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Introduction

Au cours des dernières décennies, les comportements sexuels problématiques (CSP) adoptés par des enfants ont retenu l’attention des intervenants en protection de l’enfance, qui s’inquiètent entre autres pour la sécurité des autres enfants qui les côtoient (Baker, Schneiderman et Parker, 2001; St-Amand, St-Jacques et Silovsky, 2011). Malgré la sensibilité et l’intérêt grandissants des milieux cliniques envers ce phénomène, la documentation scientifique demeure peu abondante et parcellaire. À l’heure actuelle, aucune étude populationnelle ne permet de décrire l’incidence ou la prévalence des CSP chez les enfants. En contexte de protection, des CSP seraient manifestés par 10 % à 30 % des enfants pris en charge par les services américains (Baker et coll., 2008; Szanto, Lyons et Kisiel, 2012) et par environ 15 % des enfants pris en charge au Québec (Lepage et coll., 2010).

En dépit de l’absence de consensus quant à leur définition, il est généralement reconnu que les CSP ne constituent ni un trouble de santé mentale ni un diagnostic, mais plutôt des manifestations comportementales se situant en marge d’un développement sexuel sain (Chaffin et coll., 2008; Elkovitch, Latzman, Hansen et Flood, 2009; Lepage et coll., 2010). Un groupe d’experts de l’Association for the Treatment of Sexual Abusers (ATSA) propose de définir les CSP comme « des comportements impliquant des parties sexuelles du corps, initiés par des enfants de 12 ans et moins, jugés inappropriés d’un point de vue développemental ou potentiellement néfastes pour l’enfant lui-même ou pour les autres » (Chaffin et coll., 2008; p. 200, traduction libre). Ainsi, les CSP comprennent une vaste gamme de manifestations dirigées tant vers autrui (p. ex. : attouchements) que vers soi-même (p. ex. : masturbation excessive). Du point de vue développemental, l’ATSA (Chaffin et coll., 2008) suggère que les comportements sexuels sont jugés problématiques si : 1) ils se produisent à une fréquence et à une intensité s’éloignant de la norme, persistent davantage dans le temps ou surviennent à un âge plus précoce que ce qui est attendu, par rapport aux comportements d’enfants d’âge ou de stade développemental similaire, 2) ils accaparent l’enfant et nuisent à son développement (p. ex. : remplacent des intérêts ou des activités qui sont appropriés d’un point de vue développemental), et 3) ils persistent malgré les interventions d’un adulte.

Par cette définition, les experts de l’ATSA conviennent avec la majorité des chercheurs et des cliniciens que les enfants manifestant des CSP se distinguent des agresseurs adolescents et adultes et que leur profil et leurs besoins sont différents (Chaffin et coll., 2008; Chaffin, Letourneau et Silovsky, 2002). Ces experts soulignent que les enfants qui présentent des CSP ne doivent pas être considérés comme des agresseurs sexuels. Sans exclure la responsabilité des gestes qu’ils ont commis, ils considèrent que, contrairement aux adultes et aux adolescents, les enfants ne sont pas en mesure de s’engager dans des processus cognitifs complexes qui permettent de planifier leur CSP, d’amadouer une proie ou de rationaliser leur geste, compte tenu de leur stade de développement. Ainsi, les enfants qui présentent des CSP agissent généralement de façon davantage impulsive que compulsive et adoptent de tels comportements pour des raisons qui peuvent être autres que la gratification ou la stimulation sexuelle, soit la curiosité, l’imitation ou la recherche d’apaisement, ce qui les distingue des agresseurs sexuels adolescents ou adultes (Jones, 2011). En somme, la problématique des enfants qui présentent des CSP est généralement traitée de façon distincte de celle des adolescents ayant commis des agressions sexuelles, tant sur le plan de la recherche que sur le plan de l’évaluation et du traitement.

Les CSP peuvent causer des préjudices graves aux enfants qui en sont victimes. Ces derniers rapporteraient des perceptions aussi négatives et des symptômes aussi sévères que les enfants victimes d’agression sexuelle de la part d’un adolescent ou d’un adulte (Sperry et Gilbert, 2005). Pour l’enfant qui les présente, les CSP sont associés à un risque accru de stigmatisation de la part de l’entourage qui peut s’empresser de lui apposer l’étiquette d’agresseur sexuel (Chaffin et coll., 2008). Tout comme c’est le cas pour une majorité de problèmes de comportement, les CSP peuvent s’aggraver et entraîner des effets indésirables sur la société s’ils ne font pas l’objet d’une intervention adéquate (Chaffin et coll., 2008).

Défis de l’intervention en protection de l’enfance

Les CSP posent des défis particuliers aux familles et aux intervenants. Selon les résultats d’enquêtes américaines, les difficultés de comportement, dont font partie les CSP, constituent le principal motif évoqué par les familles d’accueil pour justifier la nécessité d’un changement de milieu (Baker et coll., 2001; Baker et coll., 2008). Par ailleurs, des études réalisées auprès d’intervenants en unité de groupe révèlent que ceux-ci ne se sentent pas adéquatement outillés face aux CSP et ressentent des émotions négatives, telles que du dégoût et de la colère, à l’égard des enfants qui ont de tels comportements (Baker et coll., 2001; Shevade, Norris et Swann, 2011). Par conséquent, les enfants présentant des CSP sont susceptibles de subir des préjudices, en ce sens que les émotions négatives qu’ils génèrent peuvent se traduire par l’utilisation de techniques coercitives ou la surutilisation de techniques inadéquates par les intervenants, telles que la punition et le contrôle (Shevade, Norris et Swann, 2011). En dépit des interventions offertes par les services de protection, les CSP de certains enfants peuvent persister au-delà de leur prise en charge (Lévesque, Bigras et Pauzé, 2012). Une étude évaluant l’efficacité de deux programmes d’intervention destinés à des enfants ayant des CSP révèle qu’entre 2 % et 10 % des participants ont commis une agression sexuelle à l’intérieur des 10 années suivant la fin du programme (Carpentier, Silovsky et Chaffin, 2006).

