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Introduction

L’intérêt pour le développement professionnel dans le secteur de la santé et des services sociaux

Comme dans d’autres secteurs, l’intérêt pour le développement professionnel (DP) dans le secteur de la santé et des services sociaux québécois, canadien et mondial est alimenté par la nécessité de mettre constamment à jour sa pratique professionnelle (CQVTSSQ, 2007; OMS, 2015; Wihak et Hall, 2008). Il est attendu des professionnels de la santé qu’ils ajustent leur pratique, c’est-à-dire leurs décisions, leurs actions et leurs interactions, en fonction des circonstances particulières et en suivant l’évolution des connaissances dans leur domaine. Ce besoin de DP se fait notamment sentir en lien avec la promotion d’une pratique fondée sur les preuves scientifiques (MSSS, 2010; CCNMO, 2016). Ce besoin est accru par les exigences des ordres professionnels au regard d’une obligation de formation continue tel que soumis par le Code des professions (chapitre C-26, a.87) (CIQ, 2007). De plus, des pressions sociopolitiques et organisationnelles s’exercent sur les établissements du secteur de la santé pour que ceux-ci s’assurent de la formation continue de leur personnel. La loi sur les services de santé et les services sociaux (art. 172.7) les oblige à s’assurer de la participation, de la motivation, de la valorisation, du maintien des compétences et du développement des ressources humaines. En respect de cette loi, ces organisations doivent répondre à des normes de performance et de gestion de la qualité. C’est aussi dans le but de permettre une construction et un approfondissement des savoirs et des compétences pour qu’ils soient exercés dans la pratique, que la mise en place de dispositifs de DP est suggérée.

1. Un dispositif privilégié de développement professionnel: les communautés de pratique

En réponse à ces injonctions de développement professionnel et organisationnel, un dispositif a gagné en importance dans les milieux de travail au cours des dernières années. Il s’agit des communautés de pratique (CP) ou communautés d’apprentissage. Celles-ci sont de plus en plus promues, reconnues et valorisées. Elles sont généralement opérées en complémentarité avec les modalités de formation continue « traditionnelles ». Cette idée de CP est issue de la théorie de l’apprentissage social de Lave et Wenger (1991). Ce cadre théorique a été développé initialement pour décrire l’apprentissage informel se mettant naturellement en place dans les groupes sociaux (par exemple les sages-femmes en Amérique du Sud). Il a depuis été repris, notamment par Wenger et des collaborateurs (2002), pour appuyer conceptuellement un dispositif par lequel des CP sont créées intentionnellement dans le but de répondre à une préoccupation organisationnelle de partage ou de transfert des connaissances (Handley, Sturdy, Fincham et Clark, 2006; Li et al., 2009).

Une CP est un contexte dans lequel un groupe de personnes développe sa pratique professionnelle, et incidemment son identité, en définissant ses valeurs, ses savoirs et des normes (Wenger, 1998). De façon assez similaire, une communauté d’apprentissage regroupe des personnes dans le but d’acquérir de nouveaux savoirs et de développer des pratiques novatrices, en privilégiant une démarche de collaboration (Leclerc et Labelle, 2013; Stoll, Bolam, McMahon, Wallace et Thomas, 2006), et cela, en recherchant volontairement le soutien mutuel et une émancipation (Dionne, Lemyre et Savoie-Zajc, 2010). Théoriquement et notamment dans le contexte de notre étude, il est attendu des participants qu’ils discutent, étudient et construisent des idées et des concepts; élaborent de nouvelles stratégies pour leur pratique et partagent ce qu’ils ont appris. Les traces de ce raisonnement collectif (comme des journaux de bord, schèmes, guides et outils) deviennent le produit de cette démarche de formation (Tillema et Van Der Westhuizen, 2006). Puisque ces deux types de communauté sont centrés sur l’apprentissage par la co-formation et la co-construction de sens en lien avec la pratique professionnelle dans un processus continu (Dionne et Couture, 2013; Savoie-Zajc, 2010), il est difficile d’établir des distinctions très franches entre elles. De plus, elles offrent toutes deux, intentionnellement ou pas, une opportunité d’émancipation. Conséquemment, nous avons retenu le terme « communauté de pratique », puisqu’il semble plus familier dans le domaine de la santé. Toutefois, nous avons nourri notre réflexion à partir de la littérature rattachée à ces deux approches qui proposent la création d’environnement d’apprentissage entre pairs.

Des écrits scientifiques, il ressort que ces CP produisent des retombées positives. Plusieurs recherches concluent qu’elles ont des effets significatifs pour le DP (Dionne et Couture, 2013; Gunn et Goding, 2009; Peters et Savoie-Zajc, 2013; Vescio, Ross et Adams, 2008) comme pour le développement organisationnel (Archibald et McDermott, 2008; King, 2009; Ranmuthugala et al., 2011). La participation à une CP permet non seulement de favoriser des apprentissages sur la pratique (des connaissances et des habiletés), mais elle offre aussi une opportunité de renforcer le sentiment de confiance des personnes et le travail collaboratif (Moreau, Leclerc et Stanké, 2013; Parboosingh, 2002; Savoie-Zajc, 2010; Stoll et al., 2006). Par les interactions avec les pairs, elle permet, entre autres, aux participants de confronter leurs points de vue et aussi valider leurs croyances ou leurs connaissances (Parboosingh, 2002). Les recherches empiriques nous révèlent aussi que ces communautés soutiennent de façon plus efficace l’apprentissage professionnel en s’appuyant sur la pratique, puisqu’elles s’attachent à des problèmes ou des questionnements vécus par les participants (Butler, Novak, Jarvis-Selinger et Beckingham, 2004; Garet, Porter, Desimone, Birman et Yoon, 2001; Kimble, Li et Barlow, 2000; Stoll et al., 2006). Cependant, ces études de terrain ont davantage été réalisées dans le domaine de l’éducation que celui de la santé. De plus, bien que l’aspect procédural et les conditions de réalisation de l’implantation de ce dispositif aient été documentés (AQCPE, 2008; Langelier, 2005; Wenger, McDermott et Snyder, 2002), les processus vécus par les participants en termes de DP demeurent moins bien connus (Butler et al., 2004; Deketelaere, Kelchtermans et Struyf, de Leyn, 2006). Une meilleure compréhension des processus d’apprentissage déployés par les participants à l’intérieur d’une CP permettrait d’approfondir les retombées pouvant en être attendues, et ce, plus particulièrement pour des professionnels de la santé. Elle permettrait aussi d’identifier des pistes d’amélioration pour susciter davantage l’apprentissage contribuant au DP à l’intérieur de ce dispositif.

2. L’apprentissage déployé par des participants à une CP

Peu d’études s’attardent sur la nature holistique et située de l’apprentissage en cours de profession (Webster-Wright, 2009), et plus particulièrement dans le contexte d’une participation à une CP. C’est pourquoi nous avons cherché à mieux comprendre le DP vécu par des participants, c’est-à-dire le processus d’apprentissage individuel permettant de mobiliser des connaissances, des habiletés, des attitudes, sous forme de compétences pour faire face efficacement à des situations professionnelles (Paquay et al., 2010). En retenant cette conception du DP, le cadre théorique de l’apprentissage humain de Jarvis (2010) s’avérait approprié pour décrire notre objet d’étude, à savoir le processus d’apprentissage déployé par des participants à une CP dans la perspective d’un DP constructiviste.

