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La stratégie phytosanitaire québécoise en agriculture : des actions concrètes pour réduire l’usage et les risques des pesticides

M.-H. April. Direction de l’agroenvironnement et du développement durable, Ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation, Québec (Québec), Canada G1R 4X6

La Stratégie phytosanitaire québécoise en agriculture (SPQA), une stratégie provinciale, vise une réduction de 25 % des risques pour la santé et l’environnement liés à l’utilisation des pesticides en milieu agricole au Québec d’ici 2021. Elle vise également à accroître l’adoption de la gestion intégrée des ennemis des cultures. Afin de s’assurer de la réalisation des 75 actions de la SPQA, le Plan d’action 2011-2014 a été réalisé. Pour la période 2014-2018, un second plan est en cours de réalisation. La mise en application de ces plans est sous la responsabilité des représentants du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ), du ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, de l’Institut national de santé publique, de l’Union des producteurs agricoles et d’autres partenaires sectoriels.

Plus spécifiquement, afin de réduire l’exposition des travailleurs et de la population aux pesticides, une aide financière est offerte aux producteurs. Cette aide leur permet de faire l’acquisition d’équipements et de les améliorer pour réduire l’usage et les risques liés aux pesticides.

Afin d’accélérer le transfert de pratiques alternatives aux pesticides à la ferme, de nombreux projets sont financés par le programme Prime-Vert. Certains projets d’envergure ont d’ailleurs débuté au cours de l’été 2016 : utilisation de la mouche stérile pour lutter contre la mouche de l’oignon dans la culture de l’oignon et utilisation à grande échelle d’une méthode alternative aux insecticides pour lutter contre le carpocapse de la pomme dans les vergers.

Également, le MAPAQ offre un levier de taille pour appuyer la mise en oeuvre de la SPQA par la mise à disposition de divers services et outils :

  • le Réseau d’avertissements phytosanitaires promeut l’utilisation rationnelle des pesticides;

  • le programme Services-conseils offre aux producteurs une aide financière pour un accompagnement et un suivi favorisant la réduction des risques des pesticides;

  • SAgE pesticides et IRPeQ-express, mis à la disposition des intervenants du secteur, permettent de faire des choix éclairés de pesticides à moindre risque et de faire le suivi à la ferme des risques associés à l’utilisation des pesticides;

  • la Trousse d’information sur les pesticides présente les bonnes pratiques concernant divers sujets liés aux pesticides afin de protéger l’environnement et la santé humaine.

La SPQA porte fruit : les interventions gouvernementales en matière de pesticides sont concertées et convergent toutes vers une réduction des risques des pesticides pour la santé et pour l’environnement en assurant la viabilité des entreprises agricoles.

La gestion intégrée des mauvaises herbes à la Ferme Roger Beauchemin

Y. Beauchemin. Club Yamasol et Ferme Roger Beauchemin inc., Sainte-Monique-de-Nicolet (Québec), Canada J0G 1N0

La gestion des mauvaises herbes est un défi constant pour les producteurs agricoles d’aujourd’hui. Ces travaux visent à faire prendre conscience des enjeux que la gestion intégrée des mauvaises herbes représente à l’échelle d’une ferme de grandes cultures, soit la Ferme Roger Beauchemin. Dans un premier temps, le cheminement qui a conduit à la transition du travail minimum de sol vers le semis direct, que ce soit à la ferme ou chez les membres du club Yamasol, est expliqué. Une comparaison est faite de ce que représente l’utilisation des herbicides entre le semis direct et le travail minimum du sol en termes économiques. Les coûts de production reliés à l’usage des pesticides sur la ferme sont présentés afin d’offrir une meilleure vue d’ensemble. Concernant l’utilisation de pesticides dans le cadre d’une démarche vers une agriculture durable, il y a des compromis à faire et il existe des solutions intéressantes pour réduire leur utilisation sur nos fermes. Par exemple, l’usage de cultures dites de couverture, l’usage d’engrais verts ainsi que la planification d’un système adéquat de rotation des cultures peuvent être envisagés. Amorcer des changements, faire des compromis, ne valent-ils pas la peine pour assurer l’avenir de notre agriculture pour les générations futures?

Considérations économiques autour de la phytoprotection, l’utilisation des pesticides et la lutte intégrée

L. Belzile. Institut de recherche et de développement en agroenvironnement, Québec (Québec), Canada G1P 3W8

Les plus récents bilans de ventes de pesticides montrent que les agriculteurs ont augmenté leurs achats de cet intrant agricole. Cette hausse correspond avec la hausse du prix de certaines denrées agricoles, dont le maïs-grain et le soja, pour les années concernées. Dans ce contexte, on peut se demander si les producteurs agricoles n’ont pas augmenté leur utilisation des pesticides, voyant une meilleure marge bénéficiaire à protéger. En effet, dans la littérature en économie agricole, les pesticides sont traités comme des intrants de production qui n’augmentent pas le potentiel de rendement, mais qui le protègent. La nuance peut sembler futile, mais concrètement, cela signifie que les pesticides sont un outil de gestion du risque. Ainsi, une utilisation non optimale des pesticides peut s’expliquer par un faible niveau de tolérance au risque. Il importe alors d’étudier la lutte intégrée, autant pour son impact sur la rentabilité économique des entreprises agricoles que sur le plan risque économique. En effet, l’estimation du risque par le producteur peut mener à une utilisation non optimale des pesticides.