Afin de mieux orienter l’action des intervenants oeuvrant auprès des enfants qui présentent des CSP en contexte de protection de l’enfance, il importe de développer des pratiques d’évaluation de leurs besoins qui s’appuient sur une meilleure compréhension de leur profil psychosocial.

Modèle théorique multidimensionnel et transactionnel

Les premières théories visant à expliquer la présence de CSP chez les enfants ont mis l’accent sur la victimisation comme facteur prépondérant (voir Araji, 1997), où les CSP sont perçus comme une réaction traumatique à une agression sexuelle. À elle seule, l’agression sexuelle ne suffit toutefois pas à rendre compte du portrait hétérogène des enfants qui manifestent des CSP, car un certain pourcentage d’entre eux n’aurait jamais été agressé (Gagnon, Lévesque et Tourigny, 2008). Ce constat appelle à une compréhension plus exhaustive de l’apparition et du maintien des CSP.

Dans le cadre d’une recension systématique des écrits, Boisvert, Tourigny, Lanctôt et Lemieux (2016) ont tenté d’expliquer l’apparition des CSP en adaptant légèrement les modèles de Greenberg, Speltz et DeKlyen (1993) et de Friedrich (2007). Le premier modèle concerne les problèmes de comportement précoces et confère à l’attachement un rôle de premier plan dans la trajectoire de ces comportements, tandis que le second modèle se veut spécifique au développement des CSP. De cette adaptation découle une compréhension qui s’appuie sur l’interaction entre cinq dimensions de risque et de maintien.

La dimension des facteurs individuels prédisposant aux problèmes de comportement fait référence aux caractéristiques tant biologiques qu’individuelles de l’enfant qui prédisent l’apparition de problèmes de comportement. Elle englobe certains déficits neurologiques et traits de tempérament, le genre masculin, ainsi que la présence de problèmes concomitants, comme les troubles intériorisés, susceptibles d’entraver le développement de la capacité d’autorégulation de l’enfant, puis de déclencher l’apparition de comportements perturbateurs, tels que l’agressivité et l’impulsivité.

La dimension des stresseurs affectant la capacité des parents à fournir des soins optimaux à leur enfant comprend un ensemble de caractéristiques parentales (p. ex. : faible niveau d’éducation, problème de santé mentale, consommation abusive), conjugales (p. ex. : violence conjugale) et de l’environnement de vie (p. ex. : pauvreté, surpopulation du logement), susceptibles de nuire à la qualité des soins prodigués.

La dimension des pratiques parentales coercitives reflète le rôle prépondérant des pratiques punitives ou inefficaces des parents dans la prédiction des comportements perturbateurs chez les enfants. Cette dimension serait particulièrement sujette au processus de modelage, au sens où l’enfant peut chercher à entrer en relation avec les autres de manière coercitive en reproduisant des comportements appris auprès de ses parents. Au chapitre des pratiques coercitives s’ajoute l’absence d’échanges positifs qui se reflète par un manque d’intérêt ou d’expression affective de la part du père ou de la mère et qui prédispose l’enfant à solliciter l’attention souhaitée en manifestant des comportements perturbateurs.

La dimension de la perturbation du développement psychosexuel de l’enfant ajoute que certains enfants apprennent à entrer en relation avec les autres en utilisant des gestes à caractère sexuel ou développent des CSP dirigés vers eux-mêmes, le plus souvent à la suite d’une agression sexuelle ou de l’exposition inadéquate à la sexualité dans la famille (p. ex. : émission fréquente de comportements à caractère sexuel, observation de comportements sexuels inappropriés entre adultes, accessibilité à de la pornographie).

La dimension de la qualité de l’attachement parent-enfant influencerait les CSP de manière directe et surtout indirecte. La nature malléable de cette dimension, qui est appelée à varier dans le temps et en fonction des événements et caractéristiques du milieu familial, lui confère un rôle déterminant dans l’apparition et le maintien des CSP en raison de ses répercussions sur les quatre autres dimensions du modèle théorique. À titre d’exemple, un attachement non sécure, engendré par la cristallisation de modèles relationnels marqués par la frustration et la méfiance, augmente le risque de vivre des conflits interpersonnels, d’éprouver des difficultés d’autorégulation et de développer des comportements perturbateurs.

La force du modèle proposé par Boisvert et coll. (2016) repose sur une adaptation du modèle générique de Greenberg et coll. (1993) et du modèle spécifique de Friedrich (2007). Si l’agression sexuelle y figure à titre de facteur associé, la vision transactionnelle des modèles précédents y est réaffirmée en accordant une attention particulière aux interactions entre cinq dimensions de risque et de maintien. Ainsi, ni la présence d’un seul facteur ni leur simple cumul ne suffisent pour expliquer l’apparition des CSP, qui relèveraient davantage d’un processus d’interinfluence. Ce modèle ouvre donc la voie à une multitude de possibilités en termes de trajectoires et de séquences d’interactions où chaque dimension peut contribuer à l’explication du phénomène.