D’ailleurs, les CP du milieu de travail collaborant à la recherche ont été instaurées dans une démarche de formation constructiviste par la chercheuse en tant que praticienne. En respect de cette vision, l’organisation reconnaît donc ses praticiens comme des producteurs de savoirs. Par ce dispositif, elle vise à les soutenir dans la révision et la construction de leur pratique professionnelle. Les interventions sont fondées sur la réflexion critique et l’expérimentation dans la pratique pour le développement de l’apprentissage professionnel continu (Webster-Wright, 2009). Elles tiennent compte des caractéristiques de la personne (son interprétation du monde, ses connaissances et ses expériences antérieures), et ce, notamment dans une approche collaborative sur le fondement que la personne intègre des connaissances dans un contexte socialement construit (Thomas, Menon, Boruff, Rodriguez et Ahmed, 2014).

L’apprentissage professionnel au sein d’une CP: apport théorique de Jarvis

Jarvis (2010) définit l’apprentissage humain comme:

une combinaison de processus qui se déroulent au cours de la vie où la personne en son entier, c’est-à-dire considérant son corps (génétique, physique et biologique) et sa pensée (connaissances, habiletés, attitudes, valeurs, émotions, croyances et significations), expérimente des situations sociales dans laquelle elle transforme cognitivement, émotivement et/ou de façon pratique (dans l’action) le contenu qu’elle a perçu pour l’intégrer à sa biographie, ce qui résulte en une personne en continuel changement ou plus expérimentée

traduction libre, Jarvis, 2010, p. 134

Cette vision holistique concorde avec celle du DP proposée par Paquay et ses collaborateurs (2010), soit un processus qui se produit tout au long de la vie, où l’acteur est amené à construire des savoirs dans les situations qu’il rencontre de façon à devenir un praticien plus expérimenté. De plus, la conception de l’apprentissage de Jarvis (2010) traduit une interprétation individuelle par la transformation des expériences vécues par la personne. Cela signifie que des personnes confrontées à une même situation, naturelle ou créée intentionnellement et qui présente par cette expérience un potentiel d’apprentissage, n’en retireront pas un apprentissage identique selon le sens qu’elles y auront donnée (Jarvis, 1987). Conséquemment, ce cadre théorique nous a semblé pertinent pour étudier comment les personnes apprennent à partir d’une expérience vécue dans un contexte professionnel comme celui d’une CP. Plus précisément et par sa nomenclature, il permet de saisir, sous l’angle du participant, le type de processus d’apprentissage réalisé par celui-ci dans l’expérience vécue. Ainsi, tel qu’illustré à la figure 1, face à une situation, une personne peut vivre l’un de ces quatre types de processus:

Une absence d’apprentissage immédiat, a) lorsque la personne rejette l’opportunité d’apprentissage, par exemple par manque de temps pour se questionner, ou qu’elle demeure dans un mode de présomption, c’est-à-dire que la personne considère les faits comme étant déjà connus, en octroyant a priori un sens à l’expérience à partir de ses savoirs ou en concevant qu’elle puisse répéter ses expériences passées (ex.: le participant ne s’intéresse pas à la nouvelle approche d’intervention présentée dans sa CP, puisqu’il préfère se concentrer sur celle qu’il utilise déjà) ou; b) lorsqu’elle a réalisé un apprentissage préconscient pour lequel les informations enregistrées demeurent latentes jusqu’à une nouvelle expérience (ex.: le participant se rappellera qu’il avait été mentionné dans une rencontre de la CP qu’un nouvel outil d’évaluation existait, lorsqu’il en entendra davantage parler dans une rencontre subséquente);

Un apprentissage non réflexif lorsque la personne a cherché à se conformer au monde extérieur en adhérant au sens, déjà construit socialement, de l’expérience, par une reproduction non innovatrice de connaissances (la mémorisation, l’imitation ou la pratique répétitrice) (ex.: le participant intègre l’utilisation d’un canevas pour la tenue de dossiers pour se conformer aux exigences de son ordre professionnel);

Un apprentissage réflexif lorsque la personne a réfléchi sur l’expérience en lui donnant consciemment du sens et en décidant si elle adhérait tel quel ou pas aux savoirs (préexistants ou pas) qui lui étaient présentés de façon à les mettre éventuellement en pratique; cet apprentissage peut se produire sous forme de: réflexion sur une expérience pour en tirer une conclusion (ex.: le participant associe des informations sur une pratique à un contexte dans lequel il pourrait les mettre en oeuvre); d’une acquisition de compétences réflexives en relevant des principes de son apprentissage et en exerçant cet apprentissage (ex.: le participant réalise lors de son expérimentation qu’il maîtrise déjà certaines habiletés pour appliquer une modalité d’intervention similaire à une autre qu’il utilise à l’occasion); d’un apprentissage expérimental par l’expérimentation d’une théorie préexistante ou construite par la personne dans sa pratique (ex.: le participant pratique une intervention en jeu de rôle avec un pair);

Un apprentissage réfléchi lorsque la personne a réalisé une forme de contemplation ou de méditation pour acquérir de nouvelles connaissances et vivre de nouveaux sentiments par rapport à soi ou son environnement comme si elle appréciait une oeuvre d’art (ex.: le participant constate que sa conception de sa pratique est partagée par ses pairs après des échanges avec ceux-ci) (Jarvis, 2004, 2010).

Figure 1

Le modèle de l’apprentissage humain adapté1 de Jarvis (2010)

Le modèle de l’apprentissage humain adapté1 de Jarvis (2010)

1 Les écritures en italique ont été ajoutées à la lumière de notre compréhension du modèle de Jarvis (2010).

-> Voir la liste des figures

Le terrain d’étude et les participants

La recherche a été réalisée dans un centre de réadaptation fusionné à un centre intégré en santé et services sociaux. Des CP disciplinaires y ont été implantées en 2013. Selon la procédure organisationnelle, elles sont composées de 5 à 15 professionnels de la santé de la même discipline, pouvant exercer auprès de clientèles différentes, dans des équipes de travail diverses et dispersées sur un territoire géographique. Cette mixité se voulait un moyen d’harmoniser les pratiques professionnelles par le partage des différentes façons de penser et de faire ainsi que la recherche des meilleures pratiques pour une définition plus consensuelle parmi les différents programmes. Chaque CP est animée par un facilitateur, soit une personne de la même profession élue par ses pairs. L’animateur est notamment responsable de la tenue d’un journal de bord rapportant les objectifs visés au cours des rencontres de groupe de même que les constats et les apprentissages tirés de cette démarche collective. De plus, pour assurer un processus d’amélioration continue, les rencontres ont lieu en présentiel, 7 fois par année, sur une durée de trois heures chacune.

À la suite de l’adoption du projet (CER-1415-026) par le Comité d’éthique de la recherche du Centre de santé et de services sociaux Alphonse-Desjardins, les participants de la recherche ont été sollicités au sein des CP de l’établissement. La présentation du projet dans les CP a permis de recruter de façon volontaire trois participants répondant aux critères de sélection, dont avoir expérimenté le phénomène de l’apprentissage au sein d’une CP et concevoir la CP comme un dispositif d’apprentissage professionnel. Les trois participants ont complété la démarche de recherche. Ce nombre de participants visait à recueillir suffisamment d’expériences pour retrouver une diversification (externe) des données pour une plus grande exhaustivité dans le portrait du phénomène étudié, et voire une possible récurrence des données pour l’élucider (Pirès, 1997). De plus, afin d’accroître la diversité des situations suscitant des apprentissages associés à une participation à une CP, nous avons privilégié le recrutement de participants de professions différentes. Ce choix repose aussi sur l’intérêt de favoriser une crédibilité des résultats plus large, soit n’étant pas perçus comme étant attribuables qu’à une profession. Ainsi, l’échantillonnage respecte celui recommandé en phénoménologie en explorant le phénomène à partir d’un groupe hétérogène se situant entre 3 à 15 personnes (Creswell, 2013).

