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Introduction

Si la délinquance sexuelle des femmes est un phénomène connu et documenté, la question des femmes qui agressent sexuellement avec leur conjoint reste sous-étudiée. Les « codélinquantes sexuelles » sont des femmes qui ont commis des agressions sexuelles sur des enfants ou des adultes avec un ou des complices. Les codélinquances constituent pourtant une importante portion des délits sexuels féminins (Williams et Bierie, 2015). Les quelques études qui incluent les codélinquantes comme un sous-groupe spécifique sont peu nombreuses, comparatives et descriptives (p. ex., Muskens, Bogaerts, van Casteren et Labrijn, 2011 ; Vandiver, 2006). Alors que certaines études (p. ex., Gannon, Rose et Ward, 2008) ont certes incorporé cette population dans leur modèle descriptif du passage à l’acte des délinquantes sexuelles en général, ses caractéristiques propres demeurent très peu connues, en particulier lorsqu’il s’agit de femmes qui ont agressé sexuellement en compagnie de leur conjoint. Il est important que les recherches s’intéressent à la trajectoire de vie de ces codélinquantes puisqu’une meilleure compréhension de ce sous-groupe distinct des femmes auteures d’agression sexuelle permettra de mieux saisir l’origine de leur délinquance et de mieux définir leurs besoins en intervention.

La codélinquance sexuelle des femmes

La codélinquance sexuelle se retrouve principalement chez les femmes, les hommes agissant majoritairement seuls (Johansson-Love et Fremouw, 2009 ; Williams et Bierie, 2015). Afin d’obtenir une meilleure estimation de la part de codélinquance chez les délinquantes sexuelles, Williams et Bierie (2015) ont étudié près de 802 150 agressions sexuelles rapportées par 6000 agences de police de 37 États américains de 1992 à 2011 et ont établi que 43 018 avaient été perpétrées par des femmes. De ces délits, 32,5 % étaient le fait d’une codélinquance avec un homme. Les recherches ont également établi que les complices masculins des codélinquantes sont majoritairement leur conjoint (Allenby, Taylor, Cossette et Fortin, 2012 ; Saradjian, 1996) et que les enfants du couple sont leurs principales victimes. À l’inverse, les délinquantes solitaires agresseraient plutôt des connaissances (Saradjian, 1996 ; Vandiver, 2006).

Caractéristiques des délinquantes sexuelles

Les études sur les délinquantes sexuelles ont permis de mettre en lumière plusieurs éléments de leur vie (Allenby et al., 2012 ; Gannon et al., 2008 ; Harrati et Vavassori, 2015 ; Johansson-Love et Fremouw, 2006). En général, ces femmes ont grandi dans un environnement négatif, dans la pauvreté, ont manqué d’éducation et subi de la violence. Les relations étaient souvent difficiles avec leurs parents, fratrie et amis, et ces relations s’amélioraient rarement à l’âge adulte (Gannon et al., 2008 ; Saradjian, 1996).

À l’âge adulte, les délinquantes sexuelles montrent de nombreux problèmes relationnels dans leur vie sociale et amoureuse (Harrati et Vavassori, 2015 ; Saradjian, 1996). Elles ont des difficultés à entretenir des relations amoureuses stables et équilibrées, ces relations étant souvent abusives et teintées de violence conjugale (Allenby et al., 2012). En particulier, les codélinquantes se sentent rejetées et mises à l’écart, ont tendance à occulter les aspects négatifs de leur relation sentimentale et à se concentrer sur les positifs, tandis que leur conjoint renforce leur isolement social et émotionnel (Saradjian, 1996).

Processus du passage à l’acte

Deux études anglophones et une étude francophone ont analysé le processus du passage à l’acte des délinquantes sexuelles. Dans leur étude de 22 délinquantes sexuelles au Royaume-Uni, Gannon et al. (2008) rapportent qu’un ensemble d’éléments tels que l’environnement familial négatif et les expériences abusives entraînent la création de facteurs de vulnérabilité en lien avec l’adoption d’un mode de vie inadapté à l’âge adulte. Ces facteurs vont ensuite s’ancrer plus profondément dans la vie des femmes et se transformer en facteurs de risque qui favorisent le passage à l’acte vers l’agression sexuelle. Il est à noter que les codélinquantes et les délinquantes qui ont agressé seules ne sont pas distinguées au sein des différentes étapes du processus de passage à l’acte, ne permettant pas d’évaluer si des différences existent entre ces populations.

Decou, Cole, Rowland, Kaplan et Lynch (2015) ont eux aussi dressé le processus du passage à l’acte des délinquantes sexuelles. Ces auteurs ont examiné les trajectoires de vie et les délits de 24 délinquantes sexuelles incarcérées aux États-Unis et ont mis en lien leurs difficultés relationnelles, les évènements stressants, leurs problèmes mentaux ou encore leur propre victimisation avec leur passage à l’acte. Dans leur modèle, Decou et al. (2015) mettent en évidence que le lien entre ces facteurs et l’agression se ferait par la consommation de substances quelque temps avant le passage à l’acte, un effondrement progressif des barrières adultes/enfants et des difficultés à surmonter. Pour ces auteurs, ces facteurs de vulnérabilité se sont accumulés pour mener au passage à l’acte. Par contre, encore une fois, les femmes qui agressent seules ou accompagnées ne sont que peu départagées, tant sur leurs facteurs de vulnérabilité que sur leur processus de passage à l’acte.

