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Par « développement », donc, nous entendons les seules modifications de l’ordre économique qui ne sont pas imposées par des forces extérieures, celles qui émanent d’initiatives internes.

Joseph A. Schumpeter, The Theory of Economic Development, 1934

Comment peut-on fixer une limite entre le Nord et le Sud et ainsi définir le champ d’action de la nordicité? [1] Voilà une question essentielle qui renvoie à une problématique plus large, celle de la frontière. Les géographes, surtout ceux travaillant dans le domaine de la géographie politique, ont longuement discouru en ce domaine, rappelant notamment que toute frontière – aussi « naturelle » puisse-t-elle paraître – est avant tout une construction de l’esprit (Sanguin, 1974; Foucher, 1991).

Si la limite du 49e parallèle s’avère d’usage pratique pour la représentation du Nord – c’est elle qui balise le champ d’opération du Plan Nord québécois –, elle n’en est pas moins empreinte d’une bonne dose d’arbitraire. Selon le concept de nordicité, comme décrit par Louis-Edmond Hamelin, le Nord ne saurait être défini uniquement selon des principes stricts de localisation (une latitude par exemple) ou des caractéristiques physiques spécifiques (températures moyennes, heures d’ensoleillement ou biomes). Elle est aussi une manière d’être, une manière d’habiter, qui se définit socialement et culturellement. Ainsi définie, la nordicité dessine une limite nord-sud qui tient davantage de la zone de transition dynamique que de la ligne frontière.

Plusieurs régions du Québec, qu’on connaît généralement sous les vocables de « régions périphériques » ou « régions ressources », se trouvent à cheval entre le Nord officiel et le Québec méridional. Notre avis est qu’une telle condition géographique fait de ces régions, dans une certaine mesure, des « zones frontalières », des « régions carrefours » capables d’assurer un lien concret entre le Nord et l’axe laurentien. À plusieurs égards – sur le plan historique ou sur le plan économique, ou dans leurs rapports distinctifs au territoire par exemple –, ces régions sont donc comme des laboratoires dont l’observation peut permettre de mieux comprendre, globalement, la place du Nord dans l’ensemble québécois. Il s’agit, en fin de compte, d’observer ces régions pour leur centralité et non plus, comme c’est souvent le cas au Québec, sous l’angle de leur relative marginalité par rapport à l’espace économique dominant du couloir Québec-Montréal. C’est l’objectif principal du présent article.

C’est sur l’étude spécifique des relations autochtones-allochtones que reposera notre observation. Non seulement ces relations constituent-elles l’un des éléments qui distinguent le Nord du Sud – celui-ci très largement allochtone, celui-là majoritairement autochtone –, mais elles soulèvent également des enjeux d’actualité pour les régions carrefours tout particulièrement depuis quelques décennies, suscitant une réflexion obligée en matière de cohabitation interculturelle. En prenant appui sur des entretiens semi dirigés auprès d’acteurs régionaux – enquêtes qui visaient à mesurer la place des peuples autochtones dans les stratégies de développement et de partenariats au Saguenay–Lac-Saint-Jean et en Abitibi-Témiscamingue –, nous proposons de porter un regard critique sur les relations interculturelles dans ces deux régions. Cette analyse de contenu sera ensuite prétexte à une réflexion plus globale sur le Nord et son développement dans le but d’identifier les facteurs – éléments porteurs et écueils potentiels – qui devraient orienter l’intérêt grandissant du Québec laurentien pour le Nord, à plus forte raison à l’heure du Plan Nord. Avant de procéder à cette analyse et d’exposer cette réflexion, toutefois, certaines précisions conceptuelles s’avèrent nécessaires afin de bien cerner en quoi le concept de nordicité est à même de redéfinir le rôle des régions carrefours faisant l’objet de nos enquêtes.

La nordicité tentaculaire : de régions « périphériques » à « régions carrefours »

Commençons d’emblée par faire un aveu : les deux régions concernées par nos analyses ont bien peu à voir, au sens strict, avec le Moyen Nord tel que défini par Louis-Edmond Hamelin. En effet, une mince proportion seulement du Saguenay–Lac-Saint-Jean se trouve au « nord du sud », soit au-dessus de l’isoligne de 200 VAPO[2], la limite méridionale du Moyen Nord (et de l’espace nordique), alors qu’aucune partie de l’Abitibi-Témiscamingue n’est comprise dans cette zone. En principe, parce que située sous le 49e parallèle, cette dernière région est même exclue du Plan Nord[3]. Pour Hamelin, ces deux régions appartiennent avant tout au Pré Nord (Hamelin, 1975, p. 95), une zone de transition plus liée à l’écoumène laurentien qu’à l’espace nordique proprement dit. Toujours selon lui, le Nord est caractérisé par un peuplement surtout linéaire et par la faiblesse des liens de communication est-ouest. Or, non seulement les deux régions à l’étude ne correspondent-elles pas pour l’essentiel à ce schéma spatial, mais elles se trouvent en plus connectées longitudinalement l’une à l’autre par les routes 169 et 113, qui se rejoignent à une vingtaine de kilomètres au sud de Chibougamau. Comme s’il ne leur suffisait pas d’être situées en marge de l’écoumène et de l’espace économique laurentien, l’Abitibi-Témiscamingue et le Saguenay–Lac-Saint-Jean se trouveraient également exclus de l’espace nordique.

Mais il y a plus. Des lieux jugés autrefois « nordiques » peuvent s’engager dans un processus de « dénordification » et s’annexer ainsi à l’écoumène du « Québec de base » (Québec méridional). C’est justement le cas de la ville de Chibougamau selon Hamelin. Si le « pôle régional de la Jamésie[4] », situé à quelques minutes seulement au-dessous du 50e degré de latitude, fait historiquement partie du Moyen Nord, elle s’est fait happer, au courant du dernier demi-siècle, par l’inexorable avancée du Pré Nord et du peuplement « laurentien ». Il s’agit là d’un paradoxe intéressant : d’une part, la démographie du Moyen Nord en fait la portion de l’aire nordique la plus peuplée, en comparaison avec le Grand Nord et l’Extrême Nord (Hamelin, 1975, p. 153); d’autre part, cette même démographie participe à sa dénordification ou à sa « laurentisation » (Hamelin, 1998, p. 99; Desbiens, 2013, p. 28).

La démographie n’est pas le seul facteur de la dénordification. En fait, l’accroissement des populations d’origine allochtone est davantage le symptôme que la cause du processus de laurentisation. Il résulte de l’implantation de l’économie méridionale (et capitaliste), surtout axée sur l’exploitation extensive des ressources territoriales du Nord. Un tel développement entraîne aussi l’intensification de l’utilisation des voies de communication et l’augmentation de l’offre de services liés aux communications, au commerce ou à l’administration, autant d’éléments susceptibles de précipiter la dénordification des régions affectées (Hamelin, 1975, p. 105-111). À chaque « lancer pionnier », phase de colonisation ou projet de développement, le Pré Nord se substitue graduellement à l’espace mésonordique.

