Corps de l’article

1. Introduction

Le travail des animateurs et des animatrices au sein des établissements pour personnes âgées[1] est peu connu et documenté. D’abord parce que les travaux portant sur ces institutions, de manière générale, sont fort rares. C’est ce que note, pour le cas de la Suisse, Cavalli (2012), et ce, même si la thématique des établissements pour personnes âgées ou souffrant de démence connaît un renouveau d’intérêt depuis quelques années dans la littérature francophone[2]. Ensuite, parce qu’au sein même de ces établissements, les animateurs et animatrices sont peu présents, représentant entre 1,4 % du personnel dans les établissements en France[3] et 8 % dans le canton de Vaud (en Suisse) — même si les politiques publiques semblent viser une augmentation de cette proportion. Dès lors, même les travaux portant sur ces établissements abordent peu la question du travail d’animation. Enfin, parce que si l’on regarde du côté de la littérature sur l’animation de manière plus générale, cette profession est elle-même l’objet de peu de travaux : profession récente, l’animation souffre, comme le notent Jérôme Camus et Francis Lebon (2015 : 9), ainsi que Gérard Mauger (2015 : 159), d’une indignité sociale et scientifique qui semble condamner toute initiative d’enquête, d’analyse et de publication. Ce statut au sein de la hiérarchie des métiers se double d’un second obstacle, interne à la profession. Pratiquer l’animation avec des jeunes ou avec des personnes âgées dépendantes n’est en effet pas équivalent. Toutes les histoires de la profession ne cessent de rappeler ses liens avec l’éducation populaire, le militantisme, et inscrivent l’animation d’abord dans le travail à destination de la jeunesse et des classes populaires. Les personnes âgées comme public possible n’apparaissent que fort tard (Heller, 1994). D’ailleurs, dans leur ouvrage, Jérôme Camus et Francis Lebon (2015) n’y consacrent aucun chapitre. Il faut aller voir du côté des praticien-ne-s pour trouver quelque littérature sur le sujet (par exemple : Hervy et Vercauteren, 2011 ; Hartweg et Zehnder, 2010), une littérature cependant marquée par son aspect normatif, puisqu’elle vise d’abord à inspirer ou à réformer les pratiques professionnelles.

En même temps, l’animation en institution connaît un regain d’intérêt (et un soutien accru) tant de la part des pouvoirs publics que des institutions elles-mêmes ; elle semble en effet être une des activités à valoriser au sein des établissements afin d’en faire des « lieux de vie » davantage que des « lieux de soins ». Les maisons de retraite médicalisées, qu’elles s’appellent Établissements médicaux sociaux (ou EMS selon la terminologie en vigueur en Suisse romande) ou Centre d’hébergement et de soins de longue durée (ou CHSLD selon la terminologie québécoise)[4], représentent aujourd’hui encore pour beaucoup « la vie collective imposée, les contraintes d’organisation opposées aux désirs et aux choix de vie personnels, une capacité de réponse "totale" aux besoins des résidents, menaçant leur autodétermination » (Schnegg, 2010 : 19)[5]. Elles bénéficient, depuis les années 1980, de nombreuses initiatives devant permettre leur « détotalisation » ou leur « humanisation » (Mallon, 2004). Des structures comme la Coordination interservices de visite en établissements sanitaires et sociaux (CIVESS) dans le canton de Vaud ou les « visites d’évaluation de la qualité » réalisées par le ministère de la Santé et Services sociaux au Québec ont été instituées, visant à prescrire de meilleures pratiques dans les établissements. De nouvelles formes de professionnalisation ou des offres de formations spécifiques ont été mises en place (Rimbert, 2011). Ces évolutions sont accompagnées de la promotion de l’animation, ainsi que de la volonté de transformer ses formes habituelles — avec le passage d’une animation occupationnelle à des animations toujours plus personnalisées ou individualisées, valorisant l’autonomie, le partenariat ou encore le projet de vie du ou de la résidente, sur fond de rapports qui seraient négociés entre professionnel-le-s et personnes âgées.

À partir d’une enquête menée au sein de deux établissements en Suisse romande (partie francophone), cet article interroge la place qu’occupent aujourd’hui les personnes chargées de l’animation dans ces dynamiques de valorisation de formes d’accompagnement plus à même de réduire la dimension non seulement « totalitaire », mais également très « médicale » de la prise en charge des résident-e-s. Quelle place occupent-elles dans ces établissements et de quelles ressources ou marge de manoeuvre bénéficient-elles pour les « animer » et pour en faire des « lieux de vie » ? De quels moyens ces responsables de l’animation disposent-ils pour désuniformiser les types d’accompagnements, étant chargés de développer des « projets de vie individuels » ou « personnalisés » pour chaque résident-e ? Parce que l’animation (ou les équipes d’animation) n’existe pas in abstracto, mais est prise dans un système d’action, il convient de réfléchir à celle-ci au regard du système d’action dans lequel elle prend place. Il s’agit de décrire l’animation, ce qu’elle peut être ou ce qu’elle peut faire, au travers d’une lecture organisationnelle. Il convient ainsi de ne pas donner de définition a priori de l’animation, de discuter uniquement de ce que font ou devraient faire les animateurs et les animatrices, mais au contraire d’étudier comment les établissements et les personnes responsables de celle-ci donnent corps ou place à l’animation.

