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L’année 1987 a marqué la publication du rapport Brundtland[1] produit par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement de l’Organisation des Nations Unies. Ce rapport a eu pour effet de populariser l’expression sustainable development, l’équivalent de la notion de « développement durable » dans la francophonie. Il découlait du mandat confié en 1983 à la présidente de la Commission d’alors, Gro Harlem Brundtland, et visait à élaborer un programme de changement à l’échelle mondiale avec comme objectif de réunir différents pays pour faire face aux crises et problèmes de la fin du XXe siècle, notamment les nombreuses crises économiques, l’épuisement inévitable des ressources naturelles et les catastrophes environnementales. Le rapport Brundtland a défini officiellement et pour la première fois le concept et les notions inhérentes au développement durable en y justifiant son importance pour les pays en voie de développement, mais également pour les pays industrialisés. Outre les retombées économiques, le rapport aborde le développement durable du point de vue de la société et de l’environnement. Au début du deuxième chapitre, on y définit le concept de développement durable comme suit :

Le développement durable est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs.

Brundtland 1987, 14

Cette définition fait manifestement référence aux besoins vitaux de chacun – se nourrir, se vêtir, se loger – auxquels s’ajoute le droit pour tous d’aspirer à certains idéaux, par exemple la possibilité de travailler ou d’améliorer sa vie.

Dans son ensemble, le rapport se penche sur la nécessité de réfléchir à nos actions présentes et de tenter d’en prévoir les conséquences pour l’avenir afin de minimiser leurs éventuels effets négatifs et irrévocables. Ce désir de se tourner vers des actions ou des idées qui répondent à la définition du développement durable est un choix que l’on peut juger politique certes, mais un choix qui s’avère également social et altruiste si on l’examine dans l’optique de vouloir réduire l’empreinte environnementale par des gestes individuels et collectifs. Le rapport souligne aussi que les choix que nous faisons mènent à l’exclusion de certaines options, ce qui peut limiter notre consommation et rétablir un certain équilibre. Il nous apparaît donc naturel que les bibliothèques – lieux qui ne servent guère les principes du système capitaliste et qui se déclarent comme neutres, sans vocation économique et passeuses du savoir et de la culture – soient les incubateurs des principes du développement durable.

Au Québec, c’est en 2004 que le gouvernement engage des actions concrètes qui donnent suite au rapport Brundtland en adoptant la Loi sur le développement durable. La Loi instaure 16 principes qui prennent en compte différents aspects environnementaux et qui s’adressent à tous les ministères et organismes publics. Elle a aussi permis au Québec d’élaborer sa propre définition du développement durable :

Au Québec, le développement durable s’entend donc d’un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Le développement durable s’appuie sur une vision à long terme qui prend en compte le caractère indissociable des dimensions environnementale, sociale et économique des activités de développement.

Gouvernement du Québec 2016

Quatre ans plus tard, en 2008, c’est au tour du fédéral d’adopter la Loi fédérale sur le développement durable, dans laquelle apparaît la définition du concept telle que présentée dans le rapport Brundtland. La Loi permet de rendre « le processus décisionnel en matière d’environnement plus transparent » (Gouvernement du Canada 2008) et reprend l’idée d’une rationalisation dans l’utilisation des ressources et des prises de décisions en considérant les effets du présent sur l’avenir.

À l’international, en 2015, 193 membres de l’ONU ont adopté 17 nouveaux objectifs de développement durable, détaillés en 169 cibles, dans l’Agenda 2030 (République française 2016). Selon la Confédération suisse (2016), ces objectifs possèdent une « validité universelle » et doivent être appliqués dans tous les pays, selon les ressources mises à la disposition de ces derniers. Deux objectifs de l’Agenda 2030 sont liés plus particulièrement à la mission des bibliothèques. Le quatrième objectif touche de plus près les bibliothèques scolaires et académiques : « Assurer l’accès de tous à une éducation de qualité, sur un pied d’égalité, et promouvoir les possibilités d’apprentissage tout au long de la vie. » (République française 2016) De même, le onzième objectif est d’intérêt pour toutes les catégories de bibliothèque : « Faire en sorte que les villes et les établissements humains soient ouverts à tous, sûrs, résilients et durables. » (République française 2016) Dans son document d’information Un accès et des opportunités pour tous (2017), l’IFLA associe d’ailleurs des exemples de bibliothèques et de services à chacun des objectifs de l’Agenda 2030 pour montrer que la bibliothèque est au coeur des changements et des innovations. Afin que l’Agenda 2030 demeure toujours pertinent et adapté aux besoins des pays participants, les ministres de chaque pays membre se réunissent chaque année afin de discuter des avancées en la matière, alors que les chefs d’État se rencontrent tous les quatre ans avec le même objectif.

