Corps de l’article

Chaque jour au Québec, des acteurs du monde du travail sont aux prises avec les délais prévus dans le Code du travail[1]. En effet, celui-ci indique des moments précis pour l’acquisition, l’exercice et l’extinction des droits des employeurs, des syndicats et des salariés. Les règles relatives à la computation des délais sont complexes et, dans certains cas, font l’objet de controverses jurisprudentielles. Or, jusqu’ici, la doctrine n’a pas pris la computation des délais pour objet d’étude. Nous voulons, dans le présent article, pallier cette lacune en offrant une étude compréhensive des fondements des règles de computation des délais et de leur mise en oeuvre.

Après une brève discussion sur l’importance des délais pour le régime des rapports collectifs du travail, la première partie de l’étude expose les sources des règles applicables à la computation des délais et les concepts clés permettant leur mise en oeuvre. La seconde partie fait état de la jurisprudence portant sur l’application de ces règles à des situations concrètes, notamment en matière d’accréditation ou d’acquisition du droit de grève ou de lock-out ou encore de recours tributaires du Code du travail ou d’une convention collective.

1 Fondements

Bien que la computation des délais puisse se révéler un exercice d’une technicité fastidieuse, il n’en demeure pas moins que ce procédé est important pour la mise en oeuvre du droit, car « le droit positif mesure la vie des situations juridiques au rythme des délais qu’il institue[2] ». Pour que ces « espaces de temps à l’écoulement desquels s’attachent des effets de droit[3] » puissent fonctionner comme repères en vue d’établir le moment de « la formation, [de] la réalisation ou [de] l’extinction des situations juridiques, ou [de] l’acquisition et [de] l’extinction des droits[4] », le temps doit être objectivé en unités mesurables et calculables. Tourner son regard vers la computation des délais, c’est donc « s’interroger sur la façon dont le droit prend le temps pour objet[5] ».

L’objectivation du temps s’avère d’un grand intérêt pour de multiples domaines du droit[6] et le droit du travail n’y fait pas exception[7]. En effet, la relation du travail se caractérise par la mise à disposition par le salarié de sa force du travail au profit de l’employeur « pour un temps limité et moyennant rémunération[8] ». Ce rapport particulier distingue le salarié de l’entrepreneur indépendant, dont l’organisation du temps n’est pas subordonnée aux ordres du donneur d’ouvrage[9], et de l’esclave, pour qui la subordination n’a pas de limite temporelle[10]. Certains droits du salarié diffèrent selon la durée déterminée ou indéterminée de son contrat de travail[11], tandis que l’acquisition d’autres dépend de « la durée ininterrompue pendant laquelle le salarié est lié à l’employeur par un contrat de travail[12] ». De plus, la législation protectrice des salariés limite la durée du travail et prévoit des périodes de pause et de congé[13]. Enfin, la rémunération minimale prévue par la loi se mesure en fonction d’un point de référence temporelle : si la rémunération à la pièce ou selon le rendement est permise, sa conformité avec le seuil minimal est déterminée en fonction du salaire horaire[14].

Le rapport au temps est donc central pour le droit du travail comme tel, mais c’est dans le domaine du droit des rapports collectifs du travail que la question précise des délais et de leur computation devient prioritaire, à tout le moins en Amérique du Nord où les lois en la matière imposent des limites majeures, du point de vue du temps, à l’exercice des droits qu’elles confèrent.

1.1 Délais dans les rapports collectifs du travail

1.1.1 Importance des délais pour le régime législatif

L’importance des délais pour les rapports collectifs du travail tient du fait que les régimes législatifs inspirés de la Wagner Act[15], dont le Code du travail du Québec[16], cherchent à atteindre l’objectif de la paix industrielle en restreignant à des époques très précises l’exercice des droits qu’ils confèrent. Ces restrictions temporelles ne sont pas que des mécanismes procéduraux nécessaires à la mise en oeuvre du système : elles en sont plutôt des éléments substantiels[17]. Premièrement, de tels régimes prévoient un monopole de représentation par un syndicat unique pour chaque groupe de salariés, et il devient alors indispensable de déterminer les périodes récurrentes lors desquelles les salariés peuvent remettre en cause leur représentation syndicale, et ce, afin de préserver leur liberté d’association[18]. Deuxièmement, les rapports entre les employeurs et les syndicats sont envisagés par ces régimes comme cycliques, chaque cycle étant composé d’une période plus ou moins longue de coopération dans la poursuite de la production et d’une période plus ou moins courte d’affrontement se terminant par un « traité de paix[19] » où sont énoncées les conditions de la coopération pour la période productive du prochain cycle[20].

Le droit de choisir son représentant syndical, le droit d’exiger de l’autre partie qu’elle négocie en vue de conclure une convention collective et le droit de faire la grève ou d’imposer un lock-out sont tous soumis à des limites temporelles déterminantes. Ainsi, une requête en accréditation déposée en dehors d’une période dite « ouverte » est irrecevable[21], une demande de négocier en marge de la « phase de négociation » n’est pas opposable à l’autre partie[22] et une grève ou un lock-out poursuivi à l’extérieur des périodes permises est illégal[23]. Si l’existence de ces limites ne pose pas, en soi, de questions théoriques nécessitant une problématisation, leur importance pratique ne saurait être sous-estimée[24]. En les modifiant, on peut profondément changer l’équilibre des forces entre travailleurs et patrons, de sorte que leur établissement revêt un caractère politique incontournable[25]. De plus, vu les conséquences qui découlent de leur non-respect, leur computation est d’une importance capitale pour les acteurs du domaine.

1.1.2 Sources

Étant donné l’importance des délais pour le régime instauré par le Code du travail, il n’est pas surprenant d’y trouver, outre les dispositions énonçant les délais comme tels, des articles précis régissant leur computation. Ces articles — énumérant les jours ouvrables et fériés[26], les règles de la computation[27] et leurs exceptions[28] — figurent au chapitre X du Code du travail, chapitre intitulé « De la procédure ». Par conséquent, et contrairement aux affaires qui relèvent du droit commun, la computation des délais pour les matières régies par le Code du travail échappe à l’application du Code de procédure civile[29]. On peut, par commodité, s’inspirer de ce dernier pour interpréter les dispositions du Code du travail relativement à la computation des délais, mais cela n’est aucunement obligatoire[30]. Par ailleurs, certaines règles relatives à la prescription prévues par le Code civil du Québec peuvent avoir un impact sur la computation de délais établis en vertu du Code du travail[31]. Il en est ainsi, par exemple, pour celles qui régissent la renonciation, l’interruption et la suspension de la prescription[32].

Aux dispositions du Code du travail relatives aux délais s’ajoutent celles de ses règlements, lesquels peuvent les compléter[33] ou même en prévoir d’autres pour certaines industries[34]. De plus, les Règles de preuve et de procédure du Tribunal administratif du travail[35] renferment également plusieurs dispositions prévoyant les délais applicables aux litiges soumis à ce tribunal[36].

Évidemment, le Code du travail doit être interprété en tenant compte des principes reconnus de l’interprétation des lois, y compris ceux qui sont relatifs à la computation des délais[37], ainsi que des règles en matière de computation des délais édictées par la Loi d’interprétation[38], laquelle s’applique aux matières relevant de ce code, à moins que le contexte ou le texte ne s’y oppose[39]. Il en va de même pour les règlements adoptés en vertu du Code du travail[40].

Au moment d’interpréter ces diverses dispositions législatives et réglementaires en matière de computation des délais, il faut habituellement prendre en considération la jurisprudence pertinente. C’est là un principe général applicable à l’ensemble des dispositions du Code du travail, et ce, malgré l’absence d’une règle de stare decisis qui serait contraignante pour les tribunaux administratifs chargés de son application[41]. Par contre, si l’uniformité de la jurisprudence est souhaitable dans tous les domaines, les tribunaux sont particulièrement réfractaires aux déviations du consensus jurisprudentiel quand il s’agit d’interpréter les dispositions sur la computation des délais[42].

Par ailleurs, le corpus jurisprudentiel en matière de computation des délais élaboré par la division des relations de travail du Tribunal administratif du travail (TAT) et par ses prédécesseurs, soit la Commission des relations du travail (CRT), le Bureau du commissaire général du travail et le Tribunal du travail, n’est pas limité aux seules décisions portant sur le Code du travail stricto sensu. En effet, les procédures de plainte prévues par la Loi sur les normes du travail indiquent que les dispositions de la Loi instituant le Tribunal administratif du travail relatives au TAT et celles du Code du travail qui concernent l’arbitre de griefs « s’appliquent compte tenu des adaptations nécessaires[43] ». De son côté, la jurisprudence nous enseigne que la computation des délais pour ces plaintes doit se faire en se référant aux dispositions en la matière du Code du travail[44]. Plusieurs autres lois ont des dispositions de renvoi similaires[45], et il est logique que les délais en vertu de ces lois soient calculés de la même façon que ceux qui sont prévus par le Code du travail, car le TAT est chargé de leur application[46].

Enfin, la jurisprudence arbitrale peut servir de source d’interprétation des dispositions du Code du travail relatives à la computation des délais, dans la mesure où les arbitres y font référence. Ceux-ci doivent se référer, dans un premier temps, aux dispositions de la convention collective. Toutefois, en l’absence de dispositions qui contredisent clairement les dispositions du Code du travail relatives à la computation des délais, ces dernières peuvent trouver application[47].

1.2 Computation des délais

La computation des délais est une opération qui consiste à faire le compte d’unités de temps à partir de points de repère temporel et selon des règles établies, le tout en vue d’arriver à un moment précis ou à une période définie. Pour bien comprendre ce processus, il faut élucider les concepts clés d’« unité de temps » et de « point de repère temporel » ainsi que les règles de la computation.

1.2.1 Concepts clés

1.2.1.1 Unités de division du temps

Pour être soumis à la computation, les délais doivent être exprimés en unités mesurables et comparables. Dans le Code du travail, les unités utilisées sont l’heure, le jour, le mois et l’année. Toutefois, on n’y trouve pas de délais exprimés en nombre de semaines[48].

Heure

Seules trois dispositions du Code du travail prévoient des délais comptés en heures[49]. Dans les trois cas, il s’agit de situations de grève ou de grève imminente, quand on peut s’attendre que les choses évoluent rapidement. Le Code du travail ne contient aucune disposition régissant la computation de tels délais et le Code de procédure civile non plus. La Loi d’interprétation ne définit pas le mot « heure » et, à notre connaissance, aucune décision judiciaire ne traite de la façon de calculer un délai exprimé sous forme d’heures. Dans ces circonstances, la démarche la plus logique est d’appliquer les règles relatives à la computation des délais en jours mutatis mutandis, c’est-à-dire que, pour déterminer le moment d’expiration d’un délai exprimé en heures, l’heure du départ n’est pas comptée, tandis que l’heure d’échéance l’est.

Jour

Le Code du travail ne contient aucune définition du terme « jour », pas plus que la Loi d’interprétation. On peut alors se référer à sa définition commune, c’est-à-dire un « [e]space de temps de vingt-quatre heures, de minuit à minuit[50] ». Cela dit, le double emploi de « minuit » pouvant entraîner une certaine confusion, nous préférons nous en tenir à l’espace de temps qui dure de 00 h 00 à 24 h 00. D’ailleurs, c’est la solution retenue par la jurisprudence[51], selon laquelle une convention collective expire à l’instant précis où coïncident 24 h 00 de la dernière journée de son application et 00 h00 du lendemain, ainsi que par le législateur dans le nouveau Code de procédure civile[52].

Outre le jour tout court, le Code du travail fait référence également aux jours « franc[53] », « ouvrable[54] », « ouvrable franc[55] », « férié[56] » ou « assimilé à un jour férié[57] ». Notons que l’emploi de cette terminologie est récent : l’entrée en vigueur du nouveau Code de procédure civile en 2016 a eu pour effet de remplacer les anciennes expressions « jour juridique » et « jour non juridique » par « jour ouvrable » et « jour férié » respectivement dans toutes les lois, y compris le Code du travail[58].