Dans une étude de 2015, Harrati et Vavassori offrent une interprétation psychanalytique de l’agir de l’agression sexuelle en groupe (en groupe, avec un complice ou en couple). Les auteurs soulignent que cet agir serait en partie le résultat de certaines caractéristiques des trajectoires de vie de ces femmes. Sur la base de la revue de 35 dossiers judiciaires et de 13 entretiens avec des délinquantes sexuelles incarcérées, ils mettent en lumière quatre configurations d’auteures de violences sexuelles. Bien que chaque configuration nommée par les auteurs présente des spécificités propres, il ressort de leur étude que les femmes qui ont commis des agressions dans le cadre de codélinquances ont majoritairement évolué dans un milieu familial négatif (ex. : conflits familiaux, violence de diverses natures) ou ont eu des difficultés sur le plan relationnel, pendant l’enfance ou à l’âge adulte dans leurs relations amoureuses.

Présente étude

Si les trajectoires de vie des délinquantes sexuelles sont documentées, celles des codélinquantes le sont encore peu. En effet, comme ces deux populations n’ont pas été distinguées, il est possible que certaines de leurs caractéristiques propres n’aient pas été relevées par les recherches. Ainsi, l’influence de leur trajectoire sur leur parcours criminel n’est pas clairement établie. Bien que Saradjian (1996) ait montré que ces femmes avaient souvent des trajectoires de vie problématiques, l’auteure n’a pas établi comment ces trajectoires amènent les femmes à agresser sexuellement en compagnie de leur conjoint. Quant aux études de Decou et al. (2015) et de Gannon et al. (2008), malgré la précision de leur modèle, les codélinquantes et les délinquantes solitaires n’y sont pas départagées. Il est donc impossible de savoir si ces femmes se distinguent. Des recherches supplémentaires sont encore nécessaires pour comprendre les codélinquantes sexuelles.

La présente recherche avait pour but d’établir les trajectoires de vie des codélinquantes sexuelles parmi un échantillon de femmes françaises. Plus spécifiquement, les objectifs étaient d’approfondir les connaissances sur la vie de ces femmes de leur enfance à l’âge adulte, à travers leur vie familiale, scolaire, professionnelle et amoureuse, de comprendre la relation et les interactions entre ces femme et leur conjoint coagresseur et de déterminer comment leur histoire de vie a pu les mener à agresser sexuellement.

Méthode

Participantes

Dans cette recherche, nous qualifions comme codélinquantes sexuelles les femmes qui ont posé des gestes sexuels sur des mineurs avec leur conjoint. Vingt-deux femmes incarcérées en France pour délits sexuels commis avec leur conjoint ont participé à cette étude. Cinq d’entre elles ont été exclues des analyses : deux entretiens étaient finalement trop pauvres pour être analysés, deux femmes avaient commis des délits envers des adultes et une autre n’a fait qu’assister aux agressions sans y participer. L’échantillon final se composait de 17 femmes. Leurs peines variaient de 6 à 20 ans, une femme ayant aussi commis un homicide (M = 14,35 ; É-T = 3,69). Cinq femmes avaient des antécédents criminels : une pour agression sexuelle, une pour non-assistance à une personne en danger et trois pour des violences non sexuelles envers leurs enfants. L’âge moyen des participantes était de 40 ans (étendue = 29-63) à leur arrestation, et d’environ 33 ans au début des faits. D’après les évaluations contenues dans leurs dossiers, dix femmes étaient de faible intelligence (QI inférieur à la moyenne) et une avait des capacités intellectuelles supérieures à la moyenne.

Le codélinquant était le conjoint ou l’amant de la femme dans tous les cas, critère de sélection pour participer à notre étude. Le caractère « collectif » du délit n’était pas un critère d’exclusion ; un couple avait agressé en compagnie de leurs enfants et beaux-enfants (tous majeurs) tandis qu’un couple avait été impliqué dans un réseau pédophile. Le nombre moyen de victimes était de 4,3 mais tombe à 2,9 (É-T = 2,4) en excluant la participante impliquée dans le réseau pédophile (27 victimes). Seize femmes ont été condamnées pour des faits commis sur leurs enfants, la dix-septième sur ses petits-enfants. Dans huit situations, le codélinquant était le père d’au moins un des enfants agressés. Dans sept autres cas, il était exclusivement leur beau-père et dans le dernier cas leur grand-père. L’âge des victimes au début des agressions variait de quelques mois à 17 ans (M = 6,8 ; É-T = 5,4 excluant deux dossiers pour lesquels les âges exacts des victimes sont manquants). La durée des agressions s’est échelonnée d’une unique fois à 11 ans, avec une moyenne de 5 ans et demi (É-T = 3,3).

Matériel

Les données ont été recueillies par l’entremise d’entretiens semi-dirigés. Aux fins de triangulation des données, une revue des dossiers pénaux a également été réalisée. Une grille d’entretien a été élaborée autour de différents aspects de la vie des femmes, selon l’approche des trajectoires de vie. La consigne de départ était ouverte (« J’aimerais comprendre votre vie, donc commencer de votre enfance jusqu’à aujourd’hui… »). Lorsque nécessaire, des thèmes de discussions étaient suggérés (« Pourriez-vous me parler plus de votre enfance… »).

