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1. Introduction et problématique

Les connaissances et croyances des enseignants pour enseigner sont très largement décrites au sein des écrits de recherche (Borko et Putnam, 1996; Calderhead, 1996; Crahay, Wanlin, Issaieva et Laduron, 2010; Gauthier, Desbiens, Malo, Martineau et Simard, 1997; Shulman, 1987; Tardif, Lessard et Lahaye, 1991; Woolfolk Hoy, Davis et Pape, 2006). Partant de la typologie proposée par Borko et Putnam (1996), notre attention se porte sur le premier ensemble décrit, celui des connaissances psychopédagogiques générales des enseignants. Les études de König, Blömeke, Klein, Suhl, Busse et Kaiser (2014) et Brunner, Anders, Hachfeld et Krauss (2011) montrent que leurs conduites pédagogiques sont influencées par leurs connaissances psychopédagogiques générales. Partant de cette corrélation, nous cherchons à l’enrichir en questionnant précisément le rapport entre ces connaissances et les stratégies effectives d’enseignement telles qu’identifiées dans les méta-analyses (Hattie, 2009; Marzano, Marzano et Pickering, 2003).

Notre question de recherche est donc la suivante : les connaissances psychopédagogiques générales rapportées par les enseignants modélisent-elles les pratiques reconnues par les écrits de recherche comme efficaces en classe? Il nous semble en effet opportun de rappeler les constats relevés par les méta-analyses à travers les discours d’une population qui n’a jusqu’alors pas été interrogée sur ce sujet : les enseignants du primaire du canton de Genève. En d’autres termes, à la manière de König et al. (2014), nous envisageons les pratiques effectives d’enseignants du primaire selon leurs pratiques rapportées lors d’un entretien semi-directif. Notre objectif est ici d’observer si ces pratiques rapportées coïncident avec celles issues des résultats de recherches et établies comme favorisant l’apprentissage des élèves.

Les modélisations de König et al. (2014) et de Voss, Kunter et Baumert (2011) permettent d’identifier trois dimensions spécifiques des connaissances psychopédagogiques générales des enseignants : la gestion de classe, les méthodes d’enseignement et l’évaluation. À la suite de leur description, il s’agit de sonder les écrits des chercheurs sur l’efficacité des pratiques enseignantes afin de constater quels comportements efficaces découlent de chacun des trois types de connaissances psychopédagogiques générales. Notre plan de recherche qualitatif interroge directement les pratiques enseignantes par un entretien semi-directif auprès de 23 enseignants. Nous précisons que ces participants ont initialement intégré une recherche plus dense, qui interrogeait leurs connaissances sur la psychopédagogie et les élèves, et qui s’étendait sur l’année scolaire 2014-2015 dans le canton de Genève. L’entretien sur les connaissances psychopédagogiques générales qui nous intéresse ici a été engagé à la fin de cette recherche. Après analyse et interprétation des données recueillies, nous observons comment les trois dimensions relevées, organisées en triade psychopédagogique dynamique, convergent vers l’agir professionnel efficace.

2. Cadre conceptuel

2.1 Connaissances psychopédagogiques générales des enseignants : définitions et modélisations

Les écrits scientifiques fournissent un large éventail de résultats de recherches au sujet des connaissances et croyances des enseignants pour enseigner. Si notre attention se porte tout d’abord sur les connaissances observées par Borko et Putnam (1996), c’est parce qu’elles fondent la majorité des autres catégorisations observées dans les recherches. Plus précisément, ce sont trois ensembles de connaissances que Borko et Putnam (1996) proposent selon la typologie de Shulman (1987) reprise par Gauthier, Martineau et Simard (1994) :

  1. Les connaissances psychopédagogiques générales; savoirs sur les diverses modalités et stratégies de gestion de classe et d’enseignement ainsi que sur les élèves et leurs apprentissages,

  2. Les connaissances disciplinaires; savoirs dans une matière en particulier (concepts, terminologies, etc.),

  3. Les connaissances pédagogiques du contenu ; savoirs sur les manières d’introduire la matière (voir Crahay et al., 2010 pour une définition exhaustive de ces ensembles).

Notre intérêt se porte sur le premier ensemble, celui des connaissances psychopédagogiques générales des enseignants. Pour maintenir le travail et l’implication du groupe d’élèves à sa charge, l’enseignant doit disposer d’une variété de stratégies de gestion de classe. Parce que l’enseignement se définit par le soutien de l’ordre et de l’apprentissage (Doyle, 1986), l’enseignant possède un ensemble de stratégies permettant d’établir des règles, d’organiser les groupes d’élèves, de surveiller et rythmer les évènements en classe, ainsi que de réagir aux mauvais comportements. De plus, l’enseignant dispose d’un répertoire de modalités d’enseignement pour structurer les activités en classe, garantir l’engagement des élèves et maintenir une certaine fluidité des leçons. Cette variété de stratégies de gestion de classe et d’enseignement est importante dans la construction active de sens des élèves et leur autorégulation des apprentissages (Borko et Putnam, 1996). Enfin, autres connaissances essentielles, les connaissances sur les élèves et leur psychologie (Shulman, 1987), que Borko et Putnam (1996) intègrent aux connaissances psychopédagogiques générales. En outre, Shulman (1987) explique que ces connaissances vont au-delà de la matière enseignée. Selon Brunner et al. (2011), elles sont centrales pour que l’enseignant puisse engager les meilleurs diagnostics en classe, c’est-à-dire effectuer une analyse de la situation d'apprentissage afin de permettre une meilleure compréhension des problèmes qu’elle peut poser aux élèves.

Partant de ces définitions, des recherches actuelles précisent et complètent ces connaissances selon quatre à cinq dimensions (voir tableau 1). D’après Voss et al. (2011), ainsi que König et al. (2014), les connaissances psychopédagogiques générales des enseignants renferment des connaissances sur la gestion de classe – motiver et soutenir l'apprentissage par diverses stratégies –, sur les méthodes d’enseignement – leur adaptabilité et leur différenciation – et sur l’évaluation – observer les progrès pour adapter l’enseignement. König et son équipe (2014) ajoutent ensuite une dimension de structuration, c’est-à-dire de planification des leçons. Quant à Voss et ses collaborateurs (2011), ils intègrent deux connaissances sur l’hétérogénéité des élèves : le processus d’apprentissage – considérer la motivation, le ressenti de l’élève – et les caractéristiques individuelles – connaître les particularités de l’élève. Ces dimensions semblent ainsi correspondre aux connaissances sur les apprenants et leurs caractéristiques selon Shulman (1987).

Tableau 1

Connaissances psychopédagogiques générales décrites par Voss et al. (2011), et König et al. (2014)

Connaissances psychopédagogiques générales décrites par Voss et al. (2011), et König et al. (2014)

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Aussi, nous pouvons expliquer l’extension de la définition des connaissances psychopédagogiques générales au cours des décennies par la nécessité plus contemporaine de structurer et d’adapter l’enseignement à la diversité des élèves. Néanmoins, nous ne pouvons prétendre à une transformation radicale des connaissances des enseignants, étant donné une base commune au fil des recherches – la gestion de classe, les méthodes d’enseignement et l’évaluation – ainsi que des composantes qui, d’après Borko et Putnam (1996), semblent traverser ces dimensions pour le bon déroulement de l’enseignement et des apprentissages – la prise en considération du processus d’apprentissage, des caractéristiques des élèves et de la structuration des leçons.