Bien que, grammaticalement, l’adjectif « franc » dans les expressions « jour franc » et « jour ouvrable franc » modifie le nom « jour », ces expressions ne se réfèrent pas à une caractéristique qui serait propre à certains jours, mais plutôt à la nature du délai auxquels ils participent[59]. Un délai exprimé en jours francs est un délai « qui ne comprend ni le jour qui constitue le point de départ (dies a quo), ni celui de l’échéance (dies ad quem)[60] ». Chacun des délais exprimés en jours francs dans le Code du travail est un délai minimal, précédé par les mots « au moins[61] ». Dans ces circonstances, une personne ne peut accomplir l’acte autorisé qu’au lendemain du jour de l’expiration du délai[62]. Il en va de même pour les « jours ouvrables francs ». Ainsi, un délai exprimé sous forme de « jours ouvrables francs » est calculé en comptant seulement les jours ouvrables et en excluant celui du départ et celui de l’échéance[63].

Le Code du travail ne définit pas l’expression « jour ouvrable ». Il faut alors revenir à la notion de « jour férié » car, dans les lois[64], les jours ouvrables sont des jours qui ne sont pas fériés[65]. Les jours fériés sont énumérés à l’article 151.1 du Code du travail : ils comprennent les dimanches, 11 jours de fête et « tout autre jour fixé par proclamation ou décret du gouvernement comme jour de fête publique ou d’action de grâces[66] ». À remarquer que la liste de « jours fériés » ou de « jours de fête » dans la Loi d’interprétation n’en compte que 9[67] et que la liste de « jours fériés et chômés » dans la Loi sur les normes du travail se limite à 7[68]. Il est donc tout à fait possible qu’un jour soit férié aux fins de la computation des délais en vertu du Code du travail, sans qu’il soit reconnu comme tel à d’autres fins[69]. Par ailleurs, le fait qu’un jour est juridiquement « ouvrable » ne veut pas nécessairement dire que les établissements sont ouverts : le personnel du bureau du TAT peut être en congé sans qu’il s’agisse d’un jour férié au sens du Code du travail[70]. Seule une proclamation par décret du gouvernement peut ajouter un jour à la liste des jours fériés : une décision administrative du TAT ne suffit pas à cet égard.

Comme l’expression l’indique, le jour « assimilé à un jour férié » est un jour qui n’est pas férié, mais qui est traité comme tel aux fins de la computation des délais[71]. Ce sont les samedis, le 26 décembre et le 2 janvier[72]. Il y a une incongruité dans cette assimilation du 26 décembre et du 2 janvier à des jours fériés, car ce sont précisément des jours fériés[73].

L’explication se trouve dans la Loi modifiant le Code de procédure civile et d’autres dispositions législatives[74] de 1978, laquelle a ajouté ces dates aux listes de jours non juridiques (maintenant appelés « fériés ») de plusieurs lois, dont le Code du travail[75]. Malheureusement, alors que le législateur a fait la modification conséquente à la disposition de l’ancien Code de procédure civile portant sur les jours assimilables aux jours non juridiques[76], il l’a oubliée pour le Code du travail. Et l’erreur n’a pas été corrigée lors des modifications apportées à l’article 151.3 du Code du travail en 2006[77] ni en 2016[78].

Mois

Le terme « mois » n’est pas défini par le Code du travail, mais la Loi d’interprétation prévoit que ce mot « signifie un mois de calendrier[79] ». C’est cette idée — et non celle selon laquelle un mois serait constitué d’un nombre précis de jours — qui est adoptée par la jurisprudence. Le Tribunal du travail, se référant au Dictionnaire des relations du travail[80], en est venu à la conclusion qu’il s’agit de l’« [i]ntervalle compris en un quantième quelconque et le même quantième du mois suivant[81] », ce qui découle du fait que les mois du calendrier n’ont pas tous le même nombre de jours[82]. Une façon plus exacte d’exprimer cette idée serait de définir le mois comme une période de temps allant du jour n d’un mois donné au jour n-1 du mois suivant, inclusivement.

Il s’ensuit que le nombre de jours dans un délai exprimé en mois est nécessairement variable : un délai de 3 mois pourrait être aussi court que 89 jours (par exemple, du 1er février au 30 avril) et aussi long que 92 jours (par exemple, du 1er novembre au 31 janvier)[83]. Quand le législateur veut qu’une période soit de la même durée, peu importe où elle se situe dans le calendrier, il doit donc l’exprimer en jours. Ce sera le cas, par exemple, des « périodes ouvertes » prévues par les articles 22 d) et 22 e) du Code du travail, lesquelles sont toujours d’une durée de 31 jours, peu importe où elles se situent dans l’année[84].

Année

Le terme « année » n’est pas défini par le Code du travail ni par la Loi d’interprétation. Aux fins de la computation des délais, il est logique de comprendre l’année sur le même modèle que le mois, c’est-à-dire l’intervalle compris en un quantième quelconque et le même quantième de l’année de calendrier suivante ou, pour être plus précis, une période de temps allant du jour n d’une année donnée au jour n-1 de l’année suivante, inclusivement. C’est d’ailleurs le sens que l’on donne à « année civile », laquelle « s’étend du 1er janvier au 31 décembre[85] ».

Définir l’année comme un intervalle entre deux dates de calendrier est aussi la solution retenue par la jurisprudence[86]. Dans l’affaire Union internationale des travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 501 et Syndicat des employés de l’Abattoir Ouellet Inc.[87], il fallait trancher entre la définition indiquée en jours et celle qui était exprimée comme un intervalle entre deux dates. La question s’est posée parce que les parties voulaient déterminer la durée en années d’une convention collective en vigueur pendant une année bissextile. Si l’année était définie comme une période de 365 jours, alors la convention aurait été en vigueur un jour de moins que la période entre deux dates du calendrier, car l’année bissextile est composée de 366 jours. Le commissaire Bussière est venu à la conclusion que l’année est déterminée en fonction des dates de calendrier et non d’un nombre de jours précis : « Le nombre de jours n’entre en ligne de compte que si le délai doit être calculé en jours[88]. »

1.2.1.2 Points de repère temporels

Tout processus de computation des délais doit commencer par la détermination du point de départ – le jour a quo[89]. Ce n’est qu’après avoir établi celui-ci que l’on peut appliquer les règles de calcul des unités afin d’arriver à la date ad quem, c’est-à-dire le jour d’échéance du délai[90].

Vu l’importance de la convention collective sous le régime du Code du travail, il n’est pas surprenant que le point de départ de plusieurs délais soit déterminé en se référant aux moments importants de son existence, notamment sa signature, son entrée en vigueur et son expiration.

Entrée en vigueur et expiration d’une convention collective

Déterminer la durée exacte d’une convention collective est primordial pour la computation de plusieurs délais imposés par le Code du travail[91]. En effet, pendant qu’une convention collective est en vigueur, les parties ne peuvent pas avoir recours à la grève ou au lock-out[92] et la représentativité du syndicat ne peut pas être remise en cause, sauf à des périodes précises calculées en fonction de la date d’expiration[93]. C’est en raison de la nécessité de connaître la durée précise des conventions collectives que le législateur a prévu une présomption qui s’applique en l’absence d’une durée établie par les parties[94] et qu’il a investi le TAT du pouvoir de « déterminer la date d’expiration de la convention collective lorsque cette date n’y est pas clairement indiquée[95] ». De plus, à cause de l’importance de la durée de la convention collective pour la détermination des périodes de remise en cause de la représentation syndicale, une modification par les parties de la durée d’une convention collective en vigueur ne saurait être opposable aux tiers[96].

Même si la durée d’une convention collective est normalement calculée en nombre d’années et que sa signature, son entrée en vigueur et son expiration doivent être situées à des dates précises, ces données ne sont pas déterminées en application des règles de computation des délais[97].

Il existe trois données relatives à la vie temporelle de la convention collective qui sont pertinentes relativement à la computation des délais : la date de son début, la date de son expiration et sa durée. Évidemment, quand on connaît deux de ces trois données, la troisième peut être déterminée par calcul. On peut toujours établir la date de début d’une convention collective et ainsi deux types de calcul se présentent comme cas de figure. Le premier cas est celui où l’on connaît les dates de début et d’expiration d’une convention collective : le calcul sert alors à préciser sa durée. Le second est celui où l’on sait la date de début de la convention collective et sa durée : il reste alors à calculer sa date d’expiration.

La première étape dans tout calcul relatif à la durée d’une convention collective consiste à déterminer sa date de début. Malgré l’importance de la date de sa signature à certaines fins[98], c’est « l’entrée en vigueur qui marque incontestablement le début d’une convention collective[99] », et la date d’entrée en vigueur d’une convention ne correspond pas nécessairement à sa date de signature. L’entrée en vigueur est plutôt déclenchée par le dépôt de deux exemplaires de la convention collective auprès du ministre du Travail[100]. Une fois que celle-ci est déposée, il faut se référer à son texte pour connaître sa date d’entrée en vigueur, laquelle peut être antérieure à son dépôt et même à sa signature[101]. C’est seulement en l’absence d’une disposition expresse dans une convention collective stipulant sa date d’entrée en vigueur que l’on retient la date de la signature comme date de début[102].

Une fois que le véritable début d’une convention collective est déterminé, on peut procéder au calcul soit de sa durée, soit de sa date d’expiration, selon l’information détenue.

La durée d’une convention collective est l’intervalle de temps pendant laquelle celle-ci se trouve en vigueur, ce qui, par ailleurs, peut différer de la période durant laquelle ladite convention produit des effets juridiques[103]. Bien que la date d’expiration d’une convention collective soit le point de repère le plus commun pour la computation des délais, la durée peut avoir un impact important. La question de savoir si une convention est d’une durée de 3 ans ou moins, ou encore de plus de 3 ans, est particulièrement lourde de conséquences. En effet, le Code du travail interdit que la première convention collective d’un groupe de salariés donné soit d’une durée de plus de 3 ans[104] : ainsi, toute première convention dont la durée apparente est supérieure à 3 ans est ramenée à une durée de 3 ans aux fins de la computation des divers délais qui se calculent à partir de son expiration[105]. En ce qui concerne les conventions collectives subséquentes, elles peuvent avoir une durée de plus de 3 ans, mais dans cette éventualité les périodes ouvertes sont établies différemment de celles des conventions d’une durée de 3 ans et moins[106].

Souvent, la date d’expiration d’une convention collective y est indiquée expressément. Si la disposition comprend le mot « inclusivement », la durée de la convention collective ne souffre pas d’ambiguïté. Or, ce mot est souvent omis, ce qui peut soulever des difficultés d’interprétation. La solution retenue par la jurisprudence est de présumer que, chaque fois qu’une convention collective mentionne une date d’entrée en vigueur et une date d’expiration, les deux dates sont incluses dans la computation de sa durée. Ainsi, une convention collective qui se dit en vigueur « jusqu’à » une date donnée est en vigueur cette date même, laquelle est donc incluse dans la computation de sa durée[107]. Dans d’autres contextes, le Tribunal du travail a statué que le terme « entre » signifie que les deux termes d’une période sont inclus dans cette dernière. Ainsi, dans la locution « entre x et y », les dates x et y sont comprises dans la computation de la durée de la période[108] et ce raisonnement s’applique également à la durée des conventions collectives. Ce sont là des applications particulières du principe général voulant qu’une convention collective demeure en vigueur jusqu’à 24 h 00 de la date de son expiration[109]. Il s’ensuit qu’une convention collective qui se dit en vigueur d’un quantième « jusqu’à » le même quantième de l’année suivante (ou « entre » ces deux dates) est d’une durée d’un an et un jour et pas seulement d’un an, ce qui peut avoir des conséquences importantes pour des parties[110].

Si l’on connaît la date d’entrée en vigueur d’une convention collective et sa durée, on peut aisément calculer sa date d’expiration. Pour ce faire, il faut simplement tenir compte des principes jurisprudentiels mentionnés ci-dessus. Premièrement, le point de départ est la date d’entrée en vigueur, même si celle-ci est antérieure à la signature[111]. Deuxièmement, on n’applique pas les règles relatives à la computation des délais et donc la première journée est comptée[112]. Troisièmement, la date d’expiration est la dernière date à laquelle la convention collective est en vigueur[113]. Enfin, si la durée prévue est supérieure à la durée maximale permise par le Code du travail, la date d’expiration est ramenée à la journée de la durée permise[114].