Appuis empiriques

Bien que parfois partagés, voire contradictoires, les résultats des études portant sur les facteurs associés aux CSP révèlent des associations significatives entre plusieurs facteurs compris dans les dimensions de risque et de maintien du modèle adapté par Boisvert et coll. (2016) et la présence de CSP (ou une fréquence élevée de comportements sexuels)[1]. Parmi les facteurs qui suscitent des résultats contradictoires, notons l’âge et le sexe des enfants. Certaines études concluent que les enfants plus vieux (Szanto et coll., 2012) sont plus susceptibles d’avoir des CSP alors que d’autres concluent que ce sont les plus jeunes (Bonner, Walker et Berliner, 1999; Chromy, 2003). De même, certaines études concluent que les filles (Carpentier et coll., 2006; Tarren-Sweeney, 2008) sont plus susceptibles d’avoir des CSP, alors que d’autres concluent que ce sont plutôt les garçons (Allen, Thorn et Gully, 2015; Szanto et coll., 2012).

En ce qui concerne la dimension des facteurs individuels prédisposant aux problèmes de comportement, des associations ont été observées entre les CSP – ou la fréquence de comportements sexuels – et certains facteurs, comme les troubles de comportements extériorisés (Allen et coll., 2015; Baker et coll., 2008; Burton, 1996; Lévesque, Bigras et Pauzé, 2010) ou intériorisés (Allen et coll., 2015; Baker et coll., 2008) ainsi que les comportements délinquants ou agressifs (Bonner et coll., 1999; Chromy 2003).

En ce qui concerne la dimension des stresseurs affectant la capacité des parents à fournir des soins optimaux à l’enfant, la fréquence et la nature des comportements sexuels seraient associées à la présence d’un plus grand nombre d’événements stressants dans la vie de l’enfant et des parents, tels que le deuil, la maladie, les accidents et le retrait de l’enfant du domicile familial (Baker et coll., 2008; Hershkowitz, 2011). Certaines études ont également montré une association entre la présence de CSP et le faible statut socio-économique de la famille (Bonner et coll., 1999; Friedrich et coll., 2003; Hershkowitz, 2011), la monoparentalité ou le divorce des parents (Bonner et coll., 1999; Hershkowitz, 2011), ainsi que la détresse psychologique ou le stress parental (Bonner et coll., 1999; Lepage et coll., 2010).

En ce qui concerne la dimension des pratiques parentales coercitives, certaines études révèlent que la perception négative qu’entretient le père ou la mère à l’égard de son enfant est significativement associée à la présence de CSP et à une plus grande fréquence de comportements sexuels (Baker et coll., 2008; Bonner et coll., 1999). Les études s’étant intéressées à l’influence de la violence vécue par l’enfant rapportent des liens significatifs entre les CSP et les mauvais traitements, dont les sévices physiques, les abus psychologiques et la négligence (Burton, 1996; Friedrich et coll., 2003; Hall, Mathews et Pearce, 1998; Hershkowitz, 2011; Merrick et coll., 2008), ainsi qu’avec l’exposition de l’enfant à différentes formes de violence : violence familiale, activités criminelles, violence à l’école, violence dans la communauté (Lepage et coll., 2010; Szanto et coll., 2012).

En ce qui concerne la dimension de la perturbation du développement psychosexuel de l’enfant, les premières théories stipulant que les CSP découlent de l’agression sexuelle ont pavé la voie à bon nombre d’études qui ont confirmé la présence d’une relation significative entre ces deux variables (Bonner et coll., 1999; Burton, 1996; Hershkowitz, 2011; Lepage et coll., 2010; Szanto et coll., 2012; Tarren-Sweeney, 2008). Les quelques études à avoir documenté l’exposition accrue à la sexualité dans la famille (Bonner et coll., 1999, Friedrich et coll., 2003; Lévesque et coll., 2010) ont démontré que ce facteur prédisait aussi la présence de CSP.

En ce qui concerne la dimension de la qualité de l’attachement parent-enfant, aucune étude n’a encore exploré son rôle direct dans le développement des CSP. De manière indirecte, plusieurs facteurs de risque et de maintien recensés au sein des quatre autres dimensions pointent vers la présence d’une relation d’attachement détériorée (p. ex.  : mauvais traitements envers l’enfant, perception négative du père ou de la mère envers l’enfant, placement de l’enfant). Certains chercheurs font d’ailleurs référence à la présence possible d’un trouble d’attachement ou d’un attachement non sécure dans l’interprétation de leurs résultats. C’est le cas notamment de Lightfoot et Evans (2000) qui ont rapporté que deux fois plus d’enfants présentant des CSP ont connu, avant l’âge de 7 ans, une séparation de 3 mois ou plus avec une figure parentale, et ce, comparativement aux enfants sans CSP et qui présentaient des troubles de la conduite (respectivement 65 % versus 32 %). Pour sa part, Tarren-Sweeney (2008) suggère une relation proximale entre CSP et problèmes d’attachement en raison de la présence accrue de traits psychopathologiques complexes révélés par l’analyse du profil des enfants ayant des CSP.