La dénordification n’est pourtant pas le seul processus attestant de l’aspect dynamique de la nordicité. Il en va de même de l’« anordissement », mécanisme qui suppose au contraire la possibilité d’un accroissement du caractère nordique d’une localité, d’un espace ou d’une région. Un tel mécanisme peut s’activer sous l’effet de changements dans la matérialité de la présence humaine. En guise d’illustration, Hamelin mentionne le cas de Dawson City (Hamelin, 1975, p. 107), qui après la baisse accrue des activités aurifères s’est retrouvée désertée par une importante proportion de sa population.

De prime abord, il semblerait que toute action de développement d’initiative méridionale condamne le Nord à une irrémédiable dénordification, alors que tout recul d’un tel développement serait la condition minimale à un (re)anordissement. Il s’agit en fait d’un dualisme trompeur que la question autochtone chez Hamelin vient estomper :

L’attention accordée à la culture altériste ne veut pas dire que la voie VI [ou l’association optimale de l’Autochtone et du non-Autochtone] est opposée à tout développement économique. Elle n’est pas l’autoroute du « no growth », d’une précaution moralisatrice qui conduirait à l’inaction, à l’arrêt du combat mondial contre la faim et, même, à la disparition malsaine de l’homme sur la terre. Cependant, le régime rêvé n’épaule pas la croissance pour la croissance, reflet d’une ambition monétaire sans fin.

Hamelin, 1999, p. 36

La menace de dénordification ne tient donc pas tant au développement du Nord et à la croissance économique locale qu’il pourrait engendrer, qu’à l’imposition d’un modèle unique de développement qui resterait imperméable aux besoins spécifiques – mais non moins criants – des communautés autochtones de l’espace nordique. Or, cet anordissement reste très largement à faire, car « on ne pourrait […] affirmer que ce bilan est exceptionnel, notamment dans le champ propre de l’interculturel nordique… » (Hamelin, 1998, p. 101). Ce que propose donc Hamelin, c’est d’envisager le développement du Nord comme une « entreprise » interethnique. S’anordir, c’est aussi s’ouvrir au Nord – et non simplement « ouvrir le Nord » (Rivard et Desbiens, 2011, p. 88-89) – et démontrer une réelle ouverture culturelle envers les populations nordiques, à plus forte raison les communautés autochtones qui en constituent la majorité.

À première vue, et comme le laisse deviner le tableau qui suit, il n’est pas évident de voir en quoi l’état d’autochtonie du Saguenay–Lac-Saint-Jean et de l’Abitibi-Témiscamingue ferait de ces régions des « modèles réduits » de la relation entre les sociétés méridionales et septentrionales de la province. La région administrative du Nord-du-Québec est la seule qui puisse se targuer d’avoir une population autochtone majoritaire. Si les régions du Saguenay–Lac-Saint-Jean et de l’Abitibi-Témiscamingue affichent, relativement au poids démographique autochtone, des taux supérieurs à la moyenne québécoise, elles se trouvent cependant quelque peu sous la moyenne nationale. Au regard des démographies autochtones au sein de ces populations régionales, il est difficile de saisir le caractère nordique de ces régions.

Tableau 1

Poids relatif des Autochtones en 2011 (selon l’identité autochtone déclarée à l’Enquête nationale auprès des ménages de Statistique Canada)

Poids relatif des Autochtones en 2011 (selon l’identité autochtone déclarée à l’Enquête nationale auprès des ménages de Statistique Canada)

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Or voilà, l’impact de l’élément autochtone dans ces régions ne saurait dépendre du seul critère démographique. On trouve dans l’évolution économique récente de ces régions nombre d’indices permettant d’appréhender une évolution à la hausse du poids autochtone dans l’ensemble social. Le respect des droits autochtones est un élément central du renouveau de l’industrie forestière marquée par l’influence grandissante des certifications écologiques, lesquelles, pour la plupart, tiennent compte de ces droits[5]. L’autochtonie constitue également un élément crucial dans le développement de l’industrie touristique, secteur de l’économie dont la croissance est la plus importante à l’échelle de la planète, ce dont témoignent la stratégie gouvernementale québécoise en la matière (Québec, 2011) ou celle de la Commission régionale des ressources naturelles et du territoire du Saguenay–Lac-Saint-Jean (idem, p. 194). Le principal indice, toutefois, demeure l’intensification, depuis les deux dernières décennies, des liens économiques qui unissent Autochtones et Allochtones, une situation propice à la multiplication des partenariats d’affaires (Proulx, 2012; Rivard, 2013; Desbiens et Rivard, 2014). À cet égard, bien que les économies de ces régions restent pour l’essentiel dans l’orbite directe de l’écoumène laurentien et que la participation des Autochtones à l’économie de marché ne puisse être qualifiée de récente (Gélinas, 2008), l’évolution des relations autochtones-allochtones se fait de plus en plus dans le sens d’une redéfinition et d’une bonification du rôle joué par les Premières Nations au sein des économies régionales. En ce sens, l’Abitibi-Témiscamingue et le Saguenay–Lac-Saint-Jean (on pourrait ajouter bien sûr la Côte-Nord et la Haute-Mauricie) sont les régions du Québec de base dont le rapport autochtonie-économie est le plus substantiel.

Ces deux régions s’avèrent donc des carrefours où se rencontrent les univers méridionaux et nordiques, où s’expriment en premier lieu des processus antagonistes : l’un assimilant le Nord (dénordification) et l’autre traçant au contraire son empreinte sur le Sud (anordissement). Cela fait du Pré Nord autre chose qu’une simple portion excentrée du Québec de base. Pour Louis-Edmond Hamelin, il est depuis longtemps conçu non pas comme une limite, mais comme une zone frontière investie de sa nature propre (Hamelin, 1968, p. 416), une aire de chevauchement entre le Nord et le Québec laurentien : « Chaque lieu du Pré Nord et du Moyen Nord a sa propre nordicité » (Hamelin, 2002, p. 25). La nordicité, loin d’être endiguée dans une latitude immuable, peut étendre ses tentacules pour embrasser des territoires jusqu’alors jugés non nordiques.

À l’échelle régionale : une autochtonité revisitée ou la nordicité comme trajectoire incertaine

Le bilan qu’on peut faire en matière de relations autochtones-allochtones dans les régions visées par notre étude s’avère très contrasté. D’abord, on sent encore beaucoup d’incompréhension culturelle chez les populations allochtones majoritaires relativement aux communautés autochtones. Plusieurs indices montrent que le combat pour une plus grande ouverture à la différence autochtone reste encore à faire (Salée, 2010). La diversité culturelle qui marque depuis longtemps ces territoires n’est toujours pas pleinement assumée (Rivard, 2016).

Les exemples ne manquent pas pour illustrer l’incompréhension des populations régionales allochtones envers le sort des Autochtones avec lesquels ils cohabitent sur le territoire. Le plus connu est sans doute la réaction virulente qui a suivi l’annonce, en 2002, de l’Entente de principe d’ordre général entre les premières nations de Mamuitun et de Nutashkuan et les gouvernements du Québec et du Canada, aussi appelée l’« Approche commune ». Le Saguenay–Lac-Saint-Jean (mais aussi la Côte-Nord, également concernée par l’entente) fut au coeur de ce mouvement de protestation qui prit de telles proportions qu’une commission parlementaire dut être tenue de manière à consumer dans l’ordre et la démocratie le débat ainsi engagé. La bonne nouvelle pour les populations autochtones concernées, c’est que l’entente fut ratifiée en mars 2004. Néanmoins, le débat, bien que débarrassé de sa frénésie initiale, s’est poursuivi jusqu’à aujourd’hui, si bien qu’un traité final, plus de 12 années suivant la ratification officielle de l’entente de principe, n’est toujours pas conclu (Charest, 2003; Cook, 2013).