Autres points de repère

Outre les moments clés dans la vie d’une convention collective, le Code du travail prévoit une multitude de points de repère à partir desquels les délais sont calculés. Par exemple, des délais courent à partir de la naissance d’une cause d’action[115], de la connaissance d’un évènement[116], du dépôt d’un document[117], de la réception d’un document[118] ou de sa réception réputée[119], de la nomination d’un arbitre[120], de la convocation d’un témoin[121], de la prise en délibéré d’une affaire[122], du prononcé d’une sentence arbitrale[123] ou de l’annonce de l’intention d’un employeur d’appliquer les clauses telles qu’elles ont été convenues dans une sentence arbitrale[124].

Contrairement aux moments de la vie d’une convention collective, ces points de repère ne font pas l’objet d’une jurisprudence volumineuse[125]. En règle générale, ils peuvent être situés facilement et leur détermination soulève peu de controverses, sauf en ce qui concerne l’impact des jours fériés et les samedis, laquelle est traitée ci-dessous[126].

1.2.2 Règles de computation

Une fois que l’on a situé le point de repère temporel qui marque le début d’un délai prévu par le Code du travail et que l’on sait quelle unité de temps compter, il ne reste qu’à appliquer les règles de la computation.

En principe, il y a un nombre limité de types de délais : des périodes à durée définie, des périodes à durée indéfinie prospectives, des dates butoirs, etc. Or, le législateur n’a malheureusement pas uniformisé les termes employés à cette fin[127]. Ainsi, certaines locutions figurent dans le Code du travail dans plusieurs sens différents. Par exemple, l’expression « à compter de » sert tantôt à indiquer le début d’une période précise[128], tantôt à établir le début d’une période sans fin définie[129] ou encore à annoncer le point de départ d’une computation permettant de déterminer le début d’une période[130]. Dans d’autres cas, plusieurs locutions différentes sont employées alors qu’elles sont en fait des synonymes qui s’appliquent sans distinction. C’est le cas, par exemple, dans les expressions « dans les x jours de[131] », « dans les x jours qui suivent[132] » et « dans les x jours suivant[133] ».

Il serait fastidieux d’énumérer l’ensemble des expressions employées dans le Code du travail pour exprimer tous les types de délais possibles : vu l’absence d’uniformisation, un tel exercice n’aiderait d’ailleurs en rien à comprendre les mécanismes de la computation des délais[134]. Il est donc préférable d’interpréter chaque disposition énonciatrice d’un délai en fonction des règles de calcul sans chercher à en dégager une terminologie uniforme.

Notons que rien dans le Code du travail n’indique clairement que les règles de computation qui s’y trouvent valent pour la computation des délais prévus par ses règlements. Les dispositions disent plutôt qu’elles s’appliquent « aux fins du présent Code[135] » et « à tout délai fixé par le présent Code[136] ». Cela dit, les règlements sont promulgués pour donner effet aux dispositions du Code du travail[137] et, dans ce sens, les délais prévus par les règlements ont été fixés par ce code. Il est donc logique que ses dispositions sur la computation des délais soient comprises comme valables également pour la computation des délais fixés par ses règlements.

1.2.2.1 Règle de base

La règle de base prévue par le Code du travail est la même que celle du Code de procédure civile[138], elle-même une codification de la règle de common law[139]. Elle prévoit que « le jour qui marque le point de départ n’est pas compté, mais celui de l’échéance l’est[140] ». Un délai de 15 jours, dont le jour a quo est le 1er d’un mois donné, expire alors le 16e jour de ce mois.

Une particularité du Code du travail est le nombre de délais qui se comptent à rebours et leur importance. Dans chaque cas, le point de départ est l’expiration de la convention collective, c’est-à-dire la dernière journée de son application[141]. La computation sert à déterminer une période pendant laquelle les rapports de production pourraient être déstabilisés soit par la remise en cause de la représentativité du syndicat[142], soit par la rupture que représentent la grève et le lock-out[143]. Bien que le Code du travail ne donne aucune indication quant à la façon dont ce comptage à rebours s’effectue, la jurisprudence enseigne que la règle de base s’applique : quand on procède ainsi, il faut exclure le jour a quo du délai, mais y inclure le jour ad quem[144].

1.2.2.2 Exceptions

Les jours fériés et les samedis sont comptés dans la computation, sauf lorsqu’il s’agit du dernier jour, auquel cas « le délai est prorogé au premier jour ouvrable suivant[145] ». De plus, le Code du travail prévoit que, « [s]i la date fixée pour faire une chose tombe un jour férié, la chose peut être valablement faite le premier jour ouvrable qui suit[146] », ce qui s’applique également aux samedis[147]. Par contre, ce n’est pas parce que le dernier jour est un jour férié qu’il est interdit d’agir si cela est possible[148]. Ainsi, une requête en accréditation peut être déposée par télécopieur[149] ou par courrier électronique[150] un samedi[151] ou un dimanche[152]. Or, dans ce cas, la règle du « guichet fermé[153] » ne s’applique pas aux autres syndicats avant le premier jour ouvrable suivant[154].

Aux fins de l’application des dispositions relatives aux jours fériés, il faut distinguer deux sens quant au « dernier » jour d’une computation à rebours. Le premier sens est le jour ad quem d’un comptage à rebours qui établit le début d’une période. Si ce jour est un jour férié, rien n’autorise que le délai soit « prorogé » au jour ouvrable précédent, car le Code du travail parle du jour ouvrable « qui suit » ou « suivant ». De plus, il n’y a aucun risque de la perte d’un droit. Le second sens est le jour qui marque la fin d’une période déterminée par une computation à rebours. Dans ce cas, si le jour ad quem tombe un jour férié, on prolonge la période jusqu’au jour ouvrable qui suit[155]. À titre d’exemple, prenons l’article 22 d) du Code du travail, lequel prévoit qu’une requête en accréditation peut être déposée « du quatre-vingt-dixième au soixantième jour précédant l’expiration […] d’une convention collective[156] ». Dans l’éventualité où le 90e jour précédant l’expiration tombe un samedi, le Code du travail n’autorise pas le dépôt de la requête le vendredi avant. Par contre, si le 60e jour précédant l’expiration est un samedi ou un dimanche, la requête peut être valablement déposée le lundi suivant.

Une autre exception est celle qui est applicable aux délais de 10 jours ou moins. Dans ces cas, le Code du travail prévoit que les jours fériés ne sont pas comptés[157]. La jurisprudence a statué que cette disposition ne s’applique pas aux délais dont la durée est précédée de l’expression « au moins ». En effet, un délai « d’au moins » 8 jours peut effectivement être supérieur à 10 jours[158]. Cela semble être conforme à l’intention du législateur, car quand on veut que les jours fériés ne soient pas comptés dans un délai « d’au moins » x jours, le texte l’exprime clairement[159].

La règle générale de common law voulant que le jour qui marque le point de départ d’un délai ne soit pas compté ne s’applique pas quand le législateur a établi une période spécifique en prévoyant explicitement ses dates de début et de fin. La règle générale a ainsi été écartée dans l’affaire Arsenault c. Québec (Procureure générale)[160]. La loi prévoit alors qu’une personne ayant fait une demande pour recevoir une rente de retraite entre le 1er janvier et le 12 juin 2014 sera considérée comme retraitée au 31 décembre de l’année précédente. L’application de la règle de common law aurait eu pour effet de ne pas comptabiliser le premier jour de cette période, soit le 1er janvier. Or, selon la Cour supérieure, cette règle « a pour fonction d’uniformiser le calcul des délais ; il s’agit d’une méthode de computation[161] », et il n’est pas nécessaire de faire un calcul quand la période est précisément énoncée dans la loi[162]. Bien que le tribunal n’y fasse pas référence, la logique utilisée est la même que celle applicable à la computation de la durée des conventions collectives, laquelle n’obéit pas aux règles traditionnelles de la computation des délais[163].

2 Domaines d’application

Les règles générales ayant été précisées, nous nous intéresserons, dans la seconde partie de notre texte, à la mise en oeuvre concrète des règles relatives aux délais et relever les conséquences de l’existence de ces repères temporels dans la mise en oeuvre de la liberté d’association et de négociation collective. Nous nous pencherons d’abord sur les délais applicables aux situations où le Code du travail octroie des droits à certains moments précis (accréditation, négociation, grève et lock-out). Nous étudierons ensuite les limites temporelles imposées par le Code du travail et applicables aux recours qui y sont prévus.

2.1 Acquisition de droits

Le régime québécois instauré par le Code du travail repose sur le monopole de représentation par un seul syndicat pour chaque groupe de salariés. C’est par l’accréditation qu’un syndicat est autorisé, par l’État, à agir comme représentant de ce groupe. L’accréditation est octroyée sur la base de sa représentativité. Elle ne peut cependant être demandée par une association à n’importe quel moment, sauf en cas de « champ libre[164] ». Les balises temporelles qu’impose le Code du travail permettent de déterminer à partir de quel moment et pendant combien de temps les salariés pourront tenter de changer leur représentation syndicale.

2.1.1 Accréditation

D’entrée de jeu, précisons que, contrairement à ce qui a trait à l’établissement de la date d’expiration d’une convention collective, les règles du Code du travail relatives à la computation des délais sont applicables à la détermination des époques pendant lesquelles il est possible de demander une accréditation[165].

Lorsqu’un groupe de salariés n’est ni représenté par une association ni visé par une requête en accréditation, ce que l’on appelle communément une situation de « champ libre », une demande d’accréditation peut se faire « en tout temps[166] ». Le Code du travail prévoit une règle applicable précisément à l’égard de cette situation, soit celle du « guichet fermé ». Cela signifie que, dès qu’une requête en accréditation visant un groupe de salariés a été reçue au TAT, les autres requêtes qui concernent en tout ou en partie ces salariés ne sont plus recevables[167], sauf dans le cas où elles seraient déposées le même jour[168]. En effet, l’article 27.1 du Code du travail énonce que les requêtes subséquentes sont irrecevables « à compter du jour qui suit le premier dépôt[169] ». Ce ne sera donc qu’à partir du lendemain de la réception de la première requête que les requêtes subséquentes seront jugées irrecevables. Rappelons que, dans le cas où la requête en accréditation est reçue par le TAT un jour férié ou assimilé à un jour férié, une requête concurrente peut être déposée le jour ouvrable qui suit, tout en étant conforme à la règle du guichet fermé[170]. En termes plus concrets, cela signifie que, lorsqu’une requête en accréditation est envoyée au TAT par télécopieur[171] ou courrier électronique[172] un samedi ou un dimanche, par exemple, un syndicat concurrent peut déposer sa requête en accréditation à l’égard du même groupe de salariés le lundi suivant. La règle de l’article 27.1 rendra toutefois irrecevable toute requête en accréditation déposée le mardi qui suit.

À noter que le point de repère temporel dont il est question dans la situation de champ libre est celui de la réception de la requête aux bureaux du TAT[173]. Cela évite au TAT de se trouver dans une situation où il devrait revenir sur son évaluation de la recevabilité d’une requête à la suite de la réception ultérieure d’une seconde requête envoyée avant la première.

Dans le cas d’un rejet de la requête en accréditation de la part du TAT ou d’un désistement par l’association, cette dernière ne peut déposer à nouveau une requête « avant trois mois[174] » d’un tel rejet ou désistement, sauf exception[175].

Les scénarios que nous examinons dans les sous-sections qui suivent concernent tous une situation où un groupe de salariés est déjà représenté par une association[176]. De son côté, le Code du travail permet, dans différents cas, qu’une accréditation soit remise en cause par un syndicat concurrent, par un salarié membre de l’unité ou par l’employeur[177]. La détermination précise de ces périodes s’avère d’une importance capitale. En effet, une requête remettant en cause l’accréditation syndicale doit être déposée pendant la période prévue par le Code du travail, sinon elle est irrecevable[178]. Les éventuelles parties requérantes doivent donc faire preuve de vigilance afin de ne pas dépasser les délais, d’autant plus qu’une demande ne peut être formulée en avance dans le but d’éviter un oubli.