Les EMS sont en effet des lieux où différents professionnel-le-s — personnel des soins, de l’animation, de l’hôtellerie, de l’administration et de la technique — oeuvrent tous à l’intérêt général, mais voient surtout à l’intérêt des personnes âgées, chapeautant leur propre activité. Ces lieux sont simultanément des hôpitaux, des hôtels et le chez-soi des résident-e-s. Ils sont « à la fois un espace marchand qui vend ses services, un espace qui organise des pratiques professionnelles sur un mode industriel, un espace domestique (car il est la "demeure" des résidents), un espace civique (car il est une solution collective dans la "prise en charge sociale des personnes âgées" » (Loffeier, 2015 : 33). Il s’agit dès lors, dans une perspective organisationnelle [Friedberg, 1993 ; March et Simon, 1999 (1958)], d’étudier l’animation comme le résultat toujours provisoire de luttes, en particulier entre les différents corps professionnels (dont celui des animateurs et animatrices) autour d’enjeux divers dont la « qualité de l’accompagnement », aspect essentiel, bien que n’étant pas unique. Si comme le dit encore Champvert (2001 : 140), l’animation en EMS consiste à « écouter les personnes âgées, respecter leur citoyenneté, leur liberté, leur personnalité, leur désir, multiplier les occasions de goûter aux plaisirs de l’existence, leur redonner confiance en eux-mêmes, en faire des acteurs de leur propre vie, […] », elle nécessite, de la part des équipes d’animation, non seulement des compétences nombreuses, diverses et parfois contradictoires, mais surtout, pour pouvoir être pleinement réalisable et réalisée, un système d’action dans lequel le « projet de vie » n’est pas moins considéré que le « projet de soin » (Hartweg et Zehnder, 2003 : 25). Cette perspective organisationnelle a ainsi un grand intérêt : nous obliger à concevoir l’animation produite dans une institution comme le produit d’un système d’action et non pas comme le seul résultat des cultures professionnelles de celles et ceux qui les produisent.

Cet article questionne ainsi la place occupée et octroyée à l’animation aujourd’hui dans les établissements pour personnes âgées, en mettant au jour les zones d’incertitude (ou de pouvoir) qui contraignent ce que peut être et ce que peut faire l’animation. Nous verrons, après une présentation du matériau sur lequel repose cette recherche, trois dimensions qui informent la place de l’animation aujourd’hui, à savoir : les temps de sa pratique, c’est-à-dire la cadre temporel dans lequel ces activités se déroulent ; l’espace de sa pratique, avec un enjeu autour des espaces réservés et interdits à l’animation ; les territoires professionnels légitimes pour l’animation.

2. Matériau et méthode

Cette recherche repose sur une étude qualitative de deux cas. Deux établissements médico-sociaux du Canton de Vaud, en Suisse, ont en effet été investigués. Ils accueillent un public âgé concerné tant par des atteintes physiques que psychiques ou cognitives[6]. Ce sont des établissements privés reconnus d’utilité publique et conventionnés, comme la plupart des institutions gérontologiques en Suisse. Les deux établissements étudiés sont de taille similaire : 86 résident-e-s pour l’un, 100 pour l’autre. S’inspirant des travaux de Friedberg (1988 : 119-122, en particulier), les entretiens semi-directifs ont porté sur les aspects suivants :

  • La manière dont les acteurs décrivent et jugent leur travail et leurs différentes tâches ;

  • Les contraintes avec lesquelles ils doivent composer (difficultés et solutions pour y faire face) ;

  • Les relations avec leurs collègues d’autres métiers (les plus importantes, conflictuelles, difficiles, intéressantes) ;

  • Leurs visions de la qualité de vie en EMS (buts visés par le travail, perceptions de l’utilité ou l’efficacité de ce qu’ils font, possibilités d’améliorer l’ensemble de l’organisation).

Il s’agissait ainsi de comprendre comment le système fonctionne, mais également pourquoi il fonctionne ainsi. En interrogeant les acteurs sur leurs pratiques et en multipliant les points de vue sur de mêmes situations, nous avons pu ensuite en découvrir les justifications, c’est-à-dire les rationalités limitées sous-jacentes [March et Simon, 1999 1958)] des un-e-s et des autres.