L’existence de lois et d’objectifs internationaux renforce le besoin pour les institutions publiques de s’informer et de prendre des décisions réfléchies quant à l’avenir. Comme le mentionne l’UNESCO (2016), il est primordial de développer une « citoyenneté mondiale » afin de relever collectivement les défis de société, surtout lorsqu’il est question du sujet universel qu’est l’environnement, et cela doit commencer par la connaissance des lieux culturels propres à chaque communauté. C’est à cet égard que la bibliothèque intervient. Nous nous attarderons à présent à détailler les gestes concrets qu’elle peut poser, selon les ressources mises à sa disposition, pour être considérée comme une bibliothèque verte.

Le développement durable et les bibliothèques

Le 2 août dernier, le Fonds mondial pour la nature (WWF) publiait l’article Le Jour du dépassement global survient une semaine plus tôt cette année. On y mentionne que chaque année, la journée où la Terre a épuisé la totalité de ses ressources pour l’année survient de plus en plus tôt. En 2016, c’était le 8 août, cette année, le 2 août. Cela signifie que les quatre derniers mois de l’année ont accusé un « déficit écologique » (WWF 2017). Devant cette vérité frappante, quelles décisions de nature environnementale peuvent prendre les bibliothèques, à plus ou moins grande échelle, pour réduire leur empreinte écologique et par la même occasion embrasser la cause du développement durable ?

En 2002, une déclaration majeure pour les bibliothèques a été approuvée à Glasgow. Il s’agit de la Déclaration des bibliothèques et du développement durable, instaurée par l’International Federation of Libraries Associations and Institutions (IFLA) à l’occasion du 75e anniversaire de l’association[2]. Bien que la Déclaration ne mentionne pas explicitement que les mesures environnementales fassent partie du développement durable, on comprend que certains principes s’y réfèrent. Par exemple, l’IFLA « [d]éclare que tous les êtres humains ont le droit fondamental à un environnement proportionné pour leur santé et bien-être » (2002), ce qui implique eau potable, air de qualité et autres éléments qui procurent santé et bien-être. De plus, l’IFLA y demande qu’un réseau de bibliothèques et d’information se crée entre les bibliothèques situées dans les pays développés et celles situées dans les pays en voie de développement. Ce réseau permet d’échanger et de discuter afin d’offrir le plus de ressources possible aux pays dans le besoin. Les services de toute bibliothèque « [doivent être] respectueux de l’équité, la qualité de vie générale pour toutes les personnes et l’environnement naturel » (IFLA 2002). Cette affirmation sous-tend que les individus ont le droit à une qualité de vie optimale, mais aussi que l’environnement naturel doit être respecté, ce qui peut être atteint notamment par la réduction de l’empreinte écologique des bâtiments qui abritent les bibliothèques et des employés qui y travaillent.

Les considérations écologiques sont essentielles à la conception de tout projet de bibliothèque qui souhaite respecter les principes du développement durable :

Qu’elles le veuillent ou non, les bibliothèques ont une responsabilité sociale, et leur performance écologique se mesure en émission de CO2 ou en surface productive nécessaire pour répondre à la consommation de ressources et aux besoins d’absorption de déchets.

Schöpfel 2016, 51

En tant que service public ou privé, la bibliothèque doit gérer des ressources matérielles (équipement des salles de travail ou des salles de lecture, étagères, bureaux, etc.) et technologiques (ordinateurs, moniteurs, imprimantes, photocopieur, etc.) en fonction de sa mission et du nombre d’usagers à servir. Revenons ici à l’idée de choix et d’équilibre encouragés par une idéologie de développement durable : une bibliothèque pourrait décider de conserver les mêmes étagères lors d’un réaménagement, ou encore de diminuer le nombre de photocopieurs pour encourager la consultation numérique de ses ressources, ou inversement de renouveler les étagères dans un but esthétique ou encore, de conserver le même nombre de numériseurs et de produire une quantité énorme de recyclage de papier. Évidemment, les choix judicieux pour l’environnement ne sont pas toujours synonymes de rentabilité ou bien les bibliothèques peuvent vouloir emprunter cette voie, mais manquer de ressources financières en cours de route. Les suggestions et exemples proposés font référence à des changements dans la mesure où ces derniers sont possibles et réalistes pour les décideurs. Pour y arriver, il existe de nombreux standards, normes et certifications – qui diffèrent évidemment d’un pays à l’autre – qui touchent la construction ou la rénovation d’immeubles et la consommation d’énergie. On peut également inculquer des habitudes quotidiennes au travail. Applicables à une bibliothèque comme à tout autre bâtiment ou service, ces normes permettent d’affirmer qu’une bibliothèque correspond aux critères d’une bibliothèque verte.