Afin de préserver l’anonymat des participants, ceux-ci sont décrits de façon générale. Ils sont âgés entre 39 et 46 ans. Charlotte et Judy (noms fictifs) sont de sexe féminin et Marco de sexe masculin. Leur nombre d’années d’expérience dans leur profession varie dans les tranches suivantes: entre 20 et 25 ans, entre 5 et 10 ans et entre 10 et 15 ans. Par ailleurs, leur scolarité dépend de la durée de la formation initiale. L’ergothérapeute et la physiothérapeute ont un diplôme de baccalauréat alors que le psychologue a un diplôme de doctorat professionnel. Enfin, tous participent à une CP depuis avril 2013.

3. La méthodologie

Afin de mieux comprendre ce qui se passe en termes de DP au sein d’une CP, une étude de cas a permis d’approfondir les processus d’apprentissage déployés par des participants. Notons que, dans le contexte de cette étude, les cas ne sont pas les personnes, mais plutôt les expériences potentielles d’apprentissage, telles que rapportées et jugées significatives par les participants. À partir d’un nombre restreint de cas, une induction analytique (Pirès, 1997) a permis de relever les propriétés constitutives de l’apprentissage contribuant au DP dans un temps et un contexte déterminés. La période, associée à trois rencontres consécutives des CP respectives des participants, s’est déroulée sur près de cinq mois. Nous avons jugé ce délai suffisamment long pour documenter certains processus d’apprentissage ayant eu cours en lien avec la participation aux rencontres de la CP.

3.1 Le recueil des données

Tel que suggéré en phénoménologie, des entrevues individuelles en profondeur et s’échelonnant dans le temps pour traduire l’évolution du processus étaient indiquées (Creswell, 2013). Une première entrevue avec chacun des participants a servi à recueillir des données personnelles pour dresser leur portrait et leurs impressions quant à leur participation à une CP. D’autres entrevues semi-dirigées, aussi d’une durée de 60 à 90 minutes (mais non limitées), ont ensuite été réalisées environ une semaine avant la rencontre suivante de la CP du participant afin de recueillir et décrire les possibilités d’apprentissage que la participation à la CP avait offertes. Un guide d’entretien, constitué de questions d’ordre général (non structurées selon les thématiques du cadre théorique afin de ne pas induire un type de réponses), a servi à recueillir les expériences significatives vécues en lien avec la participation à la CP. Les expériences significatives sont celles remémorées et décrites spontanément par la personne ou avec le support du journal de bord de la CP pour les approfondir. Au total, cinq entretiens par participant, dans lesquels ils étaient invités à commenter, valider et enrichir l’analyse des données de la dernière entrevue (autant qu’ils le souhaitaient), ont servi à traduire les processus d’apprentissage en lien avec leur participation à une CP. Avec le consentement des participants, les entrevues ont été enregistrées puis transcrites.

3.2 L’analyse et l’interprétation des données

Une première lecture de la transcription des entrevues a servi à catégoriser l’ensemble des déclarations décrivant chacune des expériences significatives vécues par les participants selon une grille d’analyse constituée à partir de Jarvis (2010) à même les verbatim. Suite à une deuxième lecture, les énoncés verbalisés ont été condensés (Miles et Huberman, 1994), notamment pour regrouper ceux se rapportant à une même expérience, puis organisés dans la grille. Celle-ci est constituée des thématiques caractérisant : la personne avant l’expérience; le monde vécu (le contexte); l’interaction entre la personne et le monde vécu dans l’expérience (les transformations émotives, cognitives ou pratiques de l’expérience); la personne plus expérimentée et possiblement changée par une consolidation ou l’intégration de connaissances, attitudes, valeurs, émotions et habiletés. Ensuite, nous avons analysé les données relatives aux transformations des expériences pour les associer aux types de processus d’apprentissage selon Jarvis (2010) : une absence d’apprentissage immédiat, un apprentissage non réflexif, un apprentissage réflexif ou un apprentissage réfléchi. Cette classification a été vérifiée par la chercheuse pour s’assurer de sa cohérence avec la définition théorique des thématiques. Enfin, les expériences rendues (selon la combinaison des processus proposée par Jarvis) ont été validées auprès du participant à l’entrevue suivante pour s’assurer qu’elles reflétaient bien celles vécues.

Dans cette démarche, nous avons apporté des nuances et précisions à la typologie des processus d’apprentissage de Jarvis. D’une part, nous avons ajouté une sous-catégorie associée à l’absence d’apprentissage immédiat, celle d’une absence d’apprentissage immédiat accompagné d’un apprentissage préconscient. Cette précision fait suite au constat que certains rejets de l’opportunité d’apprentissage sont réalisés avec moins de certitude. Ces situations semblent laisser la personne dans un mode de présomption avec, cependant, une ouverture à considérer éventuellement les informations si le contexte s’y prêtait. Nous avons aussi constaté que le niveau de conscience de cette décision pouvait être variable, d’inconscient à volontaire, d’une expérience à une autre ainsi que d’une personne à une autre. D’autre part, nous avons nuancé la définition du processus d’apprentissage réflexif pour mieux comprendre et intégrer certains de nos résultats. Nous avons donc formulé de nouvelles sous-catégories à ce processus, soit « sans changement dans la pratique » (incluant une confirmation ou une consolidation des apprentissages), « avec un changement dans la pratique » et « avec un changement de la personne ». Enfin, l’ensemble des expériences vécues par les participants, à l’exception de celles ayant été rejetées parce qu’elles n’étaient pas associées à la participation à la CP, sont décrites puis analysées selon le type de processus d’apprentissage dans les sections ci-dessous.

4. Les types de processus d’apprentissage déployés par les participants

Au total, 31 processus d’apprentissage différents ont été recensés à partir de 27 expériences significatives rapportées par les trois participants, puis analysées. Il est à noter que certaines expériences (quatre) ont suscité plus d’un type d’apprentissage. Les résultats, ci-dessous, relèvent le nombre d’expériences significatives selon le type de processus d’apprentissage.

4.1 L’absence d’apprentissage immédiat

Sur les 31 processus, neuf ont conduit à une absence d’apprentissage immédiat. De ces situations, on peut distinguer que quatre d’entre-elles ont laissé les participants dans un mode de présomption. Parmi celles-ci, la présentation du contenu d’une formation suivie par un autre membre de la CP (2 C Marco) n’a pas abouti pour Marco à un apprentissage. Pourtant, le participant y trouvait un intérêt malgré que le sujet ne concerne pas sa clientèle. Cependant, selon lui, il a été abordé trop superficiellement pour être en mesure d’y donner un sens. L’expérience de Judy associée à une discussion sur des sujets qui seront éventuellement étudiés en CP (3D) n’a pas suscité d’apprentissage non plus. Les sujets abordés plus superficiellement ont été moins marquants de sorte que la participante ne s’en souvient qu’à la lecture du journal de bord de la CP. Pourtant, un des sujets aurait pu susciter une réflexion chezelle, mais la participante considère ne pas avoir eu le temps d’y repenser en dehors de la CP. Elle demeure dans un mode de présomption en attendant d’aborder le sujet en CP. Dans l’expérience portant sur la nomination d’une représentante pour le comité provincial dans leur discipline (4 B), c’est aussi pour une raison de temps, considérant ses autres engagements professionnels, que Judy a rejeté l’opportunité de s’impliquer malgré son intérêt. Enfin, dans l’expérience 2B de Charlotte, la participante devait participer à la préparation de questions pour un expert qui viendrait présenter un sujet dans leur CP. Toutefois, les idées n’émergeaient pas chez la participante, puisqu’elle est peu confrontée à la problématique en raison de l’âge de sa clientèle. Elle concevait aussi que ses connaissances étaient suffisantes, puisqu’elle ne se questionnait pas particulièrement sur le sujet dans sa pratique. Elle a donc rejeté l’opportunité d’apprentissage.

