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Patrimoine et tourisme mettent en relation un nombre de plus en plus important de nos contemporains à travers le monde, car le tourisme ne concerne pas que les touristes en mouvement. En effet, leur présence implique également la participation de ceux qui ne bougent pas : ceux qui les accueillent. Partant du constat qu’il existe une articulation entre tourisme et patrimoine, nous verrons comment des relations classiquement antagonistes peuvent constituer des relations non seulement complémentaires mais aussi synergiques. De fait, cette démonstration sera possible par le biais de la lecture d’un lieu, soit le site archéologique d’Ek Balam au Yucatán et de ses villages limitrophes, Ek Balam et Hunuku.

Défini par l’UNESCO comme « les œuvres de l’homme ou œuvres conjuguées de l’homme et de la nature, ainsi que les zones y compris les sites archéologiques qui ont une valeur universelle exceptionnelle du point de vue historique, esthétique, ethnologique ou anthropologique », le patrimoine culturel s’avère être une ressource touristique dont les économies nationales tirent de plus en plus profit.

Ainsi, le Mexique compte 21 sites inscrits sur la liste du patrimoine mondial par l’UNESCO, ce qui lui confère le sixième rang à l’échelle mondiale, et non moins de 187 sites archéologiques ouverts au public, qui ont accueilli en 2013 près de 12 millions de visiteurs nationaux et internationaux (INAH, 2013). Et nombre de ces sites archéologiques présentent des problématiques similaires à celles que nous aborderons au cours de cette analyse. En outre, nous remarquons qu’un touriste ayant comme motivation première la culture et le patrimoine dépense en moyenne 437 dollars américains sur le territoire mexicain, c’est-à-dire 8,8 % de plus que le touriste voyageant avec d’autres motivations premières, par exemple le soleil et la plage, l’aventure, la nature, etc. (SECTUR, 2002). Ces chiffres nous invitent à nous poser les questions suivantes : dans quelle mesure les retombées économiques générées par les visiteurs des sites archéologiques ont-elles un impact sur les communautés localisées dans la région ? Existe-t-il une corrélation entre le nombre de visiteurs des sites archéologiques et les revenus économiques des entreprises sociales dédiées au tourisme alternatif ? Cette étude prétend ainsi répondre à ces questions en analysant la relation possible entre le nombre de visiteurs d’un site archéologique et l’autonomisation[1] économique dont pourraient bénéficier les entreprises sociales liées au tourisme alternatif situé à proximité.

Dégradation des sites archéologiques mayas

Le cœur de la région mésoaméricaine, aujourd’hui formée par les pays du Belize, du Guatemala, du Honduras ainsi que de cinq états du sud-est mexicain (Chiapas, Tabasco, Campeche, Yucatán et Quintana Roo) a connu la présence d’un groupe d’humains aux conceptions cosmogoniques qui associaient leur naissance au maïs ; les Mayas au cours de la période classique (250-900 apr. J.-C.) ont développé des manifestations culturelles de tout ordre. Certaines d’entre elles sont l’architecture et l’art monumental qui demeurent des exemples visibles et dispersés sur un espace de plus de 2000 km2 au cœur d’un couvert végétal dense, mais variable selon les régions. À cet emplacement, on estime à plus de 4000 sites archéologiques le legs de 2500 ans d’existence maya.

Comme le rappelle Garcia Targa en 2008, c’est autour du Xe siècle que débute ledit «  effondrement maya »[2] et la destruction de nombreuses cités mayas dans les basses terres méridionales telles que Tikal, Palenque, Copán et Calakmul. La nature et les agents atmosphériques ont influé de manière négative sur la conservation de ces cités et sont à l’origine de fissures et d’effritements des ornements, de dégradation des bas-reliefs et des peintures, de croissance de la végétation et d’apparition de moisissures. Tout cela a entraîné le remaniement et la chute des matériaux de construction des temples et des palais. Mais la nature n’est pas la seule responsable. Dans d’autres sites comme T’hó (l’actuelle Mérida), Izamal ou Mani, tous trois situés au nord de la péninsule du Yucatán, la destruction massive s’est accentuée dans les siècles postérieurs à la Conquête espagnole. À ce moment-là, l’Église, à des fins d’évangélisation et pour éliminer de la mémoire des Indigènes, leurs cultes et leurs cérémonies considérés comme sataniques, se lança dans un processus de destruction des constructions préhispaniques. Le matériel extrait des constructions fut réutilisé pour l’édification des couvents, des églises et des principales bâtisses des centres urbains actuels. La planification urbaine des villes coloniales a aussi contribué au processus de disparition des sites préhispaniques. Puis, durant l’apogée du cycle d’exploitation du henequen[3] dans le nord de la péninsule du Yucatán, la construction des haciendas a également entrainé la destruction d’autres sites archéologiques ; les constructions étant, pour beaucoup d’entre elles, réalisées à proximité de monticules pour ériger les bâtiments des haciendas. Enfin, la construction d’infrastructures routières ou encore d’irrigation au XXe siècle, ainsi que l’absence de politiques de conservations patrimoniales ont en quelque sorte finalisé le processus de destruction de certaines cités mayas originales.

La mise en patrimoine de sites archéologiques

Au milieu du XIXe siècle, les sociétés européennes ont ressenti le besoin de léguer et de transmettre leurs possessions matérielles et immatérielles à leurs descendants, autrement dit leur patrimoine. Après l’Europe, plusieurs pays se sont intéressés à leur patrimoine et ont adopté des mesures pour le conserver. En 1964, avec la signature de la charte de Venise, les bases ont été jetées pour la création d’un cadre international chargé de la préservation et la restauration des objets et des bâtiments anciens. Plus tard, l’UNESCO a adopté des principes internationaux à l’égard des fouilles archéologiques en indiquant les critères à utiliser pour aménager les sites archéologiques.

