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Publié dans la collection « Papiers » des Presses de l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (ENSSIB) de Lyon, cet ouvrage est tiré de l’habilitation à diriger les recherches (HDR) soutenue en décembre 2012 par Henri Desbois. Développé sur 240 pages, le livre discute de la place et de l’évolution de la cartographie topographique, dans une perspective historique, avec une focalisation sur les trois derniers siècles et une liaison avec la géographie numérique. Le contexte (un ouvrage tiré d’une thèse de HDR) et le graphisme épuré du texte (seulement neuf figures, en noir et blanc, ce qui est minimaliste pour un ouvrage sur la cartographie) pourraient rebuter plus d’un lecteur. Or, le résultat n’est en rien rebutant. D’une part, bien que très technique, le texte est très bien écrit et se lit très facilement. D’autre part, l’organisation du livre en trois grandes parties permet à l’auteur de discuter de manière croisée et interdisciplinaire des principaux enjeux relatifs à la cartographie topographique.

Après une brève introduction qui présente sur dix pages le contexte de rédaction de l’ouvrage et son organisation, la première partie, « L’invention de la précision : cartographie et technique de l’astrolabe au GPS », est une histoire de la cartographie topographique depuis l’Antiquité. Desbois se focalise clairement sur le monde « occidental ». Après avoir traité brièvement de la cartographie dans le monde grec et de la cartographie médiévale, il se concentre sur deux moments forts de l’évolution de la cartographie : l’émergence de la cartographie moderne au XVIIIe siècle dans le royaume de France (carte de Cassini) et la révolution numérique et spatiale de la seconde partie du XXe siècle.

La deuxième partie est intitulée « La carte et l’État, de la Renaissance au XXe siècle ». L’ambition est ici d’analyser les relations entre les États et le développement de la cartographie. En remontant aux sources des États modernes, à la Renaissance, l’auteur met en évidence de manière très habile comment les grands développements de la cartographie topographique, dès le XVIIIe siècle, se sont appuyés sur la mise en place de services de cartographie officielle. L’objectif de ces services était souvent de soutenir la politique d’expansion militaire et coloniale, d’où leur insertion bien souvent au sein de l’administration militaire. La carte est ainsi devenue un instrument au service de l’État. Henri Desbois étudie à nouveau le cas français en particulier, tout en abordant d’autres contextes, notamment la cartographie coloniale (à l’exemple de l’Inde), la cartographie de l’Ouest américain, ou encore la cartographie dans le contexte de la guerre froide. Ce chapitre montre combien le développement des outils de télédétection s’est inscrit dans ce contexte de militarisation de la cartographie. Cette deuxième partie se termine par un chapitre passionnant sur les développements récents, issus de la télédétection et de la numérisation toujours plus importante de la société, à savoir notamment le développement des globes virtuels tels que Google Earth et la cartographie en ligne. En conclusion, l’auteur démontre très finement comment les États qui avaient effectué dès le XVIIIe siècle une certaine mainmise sur la cartographie topographique, celle-ci étant un instrument de pouvoir et donc une ressource à leur disposition, se sont vus dépossédés de ce pouvoir au cours des vingt dernières années, avec le développement de la cartographie numérique. Les États sont non seulement concurrencés par des firmes privées dans la production des cartes ; ils sont également confrontés à une réappropriation citoyenne des cartes topographiques, ces dernières étant maintenant omniprésentes sur supports numériques (GPS, globes virtuels) dans la « vie de tous les jours ».

Intitulée « Les imaginaires cartographiques », la troisième partie veut démontrer que la carte est une construction culturelle complexe. L’auteur emmène le lecteur dans un voyage autour des dimensions culturelles de la carte, traitant autant de la cartographie ornementale du XVIIIe siècle que de la place de la cartographie dans la littérature et le cinéma ou la télévision ou encore, à nouveau, des enjeux sociologiques de la cartographie numérique. Plusieurs pages sont consacrées aux nouveaux formatages – sous forme de grilles plutôt que de limites d’États – liés au développement du GPS et de la cartographie numérique. Les passages sur la place de la « grille cadastrale » en Amérique du Nord et sur les modifications de la représentation spatiale liée au développement de la cartographie virtuelle sont particulièrement éclairants. Le sont aussi les passages sur la place des outils numériques – notamment la télédétection – dans les conflits actuels, qui semble démontrer une nouvelle tendance à la militarisation de la cartographie. Cette troisième partie est par ailleurs sous-tendue par une réflexion sur les approches critiques de la cartographie, lesquelles ont mis en évidence, tout au long du XXe siècle, le « poids » social de cette science qui est, comme tout géographe le sait, loin d’être un instrument totalement neutre. Le livre se conclut par une brève réflexion critique de quatre pages sur les enjeux actuels liés à la cartographie numérique.

En conclusion, c’est bien le croisement d’une analyse historique, politique et culturelle du phénomène cartographique qui fait tout l’intérêt de la contribution d’Henri Desbois, un ouvrage dont on ne peut que recommander la lecture à tout géographe.