Par ailleurs, trois autres situations ne menant pas à un apprentissage immédiat ont cependant été accompagnées d’un apprentissage préconscient chez l’une des participantes. L’expérience de Judy associée à une discussion sur les besoins de formation en CP (3 C) n’a pas mené à une concrétisation de l’apprentissage. Les membres ont manifesté un intérêt commun à suivre deux formations. Toutefois, une personne a été identifiée par l’organisation pour assister à l’une d’elles sans la consultation des membres de la CP. La participante était déçue de ce mode de prise de décision. L’autre besoin de formation n’a pas été réabordé en CP. Certes, Judy a réalisé un apprentissage préconscient sur l’intérêt partagé des membres de la CP pour ces formations, mais cette situation n’a finalement pas mené à une opportunité d’apprentissage. Dans une expérience 2E de Judy référant à un bref partage d’information sur une problématique clinique (les troubles d’acquisition de la coordination) et la remise d’une documentation pour l’intervention auprès du personnel scolaire, l’opportunité d’apprentissage a été rejetée dans l’immédiat par la participante Elle a décidé de ne pas prendre connaissance du document d’intervention pour le moment, mais de le faire si le besoin se présentait. Elle conserve donc un apprentissage préconscient sur son existence. Dans une autre expérience concernant le partage d’information sur un nouvel outil clinique (2 A), Judy retient l’existence de l’évaluation, puisqu’un test validé et standardisé est un bon test pour elle. Cependant, elle rejette l’idée d’approfondir le sujet par elle-même à partir des informations reçues, puisqu’elle ne ressent pas le besoin de changer d’outil d’évaluation. Les outils qu’elle utilise présentement la satisfont. Elle envisagerait peut-être de s’y intéresser si une expérimentation de la batterie d’évaluation était réalisée dans la CP. Elle conserve donc un apprentissage préconscient sur l’existence de cette évaluation.

Deux autres expériences ont laissé place à des apprentissages préconscients chez des participants différents. L’expérience 3A de Judy fait référence à la première partie d’une présentation d’une technique d’intervention par un membre de la CP. À cette étape-ci, la participante a noté ou retenu de façon embryonnaire certaines notions théoriques et techniques. Elle est demeurée avec des incertitudes sur les résultats et des réflexions au sujet de l’utilisation de cette technique par rapport à d’autres techniques d’intervention. Elle perçoit un potentiel avec ses clients, mais elle croit aussi qu’il est possible d’offrir une stimulation similaire par des activités fonctionnelles. Les données probantes sur le sujet ne la convainquent pas en raison des variabilités des effets selon les personnes et la façon d’appliquer la technique. Malgré que la participante demeure dans son mode de présomption, elle souhaite poursuivre cet apprentissage technique lors d’une autre rencontre, notamment en l’expérimentant sous la supervision de la formatrice. Elle ne se sent pas disposée à l’étudier et à l’exploiter davantage pour le moment. Quatre mois plus tard, Judy constatera d’ailleurs sa difficulté à se rappeler les notions qui lui ont été enseignées. Dans un autre cas, l’expérience d’une discussion sur les sujets à venir dans la CP (4 C Charlotte) a permis à la personne d’exprimer son intérêt pour ceux-ci et de se mettre dans un mode d’anticipation.

4.2 Des apprentissages non réflexifs

Dans certains cas, la personne a adhéré spontanément aux idées transmises dans la CP, ce qui correspond à un processus d’apprentissage non réflexif. D’une expérience portant sur un partage d’information sur une problématique clinique par des membres de la CP à la suite de leur participation à un colloque (2 A), Marco a retenu l’information en termes de connaissances générales, puisque le sujet ne concernait pas spécifiquement sa clientèle. Pour cette raison, cet apprentissage n’offrait pas l’opportunité d’un changement dans la pratique. D’une autre expérience sur le partage d’information d’un membre de la CP en lien avec sa participation à un comité provincial de professionnels de sa discipline (2 A Judy), la participante a fait un apprentissage sur des recommandations de l’ordre professionnel. Elle a adhéré spontanément aux informations transmises par la personne, puisqu’elles portent sur des directives de son ordre et qu’elles ont été jugées pertinentes par un comité ainsi qu’une personne crédible à ses yeux. La participante a donc modifié deux aspects de sa pratique, l’un concernant le moment d’intervention pour certains clients et l’autre portant sur une tenue de dossier plus succincte. Pour la tenue de dossier, la participante a adopté une attitude plus souple sachant qu’elle respectera les exigences de son ordre. Comme les informations sont pertinentes et intégrables à la pratique, Judy trouve important qu’un membre de sa CP participe au comité provincial pour rapporter l’information à ses pairs. Elle aimerait même en être la représentante.

4.3 Des apprentissages réflexifs

Parmi les 12 expériences d’apprentissage réflexif repérées, six d’entre elles ont suscité un changement dans la pratique, contrairement à quatre autres qui n’ont pas abouti à ce changement, et deux qui ont entraîné un changement chez la personne.

Certaines situations n’ont pas amené la personne à modifier sa pratique. Par contre, elles lui ont permis une consolidation ou une confirmation de ses apprentissages. Par exemple, les discussions sur le partage de l’expertise auprès de collègues d’autres disciplines (3 C) ont confirmé à Marco son idée qu’il est bénéfique pour sa clientèle de le faire. Cet échange a renforcé sa vision de la collaboration interprofessionnelle. Pour Judy, la présentation qu’elle a faite dans sa CP (2D) lui a aussi permis de confirmer ses savoirs. La participante a suggéré un changement de la pratique tel que proposé par un formateur-chercheur. Ce sujet a toutefois entraîné une confrontation d’idées dans la CP à propos d’une autre pratique. La participante a maintenu sa position, soit de ne pas adopter cette pratique qu’elle juge trop subjective. Elle continue tout de même à se questionner à ce sujet. Judy est aussi restée inconfortable avec l’idée que les membres n’adhèrent pas tous à la même pratique. D’une autre expérience portant sur l’expérimentation d’une technique d’intervention (4 A), Judy a identifié ses préférences quant aux modalités et aux conditions d’utilisation de la technique auprès de sa clientèle, même si l’application qu’elle pourrait en faire demeure floue. Cette technique entre en conflit avec ses croyances et ses valeurs d’intervention, puisque, de son avis, elle s’intègre mal dans une approche qui privilégie la fonction. Elle trouve aussi cette modalité complexe dans son application de même que par le matériel qu’elle requiert. La participante n’a pas intégré tout le vocabulaire relatif à cette technique. À ce stade-ci, Judy dit manquer de confiance pour l’utiliser. Elle a tout de même l’impression de progresser dans sa compréhension de la technique bien qu’elle n’y adhère pas totalement. Elle est capable de l’appliquer en suivant le protocole, mais il lui reste à associer et à expérimenter cette modalité sur des cas réels. Elle sent aussi le besoin d’observer concrètement les résultats de son application. Pour l’instant, elle n’a pas cherché d’autres moyens pour approfondir l’utilisation qu’elle peut en faire. Cependant, elle croit qu’avec l’expérimentation sous la supervision d’un pair, cette technique pourrait lui paraître moins complexe. Elle demeure donc ouverte à l’utiliser éventuellement.

