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L’anorexie mentale est un trouble de la conduite alimentaire caractérisé par une distorsion de l’attitude par rapport à l’alimentation. Les manifestations de ce problème de santé mentale se caractérisent par un engouement apparent pour la perte de poids et la restriction alimentaire, une poursuite acharnée de la minceur, un désir envahissant de maintenir cette minceur et une négation de l’état de maigreur1, 2. Le ratio pour le genre est évalué à 9 – 10 filles pour 1 garçon. L’anorexie mentale touche de 0,1 % à 1 % de la population1. Ces statistiques sous-estimeraient la prévalence réelle de l’anorexie mentale dans la population générale, car les études épidémiologiques se basent principalement sur les personnes recevant spécifiquement des soins pour une anorexie mentale3, 4. Or, plusieurs personnes présentant une anorexie mentale minimisent leurs symptômes, refusent de reconnaître la présence de cette maladie, évitent de consulter à ce sujet ou consultent pour des motifs autres, tels des problèmes émotionnels1, 5, 6.

L’anorexie mentale est reconnue pour ses nombreux impacts sur la santé et ce trouble est associée à un pronostic très variable1. Il s’agit de la maladie mentale associée au plus haut taux de mortalité, découlant le plus souvent du suicide ou de complications médicales liées à la maladie1, 2.

L’anorexie mentale apparaît comme une maladie complexe, sérieuse et souvent chronique affectant à la fois la personne atteinte, mais aussi son environnement7. Compte tenu de la forte mortalité et de l’importante morbidité associée à l’anorexie mentale, il est impératif que les traitements offerts soient efficaces8. Une littérature très abondante sur les traitements est disponible, ce qui complique l’analyse de ces résultats et rend ardue l’élaboration de lignes directrices. Cette recension systématique des écrits scientifiques vise à faire état des pratiques prometteuses dans le traitement de l’anorexie mentale.

Méthodologie

Une revue systématique de la littérature a été effectuée en avril 2014 et janvier 2016 dans les banques de données PsycInfo, Psychology and Behavioral Science Collection, Eric, Francis, Academic Search Complete, PsycExtra, PsycArticles et Medline with Full Text. Les termes et opérateurs booléens utilisés sont : (anorexia OR eating disorder)AND (treatment OR intervention OR therapy OR program OR hospitalization). La recherche documentaire a été effectuée dans une banque de données à la fois. Cette stratégie permet de maximiser la probabilité de trouver tous les textes de la banque de données correspondant aux critères de sélection, ce qui n’est pas le cas lorsque la recherche documentaire est effectuée dans plusieurs banques simultanément. Cette stratégie présente toutefois l’inconvénient de ne pas éliminer les doublons. Cette première étape a permis d’identifier 2 476 articles au total. Une fois les doublons retirés, 728 articles demeuraient.

Pour la suite du processus de recherche documentaire, les articles retenus devaient avoir été révisés par un comité de pairs et être disponibles en français ou en anglais. Considérant la grande littérature disponible, les études primaires ont été exclues afin de se concentrer sur les revues de littérature et les méta-analyses. Les articles retenus devaient traiter spécifiquement des modalités de traitement de l’anorexie ou de l’efficacité de ces dernières chez les adolescents ou les jeunes adultes. La lecture des titres a permis de conserver 375 articles. Les articles exclus (n = 353) à cette étape étaient principalement des études empiriques ou ne traitaient pas spécifiquement des troubles des conduites alimentaires. Par la suite, la lecture des résumés a permis de conserver 57 articles, lesquels ont été lus afin de s’assurer qu’ils correspondaient aux critères énoncés. Ce processus a permis de retenir 30 articles. À ce nombre s’ajoutent 3 articles identifiés à la suite de la consultation d’organismes de référence dans le domaine (Nervosa Nervosa Medical Association, American Psychiatric Association, National Institute for National Excellence, Cochrane). Lors de la lecture des résumés ou des articles, ceux qui ont été exclus étaient des études empiriques, des articles d’opinions ou encore, ils portaient sur : l’évolution des facteurs de risque associés à l’anorexie, l’activité physique, l’altération des caractéristiques médicales ou physiques de la maladie par exemple la densité osseuse ou les complications métaboliques, les perceptions des parents ou des patients, la qualité de vie. La figure 1 illustre le processus de recherche documentaire.

Figure 1

Processus de recherche documentaire

Processus de recherche documentaire

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Recommandations générales dans le traitement de l’anorexie mentale

Une évolution notable dans le domaine du traitement des troubles des conduites alimentaires est observée depuis les années 709. Alors que l’hospitalisation apparaissait auparavant comme la principale avenue de traitement, le traitement ambulatoire fait de plus en plus office de référence dans le traitement de l’anorexie mentale10, 11. À cet égard, il est possible de dégager certaines recommandations générales dans le traitement de l’anorexie mentale.