La bibliothèque verte : de l’architecture à l’image générale de la bibliothèque

Les mouvements « verts » se sont popularisés au XXIe siècle dans plusieurs sphères de la société, notamment sur le plan économique (encourager les achats locaux), communautaire (valoriser le transport en commun) ou environnemental (utiliser l’énergie solaire ou produite par les éoliennes). Le mouvement vert se définit de manière générale comme suit :

[…] a set of practices to lead more environment-friendly and ecologically responsible decisions and lifestyles which will protect our environment and its natural resources for current and future generations.

Pangail 2015, 2

L’idée de répondre aux besoins présents sans compromettre ceux des générations futures, qui découle de la définition du développement durable, est reprise en se concentrant sur les ressources naturelles et l’environnement. Le mouvement s’est graduellement intégré aux bibliothèques, notamment pour ce qui a trait à la construction ou à la rénovation des bâtiments qui abritent les bibliothèques, et c’est à la fin des années 1990 qu’on voit apparaître le concept des bibliothèques vertes dans les ouvrages qui portent sur la bibliothéconomie, principalement aux États-Unis (Antonelli 2008, 2). Depuis, on compte au moins 42 bibliothèques aux États-Unis qui respectent ces objectifs et au moins une au Canada, soit la bibliothèque publique de Calgary (Antonelli 2016).

L’IFLA a créé un groupe spécial en 2009, appelé l’Environmental Sustainability and Librairies Special Interest Group (ENSULIB), qui a pour objectif de comprendre les conséquences des changements climatiques pour ensuite formuler des recommandations et de bonnes pratiques de respect de l’environnement qui s’adressent aux bibliothèques et à leurs services. L’ENSULIB partage la définition du Online Dictionary for Library and Information Service (ODLIS) qui veut mieux définir les Green Libraries :

[They are] designed to minimize negative impact on the natural environment and maximize indoor environmental quality by means of careful site selection, use of natural construction materials and biodegradable products, conservation of resources (water, energy, paper), and responsible waste disposal (recycling, etc.).

ENSULIB 2016

Cette définition permet d’illustrer de manière concise le portrait d’une bibliothèque verte. Détaillons à présent les différents aspects à considérer lorsqu’une bibliothèque souhaite se diriger dans cette voie.

La gestion immobilière « verte »

Comme le propose l’Online Dictionary for Library and Information Science (ODLIS), le concept de Green Libraries fait d’abord référence à des considérations immobilières, c’est-à-dire aux normes nationales, à portée internationale et développées dans plusieurs pays, qui encadrent la construction de bâtiments de tout type (y compris les bibliothèques) et qui procurent les conseils et les bonnes pratiques pour la rénovation des bâtiments. Ces normes portent sur les matériaux de construction durables et de qualité, l’utilisation de l’énergie solaire, la réutilisation des eaux grises, la présence de jardins sur les toits, l’économie d’électricité en favorisant l’éclairage naturel, etc. (Werner 2013)

L’aménagement extérieur doit aussi être pensé afin qu’il puisse offrir suffisamment d’espaces pour que les usagers ou les employés y stationnent leurs vélos, et proposer des espaces verts qui mettront en évidence le cachet « vert » du bâtiment. L’emplacement de celui-ci et l’accessibilité aux transports en commun influencera aussi le mode de transport choisi par les usagers (Werner 2013). Ces exemples ne sont pas exhaustifs et plusieurs autres éléments doivent être étudiés en fonction des exigences précises de chaque projet entre une bibliothèque et un organisme de certification.