Dans les six expériences qui suivent, l’apprentissage réflexif a mené à un changement dans la pratique chez tous les participants. Dans le premier cas, un partage d’information (sur la définition d’un aspect de la pratique et les obligations de formation continue qui s’y rattachent) provenant de l’ordre professionnel (2 B Marco) a suscité un changement dans la pratique du participant. Les informations sur la définition de la psychothérapie ont confirmé sa conception de celle-ci et la façon qu’il l’exerce. Le participant a aussi appris ses obligations légales et déontologiques à l’égard de la formation continue pour cette pratique particulière. Il a réalisé l’importance du DP en continu pour bien accompagner ses clients et gagner leur confiance. Bien que le participant se sente efficace dans sa pratique, il n’est pas certain de répondre à l’ensemble des exigences de son ordre au regard de la formation continue, ce qui l’amène à ressentir une pression. Ce sentiment a suscité une réflexion chez lui à cet égard. Il a exploré de quelle façon il pourrait mieux répondre à ces exigences, notamment en consultant le site Internet de son ordre de même qu’en se questionnant sur les aspects à améliorer dans sa pratique et les activités de formation qu’il pourrait réaliser. Il n’a toutefois pas suivi la démarche proposée sur ce site et n’envisage pas le faire en raison de l’investissement en temps, que cela requiert, et parce qu’il ne sent pas le besoin d’utiliser cet outil pour réfléchir sur sa pratique. Dans un autre cas, la présentation sur une pratique spécialisée (l’adaptation et la réadaptation en conduite automobile) par un expert de la même discipline que la participante, mais oeuvrant dans un autre programme (4 A Charlotte), lui a confirmé certaines de ses connaissances et lui a permis d’en acquérir de nouvelles. La participante a eu un intérêt plus marqué pour les aspects s’adressant spécifiquement à sa clientèle (ex. : les recommandations sur les sièges d’auto adaptés). Elle s’est tout de même intéressée aux sujets qui s’y rattachaient moins, soit s’adressant à une clientèle plus âgée (ex. : la réadaptation pour un premier permis de conduire). Il lui importe d’élargir sa culture générale et de demeurer polyvalente dans l’exercice de sa profession au cas où l’organisation du travail serait révisée (ex. : intervenir auprès de la clientèle d’âge préscolaire et scolaire). La participante s’est sentie particulièrement interpelée par les aspects légaux associés aux recommandations professionnelles qu’elle met en application, ce qui l’amènera à s’y prendre différemment. Elle demeure aussi soucieuse de cette question, puisque les conclusions sur la légalité de certaines recommandations restent ambiguës. Par ailleurs, la présentation du contenu d’une formation déjà suivie par Charlotte (2 C) lui a permis de se rappeler des connaissances qu’elle ne mettait plus en pratique et d’en intégrer de nouvelles. L’expérience de Charlotte portant sur la présentation d’une problématique clinique par un expert d’une autre discipline (3 A) fait suite à la préparation des questions s’adressant à cette personne (2 B). Contrairement à ce qui était anticipé (rappelons que l’expérience 2B avait mené à un rejet de l’opportunité d’apprentissage par manque de sens), cette expérience s’est avérée significative. La présentation accompagnée d’exercices d’intégration basés sur des histoires de cas a permis à Charlotte de faire des liens avec des cas cliniques et des approches d’intervention qu’elle maîtrise. Elle a suscité un intérêt à élargir et à approfondir ses connaissances sur le sujet. Bien qu’elle ait déjà entendu parler de certaines des idées, elle a réalisé qu’elle n’en tenait pas pleinement compte dans sa pratique. Cette expérience a aussi eu un impact sur son niveau de collaboration interprofessionnelle qui s’est accru considérant la dimension affective abordée dans la présentation. Toutefois, après trois mois, Charlotte réalisera qu’elle a besoin de se remémorer certaines notions, puisqu’elle n’a pas l’occasion de les mettre en pratique si fréquemment, étant peu confrontée à des situations y faisant appel.

Pour Judy, la présentation d’information sur deux approches d’intervention (3 B) a suscité un changement dans sa pratique en plus d’une confirmation de connaissances. La participante a retenu des informations qui font du sens pour elle et les a intégrées à sa pratique dans l’une des approches présentées pour laquelle elle a déjà eu une formation. Par contre, elle demeure avec des incertitudes au regard des fondements de certaines informations, malgré qu’il s’agisse de données probantes et que, généralement, elle considère ces données comme étant crédibles. La participante conçoit que les données probantes peuvent parfois se contredire et qu’il peut être difficile de relever l’information la plus pertinente selon les niveaux de preuve scientifique. Elle intègre néanmoins certains principes liés aux approches présentées dans sa pratique et le fera davantage lorsqu’elle s’engagera dans la suite d’une formation en lien avec l’une de ces approches. Elle attend cette opportunité afin de poursuivre ses apprentissages.

Par ailleurs, il existe des expériences qui ne suscitent pas de changement observable dans la pratique, mais qui font émerger des apprentissages réflexifs qui se répercutent sur la personne. Deux expériences ont eu cette résultante chez des participants différents. La prise de notes, introduite à l’initiative de Charlotte (en lien avec sa participation à la recherche), au cours des rencontres de la CP (2E) est une occasion d’activité réflexive pour la participante. Elle sélectionne et organise les informations de façon à pouvoir s’y référer éventuellement. Ces traces écrites la rassurent par le fait qu’elle peut y recourir au besoin. Elle se sent ainsi plus « outillée » pour sa pratique et plus active dans ses apprentissages. L’expérience de Marco, dans laquelle il a soumis une question sur sa pratique aux membres de sa CP (3D), lui a permis de constater, selon l’explicitation de la pratique par des pairs, que ses connaissances sur le sujet ainsi que sa pratique sont à jour contrairement à ce qu’il croyait. Cela a eu pour effet de le rassurer sur la qualité de sa pratique et de le rendre plus confiant pour l’exercer.