Le portrait n’est pourtant pas si sombre. Pour chaque opposant à l’Approche commune se trouve un défenseur. Si, pour la plupart, les partisans de l’entente gardent une certaine retenue – ils restent d’ordinaire critiques de la manière dont les populations non autochtones régionales ont été laissées de côté dans le processus –, d’autres souhaitent au contraire un règlement rapide. C’est notamment le cas des Allochtones les plus investis dans la gouvernance territoriale, en premier lieu les décideurs et les artisans du développement local et de l’aménagement du territoire. Cette ouverture régionale à la gouvernance territoriale autochtone s’exprime aussi de manière concrète par la multiplication, au cours de la dernière décennie, de projets de développement menés de concert avec la communauté innue de Mashteuiatsh au Lac-Saint-Jean et, dans une moindre mesure, avec celle d’Essipit. L’un des mieux documentés est le projet de minicentrale hydro-électrique réalisé à Val-Jalbert par la Société de l’énergie communautaire du Lac-Saint-Jean (SECLSJ) – créée en 2008 et composée du Pekuakamiulnuatsh Takuhikan (auparavant le Conseil des Montagnais du Lac-Saint-Jean) et des MRC de Maria-Chapdelaine et du Domaine-du-Roy –, également maitre d’oeuvre du projet de la Onzième chute sur la rivière Mistassini. Un autre exemple bien connu est celui de la Forêt modèle du Lac-Saint-Jean, projet soutenu par l’Agence de développement des communautés forestières ilnu et jeannoise (ADCF), une corporation sans but lucratif formée par les mêmes partenaires que la SECLSJ (Rivard, 2013, p. 31-32). Pour l’Abitibi-Témiscamingue, région où la revendication territoriale autochtone est, disons, relativement moins présente[6], la question de l’intégration des communautés à l’économie régionale et de la mise en place de partenariats interethniques n’en demeure pas moins une préoccupation croissante, comme en fait foi la création en 2002 du Secrétariat aux alliances économiques Nation Crie – Abitibi-Témiscamingue (SAENCAT), dont la principale mission est de favoriser les liens d’affaires entre les Cris, les Inuit et les Allochtones de l’Abitibi-Témiscamingue et de la Jamésie (les villes de Lebel-sur-Quévillon et de Matagami) et de soutenir le développement des régions concernées. Sept des 17 membres composant le conseil d’administration du Secrétariat sont nommés par le Grand Conseil des Cris, auxquels s’ajoute depuis 2014, un membre de la Société Makivik du Nunavik.

Ce sont ces observations préliminaires – indices d’une évolution sensible, mais contrastée – sur le changement de mentalité des allochtones envers les populations autochtones que nous avons voulu creuser. Puisque ce sont les décideurs non autochtones régionaux qui s’avèrent les plus prompts à afficher un tel changement de mentalité, nous avons cherché à mieux comprendre leurs motivations : sont-ils plus réceptifs à la différence culturelle autochtone ou sont-ils simplement plus sensibles aux avantages économiques qu’il est possible d’obtenir en favorisant l’implication des communautés autochtones dans les stratégies de développement et d’allocations territoriales en région? C’est avec ces questions en tête que nous avons élaboré un schéma d’entretien[7] et mené, dans un intervalle d’environ un an et demi (entre mai 2012 et novembre 2013), une vingtaine d’entrevues semi dirigées auprès d’intervenants non autochtones en développement et en aménagement du territoire dans les deux régions qui font l’objet de notre enquête[8]. Ce nombre peut paraître modeste, mais il est utile de rappeler que notre enquête se voulait une enquête ciblée, s’intéressant principalement à des professionnels ou entrepreneurs non autochtones appelés à travailler de concert avec des Autochtones (une demie douzaine en Abitibi seulement) et à des professionnels et des administrateurs au sein des organismes publics ou parapublics qui sont les acteurs-clés du développement régional, et d’autres se trouvant au coeur des partenariats avec les communautés autochtones[9]. Aussi nos enquêtes visaient-elles un autre objectif, celui d’identifier des exemples de partenariats interethniques entre les communautés régionales autochtones et allochtones, de manière à offrir un aperçu de l’ampleur du changement qui ne soit pas que « discursif » (comment les Allochtones perçoivent l’apport autochtone aux économies régionales), mais aussi « quantitatif », au sens où un tel changement s’exprime dans des actions concrètes d’intégration. Il est à noter que l’apport économique des Autochtones ne se limite pas aux partenariats interethniques. Les communautés autochtones sont consommatrices de biens et de services et, à titre individuel, ont un impact sur le chiffre d’affaire des commerces autochtones et allochtones (Cazin, Ependa et Sauvageau, 2006). C’est notamment le cas de la communauté de Mashteuiatsh en raison de la proximité avec Roberval au Lac-Saint-Jean. Ce l’est également de la communauté anicinape de Pikogan et de son projet de construction hôtelier dans la région d’Amos en Abitibi (AT12-H[10], 15 novembre 2013).

L’autochtonie assumée

Si la nature des relations entre Autochtones et Allochtones dans les activités de développement à l’échelle régionale n’est pas toujours au beau fixe, la « bonne entente » n’en reste pas moins l’élément qui revient le plus souvent dans le discours de nos informateurs. Nous sommes conscients que ce constat peut s’expliquer en partie par le contexte de production de notre corpus d’enquête; nos informateurs peuvent, dans une certaine mesure, être enclins à donner les réponses qu’ils jugent socialement « acceptées » et à s’afficher comme progressifs sur le plan des relations avec les Autochtones. Cette précision faite, les exemples de partenariats autochtones-allochtones « à succès » fusent et sont, à leur manière, les signes de liens interethniques qui se resserrent.

Quelques exemples de partenariats

Il y a au moins deux manières de classer les partenariats relevés lors de nos enquêtes. La première consiste à les distinguer selon l’interlocuteur non autochtone et sa provenance ou, si on préfère, selon l’échelle d’intervention de cet interlocuteur. Ainsi peut-on distinguer les partenariats qui découlent d’ententes réglées directement avec le Gouvernement québécois ou l’une des sociétés d’état – la participation des entrepreneurs innus de Mashteuiatsh à la construction du barrage de la Péribonka en 2004 (entente avec Hydro-Québec) en est une illustration – ou avec des multinationales (une compagnie minière par exemple), de ceux qui impliquent les communautés allochtones partageant le même territoire que le partenaire autochtone. Ce sont surtout ces derniers que nous avons cherché à identifier pour bien comprendre les dynamiques interethniques à l’échelle régionale. Malgré tout, les partenariats du premier type furent aussi souvent cités en exemple par nos informateurs.