Cette conférence permettra d’abord de faire un retour sur des résultats de recherche en économie relatifs à plusieurs projets touchant l’utilisation des pesticides, la phytoprotection et la lutte intégrée en horticulture et en grandes cultures. Selon ces résultats, il n’y a pas de raison de croire que la lutte intégrée accentue systématiquement le risque. Or, d’autres résultats démontrent, dans certains cas, une utilisation non optimale des pesticides. C’est ce qui a été démontré dans la production de pommes et en grandes cultures, notamment.

Cette conférence propose aussi une réflexion sur la notion de gestion du risque économique et agroenvironnemental. À cet effet, quelques solutions possibles sont proposées pour tendre à une utilisation optimale des pesticides. Par exemple, les programmes d’assurance-récolte pourraient être mieux mis à contribution à cette fin.

Gestion intégrée des insectes ravageurs en milieu forestier : obstacles, défis… et un grand succès!

C. Hébert. Centre de foresterie des Laurentides, Ressources naturelles Canada, Québec (Québec), Canada G1V 4C7

Le concept de lutte intégrée a été développé par le secteur agricole et appliqué en milieu forestier avec plus ou moins de succès. Les milieux forestiers sont des écosystèmes complexes qui couvrent de très vastes superficies comparativement aux milieux agricoles. La détection et la surveillance des populations d’insectes ravageurs y constituent un défi important, car le territoire forestier couvre près de la moitié de la superficie du Québec, soit plus de 76 millions d’hectares. De plus, la « récolte » n’y est pas annuelle comme en agriculture, ce qui impose des difficultés additionnelles à la mise en oeuvre de la gestion intégrée des insectes ravageurs. Ainsi, le concept de seuil économique de nuisibilité, qui est au coeur du concept de gestion intégrée des insectes ravageurs, est difficile à appliquer lorsqu’on tente de mettre en relation des populations d’insectes estimées annuellement et un impact économique qui ne se manifestera souvent que des dizaines d’années plus tard. Enfin, au Québec, la forêt est surtout de domaine public (92 %) et, en conséquence, les ressources nous appartiennent collectivement, mais à personne en particulier. Avec une population d’un peu plus de 8 millions de personnes, le Québec génère des capacités fiscales modestes pour gérer un territoire aussi vaste. De plus, bien que le secteur forestier revête une grande importance au plan économique, il est en compétition directe avec d’autres secteurs névralgiques qui touchent directement les gens (ex. : la santé et l’éducation). La détection et la surveillance des insectes ravageurs, et même la protection des forêts, sont toujours perçues comme des dépenses plutôt que des investissements. Un des défis majeurs à relever au Québec est de démontrer clairement la rentabilité de la gestion intégrée des insectes ravageurs. De plus, il importe de développer des approches innovantes à la détection/surveillance des insectes ravageurs. Des outils d’échantillonnage simples et peu coûteux permettant d’impliquer des gestionnaires locaux, voire des citoyens, permettraient d’améliorer nos systèmes de détection et de surveillance à peu de frais. Un programme de science citoyenne pour le suivi de la tordeuse des bourgeons de l’épinette mis en place depuis 2 ans et la formation de multiples intervenants pour détecter l’agrile du frêne en sont de bons exemples. D’autres exemples existent, mais ils tardent à être intégrés de façon opérationnelle. Malgré ces lacunes, le secteur forestier est le seul à utiliser uniquement des insecticides biologiques (essentiellement le B.t.) pour lutter contre les insectes ravageurs, et ce, depuis plus de 30 ans (1986). La transition vers les produits biologiques a été rendue possible grâce à la recherche, mais aussi à cause des pressions sociales subies par le secteur forestier qui a dû se soumettre au processus exigeant du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement dès 1983. D’ailleurs, les programmes de pulvérisations aériennes contre les insectes ravageurs en milieu forestier sont assujettis à l’encadrement légal et réglementaire le plus strict en Amérique du Nord. Parmi les défis à venir, il y a aussi celui d’intégrer d’autres dimensions à la valeur économique des forêts. Historiquement, la ressource ligneuse était surtout utilisée pour la fabrication de papier journal alors qu’aujourd’hui on lui reconnaît une valeur pour la faune et elle est davantage utilisée pour la production de bois d’oeuvre et de papiers fins qui nécessitent une fibre de meilleure qualité. De plus, on peut anticiper le développement de l’industrie de la biomasse et de la bioénergie. Enfin, il faut actualiser les modèles hérités du passé et développer une gestion plus stratégique des épidémies d’insectes.