Quarante-cinq entretiens semi-directifs ont été conduits avec les professionnel-le-s travaillant dans ces institutions au printemps 2015, tous secteurs et niveaux hiérarchiques confondus :

  • Secteur de la direction : 2 directeurs ;

    1 responsable des ressources humaines ;

    1 responsable administratif ;

  • Secteur des soins : 1 infirmier-chef ;

    1 infirmière-cheffe adjointe ; 1 infirmier-chef d’unité de soin ;

    3 infirmier/ère-s diplômé-e-s ; 3 infirmières-assistantes ;

    2 assistantes en soins et santé communautaire ;

    7 aides-infirmières ; 1 apprenti aide en soins et accompagnement ;

  • Secteur de l’animation : 2 responsables de service ;

    1 responsable adjointe ; 3 assistantes socioéducatives ;

    1 art-thérapeute ; 3 aides-animatrices ; 1 apprentie ;

  • Secteur hôtelier : 2 chefs de cuisine ; 2 responsables de l’intendance ; 3 employées d’hôtellerie (service et nettoyage) ;

    1 employée de cafétéria ; 1 responsable de salle à manger ;

  • Secteur technique : 1 responsable et 1 employé.

L’échantillon n’a pas été constitué en proportion des équivalents plein temps par métier, mais avec le souci d’assurer un minimum de points de vue pour chaque secteur. Nous avons en outre fait en sorte de rencontrer des individus appartenant aux différents niveaux hiérarchiques. De ce fait, il y a une surreprésentation des secteurs les plus petits (secteurs technique, de la direction et de l’animation) et une sous-représentation du secteur des soins, le personnel de ce dernier secteur constituant néanmoins un quart de notre échantillon[7]. Le nombre global des entretiens n’a par ailleurs pas été déterminé à l’avance mais a résulté de l’atteinte, dans la durée, d’un sentiment de saturation des données (Olivier de Sardan, 1995). Les entretiens, d’une durée de 60 à 120 minutes chacun, ont été enregistrés et transcrits intégralement.

L’analyse a ensuite été effectuée sur la base d’une méthode comparative constante d’analyse des données, telle que décrite par Yvonna Lincoln et Egon Guba (1985). Les données ont été codées et des catégories élaborées et comparées afin de rechercher des similitudes et des différences dans les opinions des professionnel-le-s. L’idée était ainsi de faire émerger de façon inductive des catégories, puis, à travers une « cartographie et triage de matériel » selon les catégories-clés (Ritchie et Spencer, 1994), de constituer un cadre d’analyse systématique du matériau.

On notera enfin que les deux EMS étudiés ont été choisis pour leur relatif anonymat. Ils ne sont pas connus pour leur expérimentation en termes d’animation quand d’autres EMS testent l’intégration de robots interactifs ou la méthode Montessori ; leurs animateurs et animatrices ne sont pas membres de commissions interétablissements comme le Groupe de travail « Accompagnement socioculturel » de l’Association vaudoise des EMS (Avdems). Ils sont deux EMS parmi les 150 que compte le canton. Nous avons fait le choix de fusionner ces deux EMS dans l’analyse, afin que les situations singulières ne viennent pas masquer des dynamiques générales qui nous intéressent plus particulièrement ici. Cela permet en outre de garantir l’anonymat des personnes interrogées. En même temps, des spécificités pourront être indiquées ici ou là, lorsque cela est pertinent.

3. Un territoire temporel structuré et contraint

Les journées des animateurs et des animatrices sont, pour une part, standardisées. Elles commencent à 8h30 et se terminent à 17h15. Dans les deux EMS, sauf exception et quand bien même ce sujet est toujours débattu (nous y reviendrons), les animateurs et animatrices ne travaillent ni le soir ni le week-end. Qu’ils et elles aident ou non au service des petits-déjeuners, cela débute par la mise en place du matin, la préparation des animations et activités du jour. Animateurs et animatrices passent dans les unités pour lesquelles ils et elles sont référents afin d’afficher le programme du jour, ou de le rappeler aux résident-e-s. De 9h30 à 9h45 a lieu une courte réunion d’équipe, puis la pause entre 9h45 et 10h05. C’est ensuite que se déroulent les animations du matin, en salle d’animation (au rez-de-chaussée) ou dans les unités (c’est-à-dire sur les étages), jusqu'à 11h30 ou 11h45, moment où le personnel des soins doit conduire les résident-e-s en salle à manger pour le repas de midi. L’équipe retourne alors à son bureau afin d’effectuer les « prises en charge », c’est-à-dire saisir, dans une base de données informatique unique à l’ensemble des services, les informations nécessaires pour renseigner la participation des résident-e-s aux animations. Après leur pause de midi (entre 12h30 et 13h15), et parce qu’à cette heure beaucoup des résident-e-s font encore la sieste, les professionnel-le-s peuvent soit faire de l’animation individualisée, soit préparer celles de l’après-midi. Ils et elles sont de retour dans les unités ou dans la salle d’animation vers 14h15-14h30, pour des animations dont la durée peut varier en fonction des résident-e-s et selon les efforts que celles-ci peuvent requérir de leur part. En fin de journée, vers 16h45, ils et elles gardent un dernier temps pour le rangement ou le nettoyage, important lorsqu’ont été proposées par exemple des pâtisseries ou des ateliers créatifs, de même qu’un temps pour introduire les informations sur ce qui a été fait l’après-midi dans la base de données informatique.