Le traitement de l’anorexie mentale demeure un défi, car aucun programme n’a été démontré comme probant et l’efficacité des interventions actuelles n’est pas toujours clairement démontrée5, 12. Cette limite s’explique par la difficulté à recruter des sujets. Compte tenu des caractéristiques mêmes de la maladie (refus de reconnaître la gravité de la maigreur, satisfaction liée à la perte de poids, etc.), plusieurs patients sont réticents à s’engager dans un traitement9, 5, 13. Les recherches portant sur le traitement de l’anorexie mentale comportent donc souvent des échantillons de petites tailles dans lesquelles l’attrition est importante. La portée de leurs résultats est donc limitée9, 5, 13.

Malgré cette limite, la majorité des auteurs conviennent de principes généraux devant guider l’intervention. Le premier objectif de traitement devrait être le retour à un poids santé, car il s’agit d’une condition souvent nécessaire pour que la thérapie donne des effets. Ce poids doit être établi selon l’historique de poids de la personne. Parallèlement à la reprise pondérale, les complications médicales devraient être traitées. Il peut aussi être nécessaire d’informer les personnes sur les principes d’une alimentation appropriée et les impacts médicaux et physiques de la maladie. Le traitement devrait également viser les attitudes alimentaires inappropriées ainsi que les pensées et distorsions cognitives qui y sont associées. La motivation au changement joue également un rôle clé dans le traitement et devrait être évaluée et abordée avec les personnes. Les facteurs de risque du trouble devraient ensuite être abordés par l’intervention. Du soutien à la famille et à l’entourage devrait également être offert. Enfin, la prévention des rechutes devrait être abordée en fin de traitement6, 2, 14, 15, 16.

Selon plusieurs experts dans le domaine, l’accès à des ressources spécialisées dans le traitement des troubles des conduites alimentaires doit être favorisé compte tenu de la complexité de la maladie et du traitement associé. Il appert que les interventions effectuées par un professionnel non spécialisé en trouble des conduites alimentaires seraient beaucoup moins efficaces que celles réalisées par des spécialistes. Considérant la nature multidimensionnelle du trouble, une approche multidisciplinaire devrait être favorisée, car aucun professionnel ne peut répondre à l’ensemble des besoins médicaux, physiques, psychologiques et sociaux des personnes présentant une anorexie mentale15, 11, 12, 16. La communication et l’étroite collaboration entre les différents professionnels s’avèrent toutefois primordiales afin d’assurer le succès des interventions15, 11, 12, 16. Les membres de l’équipe doivent posséder des connaissances spécialisées dans le domaine des troubles des conduites alimentaires, être situés dans le même établissement ou dans des locaux situés à proximité qui sont facilement accessibles pour les personnes et leurs proches. Même si ces professionnels peuvent adopter différentes perspectives, il est impératif qu’ils partagent une approche commune des troubles des conduites alimentaires17. Une multitude de services, allant du suivi ambulatoire à l’hospitalisation, en incluant un programme « d’hôpital de jour », devraient être offerts par l’équipe traitante17. L’alliance thérapeutique revêt également une importance capitale dans le traitement de l’anorexie mentale. Plusieurs études ont démontré une association positive entre l’alliance thérapeutique et le fait de terminer un traitement, la reprise pondérale, la diminution de la symptomatologie dépressive et alimentaire (restrictions et préoccupations alimentaires)18.

Revue des différentes modalités thérapeutiques

La médication

Aucune étude n’a permis de conclure à l’efficacité de la médication dans le traitement de l’anorexie mentale9, 5, 19, 20, 21, 22, 23, 12, 24, 16. Des résultats de recherche indiquent d’ailleurs que les antidépresseurs ne sont pas plus efficaces qu’un placebo20. Par conséquent, la médication devrait être utilisée lors de la présence de comorbidités psychiatriques telles que la dépression ou le trouble obsessif compulsif. Dans le cas des symptômes dépressifs, il est toutefois essentiel de déterminer si les symptômes sont secondaires à l’état de privation alimentaire ou s’ils témoignent de véritables affects dépressifs et persistent donc à la suite d’une reprise pondérale23.