Les dossiers pénaux étaient composés des rapports de police, des déclarations des témoins, des victimes, des coauteurs et de la femme lors de son arrestation, des jugements et des expertises psychiatriques. En cas de divergence entre les informations des dossiers et celles autorévélées, celles provenant d’une source officielle, jugées plus valides, furent retenues pour la présente recherche. Les divergences avaient principalement lieu quant à la date d’évènements, comme les dates de naissance d’enfants ou celle de relations de couple.

Procédure

Les participantes ont été sélectionnées et contactées par les employés du système pénitentiaire français afin de déterminer leur volonté à participer à la recherche. Un rendez-vous a ensuite été prévu entre les intéressées et la chercheure. Lors de l’entretien, les participantes ont été informées des objectifs de l’étude, du déroulement de l’entretien et de la nature confidentielle et volontaire de leur participation. Toutes ont signé un formulaire de consentement autorisant l’enregistrement de l’entretien et l’accès aux dossiers, et les informant de la possibilité de se désister de l’étude à tout moment. Aucune ne s’est désistée. Les dossiers pénaux de 16 participantes (le dossier d’une participante n’était pas disponible au moment de la collecte de données) ont été consultés à la suite des entrevues.

Les entretiens, d’une à trois heures, ont été enregistrés puis retranscrits en intégralité avant d’être effacés. Aux fins d’anonymat, un numéro a été attribué à chacune des participantes. Leur nom n’apparaissait ni sur la fiche signalétique ni dans les enregistrements ou dans les retranscriptions des entretiens. Un certificat d’éthique de recherche a été émis par l’Université de Montréal.

Analyse des données

Les données issues de nos entretiens ont été analysées selon l’approche de la théorisation ancrée (Strauss et Corbin, 1998). Dans notre étude, le but de cette approche visait à établir progressivement une nouvelle théorie sur un phénomène social peu étudié, les trajectoires de vie des codélinquantes sexuelles.

Cette approche utilise une méthode comparative constante : les entretiens ont été analysés individuellement et codifiés selon les thèmes abordés, au fur et à mesure de leur réalisation. Les codes nous ont permis de mettre en lumière des concepts (vie de couple, par exemple), ensuite de les regrouper dans des catégories plus générales (par exemple, les antécédents de couple, les évènements traumatiques). Ces catégories ont par la suite été organisées sous forme de schémas et regroupées dans des catégories temporelles. Par exemple, les catégories de la vie familiale, de la vie scolaire, du style de vie à l’adolescence et des évènements traumatiques ont été regroupées pour illustrer les difficultés personnelles et sociales vécues dans l’enfance et dans l’adolescence.

Les entretiens ont ensuite été comparés les uns aux autres pour permettre de préciser ou de confirmer chaque catégorie existante. Afin d’obtenir un portrait complet des trajectoires de vie des participantes et aux fins de triangulation des données, les informations tirées de leurs dossiers judiciaires ont été intégrées à celles issues des entretiens, principalement en ce qui avait trait aux dates. Notre étude a en outre respecté le principe de saturation de la recherche qualitative, que Glaser et Strauss (1967) considèrent comme atteint dès que les données n’apportent plus rien au concept qui en émerge. En l’espèce, les trois derniers entretiens réalisés ne nous apportaient plus de données nouvelles.

Résultats

Les 17 entretiens réalisés, combinés avec les informations relevées dans les dossiers pénaux, nous ont permis d’élaborer un modèle de trajectoire de vie des codélinquantes sexuelles en deux phases (Figure 1). La première phase correspond à leur enfance et leur adolescence tandis que la seconde se concentre sur leur historique conjugal et leur vie avec le partenaire codélinquant.

Figure 1 

Trajectoires de vie des codélinquantes sexuelles

Trajectoires de vie des codélinquantes sexuelles

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Phase 1 : Enfance et adolescence

Bien que la proportion de femmes estimant en entrevue avoir eu une enfance difficile et une enfance heureuse soit la même, la jeunesse de l’ensemble d’entre elles a été parsemée d’au moins un des éléments suivants : environnement familial négatif, scolarité inachevée, difficultés durant l’adolescence et évènements traumatiques.

Environnement négatif

La majorité des femmes rencontrées a grandi dans un environnement familial difficile et pauvre (n = 13) avec des parents souvent sans qualifications professionnelles (n = 12), parfois alcooliques (n = 6). Le foyer était souvent décrit comme instable et violent (ex. : séparations du couple parental, placements répétés, conflits entre les parents, conflits entre les enfants).

« Oui, elle me frappait dessus, pis ils buvaient mes parents. »

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« On s’est retrouvé dans le milieu de la rue, on a vécu quelque temps dans la rue, j’ai beaucoup fréquenté les gens de la rue quoi, dans mon enfance. »

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Trois participantes ont été placées par les services sociaux ou adoptées. Une autre était suivie par les services sociaux en raison de victimisation et négligence. Huit femmes ont rapporté des victimisations physiques et sept des victimisations émotionnelles. Cinq participantes ont vécu ces deux formes de victimisation. Dix femmes ont rapporté de la victimisation émotionnelle ou physique. Six ont été victimisées sexuellement. Dans ce dernier cas, le ou les auteurs étaient majoritairement connus (beau-père = 1 ; père = 2 ; oncle = 2 ; inconnu = 1). Aucune femme n’a été agressée sexuellement par sa mère, mais plusieurs ont rapporté que celle-ci avait connaissance des faits.