4.4 Des apprentissages réfléchis

Les cas qui suivent apportent des exemples d’apprentissage réfléchi sur soi ou sur son environnement. L’expérience de participation à une des rencontres de la CP (4 B) a amené Charlotte à élargir ses connaissances sur sa façon d’apprendre. Elle a réalisé qu’elle n’apprécie pas lorsque les discussions « expérientielles » (basées sur le vécu dans la pratique) sont moins structurées, moins synthétisées et moins centrées sur les objectifs. Elles peuvent même devenir anecdotiques, ce qui lui donne l’impression de perdre son temps. Elle préfère donc les présentations plus formelles, plus proches de la formation au sens traditionnel, et l’information écrite. Cependant, elle comprend que des membres de la CP puissent en ressentir le besoin, surtout s’ils sont isolés professionnellement. Elle privilégierait des communications par courriel pour répondre à ce besoin. Dans un autre cas, la présentation de la participante dans sa CP (2D Judy) lui a permis de réaliser un apprentissage réfléchi en lien avec ce rôle. Bien que Judy considère qu’elle ait « la fibre enseignante », elle a eu de la difficulté à structurer et résumer le contenu de la formation à sa pleine satisfaction. Elle reconnaît qu’il s’agit d’une de ses faiblesses. Elle retire tout de même une satisfaction d’avoir influencé la pratique de certains membres de la CP, qui lui en ont fait part. Le manque d’attention d’autres membres l’a contrariée, et ce, d’autant plus qu’ils ne semblent pas chercher à améliorer leur pratique. La participante a ainsi remarqué ses attentes envers ses pairs en plus de sa difficulté à se structurer dans ses activités. De plus, la discussion sur l’avancement des travaux d’un comité de travail sur la tenue de dossier (4 C) a nourri le besoin de Judy de rendre sa pratique plus efficace. Elle est ouverte à ce qu’on lui présente une nouvelle façon de faire et à l’adopter si celle-ci préserve le « côté humain » de sa pratique. Elle conçoit aussi un avantage à faire consensus avec ses pairs pour faire face aux pressions des gestionnaires concernant le temps accordé à la tenue de dossier. Elle fait confiance aux personnes identifiées pour traiter ce dossier. Pour sa part, Judy ne souhaitait pas s’impliquer sur ce comité par manque de temps et d’intérêt. Elle considère que les aspects réglementaires de cette pratique sont complexes. Par cette activité, Judy a ainsi réalisé un apprentissage réfléchi sur sa pratique de tenue de dossier et sur les actions du comité de travail.

Marco a aussi vécu des expériences aboutissant à ce type d’apprentissage. Le partage d’information provenant de l’ordre professionnel sur la définition d’une pratique et les obligations de formation continue qui s’y rattachent par un membre de la CP (2B) a suscité chez lui une motivation à s’investir dans des activités formatives par comparaison avec ses pairs. Il envisage poser des actions en ce sens, notamment pour répondre aux exigences de son ordre. Par une autre expérience (3 A), où les membres ont étudié de quelle façon ils répondaient respectivement aux exigences de leur ordre en matière de DP, Marco a poursuivi son apprentissage réfléchi au sujet de son investissement personnel en cette matière. Se comparant à ses pairs, il s’est cette fois perçu plus engagé et rassuré qu’eux, du fait qu’il correspondait bien aux attentes de son ordre. Il sait aussi comment orienter ses prochaines activités de DP. Dans une autre activité (3 B), les membres de la CP ont échangé sur une pratique à la demande de l’organisation qui souhaite connaître leur position au sujet d’un projet pilote. Marco a constaté que son opinion est la même que celle de ses pairs. Il a également réalisé, dans une autre expérience (3 C), que les membres ont spontanément convenu d’une personne dans leur CP qui a l’expertise pour agir comme consultant formateur sur certaines problématiques cliniques dans la CP d’une autre discipline. Dans une autre expérience (4 B), les membres ont discuté de leur mode de fonctionnement pour aborder leur pratique dans la CP de même que leur vision dans le contexte de la restructuration organisationnelle. Marco s’est alors peu exprimé malgré certaines réflexions qu’il a eues. La décision du groupe d’aborder des sujets cliniques et la façon de le faire en sous-groupes lui convenaient. Le participant apprécie beaucoup le partage et le soutien de ses pairs lors d’études de cas, même si cette activité demeure pour lui intimidante. Il craint le jugement ou la mésentente entre les pairs. Il souhaiterait surtout se faire confirmer qu’il adopte de bonnes pratiques, mais il demeure ouvert aux suggestions. Il estime néanmoins que l’exercice peut être formateur. Le participant en retient finalement le mode de fonctionnement souhaité par le groupe et leurs réflexions en lien avec la restructuration organisationnelle.

5. Discussion

Cette recherche visait à décrire les processus d’apprentissage déployés par les participants d’une CP mise en place dans leur milieu de travail à des fins de DP. À la lumière de ces résultats, il appert que tous les types de processus d’apprentissage, tel que suggéré théoriquement par Jarvis (2010), peuvent être suscités par la participation à une CP.

En considérant le nombre de participants touchés par le phénomène, on remarque que les situations n’ayant pas entraîné d’apprentissage immédiat sont minoritaires pour deux des trois participants. Cependant, tous ont vécu au moins une absence d’apprentissage en lien avec une expérience significative au cours des trois rencontres de leur CP. La raison principale était le manque de sens ou de pertinence pour la pratique à l’exception d’un cas où le contexte a fait obstacle. Pour ce qui est des processus d’apprentissage préconscient, ils ont été peu présents ou peu évoqués par les participants compte tenu de leur nature non réflexive. Par contre, certains de ces apprentissages ont été créés par une transformation de situations d’absence d’apprentissage en opportunités reportées, si le besoin s’en faisait ressentir. Conséquemment, on retient qu’une absence d’apprentissage n’est pas nécessairement définitive. Cette possibilité suggère qu’un processus « latent » peut faire partie de la combinaison des processus menant à un éventuel apprentissage.

Concernant les apprentissages non réflexifs, ce type de processus est moins présent que ce que nous aurions anticipé. Deux participants ont rapporté une expérience. Les deux situations documentées ont en commun d’avoir préalablement fait consensus dans des communautés disciplinaires (un regroupement provincial et un colloque) à l’extérieur de la CP. Cela confirme qu’un processus non réflexif peut être suscité dans un contexte où la personne adhère au sens déjà construit socialement, mais considérant que le transmetteur de l’information soit aussi crédible à ses yeux.

Dans les processus d’apprentissage réflexif, où la personne réfléchit consciemment à la signification à donner à l’expérience, on réalise par les résultats, qu’un changement dans la pratique ne découle pas forcément de cette démarche. Tous les participants ont réalisé des apprentissages réflexifs sans que cela ne change nécessairement leur pratique. Pour deux des participants, ces situations résultent en la consolidation de leurs savoirs. Cependant, pour l’autre, il s’agit plutôt d’un processus d’apprentissage réflexif en cours vers un possible changement dans la pratique. Par conséquent, ce type de processus peut nécessiter plus d’une expérience et donc du temps pour se concrétiser. En ce qui a trait aux apprentissages réflexifs avec un changement dans la pratique, les données indiquent que ceux-ci émergent de situations diverses. Ce processus peut être vécu à partir de situations plus traditionnelles telles des présentations par des personnes reconnues pour leur expertise ou le partage d’un contenu de formation par l’un ou l’autre des membres de la CP. Il est également provoqué par les activités faisant référence à la responsabilité professionnelle (ex. recommandations de l’ordre professionnel ou de l’organisation). De plus, le processus réflexif vers un changement dans la pratique est simplifié lorsque la personne a déjà des connaissances sur le sujet. Il ressort également des expériences d’apprentissage réflexif que ce processus peut mener à un changement chez la personne notamment par un renforcement de son sentiment d’auto-efficacité dans sa pratique.

Concernant les apprentissages réfléchis, les expériences documentées nous laissent supposer qu’une appréciation de soi ou du contexte, suscitée notamment dans une CP, peut entraîner une modification de leur conception. Tel qu’observé, les processus vécus peuvent avoir une influence positive sur l’image de soi en tant que professionnel. Ils ont permis aux personnes de continuer à construire leur identité et leur propre culture professionnelle (Roger, 2015). Le vécu au regard d’un contexte ou d’une situation d’apprentissage, tels ceux créés par la CP, sont susceptibles de faire émerger des sentiments et des connaissances qui forgeront l’identité des participants. Subséquemment, ce processus réfléchi prédispose les personnes à un changement dans leur pratique. En somme, en considérant les expériences d’apprentissage réfléchi et réflexif avec un changement dans la pratique ou sur la personne, ces types d’apprentissage constituent la majorité des processus ayant cours en lien avec une participation à une CP. Du moins, ils sont les plus rapportés, puisqu’ils sont plus marquants dans le vécu des personnes.