Différents types d’activités et d’accompagnements sont distingués. Il y a des « animations de maison » ou « grandes animations », comme le chant, les concerts, la gymnastique, les danses assises, ou les services religieux, pensées pour l’ensemble des résident-e-s. Deux animateurs ou animatrices sont en général présentes pour ces activités, l’une pour la réaliser, l’autre pour aider, sécuriser les résident-e-s, faire les liens avec les soins si nécessaire. Le personnel qui ne participe pas à ces « grandes animations » (ou en l’absence de celle-ci) reste dans les unités, pour des « animations d’unité » ou « d’étage ». Il s’agit par exemple d’une « revue de presse », d’un « réveille-mémoire »[8], d’un « atelier créatif ». Comme l’explique une assistante socioéducative, cela dépend de ce que les professionnel-le-s aiment faire, même si les activités proposées doivent viser « les attentes et les besoins des résidents, ce qu’ils faisaient avant ». D’autres enfin peuvent proposer un troisième type d’animations dites « individuelles » ou « relations individuelles ». Plus proches de l’accompagnement social, celles-ci ne sont pas toujours construites autour d’une activité particulière, comme l’explique encore une assistante socioéducative : « On passe de résident en résident. Ça peut être juste de l’écoute, de la présence, une discussion, ou alors déboucher sur une promenade au jardin ou sur faire une beauté des mains. » Ce type d’animation peut aussi comprendre le fait d’accompagner un ou une résidente qui le désire aller faire un achat, ou dans un restaurant ou un lieu qui lui est cher.

Intercalées entre les soins et les repas, ces trois types d’animation ne peuvent être considérés de manière autonome ; au contraire, les animations se situent entre les autres activités menées par ailleurs dans l’établissement. Dès lors, si dire que les animations commencent lorsque les petits-déjeuners et que les soins du matin sont terminés, et qu’elles s’achèvent au moment du repas de midi, comme elles recommencent l’après-midi après la sieste pour se terminer avec l’heure du repas, n’est a priori pas à proprement étonnant ; en même temps, cela montre comment les territoires temporels sont cloisonnés. Dans les EMS étudiés, le temps des repas et des soins est strictement délimité : les petits-déjeuners ont lieu entre 8h et 9h30, le repas de midi entre midi et 13h, et le repas du soir entre 17h45 et 18h30, les soins du matin sont terminés pour l’ensemble des résident-e-s à 10h45, le reste de la journée pour ce secteur étant scandé par la « préparation » des résident-e-s, que ce soit avant le repas de midi ou du soir, pour la sieste ou après la sieste, et enfin en vue du coucher. Ainsi, si aujourd’hui il est souvent considéré que la maltraitance est le résultat de « petites négligences quotidiennes » : « faire des toilettes trop rapides, ne pas répondre aux appels des personnes, servir des repas trop tôt, ne pas respecter les rythmes de chacun pour le lever et le coucher » (Lechevalier Hurard, 2013), l’on voit combien un rythme institutionnel, proche du registre industriel (Rimbert, 2011 :103), s’impose encore aujourd’hui aux résident-e-s de ces établissements. Ils et elles n’ont, par exemple, ni le choix de l’heure de leurs repas ni celui de l’heure de leur toilette. Comme l’explique une aide-infirmière :

« Il y a des résidents qui veulent se reposer [le matin], d’autres pas. Mais quand même, nous on a des horaires stricts. Entre 8h et 10h45, c’est la toilette et le petit-déjeuner. »

Ce rythme contraint également l’animation : elle ne les coupe pas, mais s’insère au sein de territoires temporels clairement définis, entre les soins et les repas.

D’ailleurs, ces horaires ne sont pas le seul fait d’une observation par nous-mêmes, d’une moyenne de comportements observés, mais au contraire sont connus de toutes et tous dans l’institution, et s’imposent à chacun-e. Ainsi, les récits, par les différent-e-s employé-e-s, du déroulement de leur travail, laissent tous apparaître combien leur activité est rythmée par des repères temporels très précis, qui peuvent être propres à leur secteur (comme les réunions d’équipe) et qu’ils ont pu pour une part décider, mais qui sont le plus souvent le fait des autres services (les heures des repas par exemple, le temps des soins, les réunions d’équipe dans les autres services). Comme l’explique une assistante socioéducative :

« On aimerait bien plus d’aide pour amener et raccompagner les résidents aux grosses animations. Il y en a, dans les soins, qui le font très volontiers. Pour d’autres, c’est plus difficile. Le problème, c’est que venir chercher les résidents, c’est pas forcément possible, s’ils ont une réunion d’équipe ou doivent coucher des résidents. Ils ont des plannings à tenir. Il y a aussi les repas. Par exemple, à 11h30, certaines aides-soignantes, même si l'animation n’est pas finie, elles viennent les chercher pour le repas. »

Cet extrait d’entretien montre bien comment il est impossible d’échapper au rythme temporel de l’institution, imposé ici par les secteurs des soins et de l’hôtellerie. Bien sûr, cette mise en lien des différentes activités des secteurs est sans doute pour une part trompeuse. Elle n’est qu’un planning et ne montre pas tout le travail d’accompagnement qui peut être fait à l’occasion de l’ensemble de ces gestes, y compris par les soignant-e-s, ni comment ils sont réalisés. Il montre cependant le cantonnement temporel de l’animation et surtout la hiérarchie entre les impondérables des secteurs. À en croire l’ensemble des propos, c’est en effet l’organisation du travail du secteur des soins et de l’hôtellerie qui structure le temps institutionnel.