Au Mexique, l’État est reconnu comme propriétaire des biens archéologiques depuis 1897, mais ce n’est officiellement qu’en 1939 qu’a débuté la préservation, la protection et la diffusion de grande envergure, voire la mise en patrimoine de sites archéologiques avec la création de l’Institut national d’anthropologie et histoire (INAH), administration fédérale dépendant du secrétariat de l’Éducation publique (SEP)[4].

Ainsi, le patrimoine a servi non seulement d’instrument pour garantir le transfert de biens et de culture, mais également pour créer et transformer l’identité d’une nation ou d’un état. Chaque peuple, État ou nation décide de ce qui fait partie de son patrimoine ou non. Ce qui, aujourd’hui, n’est pas considéré comme patrimoine pourrait le devenir demain. De même, durant une grande partie du XIXe siècle, de nombreux sites archéologiques mayas tels que Chichén Itzá et Uxmal n’étaient pas valorisés en tant que patrimoine culturel du Mexique. Aujourd’hui reconnus comme tels, ils figurent sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. Qui plus est, le site archéologique de Chichén Itzá reçoit maintenant deux millions de visiteurs par an et celui d’Uxmal en accueille quasi un million (SIIMT, 2013).

Tourisme et patrimoine : antagonistes ou complémentaires ?

Le patrimoine est un concept dynamique. Dans de nombreux cas, le tourisme a contribué à sa reconstruction mais aussi, dans certains autres, à sa dégradation. Sur le site archéologique de Pompéi, en Italie, la constante fréquentation de plus de deux millions de visiteurs par an, accompagnée d’un manque de cohésion entre les autorités chargées de la conservation du site et celles chargées du développement touristique de la région, mettent en péril la conservation à long terme des vertiges romans (Moreno-Melgarejo et Sariego-López, 2014). Quant à Hussein (2011), il déclare qu’à Pétra, un site archéologique situé en Jordanie et inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, le tourisme a tout aussi bien été synonyme de bénéfices économiques que de dégradation du site et d’adoption de valeurs négatives parmi les membres de la société locale.

Bien que les répercussions négatives du tourisme sur le patrimoine − et plus précisément sur les sites archéologiques − aient été soulignées par de nombreux auteurs (Comer et Willems, 2011 ; Chirikure et Pwiti, 2008), elles sont bien davantage le résultat d’une mauvaise gestion du patrimoine et de ses interactions avec l’activité touristique qu’une mauvaise gestion du tourisme. La détérioration d’édifices et de monuments, de même que l’exclusion de la population locale de la participation aux bénéfices économiques générés par le flux de visiteurs vers les sites archéologiques sont quelques-uns des problèmes directement liés à une gestion inadéquate du patrimoine et des flux touristiques (Daltabuit et Pi-Sunyer, 1990).

En contrepartie, il existe aussi de nombreux cas où le tourisme a contribué à valoriser et à sauvegarder le patrimoine culturel d’un pays. Pierre Van der Berghe (1995) fait remarquer qu’à San Cristobal de las Casas, dans l’État du Chiapas, l’attitude et le comportement des populations métisses non indigènes envers les populations indigènes ont évolué : elles sont devenues plus tolérantes et ouvertes grâce à la « curiosité respectueuse » et manifeste des visiteurs étrangers envers ces peuples indigènes. Dans le cas du site archéologique maya de Caracol au Belize, ce sont notamment les revenus créés par les entrées des touristes sur le site archéologique qui ont permis de continuer les fouilles et les recherches (Ramsey et Everitt, 2008).

Par ailleurs, d’après De Vicente (2006), il existe trois possibilités d’intégration et d’exploitation des sites archéologiques : les sites ouverts au tourisme que l’on trouve fréquemment dans la zone maya comme Ek Balam, Uxmal, Chichén Itzá, Oxkintok, Edzná, Mayapán, Yaxchilán ; les sites qui font partie d’un parcours écotouristique, tel l’exemple embryonnaire de Ox Watz où une partie de la population de Tekal de Venegas, constituée en association civile, a conféré une vocation touristique à un parc d’une superficie de plus de 400 hectares, plaçant ainsi les ressources naturelles et le patrimoine culturel édifié de la région en avant-plan ; et, enfin, les vestiges intégrés à une zone verte comme le parc récréatif Oriente, Las Granjas ou Vergel II, tous situés dans la zone urbaine de la ville de Mérida. Il s’agit, dans ce dernier cas de figure, d’un espace urbain aménagé pour passer des moments de convivialité, entouré de restes archéologiques accessibles par des sentiers permettant la sensibilisation à la variété naturelle de la zone.

Bien qu’à priori la relation tourisme-patrimoine puisse paraître irréalisable, le tourisme peut contribuer à protéger et à conserver le patrimoine grâce à une planification adéquate, une gestion des flux touristiques ainsi qu’une prise en compte des sociétés locales. Dans le cas d’Ek Balam et Hunuku, la fréquentation touristique naissante du site archéologique a motivé certains de ses habitants à former deux entreprises sociales pour bénéficier, eux aussi, de ces flux.