La suite de notre cadre théorique présente une articulation entre chacune des trois principales dimensions cognitives et les pratiques décrites comme efficaces au sein des écrits de recherche.

2.2 Pratiques d’enseignement efficaces

Cette partie propose une nomenclature des comportements enseignants favorables à l’apprentissage des élèves pour les trois dimensions communes aux modèles de König et al. (2014) et Voss et al. (2011) : la gestion de classe, les méthodes d’enseignement et l’évaluation. Nous identifions, via les recherches sur l’efficacité pédagogique, quelles connaissances devraient être valorisées dans le bagage cognitif des enseignants.

2.2.1 Pratiques efficaces pour la gestion de classe

Selon les recherches processus-produit (Crahay, 2006; Seidel et Shavelson, 2007), la gestion proactive de la classe et de la discipline par l’enseignant est l’élément phare pour permettre l’apprentissage des élèves. Elle se manifeste par la mise en place d’une relation positive entre l’enseignant et ses élèves par l’intermédiaire d’un langage non verbal, corporel ou gestuel (Jones, 1979). La proximité physique et le contact visuel exigent une vigilance constante de la part de l’enseignant sur l’ensemble de la classe (Kounin, 1970). L’enseignant montre à ses élèves qu’il sait ce qui se passe à tout moment en classe; qu’il peut intervenir sans erreurs de cible ou de temps. Cette conscience active permet à l’enseignant de mener plusieurs tâches de manière simultanée – chevauchements – dans le but de réduire rapidement les comportements inappropriés (Kounin, 1970). Redl et Wattenberg (1959) associent la gestion proactive de la classe à l’usage d’interventions disciplinaires progressives. Selon eux, c’est seulement après analyse de la situation et du comportement que l’enseignant peut engager une ou plusieurs des quatre techniques d’intervention suivantes : inciter à la maîtrise de soi (faire un signe, manifester de l’intérêt à l’élève), proposer une aide opportune (confisquer la distraction, isoler l’élève), suggérer l’évaluation de la réalité (identifier les causes et envisager les conséquences) et recourir au principe de plaisir/douleur (appliquer une récompense pour un comportement approprié ou une punition pour un comportement inapproprié). Redl et Wattenberg (1959) accordent aussi une importance particulière au processus de pensée diagnostique de l’enseignant pour anticiper les problèmes de discipline. D’abord, l’enseignant élabore une explication intuitive à la situation, il examine ensuite les faits et facteurs cachés et décide enfin d’une intervention selon la dynamique classe.

La gestion proactive de la classe suppose l’énonciation précise des règles de vie en classe dès le début d’année. Ce qui se caractérise au travers du modèle néoskinnérien (voir Charles, 1997, selon les théories de Skinner) par le trio de comportements règlement-récompense-effet qui introduit les notions de limites et de conséquences chez les élèves au travers des règles et les effets de leur transgression. En cas d’indiscipline, l’enseignant se réfère à ces règles pour informer l’élève des conséquences logiques de son action. Pour éviter les effets secondaires de la punition, ce modèle défend le renforcement positif – récompenser l’élève afin qu’il répète le comportement favorablement perçu et inciter les autres à adopter ce comportement – ou le renforcement négatif – ôter à l’élève quelque chose dont l’absence consolidera le comportement favorablement perçu.

Enfin, dernier point observé dans la gestion proactive : l’intérêt porté à ses élèves. L’enseignant doit à tout moment prendre en considération les sentiments de l’élève afin d’engager les meilleures interventions qui soient (Redl et Wattenberg, 1959). À cet effet, les recherches de type processus-produit – considérant les performances des élèves comme le produit du processus d’enseignement engagé – insistent sur l’efficacité du renforcement positif par l’intermédiaire de comportements, lorsqu’ils s’y prêtent, tels que les louanges et rétroactions positives à destination des élèves.

Ces pratiques de gestion de classe ont prouvé leur efficacité dans des méta-analyses. Marzano, Marzano et Pickering (2003) les résument en quatre facteurs dont ils observent l’amplitude de l’effet. Il s’agit de la vigilance cognitive (-1,29), des interventions disciplinaires (-0,91), des règles et procédures (-0,76) et de la relation enseignant-élèves (−0,87). Notons que l’amplitude de l’effet est un indice dont la valeur absolue varie de 0 à n. Proche de 1 en valeur absolue, l’effet est considéré comme efficace. Ici, les indices négatifs montrent que les facteurs étudiés réduisent les comportements d’élèves considérés comme inappropriés pour l’apprentissage en classe.

2.2.2 Pratiques efficaces pour l’enseignement

Autre exemple de la fécondité des recherches processus-produit : la gestion efficace du temps d’enseignement et la variété des stratégies d’enseignement. Mise en lumière par le modèle de Kounin (1970), la cadence est la vivacité avec laquelle l’enseignant démarre, maintient une activité, fait des transitions et clôture une séquence. Pour éviter la routine et le désintérêt des élèves, Kounin (1970) souligne l’importance du soin à apporter aux aspects pédagogiques notamment par la valence – rendre l’activité agréable et stimulante – et la diversité des activités et leurs modalités. Cela rejoint l’idée de persévérance, exprimée par Viau (1997) dans sa définition de la motivation, qui explique l’engagement de l’élève dans la tâche grâce à la gestion efficace des aspects sociaux et pédagogiques du processus d’enseignement-apprentissage. Pour Kounin (1970), l’enseignant doit favoriser la conscience, l’éveil et l’intérêt du groupe classe en captant l’attention des élèves au travers de sollicitations, regards, commentaires ou défis (challenges). Il s’agit de responsabiliser les élèves en les encourageant à être dynamiques et productifs en engageant notamment des travaux individuels variés et stimulants pour soutenir leur attention (Kounin, 1970). Le modèle de Jones (1979) étaye plus précisément l’aide en situation apportée par l’enseignant selon trois étapes : 1) l’aménagement de l’environnement pour permettre une intervention rapide, 2) la mise en place d’aide-mémoire graphiques pour aider les élèves à se repérer et 3) la réduction de l’aide individuelle (20 secondes par élève) pour que l’élève puisse poursuivre seul l’apprentissage.

Ces pratiques ont aussi fait l’objet de méta-analyses. Hattie (2009) confirme l’efficacité des stratégies d’enseignement variées (0,60). L’enseignant doit avoir une souplesse pédagogique : passer par l’instruction directe (0,59), les pratiques collectives (0,57), les enseignements réciproques (0,74) ou encore les micro-enseignements (0,88). Hattie (2009) souligne l’efficience des enseignements structurés (0,57), impliquant des consignes claires (0,75) et la formulation des objectifs visés (0,56). L’utilisation de la métacognition (0,69) et de l’auto-verbalisation (0,64) sont des éléments qui permettent de stimuler les élèves et de superviser l’apprentissage. À noter que les indices positifs entre parenthèses renvoient à des gains d’apprentissage. Aussi, Hattie (2009) considère les effets au-dessus de .40 comme efficaces; en-dessous, ils le seraient moins.