Aux États-Unis, la certification appelée Leadership in Energy and Environmental Design (LEED) s’applique à tous les types de bâtiment et à toutes les phases de développement. Quatre niveaux de certification (Certificat, Argent, Or ou Platine) sont possibles selon les critères, mais de façon générale, les bâtiments LEED consomment moins d’eau et d’énergie et limitent les émissions de gaz à effet de serre. En 2013 aux États-Unis, 13 bibliothèques académiques possédaient une des quatre certifications LEED (Aulisio 2013). Bien que cette certification ait vu le jour en Amérique du Nord, des bâtiments partout dans le monde l’utilisent pour s’afficher « verts » : 1,85 million de pieds carrés reçoivent d’ailleurs la certification chaque jour (U.S. Green Building Council 2016).

En Asie, en raison de la conscientisation aux nombreuses crises écologiques et au climat particulier de cette région, des normes et standards spécifiques sont utilisés pour la rénovation des bibliothèques ou la construction de nouveaux bâtiments (Qutab, Ali et Ullah 2016). Que ce soit à Taiwan, à Singapour ou en Arabie Saoudite, des Green Librairies voient ainsi tranquillement le jour.

La bibliothèque publique de Rio de Janeiro au Brésil est aussi un exemple très intéressant de bibliothèque verte. Fondée en 1873, elle traversé les époques en sachant s’adapter continuellement et en déménageant plusieurs fois de bâtiments. En 2014, un projet majeur de rénovation la fait se démarquer, alors qu’elle devient la première bibliothèque brésilienne à recevoir la certification LEED Or (Bezerra Cardoso & Campos Machado 2015, 7).

Au Royaume-Uni, une norme similaire existe pour la construction ou la rénovation de bâtiments : il s’agit de la Building Research Establishment Environmental Assessment Method (BREEAM), qui permet d’attester la durabilité des installations depuis 1990. La BREEAM influence à plusieurs égards les projets immobiliers, quels qu’ils soient, « including low impact design and carbon emissions reduction ; design durability and resilience ; adaption to climate change ; and ecological value and biodiversity protection » (BREEAM 2016). Les services offerts par l’organisme permettent aux entreprises et organismes de construire des bâtiments attrayants qui s’adaptent à leur environnement et qui améliorent le bien-être des individus qui y travaillent ou y habitent (BREEAM, 2016). À ce jour, environ 2 250 500 bâtiments, toutes vocations confondues, sont enregistrés comme répondant aux critères de la BREEAM, principalement au Royaume-Uni, mais aussi dans plus de 50 pays. À Worchester, la bibliothèque à double vocation (universitaire et publique) que l’on nomme The Hive possède une haute certification BREEAM depuis la construction de son nouveau bâtiment en 2012 (The Hive 2016).

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The Hive, Worchester

The Hive, Worchester
©Tafline Laylin

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The Hive, Worchester

The Hive, Worchester
©Tafline Laylin

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En Australie, la norme développée par le Green Building Council se nomme Green Star et peut s’appliquer aux édifices résidentiels, publics ou autres. Cette certification propose aussi plusieurs niveaux et se mesure selon leur système de classement (intérieur, design et construction, projet de développement et rendement). En Australie, ce sont principalement les bâtiments publics qui sont certifiés Green Star. Le premier ayant obtenu les six étoiles de la certification est la bibliothèque publique de Melbourne, la Library at The Dock. Celle-ci se démarque par son design et est devenue le modèle à suivre, selon la directrice générale du Green Building Council :

Public buildings–whether they are national galleries or local libraries–are the heart of our communities. For this very reason, public buildings should be efficient, healthy, productive and resilient. The community now has independent proof that their library is all of these things.

Jamal 2016

La bibliothèque est ainsi considérée comme l’agent provocateur du changement et inspire d’autres institutions publiques à suivre son exemple.

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Library at The Dock, Melbourne

Library at The Dock, Melbourne
©City of Melbourne

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En France, c’est la norme Haute Qualité Environnementale (HQE) qui permet la construction, la rénovation ou l’exploitation des bâtiments. La HQE est la « meilleure manière d’attester des performances d’un bâtiment et de répondre aux grands enjeux de la ville durable » (Association HQE 2016). Les bibliothèques qui répondent à cette norme le font de manière très diversifiée et, comme le mentionne Ahmed Ksibi de l’Université de La Manouba en Tunisie, « il paraît peu probable aujourd’hui qu’un projet de nouvelle bibliothèque n’intègre pas ou peu des préoccupations dites HQE » (2002). Néanmoins, il faut demeurer conscient que les bibliothèques qui n’appliquent pas de normes environnementales dominent (Ksibi 2002).