« Oui, elle est au courant, mais elle faisait semblant de pas entendre. Quand je criais, (ma mère et mes frères) mettaient soit la télé à fond, pour pas m’entendre. »

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Huit participantes ont rapporté s’être senties rejetées par leurs parents, particulièrement leur mère avec qui elles entretenaient des rapports difficiles, et six d’entre elles se sont alors tournées vers une personne protectrice (grands-parents : n = 3 ; père : n = 3). Ces femmes se sentaient mal aimées, isolées ou gênantes, notamment par leur mère avec qui elles entretenaient des rapports difficiles (n = 8). Par contraste, seules trois femmes rapportent avoir entretenu de mauvaises relations avec leur père ; ce dernier a au contraire parfois joué le rôle de personne protectrice. Des relations fraternelles conflictuelles ont également été mentionnées par sept femmes.

« Parce que pour arriver à une gamine, disons de huit ans, de fuguer pour aller chez la grand-mère, ça veut dire beaucoup… »

13

« Mon père était plus attentif envers moi, parce qu’il voyait que j’avais un problème avec ma mère. »

7

« Ma mère a faisait des préférences, elle achetait pour un et pas pour nous, pas pour moi parce que moi j’étais toujours mis de côté. »

18

Scolarité

La scolarité des participantes a majoritairement été superficielle et incomplète. Cinq femmes seulement ont obtenu un diplôme d’études secondaires. Neuf avaient été dirigées vers des établissements spécialisés pour les personnes souffrant de handicap, de retard mental ou de grandes difficultés scolaires ou sociales. Un tiers des participantes a rapporté des problèmes à l’école, incluant le manque d’amis, des moqueries ou le taxage.

Adolescence

Deux femmes rapportent une adolescence dans laquelle aucun problème et une bonne socialisation sont à noter. Au contraire, deux autres ont vu leur socialisation limitée en raison de règles de vie strictes. Neuf femmes ont rapporté des expériences difficiles durant l’adolescence (grossesse, fugue, alcoolisme, itinérance), tandis que quatre ont rapporté être en recherche d’amour et d’attention par la promiscuité sexuelle. Ces dernières ont noté avoir eu de nombreux petits amis et avoir eu des relations sexuelles tôt.

Huit femmes ont mentionné que pendant leur adolescence, des évènements négatifs importants ou déterminants pour elles avaient eu lieu, comme la perte d’une personne protectrice, une rupture sentimentale, un placement ou encore un viol.

« Je me suis complètement déconsidérée… Je me suis dit que je devais pas être intéressante puisque je ne lui avais pas plu. »

1, à propos d’une rupture amoureuse

« De toute façon ma vie a complètement basculé du fait de perdre ma grand-mère et de partir (de la ville), tout ça, ça a perturbé toute ma vie. »

22

Ainsi, les codélinquantes ont grandi dans des environnements négatifs dans lesquels elles ont vécu des conflits familiaux, se sont senties rejetées et ont parfois été victimisées. En outre, leur scolarité a majoritairement été superficielle. En résultent des difficultés de différentes natures : émotionnelle, personnelle et sociale, comme de la jalousie, un déficit éducatif, un manque de confiance en soi, la recherche d’une personne protectrice et un sentiment de ne pas être aimée.

Phase 2 : Historique conjugal et relation avec le codélinquant

Relations antérieures

Neuf participantes avaient déjà eu une ou plusieurs relations avant de rencontrer leur conjoint codélinquant. Il ressort des entretiens que ces relations deviennent rapidement sérieuses, huit couples emménageant ensemble après quelques mois de fréquentation. Dans les neuf cas, les participantes rapportent avoir eu au moins une relation amoureuse problématique où l’on retrouve de la violence conjugale ou des pratiques parentales problématiques. Sept de ces neuf femmes ont vécu de la violence physique de la part d’au moins un de leurs anciens conjoints.

« Il buvait, il me tapait dessus, j’avais le couteau sur la gorge, soit il me foutait un coup de ceinture… »

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Six participantes ont eu au moins un enfant de ces relations. Dans quatre foyers, la femme gérait souvent seule les enfants, le père étant absent ou indifférent. Deux pères ont commis des agressions sexuelles sur les enfants ; dans un cas, la mère avait connaissance des faits sans les avoir dénoncés. En outre, des violences physiques contre les enfants ont eu lieu dans quatre des six familles. Dans deux cas, les coups étaient portés par la mère, entraînant un suivi par les services sociaux.

Malgré ces éléments problématiques, ces relations ont duré plusieurs mois, voire plusieurs années, avant que le couple ne se sépare. Les participantes ont rapporté s’être séparées par peur pour leur propre vie ou en raison de l’insatisfaction qui résultait de cette vie de couple. Malgré la violence du conjoint envers les enfants, le bien-être de ces derniers n’a jamais été cité comme une raison de séparation. À la suite de leur rupture, les femmes restent peu de temps seules, n’appréciant pas la solitude. Elles retournent avec leur conjoint ou se mettent en ménage avec un nouveau compagnon dans les mois qui suivent leur séparation.