2.3 Pratiques efficaces pour l’évaluation des apprentissages

Lorsqu’elle est observée, l’évaluation des apprentissages est principalement représentée par deux types de comportement aussi bien dans les recherches processus-produit que dans les recherches méta-analytiques. Illustrés par Hattie (2009), il s’agit de l’évaluation formative (0,90) et des rétroactions (feedbacks) (0,73) apportées par les enseignants. Les grilles élaborées pour les recherches processus-produit portent un intérêt aux rétroactions à travers différentes entrées : rétroactions positives, négatives, d’amélioration et de développement. En plus de permettre une évaluation des apprentissages pour l’enseignant, ces pratiques permettent aux élèves de se corriger ou de se perfectionner. Les rétroactions les plus efficaces pour l’apprentissage des élèves sont celles qui fournissent des aides ou des informations sur l’apprentissage engagé (Hattie et Timperley, 2007). Les rétroactions simples de type louange ou sanction sont moins efficaces. En conséquence, pour permettre une régulation pédagogique efficace (Hattie et Timperley, 2007), l’enseignant doit préalablement développer ses diagnostics en classe (observer les élèves et comprendre leurs difficultés). L’évaluation des apprentissages prend ainsi appui sur les gestions proactive et pédagogique engagées en classe.

La description des pratiques efficaces de gestion de classe, d’enseignement et d’évaluation fournit une meilleure compréhension des connaissances psychopédagogiques générales des enseignants. Notre étude questionne les connaissances sur les pratiques d’enseignants à Genève dans le but de les comparer avec les éléments identifiés par les écrits de recherche et établis comme favorisant l’apprentissage des élèves.

3. Méthodologie

Pour répondre à notre question de recherche, cette partie présente l’ensemble des informations nécessaires pour la compréhension de notre plan de recherche.

3.1 Sujets

Après avoir contacté 37 établissements scolaires publics de 10 communes du Canton de Genève (Suisse), ce sont au total 23 enseignants qui ont souhaité prendre part à notre recherche. Les participants ont entre 1 et 36 ans d’expérience (m = 13,5) et enseignent au cycle élémentaire et moyen, de la première année du primaire à la huitième année du primaire (1P à 8P), à des élèves âgés de 4 à 12 ans. Les élèves ne présentent pas de handicap physique ou intellectuel particulier. Certains élèves présentent néanmoins – d’après les dires des enseignants – quelques difficultés qui sont révélées ou en cours de diagnostic (principalement troubles dys et hyperactivité). Le tableau 2 présente notre population.

Tableau 2

Descriptif de la population

Descriptif de la population

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3.2 Instrumentation

Les connaissances psychopédagogiques générales sont récoltées par un entretien semi-directif et repose sur la construction d’un guide d’entretien, l’enregistrement audio de l’entrevue ainsi que sa retranscription pour analyse (Albarello, 2003).

Notre guide d’entretien prend appui sur un canevas de questions inspiré de celui des recherches de Voss et al. (2011) et König et al. (2014). Une première partie s’intéresse aux connaissances des enseignants en matière de gestion de la discipline par l’intermédiaire d’un scénario en classe, inspiré de Voss et al. (2011), suivi de questions permettant d’évaluer ces connaissances (figure 1). Une deuxième partie concerne les connaissances des méthodes d’enseignement (figure 2 questions 4 à 8) et de l’évaluation des apprentissages (figure 2 questions 9 et 10). Enfin, considérant les autres dimensions identifiées – structuration des leçons, processus d’apprentissage et caractéristiques individuelles des élèves – comme transversales au bon déroulement de l’enseignement et des apprentissages, nous envisageons de les sonder indirectement par l’intermédiaire des questions sur la gestion de la discipline, les méthodes d’enseignement et l’évaluation.

Figure 1

Scénario et questions sur la gestion de la discipline (voir Voss et al., 2011)

Scénario et questions sur la gestion de la discipline (voir Voss et al., 2011)

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Figure 2

Questions sur la méthode d’enseignement et l’évaluation des apprentissages (voir König et al., 2014)

Questions sur la méthode d’enseignement et l’évaluation des apprentissages (voir König et al., 2014)

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3.3 Déroulement

Les participants ont initialement intégré une recherche plus dense qui se déroule sur l’année scolaire 2014-2015 dans le canton de Genève et qui interroge leurs connaissances sur la psychopédagogie et les élèves. Dans son intégralité, ce projet de recherche comporte trois entretiens demi-directifs, couplés pour huit enseignants à deux observations filmées en classe, chacune suivie d’un entretien post-observation. Quel que soit le plan de recherche engagé (avec ou sans observations en classe), l’entretien sur les connaissances psychopédagogiques générales, dont nous discutons dans cette contribution, est le troisième et dernier des entretiens engagés. Cet entretien se déroule sur 30 minutes environ, entre janvier et juin 2015, et la majorité du temps, dans la classe de l’enseignant à la fin d’une journée d’enseignement.

3.4 Considérations éthiques

La confidentialité des données issues des transcriptions d’entretiens permet d’identifier chaque sujet interviewé par un numéro précédé de la lettre majuscule E désignant le statut d’enseignant. Lorsqu’un élève en particulier est identifié durant l’entretien, il est indiqué par un numéro précédé de la lettre minuscule e désignant le statut d’élève. Avant chaque entretien, des précisions quant à la confidentialité et l’anonymat des données recueillies sont fournies, et un accord concernant l’enregistrement audio de l’entretien est signé par chaque enseignant. Les résultats de la recherche sont transmis aux participants sous la forme d’un compte rendu de recherche.

3.5 Méthode d’analyse des résultats

Après transcriptions des 23 entretiens, une analyse de contenu – suivant les préceptes de Miles et Huberman (2003) – est engagée pour chacune des 10 questions posées. Ce que nous pointons lors de ce processus d’analyse, ce sont les comportements évoqués par chaque enseignant à chacune des questions. Une fois relevés, les comportements de tous les enseignants à l’ensemble des questions sont ensuite réunis pour être traités conjointement. Sur 166 comportements identifiés, 41 sont exprimés à plusieurs reprises au cours de l’entretien avec certains participants. Puisqu’il s’agit d’un même comportement, nous décidons de ne le comptabiliser qu’une seule fois par enseignant qui décrit le comportement en question. Ainsi, ce sont 94 comportements distinctifs que nous extrayons de l’ensemble des discours des 23 enseignants. Une deuxième phase d’analyse permet de regrouper ces comportements selon leur analogie et leur intention commune que nous saisissons au travers de chacun des discours, mais aussi, au travers de ce qu’en révèlent les écrits de recherche au sujet des pratiques d’enseignement efficaces. En exprimant tel comportement, l’enseignant souhaite-t-il structurer l’apprentissage? Le contrôler? Intervenir sur l’attention et la discipline de certains élèves? Ou entreprendre toute autre chose? Telles sont les questions que nous nous posons pour permettre l’identification d’ensembles de comportements. Cette analyse permet l’identification de 10 ensembles de comportements. Nous présentons ces comportements selon trois axes de connaissances psychopédagogiques générales dans l’analyse descriptive qui suit. Chaque axe est représenté par un tableau qui retrace l’analyse de contenu engagée

4. Résultats

L’analyse descriptive se découpe en trois parties représentant chacune un axe de connaissances psychopédagogiques générales. Chaque axe de connaissances est subdivisé en ensemble de comportements que nous identifions dans les discours des enseignants. Pour chacun des axes, nous présentons les comportements associés par l’intermédiaire de verbatims représentatifs suivis, entre crochets, du numéro de l’enseignant qui en est à l’origine. Au vu de la quantité de comportements rapportés, nous faisons le choix de décrire plus précisément ceux abordés par au moins cinq enseignants.

