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L’ouvrage aborde une notion non stabilisée aux contours flous, qui s’inscrit dans la thématique récurrente de la question des systèmes industriels locaux (Torre et Zimmerman, 2015). Les auteurs, trois économistes, deux femmes et un homme, posent un regard fortement teinté de perspectives économiques sur la métaphore forgée par le botaniste Arthur George Tansley, en 1935, dont l’acception originelle est de décrire un système comprenant un milieu et les êtres vivants qui le composent et toutes les relations qui peuvent exister et se développer à l’intérieur de ce système. Par la suite, cette métaphore a été vulgarisée par un psychologue (Isenberg, 2010), mais avec un fort lien avec les représentations sociales. L’on aura déduit par cette entrée en la matière que la notion d’écosystème entrepreneurial peut paraître éclectique. D’autant que l’emploi métaphorique ne conduit pas nécessairement à une identification précise, mais plutôt vers une signification imaginative (Hess, 2009). II était nécessaire de clarifier certains questionnements que pose l’appréhension des écosystèmes entrepreneuriaux en tant qu’objet scientifique, dont la définition ne fait pas encore consensus au sein du monde scientifique (Stam, 2015).

D’emblée, l’objectif poursuivi par cet essai, qualifié ainsi par les auteurs, est de réfléchir sur : « les différentes façons d’introduire le local dans la pensée économique, à la relation entre les agents économiques et le territoire et à la manière, dont ce dernier agit sur les relations économiques » (p. 10). Dans cette optique, la notion d’écosystème entrepreneurial s’insère dans une construction de pensée et d’action selon une trajectoire temporelle et réflexive. En cela, l’ouvrage est d’une pertinence scientifique et professionnelle indéniable. Pour y arriver, un effort singulier de synthèse a été fourni par les auteurs.

Le livre se subdivise en trois chapitres avec un équilibre respecté même si le premier chapitre paraît plus élaboré que les deux autres.

Ce premier chapitre intitulé « L’analyse économique du territoire : histoire d’une idée » se veut historique avec un regard chronologique des travaux à l’origine des écosystèmes entrepreneuriaux. Ici, on est fasciné par la compilation réalisée par les auteurs, laquelle se lit avec facilité, tout en incitant à parcourir le chapitre d’un seul trait afin de ne pas perdre le fil des théories sur la pensée économique du territoire.

Le sens de la narration détaillée mérite d’être relevé, dans la mesure où il était ardu de donner de la cohérence à des problématiques disparates, voire contrastées. Pour l’essentiel, la lecture du premier chapitre explique que ce sont des économistes allemands (Johann Von Thünen et Alfred Weber) qui ont posé les jalons de l’économie territoriale. La confirmation de la contribution d’Alfred Marshall à l’analyse économique du territoire semble aussi être une évidence. Le registre des théories contemporaines qui va des districts italiens jusqu’à la théorie de la proximité en passant par les clusters et le milieu innovateur, est complet. L’ensemble de ces travaux a nourri des réflexions quant à la nature des synergies entre l’entrepreneur, l’entreprise, le territoire, et les institutions publiques, aboutissant à ces écosystèmes entrepreneuriaux. Le tout est ponctué de schémas, rendant compte de la dynamique intellectuelle qui a été à l’oeuvre. Ce chapitre initial constitue une démonstration, compréhensible pour un lectorat profane, de la recherche en économie territoriale, la base restant la même, mais les angles de vue se renouvellent.

Le deuxième chapitre annoncé comme le cadre théorique sur les écosystèmes entrepreneuriaux décrit leur architecture d’ensemble ainsi que leur fonctionnement interne. Les auteurs ont choisi de mobiliser des concepts issus de l’économie industrielle et plus particulièrement de l’économie de la firme et ceux de l’économie géographique pour appréhender les acteurs et leurs systèmes de relations au sein des écosystèmes entrepreneuriaux.

Ordonné en trois sections, ce chapitre discute : 1) des acteurs et composantes d’un écosystème entrepreneurial, 2) du fonctionnement d’un écosystème entrepreneurial, 3) des stratégies et politiques publiques en faveur des écosystèmes entrepreneuriaux. Au sortir de ce second chapitre, le lecteur saisit les différentes strates constitutives de l’écosystème entrepreneurial, qui relèvent d’un enchevêtrement de stratégies d’entreprises et de politiques locales. Il apprend également que les jeunes entreprises innovantes et les entreprises à forte croissance (ou gazelles) sont au premier rang des moteurs du fonctionnement d’écosystèmes entrepreneuriaux, qui requièrent en même temps une diversité d’acteurs et de liens, dont l’enjeu dans cette analyse est d’identifier les sources de performance locale et d’organiser les ressources permettant de l’atteindre. C’est ici que les auteurs singularisent les approches par les écosystèmes entrepreneuriaux en appelant à des politiques d’aide particulières, puisque les dispositifs destinés à la création d’entreprises ne leur conviennent pas. A fortiori, il y a un changement de paradigme vers des aides aux relations entre acteurs économiques plutôt que des aides aux entreprises. De ce point de vue, ce chapitre est instructif. Notons au passage que les auteurs font l’impasse sur la clarification des définitions des écosystèmes entrepreneuriaux. Éluder un tel aspect paraît inaccoutumé dans un raisonnement scientifique.

On arrive au troisième chapitre, qui présente à titre d’illustration des territoires ou des écosystèmes entrepreneuriaux hétérogènes dans un contexte institutionnel homogène (France). Cet exercice d’application avec les performances comme clé d’entrée paraît spécialisé, donc plutôt réservé à un public d’initiés. Les encadrés (donnant une nature plus qualitative des propos) se côtoient avec des figures (présentant des sorties statistiques retravaillées) pour exposer des résultats de recherche, consacrés aux régions françaises, requérant ainsi une certaine connaissance de ce pays afin d’interpréter les données évoquées. Toutefois, des principes généraux induits par ces résultats sont suggérés par les auteurs, telle l’adoption de la perspective systémique dans les méthodologies d’évaluation des avantages tirés d’opérations de mutualisation, c’est-à-dire l’appartenance à un réseau (pour les entreprises) et des avantages tirés de la concentration géographique des acteurs et des entreprises à l’échelle territoriale idoine (pour les décideurs).

Ce troisième chapitre renforce l’idée que pour assurer autant la performance des entreprises que la compétitivité des territoires, les démarches appellent toujours des interactions, nous ramenant à la dimension collective de l’entrepreneuriat.

Au stade où l’économie territoriale, un ensemble théorique, est en cours d’institution (Courlet et Pecqueur, 2013), l’écriture de ce livre arrive à point nommé. Il rafraîchit les anciennes connaissances tout en insufflant de nouveaux savoirs, certes assez spécifiques. Par son style rédactionnel, cet ouvrage procède d’une visée scientifique. Les élus et les techniciens des territoires se sentiront quelque peu perdus dans les dédales des terminologies à l’usage dans le livre, même si des informations pouvant les intéresser y sont dévoilées.