En résumé, les résultats des études antérieures révèlent que les enfants manifestant des CSP se distinguent des autres sur un ensemble de facteurs touchant différentes dimensions de risque et de maintien. Ces études présentent néanmoins certaines limites méthodologiques. D’abord, les études recourent principalement au Child Sexual Behavior Inventory (CSBI; Friedrich et coll., 1992) dont la validité de construit s’avère problématique. En effet, cet instrument mesure la présence et la fréquence de comportements sexuels au sens large (c’est-à-dire incluant des comportements sexuels sains et problématiques). De plus, les auteurs l’ayant utilisé pour évaluer les CSP ont sélectionné des items et des seuils cliniques différents pour statuer sur leur présence/absence. Ensuite, le recours à des données en provenance d’un seul informateur – majoritairement le père, la mère ou le fournisseur de soins – a été noté dans la plupart des études recensées. Cette stratégie implique que les informations recueillies peuvent parfois s’avérer biaisées ou incomplètes pour décrire le phénomène à l’étude. D’une part, parce que plusieurs CSP se produisent à l’insu des adultes et d’autre part, parce que le phénomène de désirabilité sociale, accentué en contexte de vulnérabilité et de protection, peut conduire les parents à cacher la vérité sur les comportements sexuels de leur enfant.

Somme toute, l’état actuel des connaissances invite à explorer davantage l’apport du modèle adapté par Boisvert et coll. (2016) pour mieux comprendre le profil psychosocial des enfants qui présentent des CSP, et ce, tout particulièrement en contexte de protection de l’enfance. À défaut de disposer d’un outil de mesure standardisé et de seuils cliniques éprouvés pour identifier les CSP, les intervenants des services de protection peuvent représenter des répondants de premier choix. En effet, leur accès privilégié à de multiples sources d’information leur permet de dégager une connaissance approfondie des caractéristiques de l’enfant, de sa famille et de son milieu de vie qui peut s’avérer fort utile pour décrire les facteurs associés aux CSP sous un angle multidimensionnel. Ainsi, le recours aux intervenants favorise grandement la validité écologique des études réalisées en contexte de protection de l’enfance, en ce sens que les données recueillies à partir de leur point de vue sont plus susceptibles de représenter fidèlement la réalité de la clientèle et des services offerts.

S’appuyant sur le modèle explicatif adapté par Boisvert et coll. (2016), la présente étude vise à identifier les facteurs qui permettent de distinguer les enfants présentant des CSP des autres enfants du même âge sans CSP, et ce, à partir d’un échantillon représentatif d’enfants dont le signalement a été retenu et jugé fondé par les services québécois de protection de l’enfance.

Méthodologie

Échantillon et démarche

Cette étude porte sur des analyses secondaires réalisées à partir de la banque de données de l’Étude d’incidence québécoise de 2008 sur les situations évaluées en protection de l’enfance (ÉIQ-2008) comptant au total 3079 enfants qui, à l’issue d’une procédure de sélection aléatoire, représentent 50 % des enfants ayant fait l’objet d’une évaluation pour un signalement retenu ayant été reçu entre le 1er octobre et le 31 décembre 2008 (Hélie et coll., 2015; Hélie et coll., 2012). Les données ont été recueillies auprès de 16 centres jeunesse du Québec sur 19. Trois établissements du Nord du Québec, desservant une clientèle principalement autochtone, ont été exclus en raison de leur faible population (0,8 % des enfants au Québec) et de l’incompatibilité de leur système informatique avec le formulaire d’enquête de l’ÉIQ. Néanmoins, les enfants issus de groupes autochtones vivant dans les autres régions du Québec sont représentés dans la banque de données.

Dans chaque centre jeunesse, les données ont été recueillies par les intervenants responsables d’évaluer les signalements retenus à l’aide d’un formulaire d’enquête électronique préalablement validé et adapté au contexte culturel et juridique du Québec. Les réponses aux 44 questions du formulaire permettaient de décrire les caractéristiques de la situation signalée, de l’enfant concerné, de son milieu de vie, de ses figures parentales ainsi que des services offerts dans le cadre de l’évaluation et de l’orientation du signalement. Une partie des informations recueillies dans le formulaire d’enquête provient directement du système informatique des centres jeunesse, alors qu’une autre partie provient des réponses fournies par l’intervenant. Le formulaire d’enquête a été rempli par l’intervenant une fois que l’évaluation du signalement a été terminée, et ce, à partir de l’ensemble des éléments et informations qui ont été recueillis lors de rencontres avec les parents, l’enfant et d’autres personnes ou professionnels investis dans la situation signalée.

Dans le cadre de la présente étude, l’échantillon comprend tous les enfants âgés de 2 à 12 ans ayant fait l’objet d’un signalement retenu dont les faits ont été jugés fondés (n = 1020). L’étendue d’âge privilégiée se voulait conforme à la définition des CSP, lesquels sont initiés par des enfants de 12 ans et moins (Chaffin et coll., 2008). Deux groupes composent l’échantillon, soit les enfants avec CSP (n = 72) et ceux sans CSP (n = 948).