État des lieux des entreprises sociales dédiées au tourisme alternatif dans la péninsule du Yucatán

Le tourisme alternatif a surgi à la fin des années 1980 comme une réponse à la chute apparente du modèle touristique traditionnel dominant : le tourisme littoral balnéaire. L’apparition du terme alternatif ne survint pas de manière isolée, mais fut bel et bien associée à un changement de paradigme où la notion de développement a transité d’une idéologie néolibérale associée à un capitalisme synonyme de développement à une idéologie alternative associée à un capitalisme contraire au développement. Ce courant alternatif de développement a alors centré son attention sur l’être humain et proposé un modèle de croissance économique endogène, une approche ascendante (ou bottom-up selon l’expression anglo-saxonne consacrée), au lieu de descendante (top-down). De la même manière, ce courant alternatif a insisté sur la participation communautaire et les processus de décision (Sharpley, 2009).

Le tourisme n’échappe pas à ce changement de paradigme et se matérialise par l’usage du terme «  tourisme alternatif. » Dans ce contexte, l’adjectif alternatif désigne toutes les activités qui sont alternatives à celles du tourisme balnéaire littoral ainsi que les entreprises sociales qui s’y rapportent, tels des coopératives, des ejidos ou encore des associations de pêcheurs et des agriculteurs qui proposent des activités touristiques selon un modèle de développement alternatif au modèle de développement économique néolibéral. Lesdites entreprises sociales sont des entreprises constituées par des locaux où, dans de nombreux cas, les subventions gouvernementales ont permis la construction d’infrastructures, l’acquisition d’équipements et de matériels, la promotion ou encore la formation de leurs membres afin d’améliorer leurs offres de services touristiques. En d’autres termes, les membres des sociétés locales sont propriétaires des moyens de production (par exemple les terres, les barques, les hébergements, l’organisation, le capital, etc.). La finalité de ce type des entreprises est d’améliorer la qualité de vie des habitants et ainsi de permettre un bénéfice tant économique que social, et ce, à un moindre coût pour l’environnement.

L’une des manifestations du tourisme alternatif est le tourisme communautaire qui englobe diverses significations. Pour les fins de l’étude, on entendra par tourisme communautaire celui réalisé dans des contextes ruraux, et dans lequel les membres d’une localité sont partiellement ou totalement impliqués à titre de propriétaires des entreprises prestataires de services touristiques (Kiss, 2004 ; Avila-Foucat, 2002). Ainsi, dans la péninsule du Yucatán on recense 153 entreprises sociales qui proposent cinq types d’offres touristiques (tours sur la côte et les zones humides littorales, tourisme d’aventure en mer, tourisme de nature à l’intérieur des terres, visites de cenotes[5] et tourisme rural). Seules dix-neuf entreprises sociales offrent des activités liées au tourisme rural ; c’est le cas de l’une des deux entreprises sociales étudiées, soit Unajil Ek Balam. Les activités liées au tourisme rural incluent la participation des touristes à des cérémonies mayas, la découverte de la médecine traditionnelle et des herbes, la participation à des ateliers d’artisanat ou de gastronomie, ou la découverte de la milpa, un écosystème agroécologique d’origine mésoaméricaine destiné à l’autoconsommation. Toutes ces activités accompagnent les visiteurs dans la découverte des us et coutumes des sociétés locales indigènes (voir le tableau 1). Par ailleurs, seize entreprises sociales offrent la découverte de cenotes. À titre d’exemple, les services de la coopérative Cenote X-Canche à Hunuku offre non seulement la possibilité aux touristes de se baigner et de pratiquer la plongée en apnée, la randonnée aquatique, mais aussi de réaliser des activités de type rappel ou tyrolienne, ou encore des activités de plongée souterraine.

Fig. 1

Tableau 1 : Typologie de l’offre de tourisme alternatif des entreprises sociales de la Péninsule du Yucatán, ressources et activités

Tableau 1 : Typologie de l’offre de tourisme alternatif des entreprises sociales de la Péninsule du Yucatán, ressources et activités
Source : Garcia, Jouault et Romero (2015)

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De même, l’un des éléments les plus importants qui différencie les entreprises du tourisme alternatif, initié dans des contextes communautaires, des initiatives privées traditionnelles est l’autonomisation des membres qui y participent (Goodwin et Santilli, 2009). De fait, l’autonomisation est définie comme le changement conscient qui tend vers un plus grand contrôle, une auto-estime et un pouvoir de décision d’une personne ou d’un groupe social (Eyassu, 2011 :7). On évoque ainsi la notion d’autonomisation quand le spectre d’options d’un individu augmente et qu’il a la possibilité de choisir entre plusieurs alternatives.

Autonomisation économique et tourisme alternatif

Certains auteurs mentionnent que l’autonomisation est une proposition qui considère le pouvoir comme un processus par lequel les personnes avec divers avantages comparatifs contrôlent certaines circonstances de leurs vies et la définissent comme l’amélioration de la capacité de l’individu ou du groupe à prendre des décisions et les transformer en actions concrètes et résultats désirés. L’autonomisation se traduit ainsi par le résultat de la participation des membres d’une communauté comme agents actifs du changement et la capacité des membres de cette communauté à trouver des solutions à leurs problèmes, à prendre des décisions, à mettre en œuvre des actions et à évaluer les solutions associées. (Alsop et Heinsohn, 2005 ; Chablé-Can et al, 2007 ; Cole 2006). D’autres auteurs mentionnent qu´il existe des facteurs essentiels comme la connaissance et la compréhension de ce phénomène complexe qu´est le tourisme. Les capacités et connaissances sont donc essentielles aux membres de la communauté locale dans leurs prises de décisions liées à leur développement touristique. De même, leur participation et l’inclusion permettent d´agir sur le milieu et ainsi promouvoir la participation dans l’autonomisation organisationnelle (Cole, 2006 ; Garrod, 2003 ; Rocha, 1997).