Les traitements de semence insecticides sont-ils compatibles avec la lutte intégrée?

G. Labrie. Centre de recherche sur les grains, Saint-Mathieu-de-Beloeil (Québec), Canada J3G 0E2

Au cours des deux dernières décennies, le marché des produits phytosanitaires a vu apparaître les néonicotinoïdes, une nouvelle famille d’insecticides systémiques. Au Canada, les principaux ingrédients actifs comprennent l’imidaclopride, le thiaméthoxame et la clothianidine, et leur utilisation principale est l’enrobage des semences. Ces produits apportent une protection contre de nombreux insectes suceurs et broyeurs sur une plus longue période de temps et avec une quantité moindre d’ingrédients actifs. Une augmentation importante de l’utilisation de ces produits a été observée au cours de la dernière décennie, cette famille représentant maintenant 30 % du marché mondial des insecticides, avec 140 produits différents homologués dans 120 pays. Les impacts des néonicotinoïdes sont toutefois apparus nombreux au cours des dernières années : contamination de l’air, du sol et de l’eau et impacts sur différents organismes bénéfiques. L’utilisation systématique des traitements de semence néonicotinoïdes est largement questionnée.

La connaissance des ravageurs est à la base d’une stratégie de lutte intégrée. Dans le cas des insectes vivant dans le sol et causant des dommages aux grains en germination et aux plantules en croissance, telles les larves de taupins, de mouches des semis ou de hannetons, la difficulté de les dépister rend l’application de méthodes de lutte appropriées plus ardue. Au Québec, c’est plus de 500 000 ha de grandes cultures (maïs, soja, canola) qui sont traitées chaque année avec un traitement de semence. Plusieurs raisons expliquent cette utilisation systématique : la provenance des semences, la compétitivité du marché des grains, le prix de vente du grain traité et la perception d’une assurance tous risques de l’enrobage. La méconnaissance des insectes ravageurs des semis, des facteurs de risques et des gains de rendement liés à l’utilisation de cet enrobage est aussi au coeur de l’utilisation systématique de ces produits.

Au Québec, dès 2011, des projets de recherche et des suivis réalisés par le Réseau d’avertissements phytosanitaires ont débuté afin d’acquérir les connaissances nécessaires sur les ravageurs des semis ciblés par les néonicotinoïdes présents au Québec et leurs impacts sur le rendement du maïs et du soja. Ainsi, c’est plus de 700 sites répartis dans toutes les régions du Québec qui ont été dépistés pour les larves de taupins, de mouches des semis et de hannetons entre 2011 et 2016. Les données acquises par ces différents projets démontrent clairement que la situation québécoise est très différente du reste du Canada ou des États-Unis, puisqu’une seule espèce de taupin compose plus de 70 % des assemblage d’espèces, que les autres groupes de ravageurs des semis sont peu abondants et que des différences de rendement entre des bandes traitées ou non avec néonicotinoïdes ne sont observées qu’en présence de très fortes infestations de taupins. Est-ce que ces connaissances seront suffisantes pour changer la perception des producteurs du Québec? Un outil d’évaluation du risque est en cours d’élaboration et devrait permettre aux producteurs de cibler les champs à dépister et ceux qui nécessitent un moyen de lutte. D’autres méthodes alternatives de lutte devront toutefois être développées pour répondre aux besoins spécifiques du Québec.

L’application d’inoculants microbiens dans le cadre de la lutte intégrée

M. Trépanier et S. Gagné. Premier Tech Biotechnologies, Campus Premier Tech, Rivière-du-Loup (Québec), Canada G5R 6C1

Dans un monde où la population exige de plus en plus des produits de consommation exempts de pesticides, toutes les grandes compagnies chimiques mondiales ont démarré des programmes de recherche visant l’identification de sources alternatives de pesticides d’origine biologique. La compagnie Premier Tech de Rivière-du-Loup développe, produit et commercialise une série de microorganismes destinés à l’agriculture. Ces inoculants microbiens sont, entre autres, les mycorhizes, qui favorisent l’absorption minérale des plantes, ainsi que des bactéries qui stimulent la croissance des plantes ou les protègent contre des agents pathogènes racinaires ou contre certains insectes. Le grand défi est de produire à une échelle commerciale ces microorganismes et de les formuler en produits facilement utilisables tout en maintenant un excellent taux de survie en entreposage. Il faut de plus s’assurer de la biocompatibilité de ces organismes avec les produits déjà utilisés par les producteurs et avec leurs pratiques culturales. Nous présentons un survol de l’évolution de certains inoculants microbiens commercialisés avec les défis rencontrés au cours de leur développement.