Sur le phénomène de l’apprentissage, la description des divers types de processus déployés par les participants nous révèle que l’interprétation de l’expérience dépend de l’interaction entre la personne et le monde vécu. Ainsi, il ressort que, pour que l’apprentissage se concrétise dans la pratique ou chez la personne, il doit être porteur de sens pour la personne. Toutefois, la signification octroyée à l’expérience vécue et les changements qu’elle suscite, soit le type de processus d’apprentissage, varient selon les prédispositions personnelles et le contexte de vie dans lequel ces processus se déploient. Enfin, ce processus évolue dans le temps avec la personne et le monde.

De fait, cette étude nous a permis de relever des prédispositions personnelles à des types de processus d’apprentissage. Pour Judy, l’ensemble des situations ne menant pas à un apprentissage immédiat a représenté la moitié de ses expériences. Pour cette même personne, deux de ses trois expériences d’apprentissage réflexif n’ont pas mené à un changement dans la pratique. Ces résultats contrastent avec l’attitude que cette personne démontre envers son DP. Cela peut possiblement s’expliquer par le fait que plusieurs de ses apprentissages demeurent latents, puisque la personne, tel qu’elle l’exprime, a besoin de plus d’accompagnement, de structure et de temps pour accomplir ses processus d’apprentissage. À l’inverse, les deux autres participants démontrent une attitude plus réservée, ce qui peut concorder avec leurs modes d’apprentissage, plus réfléchi pour Marco (5 expériences sur 11) et plus réflexif pour Charlotte (5 expériences sur 8). En effet, près de la moitié des expériences de Marco ont passé par un processus plus contemplatif, soit un apprentissage réfléchi. En termes de participation dans sa CP, cette personne peut paraître plus passive parce qu’elle s’exprime moins dans l’action. Toutefois, les résultats nous révèlent que cette forme de participation peut tout de même signifier une cohésion aux idées du groupe et permettre une confirmation des connaissances ou un apprentissage sur soi. Pour Charlotte, il semble que cette dernière cherche généralement à tirer profit de ses expériences. En lien avec le sujet ayant été rejeté dans une première expérience, la participante a finalement réalisé un apprentissage réflexif avec un changement dans sa pratique lors de la deuxième activité. Elle a aussi effectué des changements dans sa pratique à la suite de deux autres expériences d’apprentissage réflexif. En fait, la seule n’ayant pas permis un changement dans sa pratique a plutôt servi à la consolider. Comme on peut le voir, les participants ont démontré une prédisposition à des types de processus d’apprentissage différents.

Un autre aspect pouvant influencer le type de processus d’apprentissage est l’interprétation des événements par la personne dans leurs contextes physique, social et culturel, c’est-à-dire le monde vécu. Or, notre étude nous amène à constater l’importance du monde vécu et, plus particulièrement, des contextes sociaux d’apprentissage, tout comme l’ont souligné d’autres chercheurs (Archibald et McDermott, 2008 ; Lees et Meyer, 2011 ; Li et al., 2009 ; Wenger et al., 2002). Ces recherches soulèvent l’influence du contexte sur la personne et ses apprentissages, mais ne considèrent pas le sens octroyé à celui-ci dans une perspective individuelle. Les résultats (ex. : 3D et 4 B Judy) nous permettent de penser que la difficulté à réserver du temps ou le manque de soutien pour étudier les sujets abordés en CP peuvent parfois devenir la raison d’une absence d’apprentissage immédiat. D’autres cas (2 C Marco et 3D Judy) nous amènent à constater que les sujets doivent être abordés avec une certaine profondeur pour que les expériences deviennent marquantes, soit qu’elles aient suffisamment de sens pour produire des apprentissages. En plus, des expériences, comme 2 A et 2E de Judy, nous font voir qu’un accompagnement ou un suivi pour approfondir les sujets auraient peut-être favorisé des apprentissages. Ainsi, tel qu’en font état d’autres recherches (Archibald et McDermott, 2008 ; Lees et Meyer, 2011), la structure et les modalités éducatives offertes (comprenant l’animation et les outils dont le journal de bord) jouent un rôle crucial dans l’intégration des apprentissages pour la pratique.

Il ressort également de l’étude que les apprentissages peuvent être facilités par des opportunités répétées (ex. : 2 B et 3 A Charlotte) ou par l’exploitation de diverses modalités éducatives (ex. : 3 A et 4 A Judy). Il a été observé que des sujets abordés en CP déjà connus des participants, par exemple par une formation (2 C Charlotte), suscitaient tout de même un intérêt en permettant un rappel de ces connaissances qui n’étaient parfois plus mises en pratique en plus de permettre d’en intégrer des nouvelles. Par conséquent, la répétition des informations, sous diverses formes, offre non seulement une occasion de mettre à jour des connaissances existantes et en assurer la pérennité, mais aussi de bâtir de nouvelles interprétations d’une même réalité. D’ailleurs, un certain nombre d’expériences (ex. : 3 A Charlotte et 4 A Judy) nous ont démontré que la pérennité des apprentissages dans la pratique peut être variable. Elle dépend entre autres de la possibilité de les intégrer régulièrement à la pratique. L’étude nous démontre donc qu’un environnement de travail favorisant la mise en place d’une culture éducative peut influencer les apprentissages tout comme l’intégration dans la pratique.

Par ailleurs, le monde vécu dans une CP est particulièrement influencé par les interactions sociales qui s’y déroulent. Les échanges offrent aux participants un rappel ou une réflexion sur leurs propres connaissances. Entre autres, ils permettent de clarifier leur conception des choses et de s’alimenter ou se positionner à partir de la vision des autres, comme on peut le voir dans les expériences 3C de Marco et 2D de Judy. Ces opportunités à se questionner, à la fois individuellement et collectivement, conduisent parfois à des confrontations d’idées menant ou pas à un changement dans la pratique. Ce contexte favorise aussi la contemplation, la comparaison avec les pairs et des associations d’idées, dans des processus réflexifs ou réfléchis, qui favorise une consolidation ou le développement de la conception de soi, de la culture professionnelle ou organisationnelle de même que de la pratique. De plus, par les interactions avec les pairs, la participation à la CP est susceptible de générer des apprentissages « secondaires » de nature professionnelle. Comme l’observent Scott et Sutton (2009) dans leur recherche réalisée auprès d’enseignants, la démarche de DP ne se restreint pas aux activités professionnelles en raison des processus émotifs qui y sont associés. Dans cette étude, le vécu en CP nous laisse croire au potentiel de ce dispositif pour contribuer à la création de relations interpersonnelles et à la construction de l’identité de la personne dans son milieu de travail.