Il existe d’ailleurs différentes typologies de l’autonomisation, et au cours de cette étude nous nous appuierons sur celle déterminée par Scheyvens (1999), laquelle se représente et se définit sur plusieurs plans :

  • Le plan politique : processus multidimensionnel caractérisé par l’opportunité de choisir, la capacité à prendre des décisions et d’assumer la responsabilité des décisions prises, des actions qui en découlent comme leurs conséquences ;

  • Le plan social : cohésion renforcée entre les habitants de la communauté ;

  • Le plan psychologique : amélioration de l’estime liée à la fierté et la reconnaissance des manifestations culturelles traditionnelles ;

  • Le plan économique : les gains générés par le tourisme sont à long terme et bénéficient à un grand nombre des foyers.

Notre réflexion se concentre sur le dernier aspect en considérant que l’autonomisation économique facilite la mise en œuvre des autres types d’autonomisation et qu’il existe une interaction entre eux. Par exemple, à Agua Blanca, village situé dans le parc national Machalilla sur la côte Pacifique en Équateur, des recherches sur des expériences de tourisme communautaire ont montré que les bénéfices économiques vont de pair avec l’amélioration de l’estime de soi des membres des sociétés locales, comme dans le cas des femmes et de leur famille expérimentant et diversifiant leurs pratiques quotidiennes à travers une participation à l’activité touristique qui favorise la création d’une plateforme d’échanges et de collaboration complémentaire à celle de la cellule familiale (Ruiz-Ballesteros & Hernández-Ramírez, 2010).

L’autonomisation économique liée au tourisme se réfère aussi à la capacité des membres de la société locale à formuler et à recevoir des opportunités de développement économique par le biais du tourisme. Cependant, on peut mentionner que cette autonomisation est conditionnée par l’accès aux ressources productives nécessaires pour exercer l’activité touristique. L’autonomisation économique d’une communauté se traduit par l’augmentation des ressources économiques générant des emplois durables, mais aussi la répartition des gains provenant de l’activité touristique au sein de la communauté dont les membres conservent leur droit d’accès aux ressources de cette même communauté (Garrod, 2003). Scheyvens (1999) déclare qu’un signe d’autonomisation économique lié au tourisme est évident quand le tourisme apporte des bénéfices économiques durables aux membres d’une société locale et que ces mêmes bénéfices sont distribués entre de nombreux ménages de la communauté.

Aussi, il existe des signes de desautonomisation économique qui se manifestent lorsque les profits générés par le tourisme bénéficient seulement aux élites locales, aux voyagistes externes ou aux agences gouvernementales. Les revenus sont alors répartis entre quelques individus au détriment du reste de la collectivité qui ne jouit malheureusement pas du capital ou des habiletés nécessaires (Scheyvens, 1999). Au Mexique, bien que l’autonomisation économique liée au tourisme ait été peu évaluée, des auteurs tels que Gasca-Zamora, López-Pardo, Palomino-Villavicencio et Mathus-Alonso (2010) signalent que l’écotourisme dans la Sierra Norte (située dans l’État d’Oaxaca au centre du Mexique) représente un revenu complémentaire pour les employés des entreprises touristiques et leurs familles, mais pas pour la communauté dans son ensemble. Au Naranjo, petite communauté maya de l’État du Chiapas située à cinq kilomètres du site archéologique de Palenque, le tourisme ne génère pas les revenus suffisants pour évoquer une autonomisation économique, bien qu’il s’agisse de la principale source de revenus de la communauté (Mendoza-Ramos et Zeppel, 2011).

Politiques publiques et mise en tourisme des communautés indigènes dans la péninsule du Yucatán

L’arrière-pays du couloir Cancún-Riviera Maya, dont Ek Balam est aujourd’hui l’une des attractions, s’est constitué au fil de la dernière décennie. Il est en grande partie le résultat des politiques publiques axées fondamentalement sur le tourisme de nature[6] au cœur de communautés rurales et indigènes. Comme le mentionne López Pardo (2013), le gouvernement fédéral du Mexique a appuyé dans les régions pauvres qui coïncident avec les grandes richesses biologiques et écologiques divers programmes sociaux dirigés à la préservation, conservation et exploitation durable de l’environnement naturel. À ce sujet, évoquons, entre autres, le Programme de développement durable des régions marginalisées et indigènes (PRODERS) et le Programme d’emplois temporaires (PET), dont l’objectif des actions mises en place est précisément la création de projets écotouristiques dans des communautés indigènes et paysannes.

Ces politiques publiques coïncident avec les politiques internationales visant à valoriser les ressources naturelles et à préserver l’environnement, mais dans le cas de la mise en tourisme de certains espaces, elles sont aussi associées à certaines politiques sociales qui ont pour vocation de valoriser la culture maya contemporaine. López Pardo (2013) mentionne que sous le couvert d’une stratégie pour la promotion d’un développement productif, la création d’emplois et une amélioration du bien-être social dans les zones marginalisées, le Fonds national de soutien pour les entreprises de solidarité (FONAES), le secrétariat du Développement social (SEDESOL) et l’ancien Institut national indigéniste, aujourd’hui devenu la Commission pour le développement des peuples indigènes (CDI) ont octroyé des ressources à des groupes de paysans ou indigènes qui comptaient sur leur territoire un potentiel environnemental et disposaient de ressources naturelles ou socioculturelles leur permettant de devenir de potentielles destinations touristiques.