Une étude réalisée en Croatie permet de confirmer qu’une minorité de bibliothèques sont au courant des options qui s’offrent à elles pour se conformer aux normes des Green Librairies. En 2014, le Work group for Green libraries a été formé et avait pour objectif de mener un sondage auprès des bibliothécaires pour identifier ceux qui acceptaient de participer à un projet de bibliothèque verte. Au total, 174 bibliothécaires de différents milieux ont répondu au sondage, ce qui représente 10 % des bibliothécaires croates (Kraljević & Lukaĉić 2015). La majorité des répondants n’étaient ni familiers avec le projet entamé par le groupe de travail ni avec un projet similaire en Croatie ou ailleurs dans le monde. Pourtant, 93 % des répondants étaient d’accord pour affirmer que « libraries should be involved in public education and raising awareness of ecological problems » (Kraljević & Lukaĉić 2015, 3). La Croatie est un pays qui pourrait en inspirer d’autres pour effectuer une étude similaire.

Cela étant, bien que ces normes ne soient pas mises en oeuvre (parce qu’on en ignore l’existence), on ne doit pas négliger le manque de ressources financières nécessaires pour apporter des changements de cette envergure. Les bibliothèques qui ont adhéré à l’une de ces normes ou certifications se retrouvent pour la plupart dans les pays industrialisés. Cependant, comme mentionné, la Déclaration de l’IFLA s’adresse également aux bibliothèques des pays en voie de développement et invite aussi ces dernières à s’engager dans la voie de l’écologie et du développement durable. Les recherches de Stranger-Johannessen, Asselin & Dorion (2015) montrent toutefois que les bibliothèques étudiées en Éthiopie et en Ouganda sur le plan du développement durable se préoccupent davantage de littératie et d’éducation des populations, principes également prônés dans la Déclaration de l’IFLA, en raison des multiples crises auxquelles ces pays font face :

Community libraries represent a rapidly increasing phenomenon in many parts of Africa, particularly fuelled by global crises in education, literacy, poverty, health, agriculture and human rights. Responses to these crises include major international initiatives (Millennium Development Goals, Education for All) and corresponding national and regional policies and programmes such as US Agency for International Development literacy initiatives in Africa, policies to build universal primary education and mother-tongue education and nationwide adult literacy initiatives.

Stranger-Johannessen, Asselin & Dorion 2015

Des habitudes à changer au quotidien

Si certaines bibliothèques ne peuvent disposer d’un bâtiment qui respecte les normes écologiques ou qui réduit au minimum son empreinte environnementale, on peut alors encourager les employés des bibliothèques à poser des gestes qui ne demandent pas ou peu de mobilisation de ressources au quotidien. Dans son article Sustainable buildings, equipment and management paru en 2013 dans le journal de l’IFLA, le professeur Klaus Ulrich Werner de l’Université libre de Berlin présente les aspects de planification, de construction et d’opérationnalisation des actions que peut entreprendre une bibliothèque pour être qualifiée de durable. Les exemples présentés dans les points ci-dessous s’inspirent des principaux éléments de la liste de Werner.

  • Lorsqu’on doit acheter des fournitures de bureau neuves, privilégier celles fabriquées à partir de matériau dérivé de plastique ou de papier recyclé afin que l’achat soit jugé écoresponsable. L’achat local permet en outre d’éviter la livraison et de réduire l’émission de CO2 issu du transport (Werner 2013, 7). On peut également encourager la réduction de consommation de papier en invitant, par exemple, les employés à n’imprimer leurs courriels ou tout autre document numérique qu’en cas d’urgence. On peut prévoir aussi l’aménagement d’un espace qui affiche de l’information sur le recyclage de divers matériaux et où les employés peuvent facilement séparer les matières recyclables comme le papier, le plastique, le verre, les piles, les appareils électroniques, etc. dans différents contenants (Werner 2013, 7). Pour les appareils électriques, prioriser ceux qui détiennent la certification Energy Star pour réduire l’utilisation d’énergie et ainsi économiser les ressources financières. Les employés peuvent aussi être invités à développer de bonnes habitudes, comme réduire le niveau de chauffage ou de climatisation à la fin de la journée, ou encore éteindre les ordinateurs et les moniteurs en quittant les lieux. En résumé, un des aspects d’une bibliothèque verte est de sensibiliser et de motiver les employés – commis, techniciens, professionnels – à apporter des changements dans leur quotidien.