Variable dépendante

Les enfants de l’échantillon ont été classés dans le groupe avec CSP si : 1)  l’évaluation du signalement a confirmé que les faits évalués étaient fondés et portaient sur la présence de comportements sexuels inappropriés – situation décrite au paragraphe 38f) de la Loi sur la protection de la jeunesse du Québec sur les troubles de comportement sérieux– ou 2) la présence de comportements sexuels inappropriés a été notée parmi les problèmes de fonctionnement de l’enfant à l’issue de l’évaluation. Par comportements sexuels inappropriés, le formulaire d’enquête renvoyait à des CSP dirigés vers autrui (excluant donc les CSP dirigés vers soi) au moyen de la définition suivante : « l’enfant a initié des comportements sexuels inadéquats et problématiques avec des amis ou des membres de la famille » (Hélie et coll., 2012, p. 181). Quant à la présence de problèmes de fonctionnement de l’enfant, elle était notée lorsque le problème était confirmé (à la suite d’un diagnostic, d’un rapport d’expert, de la consultation de collaborateurs, de l’observation directe ou du dévoilement par l’enfant ou ses parents) ou lorsque l’intervenant avait des soupçons suffisants pour mentionner ce problème dans un rapport ou à un collègue.

Variables indépendantes

Les 24 variables indépendantes à l’étude sont présentées et définies sommairement dans le Tableau 1 (voir Hélie et coll., 2012 pour les définitions plus détaillées). Ces variables sont tirées des sections du formulaire d’enquête qui permettaient de décrire la nature du signalement, les caractéristiques du milieu de vie et les problèmes de fonctionnement de l’enfant et de l’une de ses figures parentales. Elles ont été sélectionnées en fonction de leur adéquation avec l’une ou l’autre des dimensions de risque et de maintien du modèle adapté par Boisvert et coll. (2016). L’intervenant responsable de l’évaluation du signalement devait remplir le formulaire électronique. Pour la grande majorité des variables (soit les différents problèmes chez l’enfant ou les parents, les mauvais traitements et les stresseurs dans la famille), l’intervenant devait identifier si le facteur/problème en question était présent ou non dans la famille au moment de l’évaluation. Pour une minorité de variables (par exemple, les variables sociodémographiques comme le sexe, l’âge, la structure familiale, etc.), l’intervenant avait un choix de réponse qu’il devait cocher dans le formulaire électronique. Chaque intervenant avait reçu une formation de 3 heures pour remplir le formulaire et disposait d’un guide définissant les variables du formulaire d’enquête.

Tableau 1

Caractéristiques descriptives des enfants de l’échantillon, de leur famille et des signalements

Caractéristiques descriptives des enfants de l’échantillon, de leur famille et des signalements

Tableau 1 (suite)

Caractéristiques descriptives des enfants de l’échantillon, de leur famille et des signalements

*p < 0,05; **p < 0,001

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Résultats

Description de l’échantillon – analyses univariées

Le Tableau 1 montre que, sur l’ensemble des 24 variables indépendantes à l’étude, les analyses univariées indiquent que 10 d’entre elles distinguent les enfants des groupes avec et sans CSP.

En ce qui concerne la dimension des facteurs individuels prédisposant l’enfant à développer des problèmes de comportement, les résultats montrent que les enfants du groupe avec CSP sont en moyenne plus âgés que les enfants du groupe sans CSP (8,6 ans contre 7,3 ans). De plus, les enfants avec CSP présentent une variété significativement plus grande de problèmes de fonctionnement, comparativement aux enfants sans CSP. En effet, ils sont proportionnellement plus nombreux à présenter certains problèmes intériorisés, soit 66,7 % comparativement à 36,9 % (anxiété/dépression/repli sur soi, comportements autodestructeurs ou idéations suicidaires) et extériorisés, soit 43,1 % contre 15,4 % (TDA/H, agressivité, fugues, alcoolisme ou toxicomanie), ainsi que des problèmes d’ordre cognitif, soit 63,9 % comparativement à 39,6 % (déficience intellectuelle, retards de développement ou difficultés d’apprentissage).

En ce qui concerne la dimension des stresseurs affectant la capacité des parents à fournir des soins optimaux à leur enfant, aucun résultat significatif n’a été décelé.

Pour la dimension des pratiques parentales coercitives, les enfants avec CSP sont proportionnellement moins nombreux que les enfants sans CSP à avoir subi de la maltraitance psychologique directe (soit respectivement 1,4 % contre 17,5 %), ainsi qu’à avoir été exposés à de la violence conjugale (soit 12,5 % contre 30,1 %).

En ce qui concerne la dimension de la perturbation du développement psychosexuel, les enfants qui présentent des CSP sont proportionnellement plus nombreux que ceux sans CSP à avoir fait l’objet d’un signalement fondé pour agression sexuelle (soit respectivement 23,6 % contre 7,0 %).

En ce qui concerne la dimension de la qualité de l’attachement parent-enfant, les enfants avec CSP sont proportionnellement plus nombreux que les enfants sans CSP à présenter des problèmes d’attachement (33,3 % contre 13,0 %), ainsi qu’à vivre avec au moins une figure parentale ayant fait l’objet d’un placement en famille d’accueil ou en centre de réadaptation pendant l’enfance (22,2 % contre 12,4 %).

Facteurs associés à la présence de CSP – analyses multivariées

À la suite des analyses univariées, une vérification de la présence de multicolinéarité a été effectuée entre les 10 variables permettant de distinguer les deux groupes de l’échantillon. Les corrélations de Pearson obtenues s’étant révélées inférieures à r = 0,7, les 10 variables ont pu être introduites dans l’analyse de régression logistique.