4.1 Connaissances diagnostiques

Le premier axe identifié est celui des connaissances diagnostiques et représente 30 % des discours. Trois ensembles de comportements y sont rapportés comme on peut l’observer dans le tableau 3.

Tableau 3

Connaissances diagnostiques

Connaissances diagnostiques

Note : Entre parenthèses, le nombre d’enseignants qui mentionnent le comportement

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4.1.1 Actions éclairées

Représentant 5 % des discours, les actions éclairées rassemblent des comportements qui réfèrent aux connaissances sur les élèves permettant d’engager l’intervention la plus adéquate.

Agir en connaissant ses élèves est un comportement abordé par dix-neuf enseignants et peut s’illustrer comme suit : Pour moi, ce qui est important c’est d’avoir une bonne connaissance des élèves, de voir que la progression se fait et puis, justement, de voir quand je dois aider qui et à quel moment.  [E8].

Précisément, six enseignants expliquent Faire des groupes par personnalité : Cette année, je ne veux pas qu’e6 et e3 soient assis l’un à côté de l’autre, quelle que soit la situation, ils ne sont pas capables de travailler ensemble [E15].

4.1.2 Anticiper

Cet ensemble représente 5 % des discours et réunit des comportements préventifs engagés par l’enseignant pour éviter toute intervention de régulation en classe.

Planifier-Anticiper est un comportement identifié dans le discours de sept enseignants. C’est-à-dire que dans la planification, il y a comment on amène les tâches, quels liens elles ont, […] donc c’est quelque chose qui précède l’arrivée dans la classe. [E8].

Six enseignants expliquent aussi Prévenir en amont l’élève : Oui, déjà simplement leur exprimer la chose, leur dire que là, c’est une activité importante, qu’il va falloir bien se concentrer et puis qu’ils sont capables; donc bien les motiver, les doper avant. [E23].

4.1.3 Observation, analyse et contrôle

À de nombreuses reprises (20 % des discours), les enseignants rapportent être vigilants afin de contrôler la dynamique de classe et de soutenir les apprentissages des élèves.

Être attentif aux élèves est un comportement rapporté par neuf enseignants : Déjà ce qui est important c’est qu’ils écoutent, pas que j’en aie un qui soit en train de causer ou de regarder dans son sac, donc effectivement, qu’ils aient l’attention sur ce que j’explique [E11].

Plus largement, Être vigilant est exprimé par 22 enseignants : J’ai toujours ce fameux regard circulaire  [E9].

Rendre les élèves attentifs, exprimé par 15 enseignants, est un comportement qui insiste sur les actions engagées par les enseignants pour contrôler l’attention des élèves comme suit : Je liste des petits détails pour voir s’ils lisent bien; par exemple au lieu de mettre souligne, je vais mettre souligne en rouge. [E2].

Aussi, 20 enseignants disent percevoir la compréhension et la participation par les Regards et expressions des élèves : [Un élève participe] s’il regarde, s’il réagit, ça peut être le visage, des fois ça peut être des réactions qu’on entend. [E20].

Dix enseignants prennent en considération le Contenu de la participation : Très souvent, selon la question qu’ils me posent eux, je vais dire oh celui-là, il n’a pas compris. Et selon les questions que je pose, s’ils ont des réponses erronées, là aussi c’est une indication [E22].

Dix-huit enseignants insistent sur la Participation juste de l'élève : Ceux qui lèvent toujours la main en général, c’est qu’ils ont la bonne réponse ou qu’ils sont dedans on va dire. [E2].

Observer les élèves sur le long terme est une pratique rapportée par cinq enseignants : Quand je donne une leçon […] je ne vais pas pouvoir vous dire à la fin de mes ¾ d’heure [s’ils ont compris]; mais lorsque j’aurai travaillé à 4-5-6 unités […], oui, j’arrive à le dire de manière très pointue.  [E14].

Pour le travail en groupes, cinq enseignants disent Laisser faire les groupes tout en contrôlant : Si les enfants viennent vers moi spontanément avec un groupe et que j’estime que le groupe peut fonctionner, je laisse faire. À l’inverse, si un groupe vient vers moi et que j’estime que le groupe ne peut pas fonctionner, je modifie [E6].

4.2 Connaissances d’enseignement

Deuxième axe de connaissances identifié, celui d’enseignement qui représente 30 % des discours. Le tableau 4 répertorie les trois ensembles de comportements observés.

Tableau 4

Connaissances d’enseignement

Connaissances d’enseignement

Note : Entre parenthèses, le nombre d’enseignants qui mentionnent le comportement

l’ECSP est l’Échelle de la communication sociale précoce

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4.2.1 Rythme et structuration

Selon 8 % des discours, les enseignants font de l’énonciation de la consigne un moment important dans la structuration de la matière enseignée.

Quinze enseignants insistent sur le fait de Déconstruire/vérifier la compréhension de la consigne chez leurs élèves : Il y a plusieurs choses dans une consigne, donc je vais les expliquer les unes après les autres, et puis après généralement, je résume [E14].

Lors d’une nouvelle matière, cinq autres enseignants expliquent Engager une même routine : Pour moi, c’est un peu toujours pareil […], faire ressortir la consigne dans le flot de paroles, c’est vraiment quelque chose de systématique. [E8].

4.2.2 Variation des stratégies pédagogiques

Dans cet ensemble, les enseignants rapportent les diverses méthodes d’enseignement utilisées et appropriées aux apprentissages (18 % des discours).

Lors de la découverte d’un nouveau contenu en groupes, 13 enseignants pointent l’importance de Définir les modalités de groupe : Des fois, on peut faire des groupes homogènes, des groupes hétérogènes. Mais après, ça dépend [des objectifs]. [E12].

Huit enseignants expliquent les raisons de Faire des groupes homogènes : Je peux aussi les mettre par niveau de compétence pour éviter qu’il y en ait un qui ait tout compris, qui fasse tout, et puis les trois autres observent sans rien dire. [E10].

Parallèlement, 13 enseignants indiquent les raisons de Faire des groupes hétérogènes : C’est moi qui fais les groupes parce qu’il faut que je répartisse les forces, il faut absolument que je mette quelqu’un qui est capable de tirer le groupe. [E17].

Huit des enseignants expliquent plus précisément Faire des groupes de 3-5 élèves pour la réalisation d’une tâche : Je fais des groupes de 4 quand on fait un sujet très ciblé. […] En histoire-géo, on fera beaucoup par 4; le français, j’en ai fait par 4 [E19].