6. Apports et limites de la recherche

6.1 Apports et limites scientifiques

Les processus d’apprentissage réalisés en participant à une CP, tout comme l’ont observé Wiessner et Sullivan (2007) dans une étude effectuée dans le secteur de l’éducation, s’inscrivent dans une démarche de DP. Les apprentissages ne sont pas seulement de nature professionnelle, mais également personnelle. Nos résultats suggèrent que les processus qui y sont vécus peuvent non seulement permettre d’acquérir ou de modifier les connaissances et les habiletés constituant la pratique, mais également les valeurs, les attitudes et les émotions influençant la pratique, les relations avec les pairs ou l’identité de la personne. À cet égard, notre étude, qui soutient une approche constructiviste du DP, a un apport complémentaire à la recherche dans le secteur de la santé axée sur le transfert de connaissances pour favoriser l’évolution de la pratique professionnelle. De plus, notre étude appuie les résultats obtenus par des études sur les CP dans le secteur de l’éducation telles celles de Butler et ses collaborateurs (2004), Garet et ses collaborateurs (2001) ainsi que de Moreau et ses collaborateurs (2013). Elle amène aussi un éclairage supplémentaire sur les processus vécus par des professionnels de la santé participant à une CP. L’émergence de ces processus pour un changement dans la pratique ou chez la personne dépend non seulement du contexte d’apprentissage (les interactions sociales, les modalités d’apprentissage, du temps) tel que démontré dans l’étude de Parboosingh (2002), mais suggère aussi la considération des prédispositions personnelles. Cet aspect est par ailleurs peu abordé dans les recherches effectuées dans le domaine de la santé.

En ce qui a trait au caractère évolutif du processus d’apprentissage, il a été possible de le percevoir dans notre étude, entre autres par l’évolution des personnes ou par le déroulement des activités dans le temps, malgré une échelle d’analyse limitée à la démarche de recherche.

D’un point de vue méthodologique, l’utilisation du cadre théorique de l’apprentissage humain de Jarvis (2010) s’est avérée éclairante et structurante pour étudier les processus d’apprentissage déployés par des professionnels de la santé dans le contexte de leur participation à une CP. La schématisation du modèle de l’apprentissage humain a permis de saisir les processus émotif, réflexif et d’analyse de même que les actions, selon différents types de processus d’apprentissage, qui mènent ou pas la personne à une (re) conceptualisation de ses savoirs et à un changement dans sa pratique. Cette compréhension visuelle du processus d’apprentissage (figure 1) facilite la catégorisation des données selon la chronologie des événements. Ce cadre permet aussi de considérer l’influence du contexte social d’une CP sur la démarche d’apprentissage de la personne, par exemple par la négociation de sens avec les autres ou par l’adhésion à d’autres possibilités, de même que celle du contexte organisationnel. Il s’applique à un objet de recherche tel l’apprentissage professionnel en offrant une perspective pour mieux comprendre comment une personne apprend et parvient (ou pas) à modifier sa pratique en interaction avec les autres et de façon située. De plus, la grille d’analyse élaborée en lien avec cette conceptualisation a simplifié l’analyse des données en permettant d’associer les propos des participants aux caractéristiques de la personne avant l’expérience, au contexte, à l’interprétation de l’expérience par la personne et enfin à la consolidation ou aux changements des caractéristiques de la personne à la suite de l’expérience vécue. Certes, des nuances ont été apportées dans la catégorisation. Entre autres, le niveau de conscience dans l’apprentissage préconscient nous a semblé variable d’une expérience à une autre ainsi que d’une personne à une autre. Or, Jarvis (2010) situe peut-être plus ce type d’apprentissage dans l’inconscient. Certes, les expériences vécues de façon inconsciente représentent une limite pour documenter ce processus. Ces expériences sont probablement moins significatives en termes de changement sur la personne ou sur sa pratique et conséquemment moins facilement verbalisables pour les participants. De plus, les précisions apportées pour la catégorisation dont l’ajout de sous-catégories telles l’absence d’apprentissage accompagnée d’un apprentissage préconscient de même que celles des apprentissages réflexifs avec ou sans changement dans la pratique et avec un changement de la personne peuvent porter à réflexion sur le modèle théorique. Bien que, dans une perspective holistique, les changements dans la pratique passent par un changement chez la personne, il peut être intéressant de distinguer la résultante observable dans l’action. Dans une étude future, il serait intéressant d’approfondir les prédispositions personnelles et les processus d’apprentissage vécus par des personnes différentes à partir d’une même expérience pour mettre en lumière les différences individuelles dans l’interprétation de l’expérience. D’ailleurs, nos résultats laissent supposer une perspective individuelle dans ce phénomène de l’apprentissage professionnel par la description d’expériences où les apprentissages ne concordaient pas nécessairement à ceux du groupe.

6.2 Apports et limites pour les milieux de travail

Dans une perspective de DP, nous retenons de notre étude, tout comme ce fut le cas pour Parboosingh (2002), que les sujets abordés en CP devraient cibler les besoins individuels en s’ancrant dans la pratique pour motiver les participants. Il est suggéré que les sujets s’intègrent à une planification et en continuité dans le fonctionnement de la CP entre autres en assurant un suivi pour un changement dans la pratique. À cet égard, un rappel ou une répétition des opportunités d’apprentissage par différentes modalités semble faciliter l’intégration et le maintien dans le temps de ces apprentissages. La considération d’un processus d’apprentissage s’inscrivant dans un continuum avec la pratique soulève l’importance d’instaurer des dispositifs de DP récurrents. Entre autres, la fréquence devrait permettre d’intégrer graduellement des savoirs à la pratique tout en suivant leur évolution. Tout comme le suggèrent Leclerc et ses collaborateurs (2007), les données indiquent que de disposer de suffisamment de temps pour échanger et réfléchir sur sa pratique est une condition favorable aux apprentissages. De plus, la fréquence tout comme les modalités devraient répondre aux préoccupations actuelles des professionnels. Parmi ces préoccupations, on peut s’attendre à des sujets visant un ajustement de la pratique aux nouvelles circonstances de même qu’aux recommandations ou aux obligations de l’ordre professionnel. Les activités devraient également être variées de façon à rejoindre les caractéristiques individuelles pour l’apprentissage. Elles devraient favoriser la négociation de sens pour adapter les savoirs à la pratique avec le soutien de personnes expérimentées sur les sujets. Tel que soulevé dans notre étude, ce dispositif offre une opportunité de se construire une compréhension du monde (de sa pratique et de son milieu de travail) plus commune par le partage de connaissances et de valeurs ainsi que par le développement ou le perfectionnement de compétences. Il permet aussi de mieux se connaître en tant que professionnel par une prise de conscience de ses propres connaissances, attitudes, valeurs, émotions, et habiletés. Ce contexte permet aussi de valider ses connaissances auprès de ses pairs. En plus, la comparaison avec les pairs peut représenter pour certains un incitatif à apprendre et à améliorer sa pratique. Cependant, le temps à y accorder est à la fois une contrainte dans un contexte de ressources limitées. Ces recommandations rejoignent celles de Leclerc et ses collaborateurs (2007).

Conclusion

Enfin, cette étude nous amène à conclure que la participation à la CP offre diverses opportunités d’apprentissage, sous diverses formes et avec des résultats de différentes natures selon l’interprétation de l’expérience par la personne. Malgré cette variabilité individuelle, la construction ou la négociation collective de sens favorise l’apprentissage. Ce constat appuie donc la suggestion de Lave et Wenger (1991) d’encourager la participation de la personne dans une communauté socioculturelle telle une CP. Ainsi, cette étude contribue aux résultats empiriques sur les CP et plus particulièrement dans le secteur de la santé. Elle permet aussi d’approfondir les connaissances sur les processus qui y ont cours afin de mieux comprendre ce qui mène à une intégration des connaissances, valeurs, attitudes, émotions et habiletés pour une mobilisation dans la pratique