Étant donné leur forte association avec la présence de CSP, tel que le relèvent les écrits recensés, le sexe et l’âge ont été introduits comme variables de contrôle dans le premier bloc de la régression logistique. Par la suite, les neuf autres variables indépendantes significatives lors des analyses univariées ont été introduites à l’intérieur de trois blocs hiérarchiques, représentant chacun une dimension du modèle adapté par Boisvert et coll. (2016), dans l’ordre suivant : pratiques parentales coercitives, facteurs individuels prédisposant l’enfant à développer des troubles de comportement, perturbation du développement psychosexuel. Aucun bloc n’a été introduit pour représenter les stresseurs affectant la capacité des parents à fournir des soins optimaux à leur enfant étant donné l’absence de résultat significatif pour cette dimension. Enfin, vu la nature fortement dynamique et interactionnelle de la dimension de la qualité de l’attachement parent-enfant, la variable « problèmes d’attachement » a été intégrée au bloc représentant les facteurs individuels prédisposant l’enfant à développer des problèmes de comportements, tandis que la variable « placement du parent » a été introduite au bloc représentant les pratiques parentales coercitives.

Le Tableau 2 présente les résultats du modèle final de la régression logistique (modèle 4) permettant de distinguer les enfants avec CSP des autres à partir de six variables : 1) l’absence d’un signalement fondé pour mauvais traitements psychologiques, 2) la présence d’un placement dans l’enfance chez l’une des figures parentales, 3) la présence de problèmes extériorisés, 4) la présence de problèmes intériorisés 5) la présence de problèmes d’attachement et 6) la présence d’un signalement fondé pour agression sexuelle. Le modèle final explique 22 % de la variance observée.

Le modèle 1 de l’analyse de régression logistique introduit le bloc 1 qui contient les deux variables sociodémographiques de contrôle (sexe et âge). Selon les résultats de ce modèle, la variable « âge » s’avère significative. Le rapport de cote de cette variable indique que pour chaque année d’âge additionnelle, la probabilité de présenter des CSP augmente d’un facteur de 1,16. Le modèle 1 permet d’expliquer 3 % de la variance observée.

Le modèle 2 introduit le bloc 2 (pratiques parentales coercitives) à la suite du bloc 1 et n’entraîne aucun changement concernant les résultats du modèle 1. Cependant, le modèle 2 ajoute qu’un enfant de l’échantillon est 2,47 fois plus susceptible de présenter des CSP lorsqu’une de ses figures parentales a déjà fait l’objet d’un placement. De plus, les enfants faisant l’objet d’un signalement pour de mauvais traitements psychologiques ou de l’exposition à de la violence conjugale seraient moins susceptibles de présenter des CSP, comme l’indiquent les rapports de cote inférieurs à 1. Le modèle 2 permet d’expliquer 12 % de la variance, soit 9 % de plus que le modèle 1.

Le modèle 3 introduit le bloc 3 (facteurs individuels prédisposant l’enfant à développer des problèmes de comportement) à la suite des blocs 1 et 2 et ses résultats entraînent un changement dans le bloc 1, à savoir que la variable « âge » ne permet plus de distinguer les enfants des groupes avec et sans CSP. Parmi les variables introduites au bloc 3, les problèmes intériorisés, extériorisés et d’attachement ressortent significativement et indiquent que les enfants qui présentent l’un ou l’autre de ces problèmes sont environ deux fois plus susceptibles de faire partie du groupe avec CSP. Le modèle 3 permet d’expliquer 19 % de la variance, soit 7 % de plus que le modèle 2.

Tableau 2

Résultats de la régression logistique par blocs hiérarchiques sur les facteurs associés à la présence de CSP

Résultats de la régression logistique par blocs hiérarchiques sur les facteurs associés à la présence de CSP

IC : intervalle de confiance, *p < 0,05, ** p < 0,01, *** p < 0,001.

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Enfin, le modèle final de régression introduit les variables des quatre blocs, dont la variable « agression sexuelle » au sein du bloc 4 (perturbation du développement psychosexuel). Ses résultats révèlent que les enfants agressés sont 3,15 fois plus susceptibles de faire partie du groupe avec CSP. L’ajout de cette variable amène un changement au bloc 2, à savoir que la variable « exposition à de la violence conjugale » ne permet plus de distinguer les enfants des groupes avec et sans CSP. L’introduction de cette variable permet d’expliquer 3 % de variance supplémentaire au modèle 3, pour un modèle final expliquant 22 % de la variance. Ce modèle final permet de classer correctement 82,2% des enfants sans CSP et 62,5% des enfants avec CSP.

Analyse des résultats

Inspirée du modèle adapté par Boisvert et coll. (2016), cette étude visait à cerner les facteurs qui permettent de distinguer les enfants présentant des CSP des autres enfants du même âge évalués avec des faits fondés par les services de protection de l’enfance. Les résultats qui s’en dégagent laissent voir que les enfants avec CSP présentent un profil plus détérioré que les enfants sans CSP, et ce, sur plusieurs dimensions de risque et de maintien.

Les résultats concernant la dimension des facteurs individuels prédisposant l’enfant à développer des troubles de comportement montrent que les enfants manifestant des CSP sont plus susceptibles de présenter des problèmes de fonctionnement extériorisés et intériorisés, ce qui corrobore les résultats de plusieurs études antérieures (Baker et coll., 2008; Bonner et coll., 1999; Elkovitch et coll., 2009; Lepage et coll., 2010; Pithers et coll., 1998a; Pithers et coll., 1998b). Pour expliquer la concomitance entre CSP et comportements extériorisés, certains auteurs évoquent leur parenté en stipulant que les gestes à caractère sexuel peuvent constituer une des nombreuses formes que prennent les comportements extériorisés (Elkovitch et coll., 2009; Friedrich, 2005). Or, cette explication ne permet pas de tenir compte des problèmes intériorisés décelés dans la présente étude, ce qui suggère la présence de différents sous-groupes au sein de l’échantillon. Les travaux ayant tenté d’élaborer une typologie d’enfants qui présentent des CSP, à l’instar de ceux de Pithers et coll. (1998b), abondent d’ailleurs en ce sens. Parmi les classes identifiées par ces auteurs, une se distingue par la forte prévalence de problèmes extériorisés (sexuellement agressifs), tandis qu’une autre se caractérise davantage par des problèmes intériorisés et des gestes sexuels caractéristiques d’une réaction traumatique (sexuellement réactifs).