Les périodes pendant lesquelles une accréditation peut être remise en question sont dites à durée indéfinie ou définie. Comme leur appellation le laisse entendre, les périodes à durée indéfinie ne reviennent pas systématiquement à intervalles fixes. Ainsi, un syndicat peut éviter qu’elles s’ouvrent en agissant comme représentant efficace des membres de l’unité de négociation. De plus, bien que l’on puisse aisément déterminer la date de début d’une période à durée indéfinie, la date où celle-ci prend fin n’est pas connue d’avance, car elle dépend de la survenance d’un évènement. Quant aux périodes à durée définie, elles se présentent à intervalles fixes et la date de leur ouverture est connue d’avance, de même que leur durée, soit 31 jours. Les syndicats ne peuvent donc pas éviter leur survenance, car l’objectif de ces périodes à durée définie est justement de fournir aux salariés des occasions récurrentes pour remettre en cause leur représentation syndicale.

2.1.1.1 Périodes à durée indéfinie : association inefficace ou inactive

Lorsqu’un syndicat est nouvellement accrédité pour représenter un groupe de salariés, il dispose d’un délai d’agir pour démontrer sa capacité de faire valoir leurs intérêts. La possibilité pour une autre association de présenter une requête en accréditation après l’expiration de ce délai se pose alors comme une solution pour les salariés, déjà représentés, qui seraient insatisfaits de leur association. Si les délais varient en fonction des situations, la sanction est la même : donner aux salariés « la possibilité […] de prendre d’autres moyens pour se libérer d’une accréditation qui ne porte pas fruit[179] ».

Après 12 mois de l’accréditation ou de la décision sur l’unité

Lorsqu’une association est nouvellement accréditée, le législateur lui octroie un délai de 12 mois afin de faire ses preuves[180]. En effet, s’il n’y a pas eu de convention collective conclue[181], ni d’arbitrage de différends, ni de grève, ni de lock-out après 12 mois « de la date d’accréditation » ou « de la décision du Tribunal sur la description de l’unité de négociation », un syndicat concurrent peut déposer une requête en accréditation pour remplacer celui qui est alors en place. À noter que l’on emploie l’expression « après 12 mois de », ce qui signifie que les 12 mois doivent être entièrement écoulés avant le dépôt de cette requête[182]. En d’autres termes, la computation du délai doit débuter le lendemain du jour de l’accréditation ou de la décision du TAT[183].

Après l’expiration de la convention expirée (la « deuxième période »)

Le paragraphe c) de l’article 22 du Code du travail emploie aussi le terme « après ». Le contexte est cependant différent, car l’association visée par cette disposition n’est pas nouvellement en place. Elle a, en principe, déjà négocié une convention collective au nom du groupe de salariés qu’elle représente ou, du moins, elle a déjà agi pour le compte des salariés alors qu’une convention collective était en vigueur[184]. Le Code du travail veut encore offrir une voie de sortie aux salariés qui considéreraient que l’association qui les représente n’est plus en mesure de le faire correctement. Il est ainsi possible de déposer une requête en accréditation dans ce contexte lorsque 9 mois se sont complètement écoulés depuis l’expiration de la convention collective et qu’aucune nouvelle convention collective n’a été conclue, qu’aucun différend n’a été soumis à l’arbitrage et qu’aucune grève ni lock-out n’ont eu lieu. Le lendemain de la date d’expiration marque donc le point de départ du délai de 9 mois. Ainsi, dans l’exemple d’une convention collective expirant le 2 janvier 2018, la première date à laquelle pourra être déposée une requête en accréditation pour le groupe de salariés visés par celle-ci sera le 3 octobre 2018, l’échéance de la période de 9 mois arrivant le 2 octobre de la même année à 24 h.

Comme nous l’avons rappelé plus haut[185], les périodes ne doivent pas être converties en jours. Une période de 9 mois pourrait donc compter quelques jours de plus qu’une autre période de même durée, selon la date d’expiration de la convention collective. Par exemple, si la période de 9 mois inclut le mois de février, elle sera plus courte qu’une autre période identique qui n’engloberait pas ce mois.

À noter que, en matière d’association inefficace ou inactive, les délais prévus ne subissent pas de prolongation ni d’interruption du fait qu’une grève ou qu’un lock-out a eu lieu, pour autant que le conflit soit terminé à l’échéance du délai[186]. Comme l’explique le tribunal dans l’affaire Syndicat des travailleurs(euses) de Robert et Robert (C.S.N.) c. Syndicat des salariés du bois ouvré de Robert et Robert (C.S.D.), « il importe peu de considérer ce qui est survenu pendant le six mois. Ce qui compte, c’est de constater la situation au jour du dépôt d’une requête en accréditation[187]. » Ce n’est que si une grève ou un lock-out est en cours à l’échéance de ce délai qu’il n’est pas possible de déposer une requête en accréditation. L’article 22 du Code du travail a d’ailleurs fait l’objet d’une modification législative en 1979[188] en vue d’écarter certains problèmes d’interprétation : le législateur a employé le présent de l’indicatif pour clarifier son intention en précisant « ne fait pas l’objet[189] ». Cette modification législative devait servir à empêcher une interprétation qui considérerait qu’une grève ou un lock-out dans cet intervalle ferait en sorte qu’il « faille constater que ce délai puisse être ainsi bloqué à tout jamais[190] ».

Ouverture lorsqu’il y a défaut de déposer la convention collective

Outre les situations que nous avons décrites ci-dessus, le Code du travail prévoit un autre cas où le défaut d’agir d’une association accréditée rend possible le dépôt d’une requête en accréditation par une association concurrente. Cela peut se produire lorsqu’une convention collective a été conclue entre l’employeur et l’association accréditée, mais où cette dernière a omis, pour quelque raison que ce soit, de déposer, auprès du ministre du Travail, deux exemplaires de ladite convention. L’article 72 du Code du travail indique qu’à partir de l’expiration d’un délai de 60 jours une requête en accréditation peut être déposée au TAT par une association concurrente[191]. Cela signifie donc qu’elle ne peut le faire qu’à partir du 61e jour suivant la signature de la convention. Or, ce droit, pour une autre association, n’est pas absolu dès qu’il y a dépassement du délai de 60 jours pour le dépôt. Si, par exemple, le 70e jour suivant la signature d’une convention, celle-ci est enfin déposée auprès du ministre par l’association accréditée, l’association concurrente ne pourra revendiquer le droit de déposer une requête en accréditation par la suite, bien que le délai de 60 jours soit dépassé. C’est ce qu’indique clairement l’alinéa 3 de l’article 72 du Code du travail par les mots « mais avant qu’un tel dépôt ait été fait[192] ». L’association qui convoite une accréditation pour un groupe de salariés susceptible de se trouver dans cette situation a donc intérêt à agir rapidement après l’expiration du délai de 60 jours de la signature. Cela étant dit, dès qu’une requête en accréditation est déposée par une association rivale, dans le contexte où l’association accréditée n’a toujours pas déposé la convention collective et qu’il s’est écoulé plus de 60 jours depuis la signature de cette dernière, l’association en place ne peut remédier à son défaut de dépôt afin d’empêcher l’accréditation de l’association rivale[193]. En d’autres mots, le TAT doit, dans cette situation, analyser la requête en accréditation de l’association rivale et accréditer cette dernière si elle répond aux critères de représentativité. Il y a lieu de se demander si l’article 72 du Code du travail permet à plusieurs associations de déposer des requêtes ou dès lors qu’une association rivale dépose une requête en accréditation, la règle du guichet fermé s’applique. Les tribunaux n’ont jamais, à notre connaissance, été saisis de la question. Le libellé de l’article nous porte à croire qu’il ne serait permis qu’à une seule association de déposer une telle requête étant donné que le mot « association » est employé au singulier.

2.1.1.2 Périodes à durée définie : époques de « maraudage »

Le Code du travail prévoit des périodes, communément appelées « de maraudage », « ouvertes » ou encore « de remise en question de l’accréditation », pendant lesquelles des organisations syndicales concurrentes peuvent déposer une requête en accréditation à l’égard de salariés déjà représentés par une association accréditée. Ces périodes sont d’une durée définie et, puisque les conventions collectives sont publiques, les dates de leur ouverture et de leur fermeture sont connues d’avance. En dehors de ces périodes, lorsqu’une convention collective est en vigueur, il n’est pas possible de déposer une telle requête auprès du TAT. C’est là un reflet de l’équilibre que le législateur a voulu donner à la représentation collective, ce qui assure une certaine stabilité au syndicat en place, tout en permettant aux salariés, à certaines époques, d’apporter des changements à leur représentation. C’est d’ailleurs ce que révèle le Journal des débats de la Commission de l’économie et du travail lors de l’adoption des dispositions pertinentes : « un équilibre entre la stabilité des relations industrielles et la liberté d’association[194] ».

Les périodes de maraudage diffèrent selon la durée de la convention collective. Ainsi, dans le contexte d’une convention collective[195] d’une durée de 3 ans ou moins, une association concurrente pourra déposer une requête en accréditation du 90e au 60e jour précédant l’expiration de ladite convention ou son renouvellement[196]. Pour ce qui est d’une convention collective dont la durée dépasse 3 ans, la période ouverte correspond à l’intervalle suivant : du 180e au 150e jour précédant l’expiration de la convention collective[197]. Lorsque la durée de la convention collective est très longue, d’autres périodes ouvertes sont prévues, soit du 180e au 150e jour précédant le sixième anniversaire de la signature ou du renouvellement de la convention collective et chaque deuxième anniversaire subséquent, sauf si une telle période devait prendre fin à 12 mois ou moins du 180e jour précédant la date d’expiration ou de renouvellement de la convention collective. Ainsi, il y aura une période ouverte tous les 2 ans à partir d’une durée de 7 ans et 1 mois[198]. En effet, toute convention collective ayant une durée moindre ne remplirait pas la condition énoncée au paragraphe e) de l’article 22 in fine du Code du travail.

À noter ici qu’il existe une distinction entre l’anniversaire de la signature de la convention collective, son entrée en vigueur et son expiration. Les anniversaires dont il est question à l’article 22 e) du Code du travail sont ceux de la signature, lesquels peuvent coïncider avec les anniversaires d’entrée en vigueur, mais pas nécessairement. Cela dépendra de ce qu’ont prévu les parties[199]. Ainsi, le sixième anniversaire de la signature d’une convention collective aura lieu le même jour, 6 ans plus tard, que sa signature. En revanche, la date d’expiration d’une convention collective ayant une durée de 6 ans sera le jour précédant celui de l’entrée en vigueur, 6 ans plus tard[200]. À titre d’exemple, le sixième anniversaire d’une convention collective signée le 1er janvier 2020 sera le 1er janvier 2026, alors que la date d’expiration d’une convention collective d’une durée de 6 ans entrant en vigueur le 1er janvier 2020 correspondra au 31 décembre 2025.

Reprenons le même exemple, à l’exception de la durée de la convention collective, qui sera maintenant de 8 ans plutôt que de 6. Le sixième anniversaire de la signature de cette convention aura donc lieu le 1er janvier 2026 et l’expiration, le 31 décembre 2027. L’article 22 e) du Code du travail prévoit deux périodes ouvertes pour cette convention collective : la première sera du 5 juillet au 4 août 2025 inclusivement (du 180e au 150e jour précédant le sixième anniversaire) ; la seconde précédera l’expiration de la convention collective, soit du 4 juillet au 3 août 2027 (du 180e au 150e jour précédant l’expiration). À remarquer que la période ouverte correspondant au huitième anniversaire n’existe pas dans cette situation étant donné que la convention collective prendra fin un jour avant son huitième anniversaire.