  • L’agent de changement, qu’il soit gestionnaire ou bibliothécaire, doit s’imposer comme leader et démontrer que ces nouvelles valeurs et habitudes sont essentielles pour que la bibliothèque devienne un modèle à suivre en matière de développement durable.

  • Les espaces communs tels que la salle à manger ou les salles de bains, destinés aux employés ou aux usagers, peuvent aussi avoir une influence sur les effets environnementaux de la bibliothèque. Werner suggère donc de privilégier l’achat de produits biodégradables et sans contenu toxique, et d’utiliser des chiffons réutilisables pour nettoyer. Les salles de bains pourraient offrir des sèche-mains à air plutôt que l’habituel papier. La bibliothèque offrirait ainsi des espaces communs bien entretenus qui répondent aux standards de propreté sans trop causer d’impact sur l’environnement.

Ces changements dans les habitudes de consommation d’énergie et d’utilisation de ressources ont été mis en place avec succès à la bibliothèque publique Clarksville Montgomery de l’État du Tennessee (Hauke 2015, 2). La bibliothèque de la Vermont University à Burlington a pour sa part mis fin à son contrat avec Coca-Cola en 2011 afin d’encourager les étudiants à utiliser des bouteilles d’eau en plastique réutilisables plutôt que bouteilles jetables (Aulisio 2013, 5).

La gestion environnementale

Ces actions et ces gestes concrets pour réduire à sa plus simple expression l’impact environnemental des bibliothèques semblent simples à mettre en oeuvre dans une petite bibliothèque, mais la tâche peut s’avérer plus difficile dans un établissement de plus grande envergure, par exemple une bibliothèque nationale. Ces décisions doivent être adroitement planifiées afin qu’elles n’entraînent pas une mobilisation trop importante des ressources, qu’elles soient financières, matérielles ou humaines, et une perte significative d’efficacité. C’est la raison pour laquelle la norme internationale ISO14001 a été créée en 1996 et révisée en 2015. Cette norme :

[…] établit les exigences relatives à un système de management environnemental [et] […] aide les organismes à améliorer leur performance environnementale, […] gagnant, par là même, un avantage concurrentiel et la confiance des parties prenantes.

ISO14001 2015

Un des points de la liste de Werner traitait justement de marketing et de l’idée que l’image d’une bibliothèque verte correspond à une image positive. Ainsi, le fait de suivre une norme comme celle de l’ISO peut aider à construire l’image d’une bibliothèque verte engagée et sensibilisée aux enjeux actuels. Petra Hauke, professeure à l’Université d’Humboldt à Berlin, nous fait remarquer qu’une étudiante de l’Université de Stuttgart faisait état dans son mémoire Let’s go green – Developping a certificate for Green Librairies using the practical example of the Stuttgart Public Library du besoin de créer une certification pour les bibliothèques vertes qui tiendrait compte autant des services et du système de gestion d’une bibliothèque que de ses aspects immobiliers (Hauke 2015, 3).

Au-delà de ces considérations, certains professionnels réclament que l’on puisse reconnaître aussi une bibliothèque verte par son offre de service. Une définition plus englobante des Green Libraries a été proposée : « […] [W]e shift the trend and use the term ‘green library’ to refer to any library that promotes sustainability through education, operations, and outreach. » (Aulisio 2013, 1) Il serait possible d’éduquer les usagers d’une bibliothèque sur cet esprit communautaire de développement durable en intégrant la notion dans les activités et les services habituels de l’établissement. Par exemple, les livres de l’heure du conte pourraient porter sur des thèmes environnementaux ou encore la collection de la bibliothèque pourrait prioriser le développement de ressources sur ces sujets. Un autre moyen de rejoindre l’usager serait de tenir des activités d’information sur les moyens de réduire son empreinte écologique au quotidien à la maison.

Les bibliothèques qui souhaitent participer au mouvement « vert » disposent de plusieurs moyens et ressources. Selon les ressources de chacune et en fonction de la motivation des décideurs, et comme le dit si bien Ahmed Ksibi, « il s’agit – pas après pas – de gagner du terrain par le partage des idées, mais aussi dans l’éventualité consécutive à ce partage, appeler à la solidarité dans l’action » (Ksibi 2002, 8). La collaboration avec des organismes qui veulent aussi s’engager dans la voie du développement durable peut être une autre option à envisager pour enrichir le monde des bibliothèques et partager leurs idées à d’autres organisations motivées.