Pour six enseignants, il s’agit d’Élaborer des groupes pour le ludique : Suivant le matériel qu’on a, c’est de passer par des jeux en maths, en français, où effectivement, en groupes, ils s’autorégulent très très bien [EP11].

Faire des évaluations est une stratégie abordée par sept enseignants pour s’assurer de la compréhension des élèves : Il y a le paramètre évaluation et le paramètre réutilisation la fois suivante à travers les devoirs [EP2].

Aussi, 11 enseignants expliquent Passer par des exercices : Dans le travail individuel papier crayon, je vois aussi si c’est acquis ou pas. [E22].

Dans une mesure toute relative, 10 enseignants pointent l’importance de Varier l’enseignement. Il s’agit essentiellement d’engager des travaux de groupes pour éviter trop d’enseignements frontaux : Ça serait ne pas faire des tâches trop tableau noir, trop frontales. Par exemple, les mettre en action, travailler par deux aussi, mobiliser les élèves en groupes. [E2].

Pour finir, cinq enseignants indiquent Proposer l'aide d'un camarade plus avancé : Je demande à des élèves en avance ou qui s’en sortent d’aller le coacher.  [EP19].

4.2.3 Différencier

Très peu représenté dans le discours des enseignants (3 %), l’intérêt de cet ensemble de comportements réside dans ses pratiques rapportées et sa présence dans les échanges avec 16 enseignants. Le comportement représentatif de cet ensemble porte d’ailleurs la même dénomination. Il est abordé par 15 enseignants et se résume par l’explication suivante : Tu es obligé d’être là, de faire des relances, de changer les variables […] de différencier, d’essayer de personnaliser la chose tout en gardant l’objectif central. [E4].

4.3 Connaissances de gestion des aspects sociaux et disciplinaires

Illustrées par le tableau 5, les connaissances de gestion des aspects sociaux et disciplinaires représentent 40 % des discours. Il s’agit de la dernière des connaissances identifiées.

Tableau 5

Connaissances de gestion des aspects sociaux et disciplinaires

Connaissances de gestion des aspects sociaux et disciplinaires

Note : Entre parenthèses, le nombre d’enseignants qui mentionnent le comportement

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4.3.1 Interventions disciplinaires progressives

Les interventions disciplinaires progressives sont très largement discutées par les enseignants (23 %) pour décrire les étapes progressives pour cesser/prévenir la situation d’indiscipline.

Dix-huit enseignants expliquent Intervenir dès l’instant où l’élève dit de manière spontanée une phrase qui n’a pas de lien avec la discussion en cours. L’explication de ces interventions est alors directement codée dans les comportements qui suivent. L’encodage de ce premier comportement n’a de but que d’observer les comportements rapportés de type interventionniste comparativement à d’autres comportements rapportés que l’on pourrait qualifier de préventifs présentés dans l’ensemble de comportements Anticiper.

Premièrement, 21 enseignants vont Rappeler à l’ordre l’élève qui perturbe : Rappelle-moi on est où, qu’est-ce qu’on est en train de faire, quelles sont les règles [E9].

Avertir l’élève indiscipliné est la suite logique pour 14 de ces enseignants : Malgré les sollicitations, s’il persistait, je lui aurais dit : écoute si ça t’intéresse pas tu vas dans une autre classe, et puis généralement ça se [tasse]. [E10]

Enfin, si les 23 enseignants annoncent des conséquences logiques (comme nous l’observons dans la suite), seuls huit disent Sanctionner l’élève : Tu n’as pas fait ton travail, tu as assez joué, donc tu n’iras pas à la récréation, et puis tu feras le travail que tu aurais dû faire avant. [E9].

Huit enseignants cherchent plus spécifiquement à Prévenir les parents : S’il recommence, alors moi typiquement je fais une annotation dans le carnet [E5].

Confisquer le distracteur est une autre action envisagée par six enseignants : Du coup, moi, ma solution, ça serait déjà de lui confisquer la balle [E1].

Douze enseignants jugent bon de Déplacer l’élève à un autre endroit dans la classe : Généralement, ils viennent s’assoir ici; ils doivent regarder le mur et ils ne doivent pas nous regarder [E14].

Si le déplacement ne suffit pas, 19 enseignants prévoient de Sortir l’élève de la classe : Si vraiment l’enfant continue, moi je le sors, je le mets dans une autre classe. [E18].

Cinq enseignants préfèrent Postposer et proposer une autre activité à l’élève : Je peux lui dire : Tu vas un moment dans un coin jeux et puis tu te calmes. [E19].

Enfin, concernant le travail en groupes, certains enseignants sont amenés à réfléchir à d’autres modalités comme Moduler les groupes (huit enseignants) ou Laisser l'élève faire seul l’exercice (neuf enseignants) : Je peux reconstituer les groupes ou dire : non, toi vas plutôt t’assoir avec telle personne [E15]; Si vraiment ça dégénère, ils vont à leur pupitre et puis ils font l’activité seuls [E16].

4.3.2 Favoriser la participation consciente, la motivation, la responsabilisation

Les enseignants qui abordent cet ensemble de comportements (11 % des discours) expliquent l’importance de faire participer les élèves et de leur faire confiance afin de les impliquer dans les apprentissages. Les enseignants montrent ainsi une certaine connaissance de chacun des élèves.

Lors du travail en groupes, huit enseignants expliquent Donner un rôle aux élèves afin de les impliquer et permettre une démarche coopérative : Des fois, si je vois qu’il y en a un qui ne fait rien, c’est lui que je charge du rôle [de rapporteur]. D’autres fois, je regarde en fonction de l’attention. [E12].

Malgré tout, huit enseignants disent Faire confiance aux élèves : J’aime bien leur laisser la liberté parce que je me dis que s’ils sont avec leurs copains, ils ont envie de faire bien ensemble, […] j’essaie toujours de leur faire confiance sur ça [E20].

Faire participer l’élève est un comportement rapporté par 10 enseignants : Quand c’est écrit qu’il ne réagit pas, qu’il se penche en arrière, qu’il ne participe plus, ce genre d’enfant généralement je vais lui poser des questions […] pour qu’il essaie de revenir dans le groupe de manière pertinente et plus pour déranger. [E10].

Enfin, 15 enseignants expliquent Engager des stratégies métacognitives : On a aussi fait du travail sur la métacognition : ok qu’est-ce que t’as compris de la consigne, qu’est-ce que tu dois faire, es-tu bien sûr d’avoir tout compris de cette consigne? [E15].

4.3.3 Empathie et sécurisation

Tout comme l’ensemble de comportements Différencier, les discours des enseignants sont peu marqués d’Empathie et sécurisation (3 %), mais ont l’avantage d’être orientés sur le ressenti des élèves, une particularité émotionnelle qui ne transparaît pas dans les ensembles précédents.

Comprendre le problème par la verbalisation est un comportement discuté par six enseignants : Mais là, je vais plutôt lui demander : écoute, tu n’arrives pas à te concentrer, qu’est-ce qui te permettrait de te concentrer? [E22].