Un autre domaine de tensions, celui de la possible modification des jours de présence des équipes d’animation, montre comment cette dernière est soumise à des logiques imposées par les autres secteurs. La question débattue est celle de la pertinence de proposer, de temps en temps, des animations le week-end et, si la réponse est positive, de quels types. En creux, cela interroge également la place ou le rôle des familles, dont les visites avaient traditionnellement lieu les week-ends. Un consensus semble néanmoins présent dans ces discussions, comme le résume par exemple une aide-infirmière :

« On nous dit que c’est un lieu de vie, mais un lieu de vie du lundi au vendredi... »

La présence étendue des soignant-e-s est également souvent brandie comme un gage de professionnalisme, opposé à celui des équipes d’animation, comme dans le discours d’une infirmière-assistante :

« Nous [les soins], on travaille vingt-quatre heures sur vingt-quatre. On se sent impliqué dans tout et il faut que ça passe tout par nous. Alors, c’est vrai que des fois, on dirait que si nous, on n’est pas là, il n’y a rien qui se passe. S’il manque des personnes en animation, il n’y aura « juste » pas d'animation. Mais, si nous, on n'est pas là, les résidents ne sont juste pas lavés. »

D’une manière plus générale, les réponses proposées à la question de la présence des animateurs et animatrices sept jours sur sept nous renseignent plus sur les besoins et les perspectives des différents secteurs que sur ceux des résident-e-s. Le directeur de l’un des établissements convient d’ailleurs qu’il ne sait trop s’il s’agit d’une demande des résident-e-s ou des soignant-e-s :

« C’est subjectif, ce sont des impressions. Mais, c’est en discutant un peu avec les résidents, ils ont exprimé ça au service des soins, le service des soins est monté vers moi, ça fait cinq ou six ans que ça remonte de temps en temps. Alors, est-ce que la présence de l’animation le week-end est une demande objective des résidents ou est-ce que c'est un souci de justice du personnel soignant pour aussi avoir des animateurs durant le week-end ? Je n’en sais rien. Probablement, c'est assez judicieux quand même, me semble-t-il, mais ça peut prendre différentes formes. »

S’agit-il, à l’origine, d’un souhait de la direction, de l’animation, des soins ou des résident-e-s ? S’il est difficile de l’établir clairement, ce débat, tel qu’il apparaît dans les entretiens que nous avons conduits, montre néanmoins que la pertinence de proposer des animations durant le week-end est moins questionnée en lien avec des demandes des résident-e-s, ou avec une position claire du rôle et des formes de l’animation dans l’institution, qu’elle semble reposer sur des équilibres interprofessionnels et la possibilité de décharger, pour une part, les soignant-e-s le week-end.

4. Les territoires spatiaux de l’animation

Si l’animation est contrainte par les horaires des autres services, elle l’est également par l’architecture des lieux et la répartition des espaces entre les secteurs. Les EMS étudiés ont été construits il y a plusieurs décennies et leur architecture renvoie à une conception particulière de l’animation, où celle-ci a son lieu propre (qui est la salle d’animation, éloignée physiquement des « étages ») et qui est collective, prévue pour de grands groupes. L’animation a pourtant depuis lors changé. Passant, jusque dans les années 60, d’une perspective où l’aide des résident-e-s pouvait être sollicitée pour différents travaux liés à la vie collective, suivie, dans les années 70 à 90 d’une animation tournée vers les « spectacles » et l’animation de grands groupes, elle connaît depuis les années 90 une transformation avec le développement d’animations individualisées ou personnalisées, faisant (dans l’idéal) des résident-e-s des acteurs de l’offre qui leur est proposée et dont les objectifs sont plus vastes qu’uniquement « occupationnels ». Parallèlement, le public a changé, à en croire tant les quelques statistiques existantes (SCRIS, 2007)[9] que les propos des professionnelles et des professionnels rencontrés. Plus fragilisés qu’il y a 20 ans, les déplacements des résident-e-s en salle d’animation semblent aujourd’hui plus compliqués, parce que nécessitant davantage d’assistance. Alors que faire venir les résident-e-s jusqu’en salle d’animation apparaissait il y a encore peu comme étant salutaire, obligeant les résident-e-s à faire quelques pas, à se déplacer, cette localisation de l’animation semble aujourd’hui, à l’inverse, être une entrave à l’accès aux animations. Cette logique s’ajoute au développement des animations en petits groupes ou individuelles. Aujourd’hui, ainsi, chaque étage possède un animateur ou une animatrice référente, dont le rôle est d’être en contact plus serré avec les soignant-e-s de l’étage, d’augmenter la visibilité du travail d’animation auprès des soignant-e-s, mais également d’assurer un meilleur suivi des résident-e-s, de toucher celles et ceux qui ne descendaient pas et de proposer des animations en groupes plus restreints. Comme des animateurs le disent : il s’agit d’atteindre les « oubliés de l’animation », notamment les résident-e-s atteint-e-s dans leur santé psychique, présentant des troubles de démence.

