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Cet ouvrage, original par les thèses qu’il défend, a pour objectif principal de scruter les « espaces du quotidien » situés dans les espaces urbains non agglomérés et de percevoir comment l’« urbain généralisé » secrète des territoires discontinus, multiplie les entre-deux entre ce qu’on appelle encore très souvent, comme pour se rassurer, des entités globales comme l’urbain et le rural et qui, faute de définitions renouvelées, ressemble encore à ce que l’auteur nomme des « énigmes spatiales ».

Au sein des espaces discontinus, il décrypte deux figures territoriales auxquelles la presque totalité de l’ouvrage est consacrée : la halte comme interface entre mouvement et établissement (humain) et les formes spatiales banales des multiples agrégats bâtis d’une centaine d’habitants. La prise en compte prioritaire de ces microéchelles territoriales constituerait le meilleur moyen d’appréhender les processus d’occupation territoriale dans leur ensemble, de comprendre leur agencement et de faire les propositions d’aménagement les plus efficaces pour concilier urbanisme et déplacement. L’auteur préconise, en le démontrant, de favoriser en priorité le cheminement à pied et d’« emboîter » ensuite les autres niveaux de pratiques de mobilité.

Pour mieux décrypter la réalité de ces espaces de vie (périphériques des agglomérations), véritables « systèmes de mouvement », Antoine Brès met en avant la notion de « rivaraineté », c’est à dire le fait de lier les espaces de transit avec leurs bordures, de soigner l’aménagement des points d’adhérence avec les infrastructures qui les desservent, pour mieux articuler mobilité et habitabilité .

Cette prédisposition à s’intéresser à l’« arrière-cour » des infrastructures de déplacement amène l’auteur à porter un autre regard sur l’intégration possible des voies ferrées dans leur environnement de proximité pour les traiter comme un tout du système territorial et en atténuer ainsi l’effet de coupure. La démonstration la plus convaincante s’appuie sur la description du passage du tramway dans l’agglomération de Kalsruhe : la plate-forme sur laquelle ce mode de transport circule change de forme et de possibilité d’accès (présence de clôtures ou non) en fonction du degré de rivaraineté, selon qu’il traverse des lieux plus ou moins agglomérés.

Plus généralement, l’ouvrage revient sur des interrogations toujours actuelles telles que les interactions entre densité, accessibilité et proximité spatiale, en proposant des métriques précises pouvant servir de référentiel à une réelle articulation entre ces trois dimensions, appliquées aux agrégats bâtis peu denses – les figures discrètes de l’urbain.

À l’instar de Michel Lussault, Antoine Brès prône la prise en compte du « préalable spatial » à toute analyse territoriale, notamment pour permettre un bon équilibre des modalités de déplacement au sein des territoires de faible densité. Et il n’hésite pas à dénoncer les freins à l’utilisation des mobilités dites alternatives pour desservir ces espaces : une intermodalité insuffisamment développée et l’absence de liaisons convenablement aménagées entre les agrégats habités (discrets plutôt que dispersés, selon l’auteur).

De lecture parfois complexe, émaillé de multiples références bibliographiques et de schémas, cet ouvrage convaincant (qui omet toutefois la dimension du temps comme condition d’accessibilité) constitue une belle confirmation de l’intérêt croissant pour l’étude d’un urbanisme des usages que nombre d’intervenants territoriaux désignent comme le support d’un horizon plus durable pour aménager les territoires urbanisés du futur.