Les résultats concernant la dimension des pratiques parentales coercitives montrent que les parents d’enfants manifestant des CSP présentent des pratiques semblables ou moins problématiques à celles des parents des autres enfants. Si ces résultats sont en contradiction avec ceux de certaines études antérieures (Friedrich et coll., 2003; Hall et coll., 1998; Lepage et coll., 2010; Merrick et coll., 2008), ils s’expliquent en partie par le fait que la majorité de l’échantillon a été victime de mauvais traitements, ce qui limite la possibilité de repérer des différences significatives entre les groupes. Une autre explication réside dans la définition des mauvais traitements psychologiques, qui varie grandement d’une enquête à l’autre (Brassard et Donovan, 2006; Trickett et coll., 2009). Enfin, les pratiques parentales moins coercitives pourraient aussi découler du fait que les enfants avec CSP sont plus âgés, ce qui implique qu’ils sont moins susceptibles que les autres d’être signalés pour de la maltraitance (Hélie et coll., 2012).

De l’ensemble des variables à l’étude, c’est la présence de signalement fondé pour agression sexuelle qui distingue le mieux les enfants avec et sans CSP. Ces résultats, liés à la dimension perturbation du développement psychosexuel, rejoignent ceux de la plupart des études recensées (Bonner et coll., 1999; Hall et coll., 1998; Hershkowitz, 2011; Lepage et coll., 2010; Szanto et coll., 2012; Tarren-Sweeney, 2008). En revanche, le faible pourcentage de variance supplémentaire expliquée par cette variable (3 %) rappelle que la présence d’agression sexuelle demeure insuffisante pour expliquer à elle seule l’apparition et le maintien des CSP.

Les résultats concernant la dimension de la qualité de l’attachement parent-enfant sont novateurs puisqu’ils mettent en évidence l’influence tant directe qu’indirecte de cette dernière. En cela, les résultats appuient l’hypothèse du modèle générique de Greenberg et coll. (1993) selon lequel l’attachement joue un rôle de premier plan dans le développement des comportements perturbateurs. De manière directe, la présence de problèmes d’attachement a été notée de façon significativement plus fréquente chez le groupe d’enfants avec CSP. De manière indirecte, les résultats pointent vers l’influence exercée par la transmission intergénérationnelle des problèmes d’attachement sur le développement des CSP. En effet, l’association observée avec le placement d’une figure parentale dans l’enfance laisse présager la présence de problèmes d’attachement chez cette dernière, en raison des mauvais traitements subis ou du retrait vécu (Dozier et coll., 2014; Gleason et coll., 2014). Tel que stipulé par le modèle de Greenberg et coll. (1993), les patrons d’attachement des parents sont sujets à la transmission intergénérationnelle et pourraient expliquer la présence plus importante de problèmes de cet ordre chez les enfants avec CSP de l’échantillon.

Recommandations pour l’intervention

À l’heure actuelle, les programmes d’intervention couramment offerts aux enfants qui présentent des CSP s’adressent a priori aux enfants victimes d’agression sexuelle (Gagnon et Tourigny, 2011). S’ils peuvent s’avérer profitables pour un certain nombre dont les CSP constituent une réponse traumatique, les résultats de la présente étude laissent entrevoir que les problèmes de fonctionnement de nature non sexuelle mériteraient aussi d’être abordés dans le cadre d’une intervention visant à enrayer les CSP. Ce constat pose l’enjeu de la cible d’intervention à prioriser auprès des enfants qui présentent des CSP : le traumatisme associé à l’agression sexuelle ou les comportements perturbateurs. Si dans les deux cas des programmes d’intervention se sont révélés efficaces (St-Amand, Bard et Silovsky, 2008), il importe de mener une évaluation exhaustive des caractéristiques et besoins des enfants qui présentent des CSP afin de les orienter vers les services qui leur conviennent. En toute cohérence avec le modèle adapté par Boisvert et coll. (2016) et les recommandations du groupe d’experts de l’ATSA (Chaffin et coll., 2008), la planification des priorités d’intervention et des mesures de protection à mettre en oeuvre en matière de CSP devrait reposer sur une évaluation multidimensionnelle de l’enfant et de son milieu de vie.

Les résultats de la présente étude invitent également à orienter l’intervention en matière de CSP autour des dynamiques d’attachement et des relations familiales, qui ont pourtant été traditionnellement ignorées dans les traitements disponibles (Gil et Shaw, 2014). L’influence directe et indirecte de la qualité de l’attachement parent-enfant de même que le portrait moins problématique des pratiques parentales coercitives incitent à suivre les recommandations de Friedrich (2007), qui introduit l’intervention fondée sur l’attachement dont l’établissement de relations saines constitue l’objectif central. En contexte de protection, le recours à ce type d’intervention peut signifier de maintenir l’enfant dans son milieu familial et de soutenir les parents dans le développement de compétences adéquates et l’établissement d’un climat familial sain. Par ailleurs, la documentation clinique et scientifique conçoit l’engagement des parents comme un gage de succès des interventions en matière de CSP (Chaffin et coll., 2008; St-Amand et coll., 2008).