Relation avec le codélinquant

Comme c’est également le cas pour la population générale, c’est souvent dans leur entourage, par l’entremise d’amis, dans des bars ou sur leur lieu de travail que les femmes ont rencontré le conjoint qui deviendra leur codélinquant. Au moment de la rencontre, toutes les participantes présentaient une forme de vulnérabilité telle que la pauvreté, la solitude, un sentiment de fatigue intense ou d’être dépassée par leur situation. Les futurs conjoints avaient aussi des problèmes de pauvreté, travail aléatoire ou chômage, et présentaient diverses caractéristiques comme l’alcoolisme, des antécédents délinquants et des comportements violents. Quatorze femmes ont rapporté des éléments montrant qu’elles ont, volontairement ou non, laissé leur compagnon gérer leur vie. Par exemple, le conjoint décidait des personnes qu’elles pouvaient ou non fréquenter, des tenues à porter ou encore de leur emploi.

« Je me suis dit : “Il va prendre ma vie en main et j’aurai pas besoin de prendre de décisions.” »

1

« Moi je partais en fait, habillée comme Monsieur avait mis mes tenues sur le lit. »

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En particulier, huit de ces femmes ont mentionné que cet homme leur était apparu comme un protecteur à ce moment de leur vie, c’est-à-dire comme une personne qui allait changer positivement leur vie ou prendre soin d’elles. Les quatorze femmes semblent alors s’être raccrochées à lui.

« C’est qu’il était… qu’il me protégeait… c’était une protection. »

4

Pour les femmes ayant déjà eu des relations sérieuses, ce couple présente les mêmes problématiques que dans leurs relations précédentes et cette relation de couple évolue rapidement (enfant, emménagement dans un court laps de temps). Tous les foyers présentaient au moins une des carences suivantes : pauvreté (n = 17), aide sociale (n = 16), alcoolisme (onze conjoints et cinq femmes), violence physique ou sexuelle par le conjoint (n = 11). Huit conjoints avaient eu des problèmes avec la justice. D’après les participantes, sept conjoints auraient déjà été condamnés pour délinquance sexuelle, mais seules trois avaient connaissance de ces faits avant les délits. Neuf femmes ont rapporté avoir subi des violences physiques régulières, deux autres ont relaté des incidents sporadiques de violence, et trois ont rapporté avoir été violentes envers leur conjoint. Huit de ces femmes relèvent avoir également vécu de la violence émotionnelle de la part de leur conjoint (insultes, dévalorisation ou menaces). En outre, la majorité des participantes avait des relations amicales peu nombreuses et seulement avec des personnes dans la même situation qu’elles. En effet, quatorze femmes ont rapporté avoir été socialement isolées pendant leur relation avec le codélinquant, en raison du mode de vie du couple (chômage, pauvreté, alcoolisme, violence) ou de la volonté du conjoint.

« Il m’a coupée de mes amis, et pis il m’a coupée de ma famille. »

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La majorité des participantes rapporte avoir vécu une vie sexuelle peu satisfaisante. En effet, quatre femmes ont souligné un désintérêt sexuel ou amoureux du conjoint à leur égard tandis que dix autres ont rapporté avoir eu des rapports sexuels forcés, violents ou dégradants. De plus, il ressort des entretiens et des dossiers que neuf couples avaient une sexualité hors norme à laquelle les femmes participaient avec ou sans plaisir : fréquentation de clubs échangistes, relations sexuelles avec des inconnus ou amis du conjoint, relations sexuelles dans des toilettes publiques. Six de ces femmes ont également fait part de relations sexuelles non consenties, violentes ou dégradantes.

« Il me forçait à faire de l’échangisme, il me forçait à coucher avec d’autres gars, même dans des toilettes publiques. »

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« On avait arrêté les relations sexuelles depuis 2001, on a été incarcérés en 2007. »

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Pratiques parentales

Sur le plan parental, les entretiens et les dossiers révèlent des pratiques parentales souvent très problématiques (violences, négligences, sévices sexuels). En entretien, seules deux femmes ont reconnu leur propre violence et des problèmes dans leurs pratiques parentales. Les enfants de douze participantes ont été victimes de violence ou de négligence de la part de leurs deux parents ; neuf familles étaient suivies par les services sociaux, et sept fratries placées. Enfin, des comportements sexuels inappropriés des parents ont été constatés dans dix familles (ex. : visionnage de films X, relations sexuelles en présence des enfants). En entrevue, la moitié des dix-sept participantes estimait cependant être une bonne mère. En outre, quatre d’entre elles ont placé leur souffrance personnelle sur le même plan que celle vécue par les enfants, voire au-dessus.