Une autre manière de classer les partenariats repose sur le rôle que sont appelés à jouer les Autochtones au sein de telles ententes. À la lumière de nos enquêtes, trois catégories principales s’imposent. La première concerne les partenariats institutionnels, lesquels sont relatifs à la gouvernance territoriale dans des secteurs spécifiques de l’économie. Les principaux partenariats appartenant à cette catégorie ont déjà pour la plupart été abordés précédemment, ne pensons qu’à la SECSLJ et à l’ADFC pour le Saguenay–Lac-Saint-Jean, ainsi qu’au SAENCAT pour l’Abitibi-Témiscamingue.

La deuxième catégorie englobe les partenariats économiques de compensation et de consultation. Ce type de partenariat intervient surtout dans l’industrie minière, un secteur qui commande une grande capitalisation dépassant souvent les capacités financières des communautés autochtones. Ne pouvant s’impliquer dans le financement de l’entreprise, l’approbation par une communauté de tels projets sur ses terres ancestrales se base sur des compensations financières et des promesses de retombées économiques (emplois spécialisés) et sociales (formation). L’entente de Québec Lithium avec les communautés anicinapek (ou « algonquines » pour reprendre l’ancienne appellation) de Pikogan et de Lac Simon en Abitibi pour l’exploitation d’une mine de lithium tombe précisément dans cette catégorie (AT4-F, mai 2013; AT11-H, mai 2013) : « L’entente de préexploitation établit les principes généraux relatifs, notamment à la formation et l’emploi, les occasions d’affaires, l’identification d’une personne ressource chez QL [Québec Lithium] en opportunités d’affaires, etc. L’entente signée reconnaît l’expression de revendication de droits ancestraux par les communautés Abitibiwinni et de Lac-Simon ainsi que la volonté de QL de collaborer avec ces communautés » (GENIVAR, 2013, p. 6)[11]. Notons cependant que le projet de mine a depuis été abandonné.

Une troisième catégorie repose sur les partenariats économiques en capital, lesquels découlent d’une participation directe des communautés autochtones dans la capitalisation des projets de développement. Ce type de partenariat se rencontre particulièrement aux échelles locales et régionales et prend différentes formes. Il peut par exemple associer des entrepreneurs autochtones en quête de financement pour investir sur de nouveaux marchés (dans le domaine de la construction par exemple)[12]. Le partenariat entre une entreprise allochtone de Roberval et une autre de Mashteuiatsh associées dans la production de granules de bois au Lac-Saint-Jean (LSJ2-H, juin 2013) en représente un exemple. En dépit du fait que cette entreprise interethnique a fait faillite en 2015, causant la fermeture des deux usines (à Mashteuiatsh et à Saint-Félicien) servant à la production, il ne s’agissait pas moins d’une stratégie commune en vue de trouver des pistes de solution à la durable crise forestière dont souffre notamment la région, et d’une source potentielle d’innovation économique. La participation autochtone est souvent initiée par les conseils de bande, soit par la mise sur pied d’organismes à but non lucratif – rôle que joue la Société de Développement Économique Ilnu à Mashteuiatsh –, soit par le développement du mouvement coopératif, secteur dans lequel la communauté de Pikogan au nord d’Amos est particulièrement active, notamment dans la foresterie et le travail sylvicole : la communauté anicinape est à l’origine de la Coopérative de solidarité de Pikogan, tout en étant actionnaire dans la Coopérative de travailleurs sylvicoles Abifor de La Sarre (AT2-H, juin 2012).

Changement de paradigme : l’Autochtone, d’obstacle à ressource

Au-delà de ces rapprochements qui peuvent témoigner d’une volonté (ou d’une impression) d’harmonie interethnique, ce que le climat partenarial actuel laisse présager est un changement profond dans l’idée que l’Allochtone se fait de l’Autochtone. Depuis l’époque coloniale, le premier a presque toujours considéré le second comme inadapté au développement de par son mode de vie nomade et son degré moindre de « civilisation », celui-ci étant mesuré idéologiquement par l’adhésion à un mode de vie centré sur l’agriculture. C’est sur la foi d’une telle conception que fut élaboré le concept de terra nullius (comprendre « terre libre d’appropriation ») et qu’on justifia la « réduction » des « sauvages » (Simard, 2003) et leur éventuelle (et encore très « actuelle ») « ex-territorialisation » – c’est-à-dire, la sortie de l’Autochtone (physiquement et symboliquement) du territoire commun (Rivard, 2016, p. 41). C’est dans cet état d’esprit que sont entrepris, au début des années 1970, les travaux devant mener à l’élaboration du vaste complexe hydro-électrique sur la rivière La Grande (Desbiens, 2013). Les choses ont changé depuis, quoique de manière graduelle. Comme le mentionne un intervenant du Saguenay, les partenariats se voulaient timides au départ; aujourd’hui, cependant, ils ont pris de l’ampleur, signe toujours, selon la personne interrogée, d’une réelle volonté de rapprochement et d’une sincère ouverture à la différence culturelle (LSJ5-H, juin 2013). Aux yeux des Allochtones, les Autochtones sont devenus vecteurs de développement.

Un tel changement dans le regard porté sur l’Autochtone se manifeste déjà dans les partenariats de nature institutionnelle et sur la gouvernance territoriale, à commencer par la représentation des Premières Nations, jusqu’en avril 2015, au sein des conférences régionales des élus des deux régions[13]. La présence autochtone se fait sentir dans d’autres organismes voués au développement. C’est le cas de la communauté de Pikogan, qui occupe un siège à la chambre de commerce d’Amos (AT12-H, mai 2012). Il en va de même au Saguenay–Lac-Saint-Jean où les Autochtones prennent part à plusieurs instances décisionnelles régionales et où ils sont cogestionnaires[14] de plusieurs dossiers, comme la planification et la gestion des ressources naturelles. Ils siègent notamment à la Commission régionale sur les ressources naturelles et du territoire du Saguenay–Lac-Saint-Jean (LSJ5-H, juin 2013).

Ce changement dans le regard allochtone est dû avant tout à l’initiative des Autochtones eux-mêmes, ceux-ci étant dans la plupart des cas les instigateurs de partenariats (Charest, 2013, p. 14 et 19). Cela est un fait qui n’échappe d’ailleurs pas à la plupart de nos informateurs : « S’il y a une alliance entre Autochtones et Blancs, on dirait que les Autochtones sont allés la chercher l’alliance. … [J]e pense que ça vient pas tout seul ça » (AT11-H, mai 2013). On fait le même constat au Lac-Saint-Jean, les « Blancs » étant en faveur de ces initiatives autochtones du fait qu’elles engendrent des retombées économiques directes, créant du coup, pour certains, une nouvelle forme de solidarité régionale, interethnique celle-là, les uns n’hésitant pas à soutenir les autres faces aux pressions extérieures (LSJ3-H, 2013).

Sensibilité croissante au dialogue culturel

La montée des partenariats autochtones-allochtones au cours de la dernière décennie et le changement dans la manière de percevoir l’Autochtone relativement aux questions de développement témoignent, au sein des populations non autochtones, sinon d’une sensibilité accrue pour le dialogue culturel et pour la différence autochtone, à tout le moins d’une compréhension plus fine des préjugés et des stéréotypes qui minent depuis longtemps les tentatives de rapprochement entre les deux groupes.