Aujourd’hui, il est évident que les diverses politiques publiques cherchent l’inclusion des communautés indigènes à l’activité touristique comme une stratégie pour atteindre, d’un point de vue occidental, certains standards de développement socio-économiques (Alcocer, 2012). À cet effet, le tourisme dans l’État du Yucatán, est une activité économique en croissance, surtout en regard de certaines icônes : les sites archéologiques mayas, représentés par exemple par l’emblématique Chichén Itza («  le maya préhispanique ») ; les formations géomorphologiques appelées cenotes ou les aires naturelles protégées, comme la réserve de biosphère de Celestún et son produit phare, le flamant rose («  la nature ») ; et, encore plus aujourd’hui, la culture maya contemporaine, à laquelle on doit ajouter le lien avec son caractère millénaire et son environnement naturel («  le maya contemporain »). Ce schéma ainsi établi, on peut donc identifier trois axes historiques du développement touristique régional (Alcocer, 2012).

Le premier axe est basé sur la culture maya préhispanique représentée par les divers vestiges monumentaux devenus des attractions touristiques reconnues grâce à la diffusion des itinéraires et des séjours de différents explorateurs et voyageurs internationaux depuis la seconde moitié du XIXe siècle jusqu’à la première moitié du XXe siècle. On a beaucoup parlé des Mayas, on a donné à connaître au monde les édifices majestueux par exemple que les anciens avaient réalisés sans y associer les populations mayas actuelles qui, en conséquence, doutent parfois d’être les descendants de cette grande civilisation. Ici, un certain type de discrimination persiste dans la société yucatèque : le maya préhispanique est admiré et le maya contemporain tend à être sous-estimé, voire méprisé.

Le second axe est basé sur les ressources naturelles (à noter qu’elles sont plus exubérantes dans les États du Campeche et du Quintana Roo que dans le Yucatán). Suite à la propagation d’idées sur la préservation de l’environnement dans les décennies 1980 et 1990, ont été établies des Aires naturelles protégées (ANP) comme sites touristiques d’importance. Dans ce même cadre de développement touristique, les cenotes sont perçus comme des lieux singuliers. Source d’émotions, ils peuvent rivaliser avec les eaux turquoise de la mer des Caraïbes. Ils offrent l’opportunité aux touristes de goûter à une saveur d’aventure au cours de leur itinéraire touristique. En termes généraux, les cenotes sont exploités touristiquement et désignés comme de grandioses piscines naturelles d’eau cristalline.

Le troisième axe de développement du tourisme dans l’État du Yucatán est représenté par les mayas contemporains, toujours — au moins dans le discours – héritiers des populations préhispaniques. Les projets sont centrés sur la recherche de ressources économiques au moyen de l’activité touristique et non d’une revendication ou d’une valorisation des peuples et de leurs us et coutumes. De ce dernier axe résulte le présage d’une nouvelle ère maya, la même d’ailleurs qui a constitué la base de la promotion médiatique touristique dans le dit Monde maya : selon des hypothèses documentées mais peu crédibles où les Mayas prédisent la fin du monde le 21 décembre 2012.

Depuis 2004, de nombreuses communautés rurales[7] de l’intérieur de l’État du Yucatán ont commencé à recevoir des subventions ayant pour finalité la construction de cabanes et de restaurants, l’aménagement de l’accès aux cenotes et l’achat d’équipements. Nombre d’entre elles ont créé une figure juridique de société coopérative pour répondre à la norme de ces institutions, ce qui a permis de les intégrer dans l’économie sociale.

Méthodologie

Afin d’analyser la relation entre la fréquentation touristique du site archéologique et l’autonomisation économique générée dans les entreprises sociales qui se dédient au tourisme alternatif, nous avons choisi d’étudier deux entreprises contiguës au site archéologique d’Ek Balam : Unajil Ek Balam, AC et Cenote ecoturistico X-Canche, S.C de R.L pour les raisons suivantes. Ces deux entreprises ont été subventionnées, puis promues par la campagne de promotion Aventura Maya en 2011-2012 de l’institution fédérale mexicaine CDI.

Pour mener à bien cette recherche, nous avons utilisé les techniques et les outils suivants : de l’observation de terrain, des entretiens avec des informateurs-clefs, l’analyse des registres de visiteurs et du livre de recettes de chaque entreprise pour l’exercice de l’année 2012, ainsi que les statistiques de fréquentation de la même année du site archéologique fournies par l’INAH et celles du Patronat des unités de services culturels et touristiques de l’État du Yucatán (CULTUR).

Les registres comptables de chaque entreprise sociale ont été étudiés puis comparés avec les statistiques des institutions gouvernementales, ainsi que le nombre de visiteurs de chaque entreprise. Ceci a permis d’analyser, pour l’année 2012, la fréquentation touristique du site archéologique et la demande de services offerts par les deux entreprises sociales et de valider l’existence, ou non, d’une corrélation avec les mois durant lesquels les entreprises mentionnées ont eu de meilleures retombées économiques. Il faut préciser que les données fournies par l’INAH et CULTUR, deux institutions gouvernementales délivrant des billets d’entrée au site archéologique, divergent notamment par les critères de gratuité variant selon chaque institution.

