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La Commission de vérité et réconciliation (CVR) a été mise en place par le gouvernement fédéral le 1er juin 2008 à la suite de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens (CRRPI) en mai 2006. Cette entente est intervenue entre le gouvernement canadien, plusieurs organisations religieuses qui avaient participé à l’élaboration et au maintien de pensionnats indiens de la fin des années 1800 jusqu’au milieu des années 1990 – établissements dans lesquels les enfants des Premières Nations étaient envoyés pour être assimilés à la culture canadienne et coupés des liens avec leur culture ancestrale –, l’Assemblée des Premières Nations et d’autres parties représentant les autochtones dans un recours collectif contre le gouvernement fédéral et les instances religieuses responsables des pensionnats lancé en août 2015.

La CVR, instaurée pour inciter à une justice réparatrice envers les victimes du système de pensionnats et une réconciliation publique entre les parties impliquées, a soumis son rapport final de six volumes au gouvernement fédéral de Justin Trudeau en juin 2015. Un sommaire du rapport final a également été publié par la CVR en octobre 2015.

Ce sommaire, objet de la présente recension, se veut une introduction à la commission et à ses origines, ainsi qu’une mise en contexte sur les pensionnats indiens qui sont au centre de ces questions de vérité et de réconciliation. Les activités de la commission y sont décrites : la CVR a accueilli 155 000 personnes à ses sept événements nationaux entre juin 2010 et juin 2015, dont plus de 9000 survivants des pensionnats. Elle a également organisé 238 jours d’audiences publiques dans 77 collectivités canadiennes et a pu entendre 6700 témoignages concernant les maltraitances subies dans ces établissements scolaires autrefois obligatoires pour les autochtones (p. 29).

Aussi, le sommaire raconte l’histoire des pensionnats autochtones, de leur mise sur pied à leur fermeture, en incluant de nombreux témoignages d’anciens pensionnaires qui ont vécu dans les camps, en passant par les employés, eux aussi éprouvés par des conditions difficiles. Le tout est illustré de plusieurs photos d’époque ainsi que de statistiques – appuyées en quelques endroits par des graphiques – révélatrices de la réalité autrefois dissimulée derrière les portes closes des pensionnats. On y aborde entre autres le contexte impérial, les sévices et les milieux de vie difficiles qui ont résulté en un nombre important de décès (la statistique exacte demeurera toujours inconnue) (p. 95-96).

Le sommaire fait ensuite un retour au présent pour expliquer, ici encore à l’aide de plusieurs témoignages et statistiques, les séquelles toujours visibles de ces maltraitances chez les populations autochtones du Canada. On y parle, entre autres choses, des difficultés qui sont plus présentes chez les communautés autochtones que chez les non autochtones, nommément l’alcoolisme et la violence domestique qui demeurent des réalités courantes chez ces gens encore traumatisés par les expériences qu’ils ont vécues durant les années passées dans les pensionnats (p. 180).

Le sommaire se termine sur les défis d’une réconciliation entre les parties, en précisant que le travail de la CVR et son rapport final ne sont que le début d’une réconciliation qui prendra plusieurs années et qui doit devenir « un mode de vie » (p. 136). En ce sens, il y est spécifié que bien que les procédures soient enclenchées depuis un bon nombre d’années maintenant, plusieurs victimes n’ont pas encore reçu réparation pour les torts causés en termes de montant d’indemnisation, par exemple. En conséquence, le document insiste sur le fait que les actions doivent suivre les paroles pour les principaux intéressés (p. 224). D’ailleurs, le texte termine sur une longue liste de près d’une centaine de recommandations que la commission fait au gouvernement fédéral afin que ce dernier respecte ses promesses de mieux encadrer les populations autochtones, d’offrir du soutien et de travailler à l’inclusion de celles-ci dans la communauté canadienne, le tout passant notamment par des investissements dans les réserves pour davantage de services et une meilleure éducation, à l’adoption ou la modification de projets de loi concernant ces personnes et leur permettant d’obtenir le même respect que les autres Canadiens ainsi que l’égalité concrète, c’est-à-dire des chances équivalentes de réussir et se réaliser.

Même si ce n’est pas une mince tâche de résumer six volumes d’un rapport d’une commission aussi complexe, le sommaire de la CVR est complet ; il explique bien les fondements de ce processus et ne fait pas de compromis pour raconter l’histoire, avec une vérité qui dérange, mais qui se doit d’être dite. En ce sens, l’esprit du rapport initial est bien conservé ; pas question de « couper les coins ronds » ou d’amoindrir les faits. De plus, les photos et les témoignages frappent et rappellent, presque chaque page, que tout cela est bien loin d’être fiction.

Les photos ont également une autre utilité ; outre qu’elles rendent la présentation artistique, elles permettent d’alléger le texte et, surtout, amènent le lecteur dans l’émotion, appellent à la sensibilité, ce qui est bien le but du sommaire. Il faut néanmoins dire que l’oeuvre n’en demeure pas moins colossale ; là sont probablement à la fois son point faible et son point fort. S’il est très complet et ne semble laisser de côté aucun détail, sa longueur peut faire peur aux lecteurs non aguerris. Ici, nous passons un peu à côté d’un autre objectif de la commission qui est d’éduquer les Canadiens non autochtones sur l’histoire des pensionnats indiens (p. 252). Comment éduquer les gens si lire le sommaire est une tâche fastidieuse ? Bien que le tout soit écrit dans un vocabulaire accessible et truffé de photos, il semble clair que le sommaire rebuterait certaines personnes par sa forme et, de cette façon, « ceux qui ne savent pas grand-chose des pensionnats autochtones » (p. 9) et qui sont pourtant dans la mire de la commission risquent de ne pas en savoir beaucoup plus grâce à ce rapport, pourtant pertinent dans son ensemble en dépit de son aspect un peu « bureaucratique » et formel parfois. D’ailleurs ce sommaire ne sera jamais suffisant en lui-même, il faudra passer de la parole aux actes, comme cela y est précisé, et les années qui se sont écoulées depuis la tenue de la commission semblent montrer que ce document est un peu un « coup d’épée dans l’eau » dans l’optique où les belles résolutions qu’il contient restent dans la majorité des cas des formalités beaucoup plus que des actions concrètes.

Somme toute, ce sommaire est pertinent pour raconter, témoigner et faire vivre, mais demeure, on le sent par endroits, un outil stratégique et bureaucratique pour faire passer les maux sans trop bouleverser notre quotidien. Son aspect officiel rappelle qu’il répond à des objectifs clairs qui sont de faire connaître l’histoire et de ne plus cacher la vérité, mais il n’est qu’une étape dans un long et lent processus de réconciliation, alors que la vie et la politique continuent pendant que certains sont encore pris avec le passé raconté en ces pages ; ces seules feuilles remplies d’encre ne sauraient suffire à les aider concrètement.