Cinq enseignant expliquent mettre en place un Guidage rassurant lors des consignes ou des tâches à réaliser : Faire le début ensemble ça rassure […]. Et puis leur dire qu’après on pourra peut-être faire en groupes, à deux […]. Rappeler où est-ce qu’ils peuvent trouver de l’aide s’il y a quelque chose qu’ils ont oublié [E20].

4.3.4 Interventions confuses, absentes ou postposées

Ensemble peu décrits (3 % des discours), quelques discours restent néanmoins empreints d’absence d’interventions directes ou claires pour contrôler l’apprentissage ou l’attention des élèves.

Par exemple, cinq enseignants disent Reprendre l'élève plus tard pour éviter d’interrompre l’enseignement et d’accorder trop d’importance à l’élève qui perturbe. Les enseignants préfèrent ignorer puis régler l’incident une fois que l’élève est seul.

5. Discussion

L’analyse de contenu des transcriptions d’entretiens nous permet d’identifier trois axes de connaissances psychopédagogiques générales auprès des enseignants interrogés. Tout comme Borko et Putnam, (1996), Voss et al. (2011) et König et al. (2014), nous proposons un modèle des connaissances psychopédagogiques générales sous forme d’une triade psychopédagogique (voir figure 3). L’interprétation des résultats s’appuie sur cette modélisation.

Figure 3

Triade psychopédagogique

Triade psychopédagogique

-> Voir la liste des figures

5.1 Le premier axe

Le premier axe réunit les ensembles de comportements correspondant aux connaissances diagnostiques des enseignants. Les enseignants disent principalement être attentifs à la fois pendant l’observation et le contrôle constant du groupe classe. Il s’agit en partie de la vigilance cognitive décrite par Marzano et al. (2003) ou encore Kounin (1970). Centrale dans les discours des enseignants, la vigilance se manifeste au côté de deux autres ensembles de comportements : l’anticipation et l’action éclairée.

L’anticipation relève d’une autre partie de la vigilance cognitive qui est l’examen mental de ce qui pourrait arriver, et la manière dont ces problèmes potentiels peuvent être abordés (Marzano et al., 2003). Mentionnée dans le modèle néoskinnérien (Charles, 1997) – analyse du comportement des élèves, élaboration du plan de modification du comportement ou encore règlement-récompense-effet – l’anticipation est tournée vers la prévention et la modification des comportements inappropriés au moyen de règles établies. Plus largement, Doyle (1990) définit l'activité d’enseignement comme essentiellement cognitive, basée sur une connaissance de la trajectoire probable des événements survenant en classe et leur impact sur les situations d’apprentissage.

Appelée par l’anticipation, l’action éclairée – intervention dépendante des connaissances détenues sur les élèves – est aussi relevée dans les connaissances diagnostiques des enseignants et s’apparente à la pensée diagnostique (Redl et Wattenberg, 1959). Une majorité d’enseignants dit examiner les faits et les facteurs cachés (ce qu’ils connaissent a priori de l’élève, ses caractéristiques, sa motivation, etc.) avant d’intervenir dans la situation en cours. Cet ensemble de comportements semble aussi faire écho à ce que Hattie (2003) nomme les représentations profondes de l'enseignement et de l'apprentissage; combinaison de connaissances préalables et nouvelles sur la manière d’enseigner selon les objectifs et les besoins des élèves. Ainsi, les écrits de recherche donnent quelques indications concernant les connaissances diagnostiques.

Les modèles de Voss et al. (2011) – par l’intermédiaire de l’hétérogénéité des élèves – et de König et al. (2014) – au travers de l’évaluation – sont proches de cet axe de connaissances. Les connaissances sur les élèves sont nécessaires à l’enseignant pour l’émission efficace de rétroactions, elles-mêmes déterminantes pour l’apprentissage des élèves (Hattie, 2009). Nous pointons une relation particulière entre diagnostics et évaluations au sein des connaissances psychopédagogiques générales des enseignants. Hattie (2012) distingue, chez des enseignants experts, une capacité à observer les élèves et à comprendre leurs difficultés permettant de poser des hypothèses sur l’action et ainsi, agir de manière appropriée; il s’agit de régulations pédagogiques par l’intermédiaire de rétroactions efficaces (Hattie et Timperley, 2007). Néanmoins, et pour conclure sur ce premier axe, il nous faut noter la représentation faible de l’anticipation et de l’action éclairée au sein des discours des enseignants. Chacun de ces ensembles représente 5 % du discours (contre 20 % pour le troisième ensemble réunissant l’observation, l’analyse et le contrôle). Ce pourcentage pourrait alors s’expliquer par un faible sentiment de compétence chez les enseignants face à la gestion de l’hétérogénéité en classe dont font état diverses recherches (Bergeron, 2014; Horne et Timmons, 2009). Aussi, reprenant la relation particulière entre diagnostics et évaluations que nous évoquions ci-dessus, nous faisons l’hypothèse que ce faible sentiment de compétence explique l’absence explicite d’un axe d’évaluation des apprentissages au sein des connaissances psychopédagogiques générales rapportées dans les discours des enseignants interrogés dans notre étude. Appuyé par le prochain axe identifié, il semble que les enseignants se préoccupent davantage des stratégies engagées pour la transmission et l’appropriation des contenus par les élèves.

5.2 Le deuxième axe

En ce qui concerne le deuxième axe, celui des connaissances d’enseignement, il est majoritairement représenté par l’énumération de diverses stratégies pédagogiques. Nous retrouvons une partie des stratégies mentionnées au sein des méta-analyses de Hattie (2009) : faire appel à des stratégies d’enseignement variées, proposer des temps d’instruction directe, des temps de pratiques collectives ou encore des enseignements réciproques. Ces discours sont parfois empreints du soin à apporter aux aspects pédagogiques : valence – rendre l’activité agréable et stimulante – et diversité (Kounin, 1970).

Relevés à une fréquence moindre, le rythme et la structuration de la matière font aussi partie de l’axe de connaissances d’enseignement et font respectivement référence à la cadence (Kounin, 1970) et à la clarté des consignes et la formulation des objectifs (Hattie, 2009).

Enfin, malgré la plus faible récurrence notée au sein des discours, l’ensemble de comportements permettant de différencier l’apprentissage est mentionné par quinze enseignants. Cet ensemble n’est pas abordé en tant que tel dans les théories citées dans cet article. Les seuls éléments qui semblent s’orienter vers cette idée sont les suivantes : la vigilance cognitive (Marzano et al., 2003) et l’aide individuelle efficace (Jones, 1979). Or, les recherches empiriques n’ont pas encore pu prouver l’efficacité de la pédagogie différenciée (Jobin et Gauthier, 2008). L’efficience de l’enseignement individualisé est aussi nettement surévaluée (Hattie, 2009). Pourtant, face à des classes de plus en plus diversifiées et hétérogènes, la différenciation pédagogique semble un levier prometteur pour permettre l’apprentissage de chacun des élèves et la promotion de l’équité en classe (Prud’homme, Bergeron et Fortin, 2015). Ainsi, selon Prud’homme et al. (2015), un des freins pouvant expliquer le peu de différenciation et d’ajustement en classe est la formation même des enseignants. La formation permettrait d’éclairer ce type de pédagogie et d’apporter des outils appropriés à sa mise en oeuvre.