L’ensemble des entretiens conduits avec le personnel d’animation indiquent que le fait de s’approprier ces espaces, y avoir sa place, n’est pas donné d’avance. La mise en place d’activités dans les étages, dans les unités, est dès lors valorisée dans les équipes d’animation, mais connaît aussi des résistances de la part des autres professions, comme l’indiquent nombre d’animateurs et d’animatrices dans les deux institutions, telle cette aide-animatrice :

« On a dû s’imposer dans les unités pour faire un peu des ateliers. Par exemple, la première fois, ils nous ont vu faire des projections là, comme c'était leur lieu, ils sont arrivés avec des chariots, tin, tin, tin, en train de gueuler : "Oui, et puis, madame", ouah, ouah, ouah. Ou bien ça pouvait être l’aspirateur… On a dû s’expliquer, dire que c’est aussi un lieu d’animation. On a mis peut-être trois ans à ce qu'ils commencent à respecter ce lieu quand il est occupé par l’animation. »

Cette question de la répartition des territoires spatiaux semble ainsi structurante dans l’activité des différent-e-s professionnel-le-s. Elle montre comment chaque profession garde son territoire, également au sens physique du terme. Cela se retrouve également dans les problématiques associées aux espaces qui n’appartiennent à personne. Une animatrice auxiliaire parle ainsi de no man’s land dans son institution :

« Il y a des endroits dans la maison où on se sent dans des no man’s land. Il y a un endroit dans la maison que je voulais occuper pour des animations et puis je demande à ma responsable : "Je ne peux pas faire quelque chose ? Qui est-ce qui s’occupe de cet endroit ?" Et rien ne s’est fait. C’est comme si ce n’est ni à la gouvernante générale ni aux soins, ce n'est ni à l'animation ni au technique, c'est un endroit comme ça, personne ne peut y toucher. »

Ce contre-exemple d’un territoire sans propriétaire indique à quel point il est important, pour les groupes professionnels, de bénéficier d’un monopole sur un lieu, afin de pouvoir y imposer sa logique propre. L’on observe ainsi que les territoires professionnels renvoient non seulement à un ensemble de pratiques propres à chaque métier (ou à des « juridictions » pour reprendre la terminologie d’Abbott [1988]), mais qu’ils s’illustrent et se vivent autant, pour les acteurs, dans des territoires physiques et concrets. C’est que cette territorialisation physique n’est pas sans incidence sur le travail des différent-e-s professionnel-le-s, notamment en raison de la circulation des résident-e-s entre ces espaces. Le fait que les résident-e-s descendent (ou soient conduit-e-s) en salle d’animation libère les étages de leur présence et donc décharge le personnel des soins de leur accompagnement (par exemple, les amener aux toilettes ou leur servir une collation), comme le relève la responsable d’un service d’animation :

« Il y a une collaboration, mais elle n’est pas toujours bien perçue. Dès le moment où on va chercher les résidents, les soins sont super contents, ils nous aident tous, parce que souvent cela les soulage. C’est bête à dire, mais cela sort les résidents des unités et ils se disent "On n’aura plus madame untel qui va hurler toute l’après-midi". Mais quand on doit les ramener, il n’y a plus personne qui nous aide, parce que ce n’est jamais le bon moment, et parce qu’on doit aussi ramener les personnes qui hurlent sur leur unité. »

Les tensions territoriales qui s’expriment ici sont du même ordre que celles relevant de l’organisation du temps, que nous avons mentionnée supra à propos de la présence des équipes d’animation durant les week-ends. Sur ce point, une responsable d’animation note en effet que si une telle discussion bloque — au-delà de la réorganisation des horaires de travail de son équipe, puisque cela impliquerait que des animateurs et les animatrices travaillent désormais le week-end —, c’est aussi que les formes que devraient prendre de telles animations sont l’objet de controverses ; l’équipe d’animation promeut des suivis personnalisés, soucieux de l’individualité et de l’histoire de vie propre des résident-e-s, alors que le personnel soignant demande avant tout des animations de groupes, qui sortent les résident-e-s des unités : « Les soins aiment bien les animations maison ; c’est ce qu’ils nous demandent sur le week-end », relève la responsable.