« J’ai tout fait pour mes enfants, même ma fille, j’y ai donné ma carte de poste. »

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« Mais elles sont victimes mais moi aussi je suis victime, parce que malgré tout elles sortent de moi et je les ai mis au monde. »

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Dans la période antérieure et courante aux agressions sexuelles, les femmes de notre échantillon présentent ainsi différentes difficultés. Certaines ont émergé pendant leur enfance, ont été renforcées par leurs relations successives et notamment celle avec leur codélinquant tandis que d’autres sont apparues à l’âge adulte. En effet, certaines femmes relevaient ne pas avoir grandi dans un environnement négatif et n’avaient pas eu de relations avant de rencontrer leur codélinquant.

Discussion

Cette étude avait pour objectif de mieux comprendre les trajectoires de vie des femmes dans une situation de codélinquance sexuelle avec leur conjoint. Les données recueillies au cours de nos entretiens, jointes à celles issues des dossiers pénaux, ont permis de dresser une trajectoire en deux phases. La première phase se base sur la jeunesse des femmes et montre que les codélinquantes ont grandi dans des environnements négatifs dans lesquels elles ont vécu des conflits familiaux, se sont senties rejetées et ont parfois été victimisées. Leur scolarité a majoritairement été superficielle. Certains éléments qui semblent propres aux codélinquantes ont aussi été relevés.

La seconde phase traite de l’historique sentimental à l’âge adulte et de la relation avec le conjoint codélinquant. On y relève notamment de la pauvreté, de l’isolement, des violences, des pratiques parentales problématiques, une dépendance malsaine de l’homme et une sexualité hors norme. Ce dernier élément n’avait jamais été signalé dans la littérature scientifique et semblerait être unique aux couples qui agressent conjointement leurs enfants.

Trajectoires de vie

Nos résultats sur l’enfance de nos participantes sont concordants avec ceux établis par la littérature sur les délinquantes sexuelles en général. Comme établi par les études sur les parcours de vie de ces femmes (Decou et al., 2015 ; Gannon et al., 2008 ; Harrati et Vavassori, 2015), nos résultats ont souligné chez cette population des difficultés de nature émotionnelle, personnelle et sociale, comme de la jalousie, un déficit éducatif, un manque de confiance en soi, la recherche d’une personne protectrice et un sentiment de ne pas être aimée. Cependant, les codélinquantes semblent se distinguer sur certains points. En effet, au sein de notre échantillon, la moitié des participantes ont mentionné ne pas avoir ressenti d’amour et s’être senties rejetées dès un jeune âge par leurs parents, et notamment leur mère. Un contraste saisissant est fait entre l’image de leur mère (égoïste, froide, non aimante) et de leur père (affectueux, gentil, attentif). Ces résultats sont comparables à ceux découverts par Saradjian (1996), qui notaient que ce contraste dans les relations avec les parents ne se retrouvait pas dans l’historique des délinquantes seules.

Ces points se révèlent importants puisque plusieurs études ont souligné l’impact du lien maternel et des victimisations dans le comportement et la délinquance des filles (Barnes et Farell, 1992). Dans notre étude, 35 % des femmes ont rapporté des victimisations sexuelles, un taux similaire à ceux établis dans les études récentes (Gannon et al., 2008 ; Wijkman, Bijleveld et Hendriks, 2010), mais plus élevé que dans la population générale (de 18 % à 20 % selon Barth, Bermetz, Heim, Trelle et Tonia, 2013), et 60 % ont rapporté des victimisations émotionnelles ou physiques. Selon Teague, Mazerolle, Legosz et Sanderson (2008), un soutien maternel élevé est associé à un niveau de délinquance plus bas à l’âge adulte chez les femmes physiquement victimisées à l’enfance. Également, Burkett (1991) a démontré que les mères sexuellement victimisées pendant l’enfance sont plus centrées sur elles-mêmes et moins sur l’enfant, et Newcomb et Locke (2001) ont rapporté que la négligence vécue pendant l’enfance était corrélée avec des pratiques parentales problématiques. De plus, la victimisation sexuelle au cours de l’enfance et la rancoeur à l’encontre de la mère augmentent le risque de victimiser physiquement son enfant (DiLillo, Tremblay et Peterson, 2000). Dans le cadre des codélinquances sexuelles, il est possible que les femmes, qui se sont souvent senties rejetées par leur mère et ont parfois été victimisées, soient plus centrées sur leurs besoins personnels que sur ceux des enfants. La barrière générationnelle entre la femme et ses enfants est alors mince, si ce n’est inexistante, facilitant la mise en place des agressions.

Le lien entre la victimisation ou les problèmes liés aux pratiques parentales et la délinquance à l’âge adulte n’est pas clairement établi. Cependant, il y a tout lieu de penser qu’un processus indirect se produirait. En effet, les victimes de victimisations fréquentes pendant l’enfance souffrent de conséquences négatives cognitives, affectives et relationnelles sur le long terme (Briere et Jordan, 2009). Il est donc probable que l’enfance des codélinquantes, à travers les expériences de négligence et la qualité des relations avec les parents, et notamment avec la mère, ait joué un rôle dans le développement de leurs difficultés personnelles, sociales et émotionnelles. Decou et al. (2014) et Gannon et al. (2008) avaient de la même manière relevé le lien entre les expériences passées et ce type de difficultés. Selon Gannon et al. (2008), des cognitions antisociales avec l’adoption de normes violentes ou sexuelles inadaptées émergent notamment de cette période.