Les comparaisons réalisées ont aussi permis de déterminer le pourcentage de touristes fréquentant le site archéologique et sollicitant l’un des services offerts par Unajil Ek Balam et Cenote ecoturistico X-Canche. De cette manière, les retombées économiques moyennes générées par chaque touriste, utilisateur de ces entreprises sociales, ont pu être déterminées.

Le site archéologique d’Ek Balam : de la mise en patrimoine à la mise en tourisme

Le site archéologique d’Ek Balam a été redécouvert en 1886 par l’explorateur Claude-Joseph Désiré Charnay. En 1984, une équipe dirigée par des archéologues nord-américains entreprend des recherches dans la zone nord-est du Yucatán, avec une attention particulière sur Ek Balam. Ces premiers travaux conduisent alors à la production d’informations cartographiques quantifiant la taille du site à une douzaine de kilomètres carrés. Les premières excavations scientifiques consistent essentiellement à creuser des puits stratigraphiques permettant de dégager partiellement certains édifices. Cependant, ce n’est qu’en 1994 que commencèrent formellement les travaux d’investigation et de conservation par l’INAH (Vargas et al, 1999). L’ouverture au public eut lieu un an après, soit en 1995.

Fig. 2

Illustration 1 : Touriste photographiant l’acropolis du site archéologique d’Ek Balam

Illustration 1 : Touriste photographiant l’acropolis du site archéologique d’Ek Balam
Photographie : Samuel Jouault (2013)

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La même année, les fonds pour continuer les travaux s’épuisent. À partir de 1996, c’est au tour du gouvernement de l’état du Yucatán, par l’entremise de l’institution CULTUR, de commencer à soutenir divers projets archéologiques, dont Ek Balam. En l’an 2000, d’importantes parties de son architecture sont rénovées. En 2001, le budget est réduit et les travaux de restauration en pâtissent. Enfin, à partir de juillet 2010, l’unité de services d’Ek Balam est administrée par CULTUR qui modifie les règles d’accès à X-Canche : tout touriste qui décide d’accéder au cenote doit alors s’acquitter d’un droit d’entrée à CULTUR en plus de payer les différents services proposés par la société coopérative.

Deux entreprises sociales : hébergement rural Unajil Ek Balam, AC et le Cenote écotouristique X-Canche, S.C de R.L

Le village d’Ek Balam localisé dans la municipalité de Temozon, est situé à environ 180 kilomètres de la ville de Mérida et à 154 kilomètres de Cancun  ; il compte une population de 300 habitants, dont 44,3 % sont économiquement actives (INEGI, 2010). Lorsqu’en 1994, les travaux débutent dans la zone archéologique, certains des ejidatarios[8] de la localité d’Ek Balam qui aident les archéologues souhaitent percevoir un bénéfice économique du tourisme par le biais de prestations de services. Cette première tentative n’aboutit cependant pas. En l’an 2000, la CDI octroie une première subvention de 302 000 pesos mexicains[9] aux ejidatarios pour construire des cabañas écologiques et commercialiser des produits de la région comme les hamacs et la céramique. En 2004, ces derniers se regroupent sous le statut d’Association civile, et fondent «  Unajil Ek Balam » avec 23 des 26 ejidatarios. Actuellement, l’organisation compte treize associés, douze employés fixes et trois employés temporaires, c’est-à-dire un total de 28 employés, tous œuvrant à temps partiel. Les associés sont des agriculteurs qui cultivent leur milpa. Ils pratiquent également l’élevage de bétail ou l’apiculture à petite échelle, ainsi que d’autres activités de service telles que le transport par taxi. En 2007, les treize associés dont la moyenne d’âge était de 54 ans[10] créent une société coopérative répondant aux besoins de bailleurs de fonds.

Fig. 3

Illustration 2 : Façade d’une cabane de l’hébergement rural Unajil Ek Balam

Illustration 2 : Façade d’une cabane de l’hébergement rural Unajil Ek Balam
Photographie : Samuel Jouault (2013)

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L’organisation coopérative de cette entreprise sociale avec un président, un trésorier, un secrétaire et un représentant local repose sur un fonctionnement où les décisions sont prises par la totalité des associés au cours des assemblées générales. Cependant, le trésorier de la société coopérative fait preuve d’une autonomisation politique et sociale et, de lui, dépendent non seulement la division du travail et l’organisation des employés, mais aussi une grande partie des décisions prises en groupe. Ceci s’explique par le fait que cette personne possède, outre un niveau scolaire supérieur aux autres, une très bonne maîtrise de la langue espagnole et une expérience professionnelle à l’extérieur de la communauté. Par ailleurs, il est important de mentionner que son leadership et son management sont acceptés par les autres associés.

La proximité de la localité avec le site archéologique représente son principal avantage comparatif. Les cabanes sont situées à seulement deux kilomètres de l’entrée principale de la zone. La localité d’Ek Balam compte d’autres atouts parmi lesquels on peut mentionner les caractéristiques suivantes : le fait d’être une communauté indigène où l’on parle maya et dans laquelle certains habitants vivent dans des maisons à l’architecture vernaculaire équipées de fours en pierre ; le fait de proposer des activités comme l’élaboration de tortillas[11] faites à la main ; et finalement le fait d’offrir la visite guidée d’une milpa et le tissage de hamacs et de broderies. La société coopérative dispose aussi d’un service de restauration, d’une zone de campement, d’un service de location de vélos ainsi que de différents tours et ateliers dans la communauté. Toutefois, le principal service offert par la société coopérative est l’hébergement. Il convient de mentionner que 60 % des hôtes sont étrangers, 30 % sont originaires de la République mexicaine (hors Yucatán) et 10 % sont originaires de l’État même du Yucatán.