En effet, la plupart des intervenants non autochtones que nous avons interrogés semblent porter un regard somme toute lucide sur l’état des relations autochtones-allochtones dans leurs régions respectives. S’ils parlent volontiers de « bonne entente », ils ne vont pas sans remarquer que la vague de changements ayant déferlé ces dernières années n’a pas pour autant lessivé tous les préjugés et les stéréotypes culturels qui président depuis des lustres à ces relations (AT2-H, juin 2012). Pour certains : « Le racisme envers les Autochtones reste manifeste, à cause des problèmes d’itinérance autochtone rencontrés… surtout à Val-d’Or… les préjugés… » (AT13-F, septembre 2013). Pour d’autres, les défis que posent la diversité culturelle et l’incompréhension de l’autre, minoritaire de surcroît, restent d’actualité :

Les Autochtones, les Algonquins c’est-à-dire ici, sont parfois présents aux tables de concertation [portant sur l’aménagement et le développement], pas toujours, donc il y a cette espèce d’élément là d’absence. Pis quand ils sont présents, il y a une grande différence dans la façon d’aborder les problématiques et ça crée… Souvent les Autochtones qui vont venir au micro parler ou qui vont prendre la parole dans une table ronde, ça va, pas toujours, mais souvent être long, être inclusif, partir de très très loin pour arriver au point de discussion. Pis c’est quelque chose auquel on est pas habitué, d’un point de vue culturel… ça déstabilise… ça maintient ce préjugé-là.

ibid.

Or, la différence culturelle s’exprime également dans l’arène économique, l’Autochtone obéissant à une culture du développement qui n’est pas toujours en phase avec les visions et les manières de faire de la société majoritaire. C’est ainsi qu’un informateur du Lac-Saint-Jean aborde la question de la différence, notant que le rapport des Autochtones au développement économique est marqué par une quête d’équilibre entre les activités traditionnelles et le mode de vie associé à l’économie dominante, et qu’avant les prédicats de la production se trouvent des besoins plus essentiels à assouvir (LSJ6-H, juin 2013; voir aussi Proulx, 2012, p. 21). C’est dans ce même ordre d’idées qu’un autre intervenant du Saguenay–Lac-Saint-Jean souligne des différences importantes dans l’approche du développement, les Autochtones étant d’ordinaire plus prudents dans leur démarche, mais aussi beaucoup plus réfléchis et sensibles aux conséquences, notamment environnementales et sociales, des projets envisagés (LSJ1-H, juin 2013). Ce rapport distinct au temps et au développement est une source presque intarissable d’irritants interculturels.

En contrepartie de ces « interférences » à la communication interculturelle, on trouve également, ici et là, des gestes concrets de rapprochement et d’intégration de la différence autochtone. Un des intervenants rencontrés en donne une illustration en mentionnant la démarche d’une biologiste qui, en allant à la rencontre des aînés d’une communauté autochtone, découvrit toute la pertinence d’explorer les fines connaissances territoriales de ces gens afin de mieux comprendre les enjeux environnementaux actuels. Elle est depuis pleinement consciente de l’importance de faire une place à une telle connaissance dans ses travaux et cela dès les tout débuts d’un projet de développement (AT4-F, mai 2013). Bien que ponctuelle (on ne saurait généraliser à partir de ce seul exemple), cette démarche va au-delà des obligations légales de consultation imposées par la Cour suprême. Elle représente une réelle ouverture à la communication et au dialogue culturel et rejoint la position d’au moins un autre intervenant pour qui la diversité mérite d’être valorisée en ce qu’elle permet de multiplier les perspectives de développement (AT7-H, mai 2013).

L’autochtonie tronquée?

Ce renouveau dialogique et interculturel ne peut pas faire oublier que tout dialogue culturel est d’abord le fruit de rapports de force entre les groupes en présence, des rapports qui, fréquemment, s’avèrent de nature asymétrique (Harris, 2008; Desbiens et Rivard, 2014, p. 101-103). Un regard critique sur l’ouverture interculturelle observée ci-dessus impose un questionnement : est-elle la promesse d’un rééquilibre réel des rapports de force historiquement en faveur de l’élément allochtone ou une simple concession « esthétique » à la mode, ou même un gouffre voué à effacer toute trace de la différence autochtone? Optimistes, nous penchons pour la première option. Néanmoins, certains indicateurs mènent la vie dure à cet optimisme naturel.

L’Autochtone comme plus-value et pragmatisme économique

Le pragmatisme économique – qu’on pourrait qualifier d’appréciation partielle et à courte vue de la réalité – pèse lourd dans la sensibilité des décideurs et des intervenants non autochtones. L’intérêt porté aux partenariats interethniques et les efforts consentis pour les réaliser ne semblent pas être le reflet d’une sensibilité marquée pour la distinction culturelle autochtone ou même d’une position morale ou éthique particulière à cet égard. Une telle position morale n’est pas absente, certes, mais elle scintille très modestement par rapport à l’intense lueur que le potentiel de croissance économique irradie. Ce constat n’est pas étranger à notre stratégie de recrutement, consistant à retenir des informateurs dont les compétences sont principalement d’ordre économique. En revanche, il confirme les conclusions d’une autre enquête faite à partir de journaux régionaux et de documents officiels produits par les différentes instances régionales au Saguenay–Lac-Saint-Jean (CRÉ ou MRC) (Rivard, 2013, p. 30-31), signe peut-on penser d’une tendance manifeste.

L’intérêt des informateurs pour les partenariats tient principalement au fait qu’ils sont jugés « stratégiques » et porteurs de développement à l’échelle régionale. En tenant pour acquis que les gens de l’Abitibi sont de plus en plus conscients de l’importance de l’appartenance territoriale et du patrimoine des Anicinapek, une intervenante propose qu’on puisse promouvoir davantage cette ressource patrimoniale (humaine et naturelle) et améliorer ainsi l’offre touristique régionale (AT4-F, mai 2013), propos qui rejoignent ceux de plusieurs autres informateurs abitibiens (AT5-H, juin 2012; AT7-H, mai 2013; AT10-H, novembre 2013; AT13-F, septembre 2013). Le discours est le même au Saguenay–Lac-Saint-Jean à propos des Innus :

On veut que les Autochtones se développent. Si les Autochtones se développent, c’est excellent pour nous autres. C’est main dans la main. On [ne] peut pas faire les choses sans qu’ils ne soient là, pis il n’y a pas de choses qu’ils peuvent faire qui vont nous nuire. C’est tout le temps des choses qui vont bénéficier autant à l’un qu’à l’autre.

LSJ3-H, juin 2013

Pour la plupart de nos intervenants, le succès des partenariats est fondé sur leur profitabilité pour les deux partis. Du côté autochtone, affirme un informateur jeannois, on profite alors d’une expertise non autochtone en matière de gestion qui rassure les gouvernements. Du côté allochtone, ajoute-t-il, un tel partenariat démontre une synergie à l’échelle locale à même de séduire les bailleurs de fonds (LSJ1-H, juin 2013). Les intervenants de la région réalisent que plusieurs projets ne peuvent voir le jour que parce qu’ils reposent sur des partenariats avec les communautés autochtones, qu’il vaut mieux, en d’autres termes, récolter la moitié des retombées que de s’en priver entièrement (LSJ3-H, juin 2013). Il s’agit même d’un « mal nécessaire » pour certains, car même si les Innus sont démographiquement minoritaires, ils font souvent pencher positivement la balance vers le succès d’un projet de développement (en foresterie communautaire par exemple) et l’atteinte de retombées économiques pour la région (LSJ6-H, juin 2013).