Au sortir de l’enfance, les femmes de notre échantillon ont largement adopté un mode de vie inadapté. Ainsi, à l’adolescence et à l’âge adulte, elles cherchent à être aimées et protégées, ce qui semble guider leurs relations. Comme mentionné dans la documentation scientifique (Allenby et al., 2012 ; Gannon et al., 2008 ; Harrati et Vavassori, 2015 ; Saradjian, 1996), ces relations sont majoritairement abusives, s’inscrivent dans un contexte de pauvreté sociale et morale où la majorité des femmes sont isolées, souvent du fait de leur conjoint. On observe par ailleurs la répétition du même modèle de relations amoureuses dysfonctionnelles au cours de leur vie. Également, la plupart des femmes se considérant comme incapables d’être seules sur une longue période, elles enchaînent les relations amoureuses. L’adoption de ce style de vie inadapté, similaire à celui rapporté par Gannon et al. (2008), semble renforcer les difficultés existantes des femmes, notamment la pauvreté, la faible estime de soi, la difficulté à rester seule ou l’isolement social par l’éloignement de leur famille et la fréquentation de pairs qui présentent le même environnement de vie (chômage, pauvreté, alcoolisme).

Relations avec le codélinquant

Ce modèle de relations dysfonctionnelles se répète avec leur conjoint codélinquant, ce qu’avaient déjà souligné Gannon et al. (2008) et Harrati et Vavassori (2015) tant chez les délinquantes solitaires que chez celles qui agressent en codélinquance. Cependant, trois éléments majeurs semblent distinguer la relation avec le codélinquant.

Premièrement, nous avons noté qu’au cours de leur enfance et de leur adolescence, certaines femmes cherchaient à se rapprocher d’une personne protectrice. Le conjoint codélinquant a été considéré par la moitié d’entre elles comme étant finalement la personne protectrice qui s’occupera d’elles et changera leur vie. Saradjian (1996) avait également souligné cet aspect parmi les codélinquantes de son étude, notant que le conjoint était souvent vu en premier lieu par les femmes comme l’homme le plus parfait. Le conjoint et la relation de couple prennent alors une place prédominante dans la vie de la plupart des femmes qui n’aiment pas être seules. En raison de cette idéalisation, les femmes tendent à nier, tout au moins au début, les aspects négatifs de leur relation.

Deuxièmement, et peut-être justement à cause de l’importance qu’elle donne à ce nouveau conjoint, la femme semble lui céder le contrôle de sa vie. De ce fait, elle se retrouve dans un état d’isolement et de dépendance affective qui semblait plus important que lors de ses précédentes relations. Plusieurs études avaient déjà souligné la dépendance de codélinquantes sexuelles à l’égard de leur conjoint (Tsopelas, Spyridoula et Athanasios 2011 ; Wijkman et al., 2010). La relation avec un individu antisocial est d’ailleurs liée à une délinquance exacerbée chez les femmes (Benda, 2005 ; Griffin et Armstrong, 2003 ; Simpson, Yahner, et Dugan, 2008). Étant incapables d’être seules, ces femmes feraient ce qu’elles peuvent pour conserver leur relation, qu’il s’agisse de tolérer certains comportements, notamment violents, ou d’en développer d’autres, comme des pratiques sexuelles douteuses.

Troisièmement, il est apparu que la moitié des couples entretiennent une sexualité hors norme, ce qu’avaient également rapporté Harrati et Vavassori (2015). Il est possible qu’en raison de leur dépendance à l’égard du conjoint, les femmes adhèrent aux pratiques sexuelles privilégiées par le conjoint, comme l’échangisme, le voyeurisme, le visionnage de films pornographiques violents ou devant les enfants afin de maintenir la relation. Comme l’ont souligné Elliot et Ashfield (2011), la capacité de la femme à maintenir une relation sexuelle avec son conjoint représente souvent sa seule source d’estime d’elle-même. Il est donc possible que ce soit pour cette raison que les femmes acceptent de participer à ces pratiques sexuelles. Alternativement, la femme pourrait aussi trouver chez son conjoint le reflet de certains désirs sexuels qu’elle n’avait pas explorés auparavant. Que ces désirs aient été occultés jusqu’alors ou qu’ils se soient développés au cours de la relation avec le codélinquant, la femme pourrait y trouver un intérêt. Il pourrait ainsi se créer une synergie dans le couple délinquant à ce niveau, le couple entretenant une vie sexuelle atypique à laquelle tous les deux participent librement. Malheureusement, nos analyses ne nous permettent pas d’opter en faveur d’une de ces deux possibilités. De plus, les études portant sur les délinquantes qui agressent seules ne faisant pas mention de la sexualité de ces femmes, il impossible de déterminer si cet aspect de la vie sexuelle était propre aux codélinquantes. Des recherches supplémentaires sont nécessaires sur ce point.