Enfin il convient de rappeler que, bien qu’ils possèdent des vulnérabilités spécifiques, les enfants qui présentent des CSP partagent plusieurs réalités avec les autres enfants desservis par les services de protection. Notons à titre d’exemple le fait d’avoir vécu des mauvais traitements qui touche la majorité de l’échantillon, quoiqu’une moins grande proportion des enfants avec CSP (avec CSP : 81,9 %, sans CSP : 96,3 %; x2 = 30,79, p < 0,001, ϕ= 0,17). Ainsi, pour intervenir efficacement auprès des enfants qui présentent des CSP, il faut tenir compte de leurs besoins relatifs aux mauvais traitements vécus. Ce constat fait appel au concept d’intervention fondée sur les traumas, lequel s’avère souvent préconisé dans les traitements destinés aux enfants victimes d’agression sexuelle, mais rarement introduit dans les programmes ciblant exclusivement les CSP (St-Amand et coll., 2008). À la question « Quelle approche d’intervention privilégier auprès des enfants qui présentent à la fois des CSP et des antécédents de trauma? », St-Amand et coll. (2008) suggèrent une approche fondée sur les traumas dans le cas où l’enfant manifeste une étendue d’autres symptômes reliés au trauma (p. ex. : état de stress post-traumatique) et une approche axée sur les CSP lorsque l’enfant ne manifeste pas de symptômes intériorisés significatifs ou d’attributions erronées relativement au trauma.

Forces, limites et recommandations pour la recherche

La présente étude trouve une forte pertinence sur le plan scientifique en raison de la couverture exhaustive qu’elle offre des caractéristiques individuelles et familiales de l’échantillon. Également, l’étude a le mérite d’avoir évalué l’influence directe de la qualité de l’attachement parent-enfant sur la présence de CSP, ce qui constitue une première à la lumière des écrits recensés. D’entre toutes, la validité écologique de l’étude représente certainement sa plus grande force. Le fait que les données aient été recueillies par des intervenants permet de documenter les caractéristiques des enfants avec CSP telles qu’elles sont perçues et identifiées dans le système québécois de protection de l’enfance. La crédibilité du portrait qui s’en dégage se trouve renforcée, d’une part, parce que ces données reposent sur la consultation de plusieurs sources (p. ex. : témoignages, observations directes, rapports psychosociaux ou médicaux, dossiers antérieurs en protection de l’enfance, etc.) et, d’autre part, parce que la nature des informations consignées au dossier de l’enfant signalé comporte de sérieuses conséquences pour l’intervention des services de protection. En dépit de ces forces, certaines limites invitent à considérer les résultats de cette étude avec discernement et à envisager l’approfondissement de la recherche.

Dans la présente étude, comme dans l’ensemble des études recensées, l’utilisation d’un devis transversal limite grandement la compréhension pouvant être dégagée à propos de la trajectoire développementale des CSP. Pour l’avenir, les études gagneraient à recourir à des devis longitudinaux dans l’optique de différencier les facteurs ayant mené à l’apparition des CSP de ceux qui en constituent plutôt des facteurs de maintien ou des conséquences.

En raison du fait que l’étude repose sur des analyses secondaires, il a été impossible de considérer l’ensemble des caractéristiques figurant dans les différentes dimensions de risque et de maintien du modèle explicatif privilégié. De plus, le caractère dichotomique des variables étudiées limite la richesse des interprétations puisque ces dernières ne permettent pas de saisir l’intensité ou la gravité des différents facteurs s’étant révélés associés aux CSP. Il importe de poursuivre des recherches afin de décrire plus en détail les enfants qui présentent des CSP et ainsi mieux comprendre ce qui les distingue des autres. À cet effet, le modèle adapté par Boisvert et coll. (2016) offre plusieurs pistes intéressantes à suivre tant en ce qui concerne les caractéristiques individuelles (p. ex. : déficits neurologiques, traits de tempérament, capacité d’autorégulation) que familiales (p. ex. : niveau de scolarité des parents, relation parent-enfant, exposition à la sexualité) des enfants.

Vu la nature fortement dynamique et interactionnelle de l’attachement parent-enfant, les études futures devraient aussi s’attarder à évaluer les effets d’interaction entre cette variable et d’autres caractéristiques individuelles ou familiales pour expliquer l’apparition des CSP. L’examen de ces différentes variables et interactions permettrait possiblement d’expliquer davantage de variances entre les enfants avec CSP et les autres enfants suivis par les services de protection.

En conclusion, il a été possible de montrer que les enfants avec CSP présentent des caractéristiques distinctes indiquant une plus grande adversité sur l’ensemble des sphères examinées comparativement aux autres enfants connus en protection de l’enfance. Ce constat suggère une modulation de l’intervention auprès de cette clientèle. Parmi les avenues à explorer, une question se pose désormais : existe-t-il des sous-groupes qui permettraient de mieux refléter l’hétérogénéité des profils d’enfants qui présentent des CSP, comme le suggèrent certains écrits scientifiques (Boisvert et coll., 2015)? Cette question ouvre la voie à un domaine d’étude prometteur qui mériterait d’être approfondi auprès des clientèles desservies en contexte québécois de protection de l’enfance.