L’entreprise Cenote écotouristique X-Canche, quant à elle, se trouve dans la localité de Hunuku, à 184 kilomètres de la ville de Mérida et à 176 kilomètres de Cancun. Hunuku compte 2971 habitants et 49,4 % de sa population est considérée active économiquement parlant (INEGI, 2010).

Bien que certains habitants de la communauté aient travaillé durant les excavations du site archéologique par l’entremise des programmes d’emplois temporaires, ce n’est qu’en 2005 qu’un jeune de la localité prit l’initiative d’organiser un groupe pour proposer le cenote comme attrait complémentaire à la visite de la zone.

L’entreprise sociale, dite société coopérative, a été créée en 2005, mais les opérations ont seulement débuté en 2006. Des 23 associés initiaux, seulement huit sont encore en poste aujourd’hui. À ce nombre, on doit aussi ajouter deux employés fixes et de deux à huit employés temporaires. Les associés combinent leurs activités liées au tourisme avec leurs activités agricoles traditionnelles comme la milpa d’autoconsommation et l’élevage de bétail. Néanmoins, le tourisme reste l’activité principale de tous, c’est pourquoi les associés font appel à d’autres personnes pour travailler leurs terres. Leur moyenne d’âge est de 44 ans.

Le site touristique de X-Canche est à proximité du site archéologique d’Ek Balam, plus précisément à deux kilomètres de l’entrée principale. Le site est accessible à vélo, à moto-taxi ou à pied. Le principal attrait offert par la société est l’accès au cenote qui invite à la baignade. On y propose également d’autres activités comme la tyrolienne, le rappel, le kayak, la nuitée en cabañas[12], le service de restauration, les sentiers interprétatifs, la zone de campement et la location de vélos. Il faut mentionner que moins de 20 % des touristes qu’accueille la société proviennent d’agences de voyages ; la majorité des personnes qui visitent le site archéologique décident ensuite d’aller au cenote.

Fig. 4

Illustration 3 : vue du cenote X-Canche.

Illustration 3 : vue du cenote X-Canche.
Photographie : Samuel Jouault (2013)

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Résultats

En comparant le pourcentage moyen de population active de chaque communauté, il apparaît que les deux localités se trouvent au-dessus de la moyenne de l’état du Yucatán (voir le tableau 2). La population active de l’État du Yucatán est de 40,72 %, contre 43,25 % pour la communauté de Hunuku et de 44,33 % pour Ek Balam. Mais l’information la plus intéressante concerne la population active féminine. De fait, la différence entre les taux d’activités des communautés de Hunuku et d’Ek Balam est supérieure d’approximativement huit et dix points au taux d’activité de la population féminine de l’État du Yucatán. Cette situation se traduit par l’inclusion des femmes dans les activités artisanales, les entreprises sociales étudiées, les activités liées au site archéologique et les entreprises touristiques privées de la région.

Fig. 5

Tableau 2 : Grille comparative de la population active économique (PAE), population féminine active économiquement (PFAE) rapportée à la moyenne de l’État du Yucatán

Tableau 2 : Grille comparative de la population active économique (PAE), population féminine active économiquement (PFAE) rapportée à la moyenne de l’État du Yucatán
Source : INEGI, 2010

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En ce qui concerne l’association Unajil Ek Balam, en 2012, les recettes brutes ont atteint 621 455,64 pesos mexicains, dont 59 % provenaient de l’hébergement et 41 % d’autres services offerts. Dans le cas de Cenote X-Canche, cette même année, les recettes brutes ont été de 349 250 pesos mexicains (entrées au cenote, utilisation de la tyrolienne et descentes en rappel).

Unajil Ek Balam a accueilli 998 touristes en 2012, alors que X-Canche en a reçu 9365. Sur la Figure 1, on observe que les mois les moins fréquentés (période basse) par les touristes du site archéologique correspondent à ceux de moindres demandes de services aux entreprises sociales étudiées. Il faut signaler que dans le cas de Cenote X-Canche, étant donnée la nature du produit principal — la baignade en cenote —, la demande en hiver est basse, comparativement aux flux de touristes qui visitent le site. Cependant, la situation est différente pour le groupe Unajil Ek Balam qui, lui, enregistre une augmentation du nombre de visiteurs au mois de décembre (voir l’illustration 4)

Fig. 6

Illustration 4 : Relation des recettes brutes des entreprises sociales étudiées et de la fréquentation du site archéologique d’Ek Balam

Illustration 4 : Relation des recettes brutes des entreprises sociales étudiées et de la fréquentation du site archéologique d’Ek Balam
Source : INAH, 2013 ; CULTUR, 2013 ; compilation des auteurs

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Dans le cas de la société Unajil Ek Balam, l’activité touristique bénéficie directement à 28 habitants de la communauté (treize associés et quinze employés, tous à temps partiel) avec des revenus mensuels moyens par personne de 704,26 pesos mexicains. Dans le cas de la société coopérative X-Canche, bien que seulement sept habitants de Hunuku soient associés au projet, le salaire mensuel moyen par personne est beaucoup plus élevé : 5000 pesos mexicains. Rappelons que le salaire minimum journalier dans cette partie du Mexique est de 63,77 pesos mexicains selon le ministère du Travail et de la Protection Sociale du gouvernement fédéral mexicain. Il est important de mentionner ici que les associés de X-Canche embauchent des habitants de Hunuku pour réaliser le travail quotidien de leur parcelle de terre, ce qui indique aussi que l’activité touristique pour les associés de X-Canche est devenue leur activité dominante alors qu’à Unajil Ek Balam, le tourisme reste une activité complémentaire.

