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Il s’agit du 35e titre de la collection « Culture française d’Amérique », collection publiée sous l’égide de la Chaire pour le développement de la recherche sur la culture d’expression française en Amérique du Nord (CEFAN). Cette dernière parution porte sur les relations entre mémoires et mobilisations dans la francophonie canadienne. Si de nombreuses études se sont intéressées à la mémoire depuis deux décennies, peu de travail a été effectué sur les liens qu’elle entretient avec la mobilisation. L’ouvrage collectif dirigé par Michelle Landry, Martin Pâquet et Anne Gilbert est donc novateur. Il n’échappe pas, cependant, aux problèmes propres au genre : qualité inégale des contributions et pertinence aléatoire en regard de la thématique.

Dans l’introduction, les codirecteurs présentent la problématique de la mémoire et de la mobilisation dans la francophonie canadienne. Ils veulent en explorer trois dimensions qui, en fait, constituent la charpente du livre : la médiation de la mémoire, la mémoire et l’utopie, les lieux de mémoire. Il est dommage que leur introduction soit si succincte et qu’ils n’aient pas senti le besoin d’approfondir la question, d’autant plus que plusieurs de leurs collaborateurs ne l’ont pas fait dans leurs contributions respectives.

La première partie du livre s’ouvre par un texte de Louise Ladouceur sur les répertoires dramatiques de l’Ouest. Il y est beaucoup question de bilinguisme et d’identité bilingue, ce qui est intéressant en soi, mais la mémoire collective est presque absente de l’analyse. L’article d’Andréane Gagnon, qui porte sur Jean-Marc Dalpé et la grève d’Amoco à Hawkesbury, atteint davantage la cible, puisque dans une entrevue qu’il a accordée à l’auteure en 2012, le dramaturge réfléchit au théâtre populaire franco-ontarien d’il y a trente ans. Quant à Hélène Beauchamp, elle se livre à un exercice de sauvetage mémoriel de la paroisse Sainte-Anne d’Ottawa, institution clé d’un quartier de langue française tombé sous le pic technocratique des démolisseurs dans les années 1960. Dans les deux textes suivants, Caroline Ramirez compare avec beaucoup de finesse le rôle de la mémoire dans la presse francophone et anglophone d’Ottawa au moment de la rénovation urbaine de la Basse-Ville, tandis que Marie Hélène Eddie analyse un processus inverse en se penchant sur la place occupée dans la mémoire acadienne contemporaine par la fermeture en 1982 du quotidien L’Évangéline.

La deuxième partie de l’ouvrage, « Mémoire et utopie », commence par un survol du discours et de l’action économiques en Acadie de la fin du XIXe siècle à la fin du XXe. Philippe Volpé traite de la question à l’aune de la « tradition » et de la « tradition reconquise ». Quoique ces notions réfèrent implicitement à la mémoire, cette dernière ne joue pas un rôle important dans l’article. On peut dire la même chose de la contribution de Philippe Volpé et Julien Massicotte sur le Parti acadien et la gauche, même si les auteurs entendent combler un trou de mémoire quant à cette formation politique. À l’opposé, François-Olivier Dorais place la mémoire au centre de son étude sur l’Association des étudiants de langue française du nord de l’Ontario : mémoire comme interprétation de l’histoire de la nation canadienne, enjeu de la mémoire comme mouvement dialogique avec le passé canadien-français et sa référence nationale. Dans le dernier texte de cette deuxième section, Michelle Landry propose d’en « finir avec le passage à la modernité des francophonies canadiennes ». Sa démonstration repose essentiellement sur l’exemple acadien.

La dernière partie du livre a pour objet les lieux de mémoire. Ceux-ci sont abordés d’un angle expérientiel. Dans un premier temps, Paul Dubé, professeur de littérature, intellectuel et militant de l’Alberta, adopte une posture résolument autobiographique pour expliquer son engagement dans la lutte visant l’obtention d’écoles de langue française dans la province et pour dénoncer le « passéisme identitaire » de l’élite traditionnelle. Comme Hélène Beauchamp, il se livre à un essai de sauvetage mémoriel, dans ce cas-ci la contribution fondamentale de l’Association Georges-et-Julia-Bugnet aux luttes scolaires, qui est passée sous silence par les représentants autoproclamés de la communauté franco-albertaine. C’est aussi sous le signe de l’engagement que se situe le texte de Matilde de Santos. Cette historienne présidente d’une association de migrants brésiliens en Martinique partage avec le lecteur des stratégies de préservation et de transmission de la mémoire des sans-voix, « afin de transformer la réalité ». Les Productions Manitu (Mani-Utenam) Inc. ont le même objectif depuis leur création en 1987, à la différence que, comme l’écrit Eddy Malenfant, la compagnie filmographique veut redonner la parole aux peuples autochtones, au sein desquels le sacré occupe une place centrale. Enfin, Michel Lalonde, archiviste depuis trois décennies au Centre de recherche en civilisation canadienne-française (CRCCF), réfléchit au pouvoir mobilisateur du patrimoine documentaire dans la francophonie canadienne.

Si la réflexion de Michel Lalonde est fort pertinente et stimulante, elle ne saurait faire lieu de conclusion à un recueil qui, comme la majorité des ouvrages collectifs, en aurait bien besoin.