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Enseignant à l’Institut Catholique de Paris durant une douzaine d’années et oeuvrant maintenant au Collège universitaire dominicain d’Ottawa, le Père Emmanuel Durand o.p. est bien connu pour ses travaux en théologie systématique, en particulier pour la richesse et l’érudition des études qu’il a consacrées à la doctrine trinitaire. Son plus récent ouvrage sur le Dieu Trinité possède les mêmes qualités de rigueur et de profondeur auxquelles ses lecteurs sont familiers, mais il s’en distingue aussi par une sensibilité pédagogique particulière et une grande clarté, malgré la complexité des thématiques abordées.

Le point de départ du livre — qui en fournit aussi le fil conducteur — peut être ramené à la question suivante : « […] est-il possible d’illuminer de façon économe certaines dimensions clés de la vie humaine et ecclésiale à partir de la foi trinitaire ? » (p. 7). C’est là une vaste question, à laquelle les diverses explorations proposées permettent d’apporter des éléments de réponse, sans épuiser l’interrogation elle-même. L’objectif déclaré de l’auteur est de « nous équiper théologiquement, à travers une relecture ecclésiale des Écritures, une appropriation des clés de la tradition et une sensibilisation à des problématiques nouvelles, afin de penser le passage de l’Unicité divine au Dieu Trinité, sous la double forme d’une inclusion et d’un accomplissement » (p. 25).

L’ouvrage est bien structuré. Il s’ouvre sur une brève introduction qui relève « quelques défis actuels de la foi trinitaire » (p. 9-26). Ce relevé sert simplement à mettre le lecteur « en appétit » (p. 25) pour ce qui suit, un parcours qui se déploie en cinq temps. Dans un premier chapitre (p. 27-81), le Père Durand étudie la relation de la foi trinitaire avec le monothéisme juif, cherchant à montrer que la foi des premiers chrétiens n’a pas signifié une sortie du monothéisme, mais une manière de l’accomplir. Le second chapitre (p. 83-102), un exercice de grande virtuosité, propose une reprise dite « économe » des acquis de la tradition trinitaire. Dans les deux chapitres suivants, le Père Durand cherche à dégager un certain nombre d’implications éthiques et politiques de la tradition trinitaire. Le versant éthique est traité au chapitre trois, sous l’intitulé : « La rénovation trinitaire du sujet éthique » (p. 105-138). Quant au versant politique de la doctrine trinitaire, il est abordé au chapitre quatre (p. 139-187). L’auteur se demande alors dans quelle mesure et jusqu’où la Trinité peut constituer un modèle de communauté. Les analyses proposées sont intéressantes, même s’il est vrai qu’on aurait aimé que soient traités le débat Erik Paterson-Carl Schmitt et les analyses très éclairantes de Christoph Theobald sur le sujet. Le cinquième et dernier chapitre du livre est consacré à « une question capitale pour l’assise de la foi trinitaire » : « […] où et comment le Dieu Trinité est-il révélé dans la vie de Jésus ? » (p. 189-219). Pour traiter de cette question, le Père Durand a décidé de reconstruire un débat, « à distance », entre saint Thomas d’Aquin et Hans Urs von Balthasar.

Le livre se clôt — mais il serait plus juste de parler, à la manière de Jean-Luc Nancy, d’une « déclosion » — sur une « “petite” théologie de la Révélation » (p. 221-229). Ces quelques pages sont très suggestives et justifieraient presque à elles seules qu’on se procure cet ouvrage, dont il faut recommander la lecture à tous ceux et celles intéressés par la doctrine trinitaire, appréhendée ici à partir du meilleur de la tradition chrétienne mais aussi avec une attention très marquée pour les résonances larges et actuelles de cette doctrine.