Fig. 7

Tableau 3 : Relation entre le nombre d’associés, d’employés, les revenus bruts de l’entreprise et les revenus mensuels des associés (en pesos mexicains)

Tableau 3 : Relation entre le nombre d’associés, d’employés, les revenus bruts de l’entreprise et les revenus mensuels des associés (en pesos mexicains)
Source : Garcia, Jouault et Romero (2015)

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Dans chaque localité, en plus de l’existence de ces entreprises sociales à vocation touristique, on peut également trouver des personnes dont la principale occupation est de concevoir et vendre des produits artisanaux, de guider des groupes de touristes sur le site archéologique, de participer aux programmes d’emplois temporaires (PET) pour l’entretien du site archéologique, ou même de travailler pour une des entreprises touristiques privées des environs. C’est pourquoi on peut affirmer que la présence du site archéologique a été un facteur générateur de divers emplois dans la région.

En prenant en considération les revenus des deux entreprises, le nombre d’habitants qui bénéficient de ces revenus et l’étroite correspondance entre les entrées d’argent et le flux de visiteurs du site archéologique, on peut affirmer que dans le cas de la population d’Ek Balam, le site archéologique a contribué à l’autonomisation économique de celle-ci.

Néanmoins, l’autonomisation décrite ci-dessus n’est pas similaire dans les deux entreprises sociales. Unajil Ek Balam a reçu des subventions gouvernementales d’un montant total approximatif de 2,5 millions des pesos mexicains entre 2007 et 2012, ce qui contraste avec le salaire moyen par personne (704,26 pesos mexicains) et le fait que l`activité touristique soit complémentaire à l’activité principale. Par contre, dans le cas de X-Canche, les subventions gouvernementales d’un montant de 2,37 millions de pesos mexicains ont permis la consolidation d’une entreprise sociale qui génère un salaire moyen par personne de 5000 pesos mexicains et hissé le tourisme au statut d’activité première des associés de l’entreprise. (voir le tableau 3)

Les résultats obtenus permettent donc d’identifier deux degrés différents d’autonomisation économique. Alors qu’à Unajil Ek Balam le degré d’autonomisation s’avère moyen, on peut affirmer qu’il est élevé dans le cas de X-Canche.

Fig. 8

Tableau 4 : Indicateur d’autonomisation économique des deux entreprises sociales (en pesos mexicain)

Tableau 4 : Indicateur d’autonomisation économique des deux entreprises sociales (en pesos mexicain)
Source : Garcia, Jouault et Romero (2015)

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Conclusion

Cette analyse s’est concentrée sur l’identification d’un possible lien entre le nombre de visiteurs des zones archéologiques et l’autonomisation économique des populations environnantes, en prenant comme étude de cas le site archéologique d’Ek Balam, les communautés d’Ek Balam et de Hunuku et les entreprises sociales de Unajil et X-Canche. Les résultats montrent que le flux de visiteurs vers le site archéologique a bénéficié aux populations d’Ek Balam et Hunuku et contribue à l’autonomisation de ses habitants impliqués directement dans les activités des deux entreprises sociales. Les deux communautés ont une population économiquement active supérieure à la moyenne de l’État du Yucatán et cette situation est particulièrement plus évidente pour les femmes, ce qui démontre aussi leur importance dans l’activité touristique.

Le fait d’obtenir un revenu complémentaire aux modes de productions traditionnels a donné aux membres des entreprises sociales de ces deux communautés la possibilité de générer des bénéfices sociaux. Nombre des associés des deux entreprises ont aujourd’hui la capacité économique de financer les études de niveau supérieur à leurs enfants, leur permettant ainsi d’accéder à des connaissances sur l’évolution de leur environnement, sur les politiques publiques et, incidemment, de réinjecter ce savoir dans la communauté pour faire croître et améliorer l’activité touristique. Ces connaissances servent, en outre, à renforcer leur capital social à travers la participation à des appels d’offres publics mais aussi à améliorer l’estime de soi, la cohésion sociale et la prise de décision à l’intérieur de chaque communauté.

Contrairement à la situation observée dans différentes communautés rurales et marginalisées du Mexique où l’arrivée de touristes bouleverse les structures économiques, politiques et sociales de la population, dans les villages d’Ek Balam et Hunuku, le tourisme, caractérisé par le flux de visiteurs vers le site archéologique d’Ek Balam, permet un renforcement des capacités économiques, politiques et sociales de leurs habitants.

Toute activité touristique est synonyme de changements aussi bien positifs que négatifs. En général, les changements positifs sont associés aux bénéfices économiques alors que les changements négatifs sont bien souvent liés aux dégâts environnementaux et à la culture locale. Le succès ou l’échec du tourisme alternatif dans des contextes ruraux dépend en grande partie de la manière dont les membres des sociétés locales s’approprient l’activité touristique en maximisant les bénéfices économiques et en minimisant les dommages sur l’environnement et les modes de vie traditionnels. Dans le cas des villages d’Ek Balam et de Hunuku, la proximité du site archéologique associée à une réponse active de certains de ses habitants au tourisme a permis, non seulement de générer des bénéfices économiques divisés entre diverses familles, mais également des bénéfices sociaux. Les aspects politiques, psychologiques et environnementaux de l´autonomisation et sa relation avec les usages touristiques du patrimoine culturel laissent la porte ouverte à de futures recherches.