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Présentation

Destiné en priorité aux responsables de la formation initiale et continue du personnel enseignant des écoles primaires et secondaires du Québec, ce livre collectif porte sur le développement de l’agir éthique des professionnels en éducation. L’ouvrage est structuré en deux parties. La première comprend six chapitres qui portent sur les acteurs de la formation initiale, alors que la deuxième partie comporte deux chapitres qui examinent des questions relatives à la formation continue.

Les contributions portent sur des questionnements divers: a) l’origine des préoccupations éthiques; b) l’opérationnalisation de la formation en éthique et c) la valeur de la compétence éthique en contexte d’éducation inclusive. Après la préface signée par Eirick Prairat, le premier chapitre rédigé par Cloutier, St-Vincent et Loiola a trait aux compétences éthiques dans les programmes de formation initiale au Québec, d’une part, et aux enjeux de cette formation, d’autre part. Ces auteurs relèvent que les mutations sociales du processus de modernisation des institutions, caractérisées par la perte de l’emprise du catholicisme au Québec, ont suscité une sorte de perte de repères sur le plan moral. Ces changements, écrivent-ils, ont entraîné ce que Desaulniers et Jutras (2012) ont appelé une perte de «gyroscope éthique» (p. 7). De plus, ils soulignent que les enseignants exercent une profession où «les rapports avec […] des élèves sont empreints de vulnérabilité et d’inégalité (Desaulniers et Jutras, 2012; Legault, 2003)» (p. 11). C’est en ce sens qu’une formation à l’agir éthique trouve toute sa pertinence. En plus, ils considèrent qu’avec la professionnalisation de l’enseignement, «enseigner constitue un acte qui requiert des compétences professionnelles dont l’une d’elles concerne l’agir éthique» (p. 11). Dès lors se pose le problème de l’organisation des principales articulations d’une telle formation sur le plan pédagogique.

Au deuxième chapitre, Jeffrey soutient que les enseignants devraient être sensibilisés à deux formes d’éthique, celle des vertus et celle de la responsabilité. Selon l’éthique des vertus, on s’attend, même au niveau des plus hautes instances juridiques du Québec et du Canada, à ce que l’enseignant possède des qualités morales et serve de modèle social. Selon l’éthique de la responsabilité, les normes professionnelles doivent être connues et mises en oeuvre dans l’agir. Jeffrey indique, comme le ferait Socrate par la maïeutique, que le dispositif de formation a avantage à reposer sur l’approche par problème afin de donner la possibilité aux étudiants de réfléchir par eux-mêmes, de dialoguer et d’aiguiser leur sensibilité éthique. Au troisième chapitre, tout comme Jeffrey, Harvengt traite aussi de la formation à l’éthique donnée à l’Université Laval dans les programmes de formation initiale à l’enseignement. Harvengt montre qu’au-delà des textes devant nourrir les réflexions des étudiants, il convient de les exposer à la jurisprudence pour que les étudiants connaissent les normes qui s’appliquent à leur conduite professionnelle. La formation éthique du personnel enseignant, pour lui, gagnerait à être réalisée sur la base de l’étude des cas, en mettant ainsi «l’accent sur de réelles préoccupations […] comme la gestion de classe, la compétence pédagogique, l’autorité de l’enseignant ou encore la distance professionnelle» (p. 53), afin de sensibiliser l’étudiant à l’étendue de sa responsabilité professionnelle et légale.

Léger et Rugira proposent au quatrième chapitre une approche pour contribuer à développer la sensibilité éthique, fondée sur une démarche visant à privilégier les finalités en lieu et place des normes. S’appuyant sur le concept de complexité d’Edgar Morin, elles proposent un travail sur les facultés perceptives du corps, par lesquelles, l’enseignant attentif, disposé et ouvert, assiste émerveillé à l’émergence de la vie. Au cinquième chapitre, Belzile et Deschenaux analysent le sens du concept d’éthique en dégageant l’idée qu’en ont des superviseurs, des enseignants associés et des stagiaires. D’après leurs résultats obtenus à partir de l’analyse de données collectées au moyen d’entrevues semi-dirigées auprès de 27 personnes et construites selon le cadre de référence de Boisclair et Boisvert (2013), l’éthique est un concept polysémique se déclinant: «comme un savoir à définir, mais aussi comme une manière d’être» (p. 89), qui implique quatre dimensions: axiologique, comportementaliste, normative et réflexive (p. 93). Au sixième chapitre, Pelletier aborde la question des besoins de formation psychologique du personnel enseignant en s’appuyant sur les travaux de St-Vincent (2011), pour montrer comment y répondre. Il considère qu’une réelle formation psychologique permettrait aux enseignants de surmonter diverses sources de tensions éthiques.

Dans la deuxième partie de l’ouvrage, Letcher, Parent et Deslandes, au chapitre sept, font état d’une recherche qui dégage la nécessité du développement de l’agir éthique en contexte d’éducation inclusive. Selon leurs travaux, «la participation sociale» (p. 115) vers laquelle conduit l’école inclusive, constitue un processus de libération et d’émancipation continue, qui exige une sorte de «dénormalisation» de la part de l’enseignant, ce qui constitue une posture éthique. Au chapitre huit, St-Vincent analyse les préoccupations éthiques auxquelles des directions d’écoles sont confrontées, dans le contexte éducatif d’intégration. Les approches de résolution de problèmes mises en place par les directions des écoles sollicitées dans cette étude varient en fonction des circonstances et des enjeux. En conclusion, Baby fait la synthèse des différentes contributions en suggérant des éléments importants en guise d’approfondissement. Selon lui, l’éthique en éducation est de l’ordre de ce qui est en construction, impliquant aussi bien des éléments externes qu’internes à la conscience du personnel enseignant.

Point de vue

Dans l’ensemble, on peut retenir que cet ouvrage présente un grand intérêt. Il a le grand mérite d’être accessible, facilitant ainsi la compréhension des non experts sur les questions d’éthique. En effet, comme la compétence éthique est un sujet complexe, ce livre peut s’avérer intéressant pour comprendre et examiner l’agir professionnel. En revanche, si les divers auteurs ont fait un effort considérable pour clarifier le concept de compétence éthique, le concept d’agir éthique qui est proposé mériterait d’être clarifié dans des travaux ultérieurs. L’argumentaire à la base de cette proposition requiert des précisions puisqu’en suggérant le concept d’agir éthique en lieu et place de celui de compétence éthique, on se demande parfois à quoi les auteurs font concrètement référence. Par contre, l’intérêt pédagogique de l’ouvrage est patent à plusieurs niveaux. Plusieurs approches de formation et des exemples concrets sont donnés. Parfois, les auteurs décrivent, exemples à l’appui, des dispositifs pédagogiques, des activités d’apprentissage et des stratégies d’évaluation pour vérifier l’atteinte des objectifs. Il se dégage enfin que les situations pédagogiques, tout comme l’étude de cas et l’approche par problème, dénotent bien l’intention professionnalisante de la formation en éthique.