La participation à ces activités sexuelles, combinée avec le désir de maintenir la relation avec le conjoint, pourrait partiellement expliquer les agressions sexuelles commises par la femme envers les enfants. À cet effet, Elliot et Ashfield (2011) ont noté que les inhibitions morales des femmes à l’égard des activités sexuelles avec des enfants peuvent s’étioler pour plusieurs raisons combinées : leur incapacité à différencier le sexe déviant et conformiste, le recul de leurs barrières sexuelles dû à leur conjoint et enfin leur incapacité à prendre en compte les besoins de leurs enfants avant les leurs. Sur ce point, nos résultats montrent qu’il était difficile pour nos participantes de tenir compte du bien-être de leurs enfants, étant plutôt centrées sur leurs propres besoins. Par exemple, dans un contexte de violence envers les enfants, peu d’entre elles ont envisagé une séparation, se sentant démunies ou ne semblant pas se préoccuper de la situation. En outre, elles se mettaient parfois sur un pied d’égalité avec les enfants, un fait noté par d’autres recherches (McCarthy, 1986 ; Saradjian, 1996). Par exemple, on remarque que la femme laisse souvent le conjoint maltraiter les enfants quand elle n’est pas elle-même l’auteure de violence.

Nos données indiquent d’ailleurs que la femme avait tendance à ne pas percevoir la protection de l’enfant comme étant sa responsabilité. Elle considérait parfois aussi qu’elle était autant victime, sinon plus qu’eux, de la situation, se plaçant plutôt sur un pied d’égalité avec ses enfants. D’ailleurs, un tiers de nos participantes ont rapporté avoir éprouvé de la jalousie envers leurs filles qui recevaient de l’attention, parfois sexuelle, de leur conjoint. Mayer (1992) soulignait sur ce point que certaines femmes pouvaient placer leur fille dans le rôle d’épouse et de parent. L’auteur qualifie ces délinquantes de narcissiques, les décrivant comme instables, impulsives, manipulatrices ou encore égocentriques avec une faible tolérance à la frustration. En faisant fi des besoins de ses enfants, la femme semble pouvoir se dissocier de son rôle de mère, ce qui peut permettre l’affaiblissement des barrières sexuelles et générationnelles et ainsi la priorisation de ses besoins au détriment de ceux de ses enfants.

Limites

Comme toute recherche, notre étude comporte certaines limites. Premièrement, nous n’avons pu rencontrer que des délinquantes incarcérées, soit des femmes ayant commis les délits les plus graves et pour lesquels les faits sont avérés. Une source policière nous a en effet confié que, dans de nombreux cas, l’agression commise par une femme ne pouvant être prouvée, elle n’était pas poursuivie. Les résultats de notre étude pourraient ainsi seulement refléter les caractéristiques de vie des codélinquantes qui ont commis des crimes sexuels plus sérieux. Également, plusieurs femmes étaient peu loquaces lorsqu’il s’agissait d’évoquer leur vie intime ou leurs propres pratiques parentales, et il nous a fallu dans plusieurs cas nous aider des dossiers pénaux de ces femmes et notamment de leurs premières auditions dans lesquelles elles avaient discuté librement de ces différents éléments. Dans le cadre d’entretiens, notamment non directifs, le chercheur doit laisser l’individu libre de discuter des sujets qu’il décide ou non d’aborder, bien que certaines relances puissent être formulées (Daunais, 1992). Dans le cadre de la présente étude, certaines femmes ne souhaitaient pas aborder certains sujets et s’en détournaient lorsqu’ils l’étaient. Peut-être que nous aurions dû nous pencher sur ces thèmes à d’autres moments de l’entretien, lorsque les femmes étaient plus à l’aise avec nous. Des recherches futures devraient sans aucun doute approfondir ces aspects.

Enfin, si nous avons souligné plusieurs éléments comme le lien maternel, la dépendance au conjoint ou encore les pratiques sexuelles hors norme, notre étude ne permet toutefois pas d’expliquer de quelle manière ces éléments poussent les femmes à agresser sexuellement. Notre démarche étant exploratoire, des recherches supplémentaires sont nécessaires pour vérifier les hypothèses soulevées par nos résultats.

Conclusion

Il ressort de notre étude que la pauvre qualité de l’environnement social et familial ainsi que les relations entre la femme et son conjoint sont des éléments importants dans les trajectoires de vie des codélinquantes sexuelles qui poseraient les bases pour le développement de leur codélinquance sexuelle. Gannon et al. (2008) avaient noté que le début de vie adulte des délinquantes sexuelles reflétait des facteurs de vulnérabilité de nature sociale, affective et psychologique qui deviennent exacerbés au fil du temps et entraînent le développement de facteurs de risque pour l’agression sexuelle, et nos résultats semblent arriver aux mêmes conclusions. De plus, nos résultats indiquent que la femme codélinquante est particulièrement caractérisée par la recherche d’une personne protectrice, ce qui l’amène à céder le contrôle de sa vie à son conjoint. Finalement, soit par désir de plaire à son conjoint, soit par la création d’une synergie sexuelle malsaine, des pratiques sexuelles hors norme viennent à caractériser la vie sexuelle du couple codélinquant. Ces résultats fournissent de nouvelles pistes de compréhension des trajectoires de vie des codélinquantes sexuelles, des femmes qui doivent toutefois faire l’objet de futures recherches afin d’examiner leurs liens avec le passage à l’acte. En particulier, le rôle exact joué par les pratiques sexuelles singulières du couple, ainsi que la place accordée au conjoint par la femme en lien avec la décision d’agresser sexuellement les enfants, se doivent d’être approfondis afin de mieux comprendre le phénomène de la codélinquance sexuelle chez les femmes.