Tel que nous venons de le présenter, l’axe de connaissances d’enseignement s’oriente vers le modèle de König et al. (2014) avec la structuration et l’adaptabilité (ou méthodes d’enseignement de Voss et al., 2011). Une fois encore, la portée des stratégies pédagogiques (18 % du discours), face à la différenciation très faiblement mentionnée (3 %), peut s’expliquer par une plus grande concentration des enseignants sur la bonne transmission de leurs enseignements plutôt que sur la valorisation de l’unicité de chacun de leurs élèves (Prud’homme et al., 2015). Le troisième et dernier axe renforce davantage encore cette hypothèse.

5.3 Le troisième axe

Enfin, les connaissances de gestion des aspects sociaux et disciplinaires représentent le troisième axe de connaissances. L’intervention disciplinaire progressive y est largement exprimée par les enseignants qui font état des différentes étapes mises en place face à un comportement inapproprié en classe (voir Marzano et al., 2003). La présentation de ces comportements est assimilable aux quatre étapes d’intervention de Redl et Wattenberg (1959) – incitation à la maîtrise de soi, aide opportune, évaluation de la réalité et recours au principe plaisir/douleur –, avec une majorité des comportements associés à l’aide opportune. Ce type d’intervention, qui fait appel aux limites et règlement préalablement posés au sein de la classe, est aussi formulé dans le modèle néoskinnérien (Charles, 1997) par le biais des conséquences logiques ou de la stratégie règlement-récompense-effet. L’intervention (Marzano et al., 2003) ou l’aide opportune (Redl et Wattenberg, 1959) peut être combinée à d’autres comportements; c’est ce que présente l’ensemble de comportements d’empathie et de sécurisation de l’élève relevés dans ce même axe.

L’ensemble de comportements d’empathie et de sécurisation peut être illustré par le comportement suivant : comprendre le problème par la verbalisation. Ce comportement n’est pas seulement une intervention, il est très clairement associé à la confrontation en privé avec l’élève (Marzano et al., 2003) ou encore, à la considération des sentiments de l’élève (Redl et Wattenberg, 1959). Notons malgré tout que les interventions disciplinaires progressives (23 % des discours) priment largement sur l’empathie et la sécurisation (3 %).

Autre ensemble relevé dans ce troisième axe, celui permettant de favoriser la participation consciente, la motivation et la responsabilité des élèves qui fait référence à l’éveil de l’intérêt du groupe et à la responsabilisation encourageant la conscience des élèves lors de l’apprentissage (Kounin, 1970). Plus précisément, Hattie (2009) permet d’observer par quels moyens cette prise de conscience se fait : par la motivation, le questionnement, l’enseignement inductif ou encore la métacognition. Jurik, Gröschner et Seidel (2014) confirment d’ailleurs l’influence positive des questions à haut raisonnement et des rétroactions de l’enseignant sur l’apprentissage et la motivation des élèves.

L’axe de connaissances de gestion des aspects sociaux et disciplinaires inclut aussi les interventions confuses, absentes ou postposées. Ces interventions, ne représentant que 3 % des discours des enseignants, montrent une absence de vigilance et de chevauchements de la part des enseignants (Kounin, 1970), car sans contrôle immédiat de la situation. L’équipe de Marzano (2003) note d’ailleurs que les interventions non immédiates (-0,64) sont moins efficaces que les interventions directes (-0,91). Malgré la prédominance manifeste de ces dernières dans notre recueil de données, nous observons une cohabitation entre ces deux types d’interventions dans les discours des enseignants. Cette opposition pourrait marquer un ajustement de comportements des enseignants selon l’élève, l’apprentissage, la temporalité, etc. Toutefois, au vu des observations entreprises au sein des deux précédents axes, nous ne disposons que de très peu d’indices arguant une connaissance nette de chacun des élèves a priori et une différenciation de la part de l’enseignant.

Une partie de cet axe de connaissances se retrouve dans les modèles de Voss et al. (2011) ainsi que König et al. (2014) avec la gestion de classe impliquant la motivation et le soutien à l’apprentissage des élèves par diverses stratégies. Le contrôle constant du groupe classe et des mauvais comportements semblent ainsi primer sur la reconnaissance de la portée des liens tissés entre l’enseignant et chacun de ses élèves. Ces observations font écho à celles discutées au sein des deux premiers axes de connaissances. En plus de révéler un faible sentiment de compétence face à la gestion de l’hétérogénéité en classe (Bergeron, 2014; Horne et Timmons, 2009), nos résultats convergent vers une représentation transmissive et uniforme de l’enseignement par les enseignants eux-mêmes (Prud’homme et al., 2015).

5.4 La triade psychopédagogique

La triade psychopédagogique illustrée dans cette partie se veut dynamique (par l’intermédiaire des doubles flèches), car les trois axes de connaissances, identifiées comme efficaces par les chercheurs et présentes dans les discours des enseignants, s’influencent et se combinent pour former les connaissances psychopédagogiques générales. En somme, un enseignant vigilant engage une bonne cadence, favorise l’éveil de l’intérêt du groupe et la responsabilisation des élèves, tout en diversifiant les activités et leurs modalités, et inversement. Aussi, en réponse à notre question de recherche, les connaissances psychopédagogiques générales – rapportées par les enseignants du primaire du canton de Genève – modélisent les pratiques reconnues par les chercheurs comme efficaces en classe. Les pratiques rapportées coïncident certes avec celles issues des écrits de recherche, mais nos observations ne s’arrêtent pas là. Contrairement aux modèles de König et al. (2014) et Voss et al. (2011), les connaissances sur l’évaluation des apprentissages disparaissent au profit de connaissances diagnostiques – plus spécifiquement d’actions éclairées et d’anticipations – et de stratégies de différenciation qui en résultent. Par l’intermédiaire de ces discours identifiés, mais assez peu développés, nous pointons la complexité même d’enseigner dans des classes diversifiées et hétérogènes à l’heure actuelle en n’ayant recours exclusivement qu’à un enseignement de type transmissif et uniforme. Notre recherche montre en effet que les connaissances rapportées des enseignants de notre échantillon sont confinées. Bien qu’elles soient peu mobilisées dans cette contribution, nous savons pourtant que les connaissances diagnostiques sont indispensables au quotidien pour l’apprentissage des élèves (Hattie, 2009). Assurément, les enseignants possèdent un ensemble de connaissances psychopédagogiques qu’ils tiennent en partie de leur formation. Toutefois, au vu de la faiblesse de certaines connaissances, il semble que la formation des enseignants doive être remise en question. En se voulant dynamique, notre modèle postule un équilibre entre chacune des connaissances rencontrées, car, et nous le voyons au travers de notre discussion, dès lors qu’un ensemble de connaissances est lacunaire – ici les actions éclairées et les anticipations –, il en freine d’autres – les stratégies de différenciation. À moins que, et nous en rediscutons en conclusion, la faiblesse de certaines connaissances ne soit due à notre canevas d’entretien non approprié pour les diagnostics individuels.

