, ainsi que les processus successifs de revitalisation au cours des 50 dernières années de ce qu’est aujourd’hui le QdS, qui constituent la pierre angulaire de la consolidation du discours et des représentations spectaculaires de la métropole. Ainsi, en formant un environnement qui retrace et revalorise la trame historique, culturelle et festive de la ville, ce nouveau quartier thématique montréalais permet d’assurer, d’une part, la pérennité des événements festivaliers et, d’autre part, la spectacularisation et le rayonnement de Montréal comme nœud urbain culturel et festif.

Comme nous l’avons précédemment mentionné, la conception d’une ville mondiale, perçue et reconnue comme telle, avait d’ores et déjà été imaginée par Jean Drapeau ; souvenons-nous d’Expo 67. D’ailleurs, nous lui devons sans doute l’inscription de la métropole québécoise sur l’échiquier international des destinations. À cet égard, les mega-happenings, la création et, par la suite, la modernisation des infrastructures culturelles, ainsi que la création du métro ont, dans les années 1960-1970-1980, permis à la ville de faire son entrée dans l’ère postindustrielle. Ces réalisations ont permis à la ville d’obtenir une première reconnaissance symbolique. Toutefois, la continuité entre le Montréal d’hier, d’aujourd’hui et de demain demeurait un élément précaire, pour ne pas dire absent de l’espace concret (physique) et abstrait (représentations et imaginaire). Cela étant dit, nous estimons que la création du Quartier des spectacles, pensé et conceptualisé dans une perspective historico-culturelle, est venue confirmer ce maillage, voire cette articulation essentielle entre le passé, le présent et le futur.

Conclusion

En dernière analyse, nous avons souligné que la spectacularisation n’était pas le résultat exclusif de la régénération urbaine ou de l’esthétisation des espaces. En fait, nous avons davantage soutenu que le spectaculaire représente un processus dynamique multifactoriel qui s’inscrit à l’intérieur d’une trame temporelle, maillant l’histoire au futur par le biais d’un regard et d’une pratique précise sur le présent. Certes, la spectacularisation implique une transformation autant physique que mentale, mais celle-ci doit, dans le but d’assurer le succès ou du moins limiter les possibilités quant aux risques d’échecs, être replongée dans son contexte global. Dans cette optique, le projet de Quartier des spectacles à Montréal – par son inscription territoriale, sa schématisation particulière et ses tentatives de reformulation de l’imaginaire individuel et collectif – vient conjuguer les récits du passé et les visions d’avenir. Par la biais d’une lecture impressionniste et d’une approche phénoménologique quelque peu naïve, nous sommes d’avis que le Quartier des spectacles permet, somme toute, d’assurer la continuité de l’imaginaire et de l’histoire urbaine de Montréal, fortifiant par le fait même l’entreprise spectaculaire initiée il y a plus de 50 ans. Bien que la pérennité de ce genre d’entreprise ne soit jamais complètement assurée, nous estimons que le projet de Quartier des spectacles permet de croire à une certaine viabilité à moyen terme de l’histoire et de l’imaginaire spectaculaire montréalais.