5. Un territoire professionnel peu protégé

Les entretiens montrent ainsi la difficulté pour les animateurs et les animatrices d’imposer leur propre conception de ce qu’ils font, du sens de leur activité, en particulier auprès des professions soignantes. La conception médicale des résident-e-s, celle qui les perçoit avant tout en termes de troubles et de déficiences, l’emporte le plus souvent. Cela se matérialise notamment par la participation des secteurs des soins et de l’animation à leurs réunions quotidiennes réciproques. Un infirmier chef d’unité explique ainsi que, deux ou trois fois par semaine, la responsable d’animation participe à la réunion quotidienne des cadres infirmiers et infirmières :

« On peut lui dire les choses : "Voilà, il faudrait peut-être venir voir ce monsieur. Il a besoin de quand même plus de présence, il a besoin de plus de promenades dans le jardin ou à l'extérieur". On fait une courroie de transmission aussi par rapport aux désirs des résidents. »

La responsable, dans ce cas, est invitée par l’équipe soignante à quelques-unes de leurs séances ; à l’inverse, nos entretiens montrent que les soignant-e-s ne participent jamais à celles de l’animation. Implicitement, cela semble signifier qu’il existe un intérêt pour les animateurs et animatrices de connaître les problématiques médicales des résident-e-s, d’entendre les professionnel-le-s des soins expliciter leurs pratiques, qui ne se double pas d’un intérêt perçu par les soignant-e-s d’assister aux réunions de l’équipe d’animation, de les entendre expliciter leurs pratiques, leurs projets d’animation, la manière dont ils et elles déterminent vers qui une animation individualisée sera proposée. Domine même l’idée que les soignant-e-s sont les plus à même de savoir quel résident ou quelle résidente a besoin de quel type d’animation.

Deux tâches en particulier, selon nos observations, permettent d’étudier les enjeux caractérisant les relations entre les secteurs des soins et de l’animation : l’aide au repas (tâche traditionnellement attribuée aux soins) et la présence de l’équipe d’animation le week-end. Or, les négociations entre les acteurs de ces deux secteurs ne sont pas sans risque sur la spécification et la légitimation de l’activité d’animation. Dans l’un des deux EMS étudiés, le fait de se voir attribuer des tâches traditionnellement réservées aux soins pose problème à la responsable de l’animation[10]. Quand bien même l’équipe d’animation peut être sollicitée par les soins pour donner de l’aide dans une unité, pour donner à manger à des résident-e-s par exemple, la responsable de l’animation se dit très réticente et n’entre en matière que ponctuellement lorsque cela peut aider, comme le dit une aide-animatrice, à « garder un contact relationnel avec le résident, dans un rapport d’animation individuel ». Elle refuse cependant de se rendre sur l’unité pour servir le repas, mettre la table ou transporter les chariots. Dans le second EMS, à l’inverse, la prise en charge de tâches traditionnellement du ressort des soins, en particulier l’aide au repas, est au contraire utilisée par l’équipe d’animation comme une ressource leur permettant d’accéder aux territoires soignants que sont les étages (cf. supra). Bien vu de la part des soignant-e-s (« C’est vraiment une bonne idée. » ; « Ils nous aident bien. » ; « Ça nous décharge. » ; « Ça permet d’avoir plus de temps pour les résidents. »), cette pratique n’est cependant pas perçue comme étant sans risque pour les animateurs et les animatrices. Pour la rendre légitime, certain-e-s disent ainsi le faire « différemment » des soignantes et des soignants. Ils et elles évoquent souvent à ce sujet le fait de faire les choses plus lentement, de prendre le temps. Certain-e-s préfèrent parler de « présence à l’étage » et non d’« aide aux repas ». Ces acteurs mettent également en avant les « petits-déjeuners spéciaux », une initiative propre à l’animation visant à varier périodiquement ce repas en proposant une plus grande variété de plats. Comme l’explique une animatrice :

« On peut prendre peut-être plus de temps que les soignants, et c’est là qu’on se différencie. On a le temps de prendre quarante minutes avec une personne en chambre. On aide les personnes, ça soulage un peu l'équipe aussi, mais on prend le temps d’être vraiment avec la personne. Après, servir le petit-déjeuner, c’est aussi sympa, parce que c’est un moyen de leur souhaiter la bienvenue, de reparler du programme de la journée, prendre la température de comment ils vont. Et on le fait, c’est une tâche qui est, on pourrait dire, un peu en "zone grise", où les soignants le font aussi et nous, on essaie d’apporter notre touche. »

La légitimité fragile de ces tâches de « zone grise » est symbolisée par le fait que les animateurs et les animatrices portent un uniforme spécifique lorsqu’ils aident au service et à la prise des repas, qui est à la fois volontairement très différent de celui des soignant-e-s, mais permet également de distinguer ces tâches des autres tâches qu’ils effectuent, puisque le reste du temps ils et elles sont, comme ils le disent, en « civil », c’est-à-dire sans uniforme spécifique. Le fait que cette participation aux tâches de service et d’accompagnement des repas soit perçue comme une aide précieuse par les soignant-e-s, contribue néanmoins à nier une éventuelle manière spécifique de les faire qui serait propre aux animateurs et animatrices. L’une d’eux, en désaccord avec celle citée ci-dessus, confie d’ailleurs que :