Ce qui est préoccupant ici n’est pas tant le pragmatisme économique allochtone en lui-même, d’autant qu’il n’est pas dit que les Premières Nations soient incapables d’un tel pragmatisme. Il est même tout à fait possible, comme le laissent entendre nos interlocuteurs, qu’il soit un puissant incitatif poussant les Autochtones vers des stratégies partenariales interethniques. Ce qui est le plus inquiétant est le poids excessif de ce pragmatisme économique dans l’équation socioculturelle qui est à la base du dialogue autochtone-allochtone actuel, aussi renouvelé et amélioré paraisse-t-il être. La distance sociale entre les deux groupes semble en effet montrer une évolution inversement proportionnelle à la multiplication des promesses et des objectifs communs de croissance économique. C’est en soi une bonne chose. N’empêche, cette très forte corrélation qu’on observe entre l’« effervescence » partenariale et les perspectives de retombées économiques entraîne son lot de questions. Advenant l’effritement de ces perspectives, peut-on s’attendre à autre chose qu’à la mise en porte-à-faux et à l’effondrement de ces stratégies partenariales? Le cas échéant, qu’adviendra-t-il du dialogue culturel que ces stratégies alimentent dans une large mesure?

L’arbre qui cache la forêt qui cache la source du problème

À première vue, ces questions peuvent sembler strictement hypothétiques. Toutefois, aussitôt que l’on porte un regard plus approfondi sur l’état des relations partenariales entre Autochtones et Allochtones en région, leur pertinence saute aux yeux. Toutes les communautés autochtones ne sont pas égales dans le contexte économique qui préside aux relations qu’elles entretiennent avec les majorités allochtones sur le territoire. De ce point de vue, le cas des Anicinapek est pour le moins éclairant. L’existence du SAENCAT – mais surtout son intitulé même « Secrétariat aux alliances économiques Nation Crie – Abitibi-Témiscamingue » – est éloquente. Pourquoi n’y a-t-il pas un organisme équivalent qui permettrait de chapeauter les liens partenariaux avec les communautés anicinapek présentes partout sur le territoire régional (à raison de trois communautés en Abitibi et de quatre au Témiscamingue), lequel chevauche une bonne partie du territoire ancestral de cette nation? À la limite, qu’est-ce qui pourrait empêcher le Secrétariat de construire des ponts avec les Anicinapek sachant qu’il a déjà ouvert la porte aux Inuit par l’intégration en 2014 de la Société Makivik au sein de son conseil d’administration et, du coup, modifié sa mission même en vue d’inclure le Nunavik dans son rayon d’action?

Les raisons de ce paradoxe résident peut-être moins dans les stigmates racistes hérités du passé colonial – bien qu’ils puissent avoir une certaine influence – que dans le fossé qui sépare les moyens dont disposent respectivement les Anicinapek et les Cris (et les Inuit dans une certaine mesure). Si les besoins sociaux (santé, éducation ou logement) restent à peu de choses près les mêmes au Québec d’une communauté autochtone à l’autre (Asselin, 2011, p. 40; Cree Nations of Eeyou Istchee, 2011), on ne saurait en dire autant des moyens à disposition pour les combler. Les Cris, pour la plupart, ont profité de la Convention de la Baie James et du nord québécois pour augmenter graduellement leur pouvoir d’achat et leur capital et devenir des consommateurs de biens et de services (que l’Abitibi est bien placée pour leur fournir) et d’excellents partenaires d’affaires (AT1-F, octobre 2013) :

Les choses s’améliorent, ce que je vois, les relations s’améliorent à cause des affaires, avec les Cris par exemple. Tu sais les Cris, malheureusement – ben heureusement pour eux – ils ont la cote, beaucoup plus que les Algonquins. […] Le monde des affaires n’est pas attiré vers les Algonquins, parce que, premièrement ils sont divisés, et il n’y a pas de capital.

AT2-H, juin 2012

Certes, quelques communautés savent tirer leur épingle du jeu, celle de Pikogan notamment, mais elles constituent davantage des exceptions que la norme (ibid.). Difficile pour les interlocuteurs d’entrevoir des partenariats « stratégiques » et « gagnant-gagnant » sur le plan économique dans de telles conditions.

Le diagnostic posé par les intervenants interrogés contient d’autres éléments. Au manque de capital s’ajouteraient au moins deux autres facteurs pouvant expliquer la marginalisation économique des Anicinapek. Le premier tiendrait à un intérêt moins marqué pour la culture entrepreneuriale (AT4-F, mai 2013). C’est cette culture qui serait en fait la marque de commerce des Cris (AT8-H, juin 2012) et, par ailleurs, des gens de Mashteuiatsh, ces derniers étant « […] très près, point de vue mentalité… entrepreneuriale entre autres, de [la] mentalité [allochtone] » (LSJ4-H, juin 2013) et s’étant pour ainsi dire « pris en mains », facilitant du coup leurs relations économiques avec les populations non autochtones (LSJ3-H, juin 2013). Aux dires de certains, un changement de mentalité à ce titre s’imposerait donc pour les Anicinapek (AT8-H, juin 2012). Selon l’opinion de plusieurs, donc, les groupes autochtones les moins performants économiquement devraient prendre exemple sur ceux qui réussissent[15].

L’autre facteur en mesure de ralentir les activités partenariales et, conséquemment, le développement des communautés autochtones, concerne la question des revendications (AT10-H, novembre 2013), à plus forte raison celles qui découlent du titre autochtone (AT8-H, juin 2012). À cet égard, les Anicinapek ne feraient pas cavaliers seuls, puisque même dans le contexte jeannois, là où les exemples de partenariats interethniques avec les Innus se multiplient, les revendications autochtones sont présentées comme le principal frein au dialogue[16] (LSJ5-H, juin 2013) et la source de certaines tensions interculturelles (LSJ1-H, juin 2013; LSJ6-H, juin 2013).

Ces « diagnostics » ont certes leurs mérites. Ils confirment ce qui a été avancé ci-dessus, à savoir que le regard des Allochtones sur les Autochtones a subi un changement non négligeable. Les premiers partagent maintenant la certitude que les seconds ont tout pour réussir, qu’ils ne sont pas condamnés au « sous-développement » en raison de prédispositions « naturelles ». Il y aurait une place pour les Autochtones dans les économies régionales et il leur appartiendrait en principe de l’occuper (AT10-H, novembre 2013). Cela serait vrai aussi des Autochtones dont on considère la culture « entrepreneuriale » déficiente puisqu’un tel jugement s’appuie sur des exemples de communautés autochtones ayant développé une telle culture avec succès.