Reprenons encore le même exemple, à l’exception de la durée de la convention collective, qui sera cette fois-ci de 7 ans plutôt que de 8 ans. Dans ce cas, l’expiration aura lieu le 31 décembre 2026. Dans cet exemple, on ne trouvera qu’une seule période ouverte pour la durée de la convention collective. En effet, la période ouverte correspondant à l’expiration de la convention aura lieu du 4 juillet au 3 août 2026 (du 180e au 150e jour précédant l’expiration). La période ouverte associée au sixième anniversaire prenant fin au 4 août 2025, il y aura moins de 12 mois entre ce jour et le 180e jour précédant l’expiration de la convention collective, soit le 4 juillet 2026.

Plusieurs décisions et auteurs de doctrine décrivent les périodes ouvertes comme ayant une durée de 30 jours[201]. Or, lorsqu’on calcule le nombre de jours de ces périodes en fonction des dates fournies dans les décisions, on constate qu’elles ont plutôt une durée de 31 jours[202]. Cette erreur s’explique vraisemblablement par le fait que les décideurs effectuent l’opération suivante : le 60e jour moins le 30e jour (ou le 180e jour moins le 150e jour, selon le cas) égale à 30 jours. Si l’on procède au calcul de cette façon, le 60e jour précédant l’expiration de la convention collective n’est pas compté, alors qu’il devrait l’être selon les termes employés[203]. En tout état de cause, ce n’est qu’un problème dans la qualification de la période (période de 30 jours plutôt que période de 31 jours) ; cela ne change en rien les dates entre lesquelles une requête en accréditation peut être déposée.

Précisons qu’un syndicat accrédité ne peut esquiver des périodes de maraudage en modifiant, par entente avec l’employeur, la durée d’une convention collective, pour la faire ainsi passer d’une durée égale ou inférieure à 3 ans à une plus longue durée. Si la convention collective est prolongée au-delà de 3 ans d’un commun accord, la période ouverte du 90e au 60e jour précédant l’expiration prévue initialement demeurera[204].

Autrement dit, les délais de l’article 22 du Code du travail sont d’ordre public et un employeur et une association accréditée ne peuvent en convenir autrement[205]. Cela s’explique par le fait que ces périodes ouvertes sont au bénéfice des salariés qui souhaiteraient majoritairement cesser d’être représentés ou cesser de l’être par l’association accréditée au profit d’une autre et donc aussi au bénéfice du syndicat concurrent.

2.1.1.3 Importance de la distinction entre périodes à durée définie ou à durée indéfinie

S’il est aisé de déterminer la date à laquelle se terminent des périodes de maraudage qui s’ouvrent lorsqu’une convention collective est en vigueur, il en va autrement pour les périodes ouvertes occasionnées par l’inefficacité ou l’inactivité de l’association accréditée. Comme nous l’avons souligné, ces dernières sont souvent appelées « périodes ouvertes à durée indéfinie » ou « indéterminée », car on ne connaît pas d’avance leur date d’expiration. Dans le cas d’une période ouverte à durée indéfinie, on peut d’abord se demander à quel moment elle se termine. En d’autres mots, quand les requêtes en accréditation ne seront-elles plus acceptées par le TAT ?

Cette question en soulève une autre, à l’égard tant des périodes ouvertes à durée définie que de celles dont la durée est indéfinie : des requêtes en accréditation successives pourraient-elles être déposées par des associations concurrentes durant la même période d’ouverture ? Dans le cas de la requête déposée en champ libre[206], son dépôt a pour conséquence de « fermer le guichet » à l’égard des demandes subséquentes, à l’exception de celles qui ont été déposées le même jour que la première requête en accréditation[207]. Pour les périodes ouvertes, qu’elles soient à durée définie ou indéfinie, le Code du travail est laconique quant à cette possibilité. Il l’est également au sujet de la façon d’étudier des requêtes en accréditation déposées successivement pendant la période d’ouverture, le cas échéant. Mettre fin à la période ouverte dès le dépôt d’une requête en accréditation signifierait que la règle du guichet fermé ne s’appliquerait pas seulement aux requêtes déposées en champ libre, mais aussi dans d’autres situations, ce qui serait contraire au texte même du Code du travail[208]. C’est d’ailleurs ce que soutient la Cour d’appel en confirmant une décision de la CRT selon laquelle « [l]a règle absolue d’irrecevabilité de l’article 27.1 C.t. ne s’applique qu’à l’égard d’une requête en accréditation faite alors que les salariés visés ne sont pas déjà couverts par une accréditation[209] ».

Précisons d’emblée que ces questions ont fait l’objet de peu de décisions. En tout état de cause, la jurisprudence sur le sujet confirme l’importance de la distinction entre les périodes ouvertes à durée définie et celles qui sont à durée indéfinie. Lorsque la période ouverte est à durée définie, le tribunal entendra simultanément les requêtes et, après les avoir analysées en tenant compte de la date de leur dépôt, décidera si, à la fin de la période fixe, il faudra modifier l’accréditation ou ordonner la tenue d’un vote. Lorsque la période est à durée indéfinie, le tribunal devra plutôt analyser successivement chacune des requêtes et rendre les décisions les unes après les autres[210]. Ces deux façons de faire ont été avalisées par les tribunaux supérieurs, ceux-ci ayant déterminé qu’il n’était pas déraisonnable pour la CRT d’agir ainsi.

Dans l’affaire Travailleuses et travailleurs unis de l’alimentation et du commerce c. Verret[211], la Cour d’appel a refusé d’intervenir à l’égard d’une décision de la CRT par laquelle elle a entendu simultanément des requêtes déposées successivement pendant une période ouverte à durée définie, en l’occurrence celle qui est prévue par l’article 22 e) du Code du travail. Le fait que la CRT a rendu une seule décision pour traiter chacune des requêtes (accréditation et révocation), plutôt que de les analyser successivement à la date de leur dépôt et de rendre sa décision dans chaque cas, était pleinement raisonnable, selon la Cour d’appel, car la CRT a évalué le caractère représentatif de l’association à la date du dépôt de chacune d’elles.

Dans l’affaire Boutiques Tristan & Iseut Inc. c. St-Georges[212], la Cour supérieure a confirmé une décision de la CRT statuant qu’une requête en accréditation majoritaire « ferme » une période ouverte à durée indéfinie, en l’occurrence celle qui est prévue par l’article 22 c) du Code du travail. Dans cette affaire, le syndicat en place a déposé une requête en accréditation dite « défensive » et a démontré son caractère représentatif. En conséquence, la CRT a rejeté une demande de vérification des effectifs et une requête en révocation déposées postérieurement à la requête en accréditation. Il ne s’agit pas ici de l’application de la règle du guichet fermé, en ce sens que les requêtes n’ont pas été déclarées irrecevables, comme cela aurait été le cas si l’on avait appliqué cette règle, mais plutôt sans objet, une fois l’association accréditée. Notons que cette décision soulève un certain nombre de problèmes sur le plan de la cohérence, notamment en ce qui concerne l’effet rétroactif des décisions de la CRT[213] et le libellé des articles 22 c) et 41 du Code du travail. Même s’ils n’établissent pas de délai déterminé pour la période, ces articles en fixent tout de même la limite, soit la conclusion d’une convention collective, la soumission d’un différend à l’arbitrage ou encore le déclenchement d’une grève ou d’un lock-out. On serait donc autorisé à conclure que la période demeure ouverte tant et aussi longtemps que l’une ou l’autre de ces conditions n’est pas satisfaite. Cela pourrait donner lieu à une suite interminable de requêtes en révocation et d’accréditation, ce qui n’est pas nécessairement souhaitable du point de vue de l’objectif de la stabilité des relations du travail. Or, ce risque est atténué par les effets de l’article 39.1 du Code du travail, lequel prévoit qu’une décision sur une requête en accréditation doit être rendue par le TAT dans un délai de 60 jours suivant le dépôt de ladite requête[214]. De plus, il ne faut pas perdre de vue la raison d’être de ces articles, c’est-à-dire offrir une possibilité aux salariés de mettre fin à une représentation inefficace.

Soulignons que les deux décisions que nous venons de présenter n’impliquaient qu’une association de salariés déjà accréditée qui faisait face à une ou à des requêtes en révocation auxquelles elle a répondu en déposant une requête en accréditation défensive. Il y a lieu de se demander si la réponse des tribunaux serait la même dans le contexte où l’on trouverait également une ou des associations rivales[215].

Mentionnons que dans l’affaire Syndicat des travailleurs de Sac Drummond et Sac Drummond inc.[216], laquelle concernait également une période à durée indéfinie, soit celle qui est prévue par l’article 22 b.1) du Code du travail, la CRT avait opté pour une approche différente[217]. Dans cette affaire, le syndicat en place n’avait pas conclu de convention collective depuis son accréditation et ne désirait plus représenter les salariés de l’unité de négociation. Deux autres syndicats rivaux voulaient cependant le faire. Le premier a donc déposé sa première requête en accréditation le 24 mars suivie d’une autre, le 21 avril. Le second a déposé sa requête en accréditation, pour la même unité de négociation, le 24 avril. La première requête du premier syndicat a été rejetée, car elle était trop hâtive. La seconde requête du premier syndicat et la première requête du second syndicat ont été analysées de façon simultanée. En effet, la CRT a ordonné un scrutin pour déterminer qui, des deux associations, allait représenter les salariés de l’unité de négociation. Le raisonnement dans cette décision se distingue clairement de l’interprétation adoptée par la CRT dans l’affaire Boutiques Tristan & Iseut Inc.[218]. Ainsi, plutôt que d’analyser les requêtes de façon successive, tel que cela est soutenu dans cette affaire, la CRT a énoncé, dans l’affaire Syndicat des travailleurs de Sac Drummond et Sac Drummond inc.[219], que « [l]es requêtes doivent […] être étudiées de façon simultanée ou concurrente et non de façon successive[220] ». Il nous semble très difficile de concilier ces deux façons d’analyser les différents paragraphes de l’article 22, même si la décision de la Cour supérieure dans l’affaire Boutiques Tristan & Iseut Inc. c. St-Georges laisse la porte ouverte à une autre interprétation possible : « le raisonnement de la Commissaire débouche sur une interprétation qui respecte l’esprit du Code et qui partant, fait partie des lectures acceptables[221] ». Il y a peut-être lieu de faire une distinction entre une situation où seul le syndicat déjà accrédité est visé et une situation où des syndicats concurrents se disputent l’accréditation.

2.1.1.4 Distinction entre moment du dépôt et moment du calcul des effectifs

Dans les régimes de rapports collectifs du travail inspirés par la Wagner Act, le caractère représentatif est le pilier central de l’accréditation syndicale. Le temps est évidemment une dimension importante de cet élément fondamental. En effet, le législateur doit déterminer à quel moment le caractère représentatif de l’association doit être considéré. Le Code du travail prévoit que la première vérification à cet égard doit être faite sur la base des formules d’adhésion signées et valides « le ou avant le jour du dépôt de la requête en accréditation[222] ». Ainsi, au moment de la première évaluation, les changements d’adhésion et les désistements ne sont plus pris en considération dès lors que le dépôt de la requête a eu lieu[223]. Pour être davantage précis, il faudrait plutôt dire que l’on ne tient plus compte des adhésions ou des démissions dès le lendemain du dépôt de la requête[224]. En revanche, si l’agent des relations du travail conclut qu’il n’y a pas une majorité absolue de salariés membres de l’association après le calcul des effectifs, mais tout de même une proportion se situant entre 35 et 50 p. 100, il procédera à un scrutin auprès du groupe de salariés pour lequel l’accréditation est demandée. La seconde évaluation, quant à elle, considérera la situation contemporaine, c’est-à-dire le caractère représentatif de l’association au moment du vote. Celui-ci pourrait donc être quelque peu changé depuis la requête en accréditation, à la hausse comme à la baisse. En tout état de cause, il n’en demeure pas moins que le moment du dépôt de la requête se révèle déterminant dans les deux cas, que ce soit pour accorder l’accréditation sur-le-champ ou pour déterminer la nécessité de procéder au scrutin.