Rôle social et troisième lieu : trouver écho dans les principes du développement durable

Si le but de cet article était surtout de mettre en lumière les initiatives vertes et celles qui répondent aux normes écologiques nationales et mondiales dans le milieu des bibliothèques, on ne doit pas mettre de côté le rôle social de la bibliothèque, qui s’inscrit tout à fait dans la logique du développement durable.

La littérature en sciences de l’information est unanime à reconnaître que les bibliothèques configurées pour répondre aux besoins du XXe siècle sont maintenant dépassées. Pour assurer la durabilité de leurs institutions, les bibliothécaires doivent comprendre l’évolution des technologies et des besoins de la société actuelle et s’y ajuster. Autrefois pensées, construites et organisées pour la préservation de la documentation, les bibliothèques doivent désormais répondre à de tout autres impératifs.

The dawn of the ‘information superhighway’ threatened to make [libraries] less relevant, even obsolete. Yet now, these institutions are as prominent as ever, with a wave of innovation as the next generation of libraries extend their mission well beyond the storage of knowledge.

Nikitin & Jackson s.d.

On s’en doute bien, un des impératifs du développement durable est de toujours penser en fonction de l’avenir et de la capacité de l’ici-maintenant à demeurer utile et viable à long terme. Un autre moyen pour les professionnels de l’information de s’assurer du respect du principe du développement durable est de faire preuve d’une grande ouverture au sujet des changements engendrés par la société de l’information et de l’instantanéité. Puisqu’il est impossible de rivaliser avec les surpuissances de l’information telles que Google, les bibliothèques du XXIe siècle se réorientent progressivement vers un nouveau paradigme, celui de servir la communauté avant tout, d’agir comme lieu ouvert, public et accessible. La bibliothèque du XXIe siècle est celle qui favorise les rencontres, le foisonnement d’idées nouvelles, l’intégration et le mélange des cultures et des âges. Elle est désormais imaginée en fonction des besoins de ses usagers et non en fonction de l’information dont elle se fait encore la gardienne. Auparavant chargées de la gestion des collections documentaires, les bibliothèques ont aujourd’hui transformé leur mission première pour se consacrer davantage à leur communauté et à son bien-être.

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Dokk1, Aarhus

Dokk1, Aarhus
©Lucy Wang

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fIGURE 5

Dokk1, Aarhus

Dokk1, Aarhus
©Lucy Wang

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Le nombre de projets de bibliothèques dites « troisième lieu » ne cesse d’augmenter, que ce soit en réponse à une position gouvernementale en matière de développement durable, pour revitaliser un quartier ou encore, pour dynamiser les populations et les inciter à fréquenter les bibliothèques. Et bien que nous puissions tous, de près ou de loin, trouver un projet de bibliothèque qui s’inscrit dans ce mouvement, nous avons voulu attirer davantage l’attention sur le cas de Dokk1, véritable projet novateur qui a vu le jour en 2015 au Danemark, qui ne peut que servir d’inspiration pour d’autres initiatives du genre.

Dokk1, bien plus qu’une bibliothèque

La ville d’Aarhus au Danemark est reconnue pour ses multiples entreprises d’énergie éolienne, son important port industriel, son architecture, son design, mais également pour sa population, qui est parmi « la plus jeune et la plus heureuse » (Jacquet 2016). En effet, les étudiants représentent 19 % de la population, qui sont au nombre d’environ 60 000. Il n’est donc pas étonnant que la ville ait pris la décision, dès 1994, de redynamiser les bibliothèques pour en dépoussiérer l’image. Les termes Multimedia House ou Urban Mediaspace sont d’ailleurs utilisés pour définir la nouvelle bibliothèque, car « Dokk1 n’est pas seulement un projet de bibliothèque. C’est avant tout un projet pour la ville : un projet urbain, communautaire et social » (Jacquet 2016). Un peu à l’image des Idea Stores de Londres ou de la Stadtbibliothek de Stuttgart, Dokk1 est d’abord un projet de réaménagement urbain pour la ville d’Aarhus, en plus d’avoir comme mission première de se rendre utile pour la communauté et d’agir comme lieu de rencontres et d’échange.