Évidemment, cette vision des choses ne rend pas compte de toute la réalité, d’autant qu’elle contient sa part de contradictions. Le nombre plus limité de partenariats avec les Anicinapek témoigne en lui-même du fait qu’il n’y a pas vraiment de place pour eux dans l’économie régionale. On peut bien remettre en question leur « esprit entrepreneurial » ou imputer à leur attitude revendicatrice une part de leurs problèmes, le fait est qu’on ne peut « entreprendre » sans en avoir les moyens. L’entrepreneur est celui qui investit (c’est la prise de risque) dans la perspective de dégager une plus-value, un profit. Or, on ne peut investir ce qu’on n’a pas ou ce qu’on ne peut pas emprunter.

Il n’est pas question ici de mettre en doute la capacité de nos informateurs à s’ouvrir réellement à la différence autochtone. Bien au contraire, leurs propos comme leurs gestes attestent du fait qu’ils ont une longueur d’avance, comparativement à la moyenne de leurs concitoyens, sur la piste devant mener à un véritable rapport dialogique avec l’Autochtone. Le problème tient au fait que ce dialogue se produit pratiquement sur un registre unique, celui d’une vision dominante du développement qui érige les retombées économiques comme les principales, voire souvent les seules mesures de succès. Sans nul doute, les peuples autochtones ont une place dans ce modèle de développement. Ils sont même invités à prendre tout l’espace qui leur revient, selon les termes (les normes, les codes ou les manières) définis par la société allochtone. Mais en dehors de ce modèle unique, point de salut. Prendre leur place dans l’économie régionale tout en revendiquant des droits de gestion sur les ressources sises en territoire ancestral, voilà un modèle alternatif qui passe plutôt mal auprès des sociétés non autochtones (Charest, 2013, p. 21).

À l’échelle du Québec : la tension entre intégration ou intégralité

Que peut-on tirer de l’évolution récente des relations autochtones-allochtones en Abitibi-Témiscamingue et au Saguenay–Lac-Saint-Jean et de la multiplication des partenariats économiques de nature interethnique? À l’heure des choix qui sont impartis à la société relativement au modèle de développement le plus approprié pour le Nord, les régions à l’étude peuvent-elles constituer des laboratoires humains capables de façonner une formule qui soit économiquement profitable au Québec dans son ensemble?

À la lumière de nos enquêtes, il existe une très nette corrélation entre la multiplication des partenariats interethniques dans les régions carrefours et l’intégration des Autochtones au sein des économies majoritaires non autochtones. Le portrait n’est pas aussi clair pour ce qui concerne la nature de cette intégration. À cet égard, il semble que deux modèles dominants rivalisent. Le premier modèle d’intégration serait « volontaire ». Le qualificatif est significatif : il désigne autant l’intention des Autochtones de s’engager dans l’avenir économique de ces régions (en plus de leur propre avenir bien sûr) que celui des Allochtones de céder une part de leurs prérogatives en matière de développement et de planification territoriale au profit des Premières Nations. Aussi, on note dans cette intégration une sensibilité (variable il va sans dire) aux besoins spécifiques (de capitaux par exemple) et aux aspirations des Autochtones en termes de développement. Le deuxième modèle d’intégration se veut plutôt « contraignant » et met en relief des rapports de force asymétriques où les peuples autochtones sont les bienvenus aussi longtemps qu’ils s’inscrivent dans le principal objectif, celui d’une croissance économique jugée profitable pour tous les Québécois.

Si nous sommes d’avis que le premier modèle a pris un certain élan au cours des dernières années, la marche vers une approche interculturelle pleinement accomplie et assumée reste parsemée d’embuches. Ce qui est vrai des régions carrefours l’est encore davantage à l’échelle du Québec, puisque la plupart des résidents n’ont pas une expérience directe et quotidienne de la cohabitation autochtone-allochtone, alors que celle-ci reste pourtant une clé de voute de toute interpénétration de l’aire nordique et de l’espace laurentien.

L’anordissement comme moteur d’intégration

Le modèle de l’intégration volontaire se trouve au coeur des principes du développement du Nord, à tout le moins dans la politique officielle qui compose le Plan Nord, dans sa version originale de 2011, comme dans sa version révisée de 2015. Nous avons déjà eu l’occasion d’élaborer à ce sujet (Rivard et Desbiens, 2011, p. 84; Desbiens et Rivard, 2014, p. 103-105) et il n’est pas ici nécessaire de revenir en détail sur cette question. Soulignons seulement que le Plan Nord exprime la ferme intention de mettre en place une approche participative du développement, laquelle serait à l’écoute des besoins et des attentes des populations nordiques, à plus forte raison celles en milieu autochtone. Une telle vision se veut en rupture avec l’approche historique du Québec de base envers l’espace nordique (Hamelin, 1998), ce qui constituerait assurément un pas significatif dans l’abandon du « mythe du Nord », cette idée d’un espace vide à combler (Desbiens, 2012, p. 645; Duhaimeet al., 2013, p. 478-480). Pour une fois, quoique timidement, cette relation s’annonce moins « dénordifiante », un peu plus « anordissante ».

À cette intégration volontaire sur le plan du développement correspondent également des gestes concrets en vue de bonifier la gouvernance autochtone relative aux ressources territoriales en milieu nordique. C’est en ce sens qu’il faut comprendre la ratification en 2012 de l’Entente sur la gouvernance dans le territoire d’Eeyou Istchee Baie-James (Québec, 2012), dont l’objectif principal est de favoriser un plus grand contrôle par les Cris sur les terres de catégorie II (terres de la Couronne sur lesquelles ils ont des droits de chasse et de pêche exclusifs) et de leur permettre de prendre une part active dans la planification du territoire et le développement de ses ressources. Pour ce faire, un tout nouveau Gouvernement régional paritaire autochtone-allochtone a été mis sur pied en janvier 2014 en remplacement de l’ancienne municipalité de la Baie-James, institution majoritairement non autochtone. Ainsi le Gouvernement de la Nation crie se voit-il octroyer des compétences et des pouvoirs propres à une municipalité. L’idée derrière cette nouvelle structure territoriale est simple : aucune démarche de développement et de planification territoriale (allocation des ressources) ne peut se faire sans passer par l’accord explicite et démocratique du Gouvernement de la Nation crie. On est bien au-delà d’un simple devoir de consultation et de compensation.

Cette entente est importante car elle visait à répondre aux revendications de la Nation crie en matière de gouvernance et elle fut posée en condition, par la Nation, en vue de son appui au Plan Nord :

[traduction] Le Plan Nord et la gouvernance en Eeyou Istchee sont indissociables. Avant même l’annonce du Plan Nord, les Cris ont besoin d’un engagement clair du Québec envers le respect des principes de la gouvernance du Eeyou Istchee. Parmi ces principes, en tout premier lieu, il y a la participation pleine et entière des Cris aux structures de gouvernance du Eeyou Istchee. Le développement économique va de pair avec la gouvernance. En l’absence d’un engagement ferme de la part du Gouvernement en ce sens, il sera difficile de convaincre les Cris de Eeyou Istchee du bien-fondé du Plan Nord. Sans la mise en place d’un régime de gouvernance acceptable aux yeux des Cris, il n’y aura aucun Plan Nord en Eeyou Istchee.

Cree Nations of Eeyou Lstchee, 2011, p. 12

Les principes exposés ici par la Nation crie – gouvernance, développement économique et cogestion territoriale – composent la trame narrative de l’entente de gouvernance conclue avec le Gouvernement québécois.