2.1.1.5 Particularités du régime applicable aux secteurs public et parapublic

Dans le régime de relations du travail applicable aux secteurs public et parapublic, les périodes ouvertes ne sont pas les mêmes que dans le cas du secteur privé[225]. Pour les salariés des secteurs public et parapublic, l’accréditation peut être demandée entre le 270e et le 240e précédant la date d’expiration d’une convention collective[226]. On remarquera que la période ouverte pour ces secteurs est plus hâtive que pour les autres secteurs. Cela s’explique en raison des spécificités des secteurs public et parapublic, principalement leurs calendriers de négociations, lesquels sont distincts du régime général. Il s’agit là de la seule différence, les règles de computation des périodes ouvertes étant identiques.

2.1.2 Négociation d’une convention collective

Comme nous l’avons fait remarquer, les rapports entre l’employeur et l’association de salariés sont envisagés par le régime du Code du travail de façon cyclique. À chacun de ces cycles, il importe d’abord et avant tout de négocier la façon dont les rapports seront régis pendant le prochain cycle. La période de négociation collective des conditions de travail est ainsi caractérisée par la possibilité d’exercer, de part et d’autre, des moyens de pression. Sans limites précises de temps imposées par le Code du travail, la période de négociation se termine par la conclusion d’une convention collective, laquelle énonce les conditions de la coopération entre les deux parties pour la période « productive » pendant laquelle la grève et le lock-out seront interdits[227].

2.1.2.1 Début des négociations

L’avis de négociation donne le signal de départ des négociations entre les parties. Dans le régime général, il peut être envoyé dans un délai de 90 jours précédant l’expiration de la convention collective[228]. Puisqu’il s’agit d’un calcul à rebours, la nature ouvrable ou fériée de la date ad quem n’est d’aucune importance[229]. Ce délai s’avère déterminant dans la mesure où l’envoi de l’avis déclenche l’obligation de négocier[230] et marque le début de la computation de la date d’acquisition du droit de grève et de lock-out[231]. Le délai en question n’est toutefois pas d’ordre public, car le Code du travail prévoit qu’il peut être convenu autrement par les parties dans la convention collective[232]. Dans l’affaire Syndicat des travailleuses et travailleurs de Hilton Québec (C.S.N.) c. Union des municipalités régionales de comté et des municipalités locales du Québec Inc.[233], la Cour d’appel a d’ailleurs eu à se prononcer sur la validité d’un avis envoyé prématurément, c’est-à-dire transmis avant la période de 90 jours précédant l’expiration de la convention collective. Dans cette affaire, l’association accréditée avait fait parvenir l’avis deux mois avant les 90 jours précédant l’expiration de la convention collective. Une grève avait été déclenchée 19 jours après l’expiration de la convention collective. Le juge LeBel, écrivant pour la majorité, conclut alors en la validité de l’avis étant donné qu’il n’est prématuré que de quelques semaines et qu’il est « relié étroitement à la période de négociation normale[234] », mais en spécifiant qu’il hésiterait à reconnaître la validité d’un délai donné beaucoup plus tôt[235].

Le juge LeBel affirme également qu’un avis prématuré du syndicat n’impose pas non plus à l’employeur une obligation de débuter la phase des négociations avant l’heure. Celui-ci peut refuser d’entamer les négociations avant la période prévue par le Code du travail, soit jusqu’à 90 jours avant l’expiration de la convention collective. Il peut aussi choisir, comme il l’a fait dans cette affaire, d’accepter que la phase des négociations débute plus tôt. Quant à l’exercice du droit de grève ou de lock-out, la Cour d’appel explique qu’un tel avis prématuré n’a pas pour effet d’enclencher hâtivement le décompte. En réalité, l’avis prématuré ne permet pas de démarrer le compteur avant la date le plus tôt prévue par le Code du travail, à savoir 90 jours précédant l’expiration de la convention collective. Sinon, l’effet serait de permettre l’acquisition du droit de grève et de lock-out alors qu’une convention collective se trouve encore en vigueur, ce qui n’est pas possible[236].

Dans le contexte d’une association nouvellement accréditée soit en champ libre[237], soit en remplacement d’une association inefficace ou inactive[238], l’avis peut être envoyé dès l’obtention de l’accréditation, car aucune convention collective n’est alors en vigueur. Dans le cas d’une nouvelle accréditation obtenue pendant une période ouverte à durée définie[239], l’association devra s’en remettre à la date d’expiration de la convention collective déjà conclue, si elle décide de la conserver[240]. Si elle choisit plutôt de dénoncer la convention existante, elle pourra transmettre cet avis dès l’envoi d’un avis de dénonciation écrit à l’employeur et au TAT[241].

L’article 52 du Code du travail prévoit que l’avis de négociation doit être envoyé au moins 8 jours avant la date à laquelle la partie qui le transmet convie l’autre à négocier. Selon la doctrine[242], on n’applique pas la règle selon laquelle les jours non ouvrables ne sont pas pris en compte dans la computation d’un délai qui n’excède pas 10 jours[243]. Cette affirmation s’appuie sur une décision de 1983[244] portant sur l’ancien article 111 du Code du travail[245]. En résumé, le tribunal a alors considéré que les mots « au moins huit jours » ne permettent pas de conclure qu’il s’agit d’un délai n’excédant pas 10 jours, car la précision « au moins » exprime la possibilité que ce délai soit supérieur à 10 jours[246]. Bien qu’aucun jugement n’ait porté sur le sens à donner à cette expression dans le contexte de l’article 52 du Code du travail, il ne nous paraît pas erroné de faire référence à cette décision par analogie, et ce, malgré le contexte très différent. En tout état de cause, l’interprétation à donner à ces mots est, à notre avis, de bien peu d’importance en pratique, car le droit de grève ne dépend pas du respect de ce délai de 8 jours. Le pire scénario serait que la partie qui reçoit l’avis considère que la date de la rencontre, fixée dans ce dernier, est prématurée, puisqu’elle se situe dans un délai de moins de 8 jours, et demande en conséquence à faire repousser cette rencontre de quelques jours. Le délai d’au moins 8 jours n’étant pas de rigueur, la partie qui se voit remettre un avis non conforme à ce délai pourrait tout de même décider d’y donner suite et de se présenter à la table de négociations à la date indiquée.

2.1.2.2 Grève et lock-out

Bien qu’il ait son importance dans le lancement de la phase des négociations, l’intérêt de l’avis de négociation réside surtout dans le fait que c’est l’élément déterminant pour l’acquisition du droit de grève ou de lock-out. En effet, selon l’article 58 du Code du travail, « [l]e droit à la grève ou au lock-out est acquis 90 jours après la réception[247] » de l’avis par son destinataire. Vu l’emploi du mot « après », ce délai doit être entièrement écoulé avant l’acquisition du droit, ce qui est donc le cas à 00 h 00 le 91e jour suivant la réception de l’avis. Ainsi, le moment de l’acquisition peut varier du lendemain de l’expiration de la convention collective, au plus tôt, au 91e jour suivant la date de son expiration, au plus tard. Pour que le premier scénario se produise, l’avis de négociation devrait avoir été reçu le 90e jour précédant la date de l’expiration de la convention, à savoir la date le plus tôt prévue par le Code du travail[248]. Pour que le second scénario survienne, l’avis devrait avoir été reçu à la date d’expiration de la convention collective, ou ne pas avoir été envoyé du tout, car l’avis est réputé avoir été reçu ce dernier jour[249]. Par ailleurs, la détermination de la date d’acquisition du droit de grève ne dépend aucunement de la nature ouvrable ou fériée du jour ad quem puisqu’il est tout à fait possible de faire la grève ou de déclarer un lock-out un jour férié[250].

Le délai d’acquisition du droit de grève peut avoir un impact significatif sur le déroulement des négociations[251]. Le moment de l’envoi de l’avis est donc d’une grande importance et repose sur une décision stratégique compte tenu du contexte dans lequel les parties se trouvent (haute saison, basse saison, contrats importants en vue, etc.)[252].

La durée de la grève et du lock-out ne fait pas l’objet de limites spécifiques imposées par le Code du travail. Ces deux situations peuvent donc s’étendre sur quelques heures ou un certain nombre de jours ou encore se produire pendant une durée indéterminée et continue ou discontinue. À vrai dire, une grève ou un lock-out ne peut être que temporaire, car s’ils étaient définitifs, on parlerait plutôt de démissions en bloc, de fermeture de l’entreprise ou de licenciements collectifs[253].

2.2 Perte (extinction) de droits

Les balises temporelles prévues par le Code du travail ne concernent pas seulement l’acquisition de droits permettant d’exercer la liberté d’association et le droit à la négociation collective. Bien que les délais relatifs à l’accréditation, à la négociation de même qu’au droit de grève et de lock-out soient propres au régime des relations de travail, les délais prévus par le Code du travail, qui imposent des limites temporelles aux possibilités de recours sont tout aussi importants et méritent donc d’être examinés, et ce, même si un tel type de délais n’est évidemment pas l’apanage de ce code. Précisons que notre étude exclut les recours de nature pénale.

2.2.1 Plaintes et recours devant le Tribunal administratif du travail

Plusieurs plaintes et recours de nature civile trouvent leur fondement dans le Code du travail. Toutefois, il n’existe pas, dans ce dernier, comme c’est le cas dans le Code civil, de dispositions générales prévoyant un délai pour les recours. Seuls certains recours sont assortis d’un délai spécifique précisé dans le Code du travail. Dans ces cas, sur lesquels nous nous pencherons en particulier dans la présente section, le TAT dispose d’un pouvoir général de prolongation. En effet, l’article 15 de la Loi instituant le Tribunal administratif du travail prévoit que « [l]e Tribunal peut prolonger un délai ou relever une personne des conséquences de son défaut de le respecter, s’il est démontré que celle-ci n’a pu respecter le délai prescrit pour un motif raisonnable et si, de l’avis du Tribunal, aucune autre partie n’en subit de préjudice grave[254] ». Il s’agit ici d’un nouveau pouvoir, la jurisprudence relative aux pouvoirs de la CRT ayant statué que, en « l’absence d’une disposition expresse autorisant la Commission à prolonger un délai, les pouvoirs octroyés par le législateur à [cette dernière] ne [lui] permettent pas […] de modifier les délais pour déposer une plainte ou encore d’accepter des plaintes soumises hors délai[255] ». La personne plaignante ne pouvait ainsi éviter le rejet de sa plainte déposée hors délai que dans la mesure où elle démontrait qu’elle s’était trouvée dans l’impossibilité d’agir[256].

Ce nouveau pouvoir du TAT est calqué sur celui dont disposait l’ancienne Commission des lésions professionnelles (CLP) en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[257]. La jurisprudence issue de la CLP en la matière pourrait donc servir d’inspiration pour l’interprétation de l’article 15. Selon la CLP, la notion de « motif raisonnable » justifiant la prolongation d’un délai est « une notion large permettant de considérer un ensemble de facteurs susceptibles d’indiquer, à partir des faits, des démarches, des comportements, de la conjoncture, des circonstances, etc., si une personne a un motif non farfelu, crédible et qui fait preuve de bon sens, de mesure et de réflexion[258] ».

Or, malgré l’interprétation libérale qu’a donnée la CLP à l’article prédécesseur de l’article 15 de la Loi instituant le Tribunal administratif du travail, celle du TAT, qui s’inspire de la notion de l’impossibilité d’agir, se révèle plutôt restrictive[259].

À notre avis, cette interprétation n’est pas conforme à l’intention du législateur. C’est l’absence d’un tel pouvoir qui a conduit la CRT à adopter la doctrine de l’impossibilité d’agir. Maintenant que le législateur l’a accordé explicitement, il serait préférable que le TAT l’interprète en fonction de son objet, c’est-à-dire d’étendre la « souplesse » conférée à la CLP « à tout le nouveau tribunal[260] ».

Par ailleurs, le TAT a statué, à juste titre, que l’article 15 de la Loi instituant le Tribunal administratif du travail s’applique uniquement aux « délais », et non aux « périodes ». Dans la décision Girard et Syndicat des employés(ées) de la Confédération de l’UPA-CSN, le TAT a décidé qu’il ne pouvait pas exercer ce pouvoir dans le cas d’une requête tardive en accréditation, car l’article 22 du Code du travail ne fait pas référence à un « délai » mais plutôt à « un temps fixé » pour faire une demande[261]. Ainsi, selon le TAT, les dispositions du Code du travail prévoyant des « fenêtres temporelles bien définies, qui s’ouvrent ou se ferment[262] » ne permettraient pas l’application de l’article 15 de la Loi instituant le Tribunal administratif du travail[263].