Aussi, loin de prétendre à une refondation des pratiques d’enseignement qui ont déjà fait preuve de leur efficacité, il s’agit, au travers de notre recueil de données et des nouveaux défis pour l’École, d’élargir les connaissances psychopédagogiques générales des enseignants durant leur formation initiale et continue, dans le but d’enrichir les pratiques et de permettre davantage encore l’accomplissement et la réussite de chacun des élèves.

6. Conclusion

L’ambition de cet article est d’apporter des éléments bruts sur les connaissances psychopédagogiques générales des enseignants du primaire dans le canton de Genève. L’analyse de contenu thématique des entretiens engagés auprès de 23 enseignants du primaire permet un relevé des comportements rapportés par les enseignants eux-mêmes. L’apport des méta-analyses et des modèles de gestion de classe contribue à l’identification de 94 comportements rapportés par les enseignants qui convergent en 10 ensembles de comportements organisés en trois axes de connaissances psychopédagogiques générales : diagnostiquer, enseigner, et gérer les aspects sociaux et disciplinaires.

Après analyse et interprétation de nos résultats, nous formulons trois conclusions.

1) Nous remplaçons une partie des connaissances psychopédagogiques générales identifiées par les écrits de recherche; il s’agit des connaissances d’enseignement et de gestion des aspects sociaux et disciplinaires, axes communs aux études menées par Borko et Putnam (1996), Voss et al. (2011) et König et al. (2014).

2) Nous suppléons les connaissances sur l’évaluation des apprentissages – identifiées par Voss et al. (2011) et König et al. (2014) – par les connaissances diagnostiques. Celles-ci mettent en relief l’anticipation, les actions éclairées et l’observation des élèves par l’enseignant plutôt que les évaluations en situation basées sur des exercices ou épreuves. Deux éléments peuvent expliquer cette faible évocation de l’anticipation et des actions éclairées. Dans un premier temps, nous pouvons penser, que ces comportements ne sont pas entièrement adoptés par les enseignants, contrairement aux comportements décrits au sein des connaissances d’enseignement et de gestion des aspects sociaux et disciplinaires. Ainsi ces lacunes peuvent être attribuées à la formation des enseignants qui s’en remet aux maigres soutiens empiriques sur les connaissances diagnostiques et la différenciation pédagogique. Cependant, nous pouvons aussi attribuer ces résultats à la méthode de recherche engagée. En effet, notre canevas d’entretien se focalise sur trois dimensions : la gestion de classe, les méthodes d’enseignement et l’évaluation. D’après le cadre théorique que nous portons, nous envisagions que des comportements anticipatoires ou diagnostics soient transversaux aux premières (structuration des leçons, processus d’apprentissage et caractéristiques individuelles des élèves). Ainsi, au regard de la faible émergence de connaissances diagnostiques dans notre recueil de données, nous pouvons supposer que notre outil, tout comme le test construit par Voss et al. (2011), n’est pas approprié pour observer très précisément les diagnostics individuels.

3) Enfin, nous élaborons un modèle des connaissances psychopédagogiques générales sous la forme d’une triade psychopédagogique dynamique illustrant l’interrelation des trois axes de connaissances. Contrairement aux précédents modèles qui isolent chacune des connaissances, nous conjecturons l’interactivité des connaissances entre elles : les connaissances diagnostiques permettent d’appuyer les connaissances d’enseignement, qui alimentent à leur tour les connaissances de gestion des aspects sociaux et disciplinaires, qui refaçonnent les connaissances diagnostiques et ainsi de suite. Pour cette modélisation, on considère les connaissances psychopédagogiques générales comme un tout, un ensemble de comportements à nourrir et à interroger sans cesse. Cette modélisation est donc une photographie à un temps T, susceptible de se transformer au fil du temps et des besoins soulevés.

Comme toute recherche, la nôtre a ses limites. Tout d’abord, l’effacement des connaissances sur l’évaluation des apprentissages peut s’expliquer par une présence peu marquée de questions à ce sujet dans notre canevas. Le scénario que nous présentons dans un premier temps touche plus spécifiquement la gestion de classe qui potentiellement oriente en ce sens la suite de l’entretien. Un scénario différent aurait peut-être pu offrir une analyse et des observations différentes. Ensuite, notre recherche repose sur des discours rapportés d’enseignants avec les biais que cela comporte (impossibilité de vérifier si le dire correspond au faire). Laflotte (2016) fait état du lien entre connaissances psychopédagogiques générales des enseignants et interactions en classe. Plus précisément, explorant l’ensemble du projet de recherche dans lequel s’inscrit cette contribution (décrit dans la partie méthodologie), Laflotte (2017) se questionne sur la convergence des connaissances vers la psychopédagogie et les élèves pour enseigner. Ses résultats tendent à montrer que ces connaissances ne permettent de saisir qu’une faible partie des interactions en classe, ce qui l’autorise à postuler, entre autres, à un feeling situationnel de la part des enseignants. Ces éléments nous amènent à la discussion d’un autre point : celui du contexte de réalisation des entretiens. En effet, le projet de recherche pris dans sa globalité pourrait avoir un impact sur les discours des enseignants et ainsi la généralisation et la représentativité des résultats apportés par cette contribution. Enfin, du fait d’un nombre de participants restreint, le modèle que nous présentons ne peut être validé statistiquement. Malgré une présence légèrement plus élevée de l’axe de connaissances de gestion des aspects sociaux et disciplinaires dans le discours des enseignants – 40 % contre 30 % pour les deux autres axes – il semble que les trois axes soient pris en compte de manière égale par les enseignants. Ces observations posent ainsi d’autres questions : Tous les enseignants correspondent-ils à ce schéma d’égalité? Existe-t-il des profils d’enseignants? Ces profils dépendent-ils de facteurs spécifiques (enseigner à des petits degrés, à des classes comprenant une majorité de garçons, etc.)? En écho à ces questionnements, relevons enfin une remarque concernant l’encodage de nos données. Dans notre étude, nous procédons à un relevé des différents comportements et utilisons la fréquence à laquelle elles sont énoncées par les enseignants. Cet encodage n’établit donc pas de distinctions entre un comportement identifié comme très efficace dans les écrits scientifiques (par exemple, structurer la matière) et un comportement qui semble moins efficace (différencier les apprentissages). Ce traitement des données suit celui qui est, dans la majorité des cas, engagé dans les recherches. Les instruments construits pour identifier les connaissances des enseignants dépassent rarement le cap du comptage des thématiques avancées par ces derniers. En conséquence, une des prochaines pistes de recherche est la construction d’un outil de mesure des connaissances en procédant à une pondération des arguments des enseignants en fonction de leur efficacité. Le recours aux résultats des méta-analyses permettrait ainsi d’attribuer un score d’efficacité à chaque thématique rapportée par les enseignants. Enfin, nous pensons que cet outil nous permettra de valider notre triade psychopédagogique. Cette validation nous semble essentielle pour pouvoir ensuite engager des comparaisons cantonales voire internationales, et enfin repenser les modules de formation des enseignants si les résultats tendent à le recommander. Ces perspectives constituent ainsi nos prochains travaux.