« Il faut être honnête, c’est devenu un soutien au soin et non pas un accompagnement spécifique. »

Certain-e-s professionnel-le-s de l’animation semblent d’ailleurs avoir quitté cet établissement, ne se sentant pas à l’aise avec cette porosité entre tâches d’animation et de soin. Ce brouillage des territoires de tâches est critiqué par une partie du personnel d’animation, pour qui leur travail ne saurait être une ressource à disposition des soignant-e-s, que ces derniers pourraient solliciter, tantôt dans une continuité des soins, parce que par exemple un résident ou une résidente s’ennuie, tantôt parce que cela peut les décharger, comme lorsque des résident-e-s sont trop bruyant-e-s, hurlent ou déambulent. Une aide-soignante relève ainsi que, lorsque le service d’animation « amène » des résident-e-s à des activités : « Alors ceux-là, ils sont pris en charge, on n’a plus besoin de s’en occuper. » Cet appui des soins sur l’animation pour « prendre en charge » des résidents et des résidents sélectionnés selon des critères soignants (médicaux ou plus simplement pour les décharger de certains d’entre eux) heurte les principes guidant le travail d’animation, comme le relève cette animatrice :

« On a toujours le problème avec les soins... On installe un atelier, les soins arrivent et ramènent plein de gens. Des fois, c’est un peu choquant, parce que tout d’un coup on a une chaise roulante qui arrive, et les soins nous disent : "Madame, on ne sait pas où la mettre et puis, ploutch, on la met là." Mais, en tant qu’animateur, on ne peut pas gérer un atelier créatif comme ça… Ils ont de la peine à voir que gérer un atelier, ce n’est pas surveiller ou occuper quinze personnes autour d’une table. Il y a des contingences : il faut expliquer aux résident-e-s, il faut leur donner les outils. Il ne faut pas que madame untel commence à boire la peinture... »

L’on voit bien ici comment ce qui est pour un secteur un moyen de déléguer des tâches est, pour un autre, perçu comme un manque de reconnaissance de son expertise professionnelle. Dans l’exemple donné ci-dessus, il s’agit simplement de se défaire d’une résidente « qu’on ne sait pas où mettre ». Lorsque l’animation est sollicitée pour accompagner un-e résident-e déviant (déambulations, cris), il s’agit davantage d’une délégation de « sale boulot », ou tout du moins de tâches complexes ou problématiques. Dans l’extrait d’entretien présenté ci-dessus apparaît une solution possible à ce processus : celle de communiquer davantage, auprès des soignant-e-s, les contraintes et les spécificités du travail d’animation. Si cette délégation de tâches et cette négation de l’expertise des animateurs et animatrices manifestent le rapport de force favorable aux soignant-e-s au sein de ces établissements, et la place dominante de la perspective médicale sur les résident-e-s, il est en effet manifeste qu’elle découle également d’un manque de connaissances réciproques des contraintes et spécificités des deux secteurs, comme le relèvent de nombreuses et nombreux interviewé-e-s.

6. Conclusion

L’animation en institution pour personnes âgées connaît un gain d’intérêt, tant de la part des chercheur-e-s, des professionnel-le-s que des politiques. Elle est souvent pensée comme un remède à la logique asilaire où la vie collective imposée et les contraintes de l’organisation s’opposent aux choix des résident-e-s, et comme un outil pour les démédicaliser. L’animation individuelle ou en petits groupes est alors promue comme un moyen de mieux valoriser les ressources des résident-e-s, en s’écartant d’une conception des activités comme visant essentiellement à les occuper, et à l’encontre d’une perspective soignante qui les considère souvent davantage en termes de troubles et de déficiences.

Cependant, nous avons pu montrer que l’animation et ses acteurs sont pris dans un système d’action largement contraint par les intérêts divergents des différents secteurs, en particulier des soins et de l’hôtellerie. Dès lors, les modalités d’accompagnement des résident-e-s restent largement subordonnées à des enjeux organisationnels. L’analyse indique en effet que les intérêts et les contraintes spécifiques aux autres secteurs donnent aux territoires temporels de l’animation un caractère intercalé et lui imposent leur rythme. En ce qui concerne le territoire spatial, celui de l’animation tend à s’étendre aux « étages », en lien avec le renoncement partiel aux activités en grands groupes et pour toucher les « oubliés » de l’animation. S’immiscer ainsi en territoire (physique et de tâches) soignant, et donc remettre en cause une partie de la logique de ce secteur, ne se fait cependant pas sans heurts ni sans risques. Le personnel d’animation prend en effet celui de se voir déléguer des tâches soignantes ou réduit à décharger le secteur soignant de résident-e-s déviants, dans le but unique d’alléger le travail de celui-ci. Les équipes d’animation subissent alors une négation de leur expertise spécifique et donc un risque de déprofessionnalisation.