Enfin, pour les autres recours au sujet desquels le TAT est compétent, c’est-à-dire « toute demande, plainte, contestation ou requête de même que tout recours […] découlant de l’application du Code du travail[264] », et pour lesquels aucune indication n’est donnée quant au délai, il y aura lieu d’appliquer la règle du « délai raisonnable[265] ».

2.2.1.1 Plainte pour activités syndicales

Le Code du travail prévoit une plainte à l’encontre de représailles imposées à un salarié pour avoir exercé un droit « qui résulte du présent code », communément appelée « plainte pour activités syndicales[266] ». Une telle plainte doit être déposée par le salarié (ou par son représentant[267]) dans les 30 jours de la sanction ou mesure dont il se plaint[268]. Alors que la jurisprudence a été, au fil des années, relativement constante quant à la qualification des délais prévus par le Code du travail[269], la CRT a récemment admis que le délai prévu par l’article 16 est un délai de prescription plutôt que de déchéance[270]. Le dépôt d’une plainte à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse permet donc d’interrompre ce délai de prescription[271]. Cependant, le dépôt d’une plainte pour activités syndicales dans le cas d’une mesure, par exemple une suspension, n’interrompt pas la prescription pour un recours dont l’objet serait de contester une autre mesure, tel un congédiement, et ce, même si les deux mesures étaient imposées à la suite de la même activité syndicale. De plus, le dépôt d’un grief alléguant qu’une mesure contrevient à une convention collective n’a pas non plus pour effet de suspendre la prescription du recours par lequel on veut contester la légalité de ladite mesure en vertu du Code du travail[272].

La jurisprudence de la CRT voulait qu’une plainte déposée hors délai soit irrecevable, à moins que le plaignant ne puisse démontrer qu’il était dans l’impossibilité d’agir[273]. Il y aurait maintenant lieu d’appliquer plutôt les critères du motif raisonnable et de l’absence de préjudice à l’autre partie[274].

Ce délai, qui était auparavant de 15 jours, a été prolongé à 30 jours en 1983[275]. Force est de constater que, malgré cet ajout, ledit délai demeure relativement court, ce qui est justifié par la nature particulière du recours et par son rôle dans le régime des rapports collectifs du travail[276].

Le point de départ du délai peut être source de questionnements dans certaines situations. Cela peut être notamment le cas lorsque le salarié est avisé par différents moyens de la décision qui le concerne. Par exemple, la CRT a jugé qu’un avis écrit envoyé par l’employeur, à la demande du salarié, réitérant à ce dernier la décision dont il avait été préalablement avisé oralement, n’avait pas pour effet de repousser le point de départ du délai[277]. Ainsi, une plainte déposée le 27 août était tardive, puisque la décision de ne pas retenir la candidature du plaignant pour un transfert de poste avait été communiquée oralement le 20 juin ; la confirmation écrite de cette décision le 1er août était sans incidence.

Une autre difficulté quant à la détermination du point de départ du délai de la plainte pour activités syndicales réside dans le fait qu’il n’est pas toujours aisé, pour le salarié, de déterminer quand certains comportements ou mesures peuvent être considérés comme un congédiement, une sanction ou des mesures de représailles. En effet, il arrive parfois que le salarié ne le réalise pas au moment où la mesure a été prise, mais seulement après la survenance d’un autre évènement. Par exemple, une mise à pied temporaire ou un licenciement peut se révéler être un congédiement quand le salarié visé se rend compte qu’il n’est pas rappelé lorsqu’il aurait dû l’être[278] ou lorsque l’employeur embauche un autre salarié pour le remplacer[279]. La jurisprudence majoritaire sur ce point veut que le délai coure « à partir de la connaissance raisonnablement acquise par le salarié […] qu’il était l’objet de mesures de représailles[280] » ou à partir du moment où le salarié connaissait la réalité de son congédiement[281]. C’est pourquoi, dans certains cas, on « ne doit pas se référer à la terminaison du contrat de travail[282] » : il convient plutôt de « se demander quand l’employé a compris que l’employeur le remerciait définitivement de ses services[283] ». La décision peut donc, dans certaines situations, être déjà en vigueur, mais le salarié ne comprendra que plus tard que cela constituait une mesure ou une sanction visée par les articles 15 et 16 du Code du travail

Dans le cas où une mesure ou une sanction clairement communiquée par l’employeur au salarié et bien comprise par ce dernier prendrait effet, non pas à compter de l’annonce, mais plus tard dans le temps, il y a lieu de se demander si le jour de l’avis constitue le point de départ du délai ou si ce dernier se situe plutôt à la date à laquelle la mesure ou la sanction devient effective. Il semble accepté que le salarié qui veut contester une mesure ou une sanction devant le TAT puisse le faire dès lors qu’il en a été avisé, de quelque façon que ce soit[284]. Il n’a pas à attendre que le congédiement ait pris effet, à la fin d’un délai-congé par exemple[285]. La plainte peut donc être déposée et ne pas être considérée comme prématurée alors que le salarié travaille encore pendant quelques jours ou semaines pour l’employeur jusqu’à la fin du délai-congé, et ce, à condition qu’il y ait eu une « décision ferme de congédier qui s’est traduite dans les faits[286] ». Il en serait autrement d’une plainte préventive déposée par un salarié « ayant entendu dire que son employeur voulait le congédier, ou encore parce que l’employeur l’a menacé de congédiement[287] ».

Si l’argument de la prématurité d’une plainte déposée dès l’annonce officielle du congédiement et avant que celui-ci soit devenu réalité a généralement été rejeté dans le contexte d’une plainte pour activités syndicales, la question du caractère tardif d’une plainte déposée dans les 30 jours de la prise d’effet de la sanction ou de la mesure, mais plus de 30 jours après l’annonce de celle-ci par l’employeur, a fait l’objet de peu de jurisprudence et demeure légèrement controversée.

Ayant montré que le calcul du délai débute « à partir de la connaissance raisonnablement acquise par le salarié[288] », nous pourrions conclure, d’après les décisions mentionnées plus haut, que la date de l’annonce d’une mesure ou d’une sanction en constituerait le point de départ[289]. Toutefois, aucune de ces décisions ne concernait une situation où une mesure ou une sanction clairement communiquée prenait effet à un moment ultérieur. L’affaire Savard et Parc commémoratif de Montréal inc.[290] peut cependant fournir quelques pistes de réflexion en ce sens. Dans cette affaire, la CRT a rappelé que le délai commençait « à courir au moment où la salariée connaît la réalité de son congédiement[291] ». En l’espèce, ce début correspondait au moment où la plaignante a réalisé que son licenciement se révélait plutôt être un congédiement, soit à la mi-janvier. Dans ce cas, bien que l’annonce du licenciement ait été faite le 30 novembre et que la date prévue de sa prise d’effet ait été établie au 1er mars de l’année suivante, la CRT a fixé le point de départ du délai à la mi-janvier. Précisons que la plainte avait été soumise le 23 janvier dans ce cas et que, par conséquent, la situation d’une plainte déposée après la prise d’effet du congédiement ne faisait pas l’objet du litige, bien que la question ait été soulevée par l’employeur.

Néanmoins, deux décisions ont considéré que le point de départ du délai était la date de la prise d’effet du congédiement ou de la sanction plutôt que la date à laquelle le salarié était mis au courant dudit congédiement[292] ou de ladite sanction[293]. Ces décisions s’apparentent à la façon dont la jurisprudence traite la même question dans le contexte de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail, lequel prévoit une plainte pour congédiement sans cause juste et suffisante recevable dans les 45 jours du congédiement[294]. Selon la jurisprudence majoritaire, cette disposition doit être interprétée en faveur du salarié[295]. Ainsi, bien qu’une plainte soit recevable à partir du moment où le salarié a été informé de son congédiement, le point de départ aux fins de la computation du délai de prescription est le moment où le congédiement s’est concrétisé.

2.2.1.2 Plainte pour refus d’embauche ou pour contrainte

Les articles 15 et 16 du Code du travail établissent le véhicule procédural pour mettre en oeuvre les protections prévues par l’article 14. Or, le refus d’employer une personne, à cause de l’exercice par cette dernière d’un droit prévu par le Code du travail, ainsi que l’intimidation et les menaces en vue de contraindre à ne pas exercer ou à cesser d’exercer un tel droit sont des gestes qui ne figurent pas dans la liste des mesures et des sanctions énumérées à l’article 15. En conséquence, ces comportements ne peuvent pas faire l’objet d’une plainte en vertu de l’article 16. Le salarié victime de ces contraintes prohibées ne demeure cependant pas sans recours. En effet, le TAT est compétent pour disposer d’une plainte formulée en vertu de l’article 14.0.1, et ce, même si le Code du travail ne prévoit pas de recours propre à la contravention alléguée[296]. D’ailleurs, l’article 14.0.1 comporte un délai spécifique pour une telle plainte, lequel est également de 30 jours. Par contre, ce délai ne s’applique qu’aux « cas autres que le refus d’employer une personne[297] ». Puisqu’elles ne sont pas visées par l’article 14.1, les plaintes impliquant les autres cas doivent donc être soumises dans un délai raisonnable[298].

2.2.1.3 Plainte pour domination, entrave ou financement d’une association de salariés

L’article 12 du Code du travail interdit aux employeurs de chercher à « dominer, entraver ou financer la formation ou les activités d’une association de salariés [ou] à y participer[299] ». Une plainte fondée sur cet article doit être déposée au TAT « dans les 30 jours de la […] contravention alléguée[300] ». Rappelons ici que, puisqu’il s’agit d’un délai, le jour marquant le début ne sera pas compté, tandis que le dernier le sera. La difficulté liée à ce délai ne réside pas dans sa computation, qui est, somme toute, assez simple. Elle se trouve plutôt, pour certains cas, dans la détermination du moment précis de la contravention. S’il est relativement facile d’associer à une date précise le financement octroyé par un employeur ou sa participation à une activité quelconque, il l’est beaucoup moins d’établir la journée précise de la domination ou de l’entrave, surtout lorsque celles-ci se déroulent subtilement. Notons tout de même que le calcul du délai se déclenche à partir de la connaissance de la contravention alléguée, ce qui peut laisser place à une certaine flexibilité. Il y a également lieu de s’interroger pour une situation qui n’est pas limitée à un moment précis dans le temps, mais qui s’échelonne sur une plus longue période ou se manifeste de façon sporadique. En un tel cas, le recours peut toujours être entrepris dès lors que la plainte suivant la dernière manifestation de la contravention respecte le délai de 30 jours.

2.2.1.4 Plainte pour manquement au devoir de juste représentation

Deux recours contre un syndicat sont possibles en vertu du Code du travail pour un manquement au devoir de juste représentation à l’égard d’un salarié qu’il représente[301]. Dans le contexte d’un renvoi, de l’imposition d’une mesure disciplinaire ou de harcèlement psychologique, le recours est prévu par l’article 47.3 du Code du travail, lequel permet au TAT d’ordonner que la réclamation du salarié soit déférée à l’arbitrage. C’est le recours « traditionnel ». À cela s’ajoute un recours sui generis fondé sur un manquement du devoir de juste représentation, mais où il n’y a pas eu de mesure disciplinaire ni de harcèlement psychologique[302]. Dans les deux cas, la plainte doit être déposée dans les 6 mois[303] suivant la connaissance par le salarié de la violation alléguée du devoir de juste représentation. Comme nous l’avons discuté précédemment, ce délai ne peut être prorogé par le TAT en l’absence d’un motif raisonnable[304]. Au fil du temps, les tribunaux se sont penchés à de nombreuses reprises sur la question de la « connaissance des faits[305] ». Nous en retenons qu’il s’agit toujours d’une question de fait qui est analysée au cas par cas[306] en tenant compte de la capacité du salarié à bien comprendre ce qui se passe. Le Tribunal du travail, dans l’affaire Lapierre c. Tribunal du travail[307], fournit des précisions quant à la connaissance[308].