La dénordification au nom de l’intégrité

En dépit de ces avancées en matière de relations interculturelles, certaines choses changent peu dans le Nord. Deux visions bien distinctes du développement s’y opposent depuis toujours (Hamelin, 1998), mais elles ne se battent pas à armes égales. Comme le rappelle si bien Hugo Asselin : « Loin de “l’esprit communautaire”, le Plan Nord est principalement axé sur l’exploitation des ressources naturelles par des multinationales étrangères. Ce modèle de développement exogène prévaut dans le Nord depuis des décennies et a déjà fait l’objet de nombreuses critiques » (Asselin, 2011, p. 40). Le fait que le Plan Nord initial (celui du gouvernement de Jean Charest en 2011) ait été mis sur la glace en raison des fluctuations négatives du marché des métaux, alors que les besoins communautaires eux restent toujours aussi criants, en dit long sur les rapports de force qui se jouent dans le développement de l’espace nordique. Ainsi le spectre de l’intégration « contraignante » du Nord dans le giron du Sud hante-t-il toujours les perspectives d’avenir.

Une telle vision jette de l’ombre sur une approche plus endogène du développement, approche dont les fondements furent établis par Joseph Schumpeter dans la première moitié du 20e siècle (voir la citation en épigraphe) et largement repris aujourd’hui par les tenants de la théorie des milieux innovateurs – elle stipule que l’innovation, source de croissance économique, émerge des milieux locaux en mesure de s’adapter aux contraintes exogènes (Camagni et Maillat, 2006) – et du paradigme territorial (Pecqueur, 2006). Si le modèle endogène partage avec l’orthodoxie dominante en économie les mêmes « contraintes de développement » – lesquelles, dans le contexte de l’économie de marché mondialisée actuelle se traduisent par une hausse accrue de la concurrence –, il s’en démarque cependant dans la manière d’y répondre. Il ne partage pas la même obsession pour la croissance économique, au sens où il ne la perçoit pas obligatoirement comme la finalité du développement, mais plutôt comme un outil dans la quête de retombées socialement plus englobantes. Seule une telle démarche permet d’embrasser des préoccupations non marchandes mais pourtant capitales, telles celles exprimées par les Nations cries du Eeyou Istchee : [Traduction] « La culture et l’identité sont au coeur de nos préoccupations. Notre culture est exposée à une pression et un stress croissants, tout particulièrement dans un contexte de changements rapides où plusieurs projets majeurs ont une incidence sur notre culture et notre identité » (Cree Nations of Eeyou Istchee, 2011, p. 69). Là où le modèle dominant ne voit que des « externalités non marchandes », les tenants de la démarche endogène discernent des champs d’action prioritaires et des retombées directes à privilégier : la cohésion interethnique; les sentiments de fierté et d’accomplissement individuels et collectifs; la confiance dans l’avenir et les moyens collectifs de capacitation; le renforcement du capital social et de la capacité d’apprentissage et de formation (Jambes, 2001; Rivard, à paraître). Ce n’est pas sans ironie que la Banque mondiale – haut lieu dans les faits d’une vision exogène du développement – appuie sans retenue depuis près de deux décennies les principes de ce modèle endogène (Throsby, 2001, p. 70-71).

Ce que le Plan Nord met en oeuvre est un pragmatisme économique totalement en phase avec la perspective économiste dominante que d’aucuns n’hésitent pas à étiqueter comme « néolibérale » (Duhaimeet al., 2013; Hurteau et Fortier, 2015). Elle consiste à laisser le marché définir l’essentiel de l’offre et de la demande (abstraction faite des incitatifs fiscaux offerts par le gouvernement), une conduite qui favorise l’afflux de capitaux, la profitabilité de l’entreprise privée et qui devrait, lorsque ces conditions initiales seront remplies, favoriser la production de retombées indirectes, qu’elles soient elles aussi économiques (création d’emplois, augmentation du pouvoir d’achat et hausse de la consommation des ménages) ou bien de nature sociale : réduction de la pauvreté ou amélioration des infrastructures locales (de logement, de santé, d’éducation ou de communications). Devant un telle perspective, le risque d’une marchandisation du Nord et de ses habitants (industrie touristique oblige) est grand (Hurteau et Fortier, 2015). Il faut cependant préciser, comme le fait à juste raison le politologue Martin Papillon (2012), que les peuples autochtones ne sont pas inéluctablement les victimes passives de cette perspective économique. Certains d’entre eux semblent bien engagés dans ce modèle dominant : c’est assurément le cas des Cris (ibid.), et semble-t-il également, dans une certaine mesure, des Innus, à tout le moins ceux de Mashteuiatsh. En revanche, plusieurs autres peuples autochtones s’avèrent moins enthousiastes à embrasser ce modèle. Les Inuit ont pour leur part présenté un « Plan Nunavik », un programme dont les priorités reposent d’abord sur la satisfaction des besoins sociaux (en logement notamment), comme contrepartie au Plan Nord (Arteau, 2011). La question qui s’impose ici n’est pas de déterminer s’il est à-propos ou non pour les peuples autochtones de s’intégrer dans ce modèle dominant de développement. Elle est plutôt de savoir s’il existe véritablement un modèle alternatif d’intégration de la différence autochtone dans le Nord qui ne soit pas exclusivement mesuré par la colonne des revenus et des profits, par un pragmatisme économique.

S’il est opportun de cultiver une certaine suspicion relativement au pragmatisme économique observé dans les régions carrefours de façon générale, la version sur laquelle s’articulent les stratégies économiques du Plan Nord commande quant à elle une vigilance de tous les instants. Les liens économiques serrés qui unissent les populations autochtones et allochtones au Saguenay–Lac-Saint-Jean et en Abitibi-Témiscamingue n’ont pas d’équivalent à l’échelle du Québec tout entier. L’investissement des Autochtones dans les économies régionales et leur enrichissement – qui représente un vecteur de consommation accrue porteur de retombées indirectes sur le commerce allochtone – s’avèrent vitaux pour ces régions. C’est cette « source vitale » que menaçait de tarir à Val-d’Or le boycottage économique mené par les Premières Nations cries et anicinapek à l’automne 2015 en réaction aux accusations d’agressions sexuelles envers des femmes autochtones par certains agents de la Sûreté du Québec. En revanche, l’enrichissement du Québec laurentien ne dépend pas aussi fortement des conditions économiques (pouvoir d’achat) et sociales des populations autochtones du Nord et de leurs fluctuations.

Le modèle exogène – mais surtout son penchant économiste et son caractère quasi hégémonique – rendent le Nord solidaire du Sud en favorisant la croissance économique de ce dernier; en revanche, il ne rend pas le Sud obligatoirement plus solidaire du Nord. Il met l’intégrité du Québec à l’avant-scène et, partant, relègue celle du Nord en coulisse. Alors que la vision endogène pose les conditions minimales à un anordissement du Québec laurentien, le modèle actuel pose plutôt les derniers jalons d’une dénordification inscrite dans la longue durée. Loin de contenir le vieux mythe de la vacuité de l’espace nordique, le modèle dominant tend à le propager (Desbiens, 2012, p. 645; Duhaimeet al., 2013, p. 478-480).