Pour mener à bien le projet, la bibliothèque s’est entre autres dotée d’un guichet voué aux citizen services, tenu par des employés municipaux et où les gens peuvent obtenir des services liés aux passeports, à la sécurité sociale, etc. (Jacquet 2016) La bibliothèque abrite également plusieurs espaces multifonctionnels, une salle de presse, une cafétéria de même qu’un jardin intérieur. L’accent a également été mis sur l’accessibilité, ce qui fait en sorte que Dokk1 est ouverte 7 jours sur 7, de 7 h à 22 h. Ainsi, les usagers sont très diversifiés et on se rend compte rapidement qu’ils visitent la bibliothèque moins pour les collections qu’elle offre que pour son ambiance ouverte, invitante et agréable, pour son emplacement central et pour la vue imprenable qu’elle offre sur le port.

Dokk1 engendre ainsi de nouvelles habitudes de vie au sein de sa communauté en mettant à la disposition de tous, de façon démocratique, un espace citoyen où il fait bon se rencontrer. Les habitants d’Aarhus et des alentours redécouvrent le lieu public qu’est la bibliothèque et se l’approprient en tant que lieu d’échange et de rencontre, où tout est gratuit et facile d’accès. Nous pouvons donc en conclure que les instigateurs ont bel et bien réussi leur mission. Marie Østergård, développeuse de projet, déclare à ce sujet : « Nous ne construisons pas un bâtiment pour les collections, mais nous construisons un bâtiment pour les gens. » (Jacquet 2016) Dokk1 est un bel exemple de développement durable, car il a été développé et conçu en fonction des besoins de la population et pour tenir compte de l’évolution et des changements de comportements de celle-ci tout en s’éloignant des rôles traditionnels attribués aux bibliothèques du passé.

Discussion

Puisque le concept de développement durable peut sembler être une mode passagère, un concept qui fait bonne figure dans les textes de loi et les normes, sans jamais trouver écho dans la réalité, nous souhaitions confirmer l’existence de réalisations concrètes de bibliothèques pensées et organisées dans le souci du développement durable. Notre premier constat est que la masse d’information qui porte sur le sujet est immense et les quelques exemples présentés ici ne sont qu’un bref survol des constructions, programmes et services en cours dans les bibliothèques dans le monde.

Au Québec, Bibliothèque et Archives nationales (BAnQ s.d.) s’est dotée du Plan d’action de développement durable 2015-2020, qui a connu sa première itération en 2008. Ainsi, depuis bientôt une décennie, le souci de prendre en compte les impératifs du développement durable dans nos institutions bibliothéconomiques perdure, s’enrichit et semble bien ancré dans les prises de décisions. BAnQ s’étant dotée de la mission de renforcer la coopération et les échanges entre les différentes bibliothèques et institutions documentaires québécoises (BAnQ s.d.-b), elle exerce donc une certaine influence auprès d’elles. Nous sommes d’avis que certaines bibliothèques du Québec ont pu largement s’inspirer de ses initiatives publiques en matière de développement durable pour développer et s’approprier le concept. Le positionnement des institutions publiques nationales d’influence pour le développement durable n’est donc pas à sous-estimer et constitue sans doute la clé du succès de la multiplication d’initiatives responsables et novatrices. Plusieurs projets québécois qui répondent aux préceptes du développement durable méritent d’ailleurs d’être soulignés, par exemple la Bibliothèque de Varennes, qui produit autant d’énergie qu’elle en consomme (Harrison-Julien & Gerbet 2015), ou encore la Bibliothèque de Charlesbourg, à Québec, qui est presque entièrement chauffée et climatisée par la géothermie et dotée d’une toiture végétale recouvrant 1 830 mètres carrés (Portail du développement durable au Québec 2012). Dans la région de Montréal, les bibliothèques Saul-Bellow, Le Boisé et Marc-Favreau sont également d’excellents exemples du souci accordé à l’environnement et aux fondements du développement durable en bibliothèques.

Conclusion

Pour conclure et pour répondre à l’interrogation qui était sous-jacente à nos recherches, à savoir « La bibliothèque est-elle encore pertinente de nos jours ? », c’est sans conteste que nous y répondons par l’affirmative, surtout lorsqu’on prend connaissance de l’ensemble des projets cités dans le présent article. Nous pouvons donc affirmer que le développement durable est :

[…] une façon de confirmer la possibilité d’une bibliothéconomie responsable, engagée, politique et soucieuse de l’environnement. C’est aussi une façon de porter nos débats sur la médiation, les biens communs et le numérique au coeur même de la société, et d’ouvrir la bibliothèque aux préoccupations majeures de notre temps, sur le monde.

Schöpfel 2016, 53