Bien qu’elle nécessite une analyse des faits in concreto, la connaissance ne peut pas être niée par le salarié lorsque celle-ci était raisonnablement possible, dans les circonstances[309]. Précisons que les discussions qui se poursuivent entre le salarié et le syndicat, une fois la connaissance acquise par le salarié, ne peuvent prolonger le délai ; les démarches ultérieures en vue de convaincre le syndicat de revenir sur sa position ne peuvent ni repousser le point de départ de la computation du délai ni faire revivre le recours[310].

Le devoir de juste représentation du syndicat est conditionné par des limites d’ordre temporel. Il est intimement lié à l’accréditation. En effet, dès son accréditation, le syndicat doit répondre de cette obligation à l’égard de tous les salariés faisant partie de l’unité de négociation. Ainsi, suivant cette logique, une association nouvellement accréditée n’a pas à répondre aux manquements à ce devoir par l’association précédemment en place si les faits à l’origine de celui-ci sont complètement terminés et qu’elle n’a pas pris fait et cause du syndicat précédemment accrédité pour ces faits. Au contraire, le syndicat nouvellement accrédité peut même agir en tant que représentant d’un salarié qui a porté plainte contre le syndicat qui était accrédité avant lui[311]. Cela peut, à première vue, être difficile à concilier avec la subrogation de l’article 61 du Code du travail : cependant, la CRT justifie cette décision en expliquant qu’il n’est pas question d’une obligation provenant de la convention collective, mais bien d’un devoir prévu par la loi[312].

Pour le salarié considéré individuellement, c’est également la nouvelle accréditation d’un syndicat qui donnera généralement naissance au devoir de juste représentation à son égard, si, bien sûr, il fait alors partie de l’unité de négociation visée par l’accréditation. Or, d’autres cas de figure sont possibles. Pour le salarié nouvellement embauché ou changeant de poste et donc d’unité de négociation, la date de son entrée en fonction dans ce nouvel emploi ou poste constituera le point de départ du devoir du syndicat à son endroit. L’extinction de l’obligation d’un syndicat à l’égard d’un salarié coïncide, en règle générale, avec la révocation de son accréditation. Elle s’éteint aussi lorsque le salarié quitte l’unité de négociation, que ce soit en raison d’une démission, d’un congédiement, d’un licenciement, d’un départ à la retraite ou d’une mutation. Toutefois, comme l’explique bien Robert P. Gagnon, « elle subsiste à l’égard de la période d’emploi pendant laquelle le salarié était représenté par l’association accréditée[313] ». C’est donc dire qu’un salarié, ayant par exemple pris sa retraite, peut tout de même intenter un recours contre le syndicat qui représentait l’unité de négociation de laquelle il relevait lorsqu’il était encore en poste[314]. Cela s’avère nécessaire notamment lorsqu’on se rappelle que plusieurs circonstances pour lesquelles on peut intenter un recours contre le syndicat impliquent le détachement du salarié de son unité de négociation (renvoi, mutation en tant que mesure disciplinaire, etc.). À noter que la situation faisant l’objet de la plainte ne peut pas être « une situation postérieure au lien d’emploi, mais [elle se doit d’être] antérieure au départ du salarié[315] ».

2.2.1.5 Révision ou révocation

Les décisions du TAT sont sans appel[316] : cependant, elles peuvent faire l’objet d’une révision ou d’une révocation[317]. Le délai prévu pour le dépôt d’une telle requête est un délai raisonnable à partir de la décision visée ou de la connaissance du fait nouveau susceptible de justifier une décision différente[318], et la jurisprudence a jugé qu’était raisonnable un délai de 30 jours[319]. Il n’est pas exclu toutefois qu’une demande de révision ou de révocation puisse être présentée dans un délai plus long sans pour autant être rejetée sur la base du délai. La différence, dans ce cas, est que le requérant doit expliquer en quoi le délai de plus de 30 jours est justifié selon les circonstances de son affaire. C’est d’ailleurs ce que conclut la CRT dans une affaire où elle a rejeté une requête en révision présentée 90 jours après le délai : « Au-delà de ce délai [30 jours], il appartient à celui qui veut agir d’exposer les raisons qui l’ont empêché d’agir plus tôt[320]. » Dans une autre décision, la CRT énonce que « [l]’appréciation du caractère raisonnable du délai pour demander la révision d’une décision dépend des circonstances propres à chaque affaire[321] ». Enfin, dans une autre affaire, elle précise qu’« [i]l appartient donc au plaignant de justifier son retard en expliquant, par des raisons suffisantes, voire exceptionnelles, pourquoi il n’a pu agir plus tôt[322] ».

Dans une affaire où la requérante justifiait le délai pour déposer sa requête en révocation par les difficultés éprouvées dans la recherche d’un avocat disponible et désireux de la représenter, la CRT a jugé qu’un délai de 62 jours n’était pas raisonnable eu égard aux circonstances de l’affaire, notamment parce que la requérante avait attendu au moins 2 semaines et demie avant de faire des démarches[323]. Dans une autre décision, la CRT a rejeté une requête en révision déposée 92 jours suivant la décision. Les raisons avancées par le requérant étaient les vacances d’été et le fait qu’il avait dû préparer sa requête seul, alors qu’il travaillait à temps plein, parce que son avocat était très occupé lorsqu’il l’avait contacté[324]. Une requête déposée 5 mois après la décision sans qu’aucune explication ait été fournie par le requérant a également été rejetée[325]. L’analyse de la jurisprudence montre que la CRT accepte très rarement les requêtes en révision plus de 30 jours après que la décision a été rendue, notamment en raison de l’importance de la stabilité juridique[326].

2.2.1.6 Délai pour rendre une décision

Si les parties doivent respecter des délais pour intenter leur recours devant le TAT, celui-ci, de son côté, doit rendre sa décision en respectant certaines limites temporelles. En matière d’accréditation, le TAT doit rendre sa décision dans les 60 jours du dépôt de la requête[327]. Les décisions du TAT qui portent sur la transmission des droits suivant l’aliénation ou la concession d’une entreprise doivent être rendues dans les 90 jours du dépôt de la requête[328]. Pour toutes les autres dispositions concernant des recours ou des plaintes, le TAT doit rendre sa décision dans les 3 mois de la prise en délibéré de l’affaire[329]. À noter que ces délais ne sont pas de rigueur. Ils peuvent, en effet, être prolongés par le président du TAT en tenant compte des circonstances propres à l’affaire et de l’intérêt des personnes ou des parties intéressées[330].

2.2.2 Droits et recours devant l’arbitre de griefs

2.2.2.1 Grief

Si le grief est un recours reconnu par le Code du travail, il puise sa source dans la convention collective. Étant donné son origine de nature « privée », les règles régissant les délais sont en grande partie tributaires de l’intention des parties et, effectivement, les conventions collectives contiennent souvent des dispositions sur les délais. Rappelons que les règles prévues par le chapitre X du Code du travail ne s’appliquent pas à l’arbitrage de griefs, bien que les arbitres puissent s’en inspirer en l’absence de dispositions expresses de la convention collective se rapportant à ces sujets[331].

Le Code du travail n’intervient, dans le contexte du recours que constitue le grief, que pour poser certaines balises, ce qui laisse beaucoup d’espace à la discrétion des parties à la convention collective à ce sujet. Ainsi, l’article 71 du Code du travail prévoit que les recours naissant d’une convention collective se prescrivent par 6 mois à compter du jour où la cause de l’action a pris naissance[332]. Ce délai de prescription ne s’applique qu’au dépôt du grief et le Code du travail n’impose pas de second délai pour soumettre un grief à l’arbitrage[333].

En matière arbitrale, l’article 71 du Code du travail joue un rôle supplétif[334] : les parties peuvent ainsi convenir d’un autre délai pour déposer un grief[335]. Cependant, leur autonomie à cet égard est limitée par l’article 100.0.1 du Code du travail. Cet article prévoit que, nonobstant un délai plus court dans une convention collective pour déposer un grief, les parties disposent d’au moins 15 jours pour agir[336]. Aucun grief déposé à l’intérieur de cette période ne pourrait alors être rejeté par l’arbitre en raison d’un délai conventionnel plus court. Cela dit, rappelons que la procédure de grief poursuit un objectif d’efficacité et de célérité pour la résolution du conflit. Voilà qui explique en grande partie les délais très courts comparativement à des recours d’autres domaines du droit.

Aux fins de la computation des délais énoncés à l’article 100.0.1 du Code du travail, les dispositions du chapitre X de ce dernier devraient s’appliquer, car elles s’appliquent « [a]ux fins du présent code[337] » et à « la computation de tout délai fixé par le présent code[338] ». C’est effectivement ce que la jurisprudence a retenu[339].

2.2.2.2 Mésentente autre qu’un grief

Une mésentente autre qu’un grief ou qu’un différend est régie par l’article 102 du Code du travail. Le grief étant défini comme une « mésentente relative à l’interprétation ou à l’application d’une convention collective[340] », il faut en conclure que celle dont il est question à l’article 102 ne provient pas directement de la convention collective. Elle pourrait, par exemple, puiser sa source dans des pratiques passées non conventionnées[341]. Par contre, afin qu’un arbitre puisse être saisi de telles mésententes, les parties doivent avoir expressément prévu qu’elles lui soient soumises. On parle alors d’un « grief assimilé par voie conventionnelle[342] ».

À l’instar du grief, la convention collective indique la marche à suivre et, le cas échéant, le délai à respecter pour l’arbitrage d’un grief assimilé par voie conventionnelle. Les dispositions du Code du travail relatives à la compétence et aux pouvoirs de l’arbitre de griefs ainsi qu’à la procédure devant lui s’appliquent[343]. Ainsi, le raisonnement relatif aux articles 71 et 100.0.1 de ce code vaut également pour les mésententes au sens de l’article 102, à tout le moins dans la mesure où ces dernières sont arbitrables[344].

2.2.2.3 Recouvrement d’emploi à la fin d’un lock-out ou une grève

Le Code du travail permet à tout salarié de recouvrer son emploi à la fin d’une grève ou d’un lock-out[345]. Ce recours doit être exercé par le syndicat au nom du salarié et les règles concernant l’arbitrage de griefs prévues dans le Code du travail s’appliquent[346]. Par contre, le délai pour intenter ce recours n’est pas celui qui est prévu pour le grief dans la convention collective, mais plutôt de 6 mois à compter de la date où le salarié aurait dû recouvrer son emploi[347]. Bien que l’article 110.1 du Code du travail n’ait fait l’objet que de très peu de décisions relativement à la question du délai, nous pouvons soutenir que, fort souvent, cette date est celle de la fin de la grève ou du lock-out. Par contre, lorsque l’employeur ferme son établissement alors que les salariés sont en grève, c’est à partir de la date de fermeture que le délai commence à courir[348]. Dans tous les cas, la computation du délai devrait se faire en appliquant les règles du chapitre X du Code du travail.

Conclusion

Comme nous l’avons démontré, les règles relatives à la computation des délais peuvent être lourdes de conséquences. Si elles sont relativement simples à saisir in abstracto, leur application suscite plusieurs questionnements. C’est notamment le cas en ce qui concerne la procédure d’accréditation pendant les périodes à durée indéfinie.

Ces questionnements découlent, en partie, de la sédimentation des multiples réformes du Code du travail, lesquelles n’ont malheureusement pas institué une terminologie uniforme. Le législateur pourrait donc facilement intervenir pour les régler et, vu la nature essentiellement technique des modifications nécessaires, cela pourrait se faire en évitant les risques politiques associés à l’« ouverture » du Code du travail, souvent compris comme un pacte social entre travailleurs et patrons. Cela dit, un régime législatif complexe comme celui qui est applicable aux rapports collectifs du travail concerne nécessairement une très grande variété de situations concrètes et une terminologie uniforme ne réglerait pas toutes les difficultés liées à la computation des délais. En ce sens, une bonne compréhension des fondements de ces règles demeure en tout temps une nécessité.