L’hospitalisation

L’hospitalisation était auparavant considérée comme la principale avenue de traitement pour les troubles des conduites alimentaires. Toutefois, de plus en plus d’experts recommandent la prudence par rapport à cette modalité thérapeutique, car les personnes présentant une anorexie mentale présentent généralement des difficultés à affronter les défis de la vie quotidienne et l’hospitalisation leur permettrait d’échapper à ces difficultés10, 11. Plusieurs chercheurs ont démontré que l’hospitalisation n’est pas plus efficace qu’un traitement ambulatoire si ce dernier est administré par une équipe spécialisée en trouble des conduites alimentaires. Le traitement ambulatoire est également beaucoup plus efficient, car il représente le dixième des coûts engendrés par l’hospitalisation25, 11. À cet égard, une étude menée au Canada a permis d’établir que le coût médian en 2013 pour l’hospitalisation d’un adolescent était de 47 304 $ (durée de 37,9 jours)26. Selon le National Institute of Clinical Excellence (NICE), les personnes présentant un trouble des conduites alimentaires devraient d’abord recevoir des soins ambulatoires psychosociaux et médicaux par des spécialistes des troubles des conduites alimentaires27. Le recours à l’hospitalisation devrait se faire uniquement lorsque les personnes présentent certains des critères suivants : complications médicales liées à la maladie (signes vitaux instables, troubles métaboliques), présence d’accès hyperphagiques/purgation incontrôlables, diminution rapide de l’alimentation ou perte rapide de poids, présence de comorbidités psychiatriques qui nécessitent l’hospitalisation ou risque suicidaire élevé, risque d’automutilation élevé, inefficacité du traitement ambulatoire, ressources personnelles ou sociales limitées10, 17, 15, 25, 27, 12. L’objectif de l’hospitalisation devrait être de viser la réalimentation des personnes sous un monitorage médical27 et permettre un encadrement des repas et de leur teneur calorique ainsi qu’une surveillance médicale dans le cas de complications métaboliques. Des interventions psychosociales de nature béhaviorale pourraient également être effectuées afin de modifier les comportements alimentaires inappropriés17, 11, 27.

Le suivi ambulatoire

Le suivi ambulatoire prend régulièrement la forme d’un suivi individuel. Les principaux types de thérapies individuelles utilisés sont la thérapie cognitivo comportementale, les traitements béhavioraux, l’éducation thérapeutique (psychoéducation dans la littérature anglophone), la thérapie interpersonnelle et la thérapie motivationnelle. La thérapie cognitivo comportementale permet de corriger les distorsions cognitives et serait davantage efficace pour le traitement de l’anorexie mentale de type accès hyperphagiques/purgatif. La thérapie béhaviorale s’avère principalement efficace pour la reprise pondérale alors que l’éducation thérapeutique vise à informer les personnes sur les impacts de la maladie. Quant à la thérapie interpersonnelle, elle met l’accent sur les difficultés relationnelles à l’origine de la maladie. Depuis quelques années, la thérapie motivationnelle gagne en popularité. Cette approche aiderait les patientes à être davantage impliquées dans un processus de changement et à désirer ce dernier5, 17, 11.

Actuellement, les résultats des différentes études indiquent qu’aucune forme de thérapie individuelle n’est plus efficace qu’une autre28,29, 30, 11, 31, 12, 16. Néanmoins, un consensus se dégage quant aux objectifs qui devraient être visés par la thérapie individuelle, soit d’améliorer le sentiment d’efficacité personnelle, l’estime de soi, la maîtrise de soi et le développement de nouvelles stratégies adaptatives afin que les symptômes relatifs à l’anorexie mentale ne répondent plus au besoin de pallier les difficultés17, 11.

La thérapie familiale

Depuis quelques années, la thérapie familiale prend de plus en plus d’importance dans le traitement de l’anorexie mentale5, 8, 13. Encore une fois, les études portant sur cette modalité d’intervention comportent d’importantes lacunes méthodologiques telles que les échantillons de petite taille ou encore le taux élevé d’attrition9. Néanmoins, les résultats de ces études sont prometteurs13. Il appert notamment que les effets de la thérapie familiale seraient supérieurs à ceux de thérapie individuelle à long terme (6 à 12 mois) notamment en ce qui a trait au maintien du rétablissement32. Des résultats d’études suggèrent d’ailleurs que l’approche familiale serait plus efficace que l’intervention individuelle pour les enfants ou adolescents demeurant avec leurs parents et présentant une anorexie mentale depuis moins de trois ans14, 17. En ce sens, le NICE27 recommande que des interventions familiales soient mises en place pour la clientèle pédiatrique.

Le modèle d’intervention familiale développé par Christopher Dare et ses collègues à l’hôpital Maudsley de Londres est une référence dans le domaine des troubles des conduites alimentaires. Selon ce modèle, les parents doivent avoir une place centrale dans l’intervention. Ils doivent former une équipe avec les intervenants afin de favoriser la réalimentation, confronter les comportements relatifs à anorexie mentale et gérer la pratique excessive d’exercice physique. Un repas familial en compagnie du thérapeute a lieu en cours de suivi. Ce dernier vise à soutenir les parents dans la réalimentation de leur enfant. Lorsque la personne présentant une anorexie mentale progresse, les parents et les intervenants conviennent de remettre ces responsabilités au patient si cela est approprié compte tenu de son âge. Ce modèle propose également d’apprendre aux parents à distinguer leur enfant de la maladie. De même, la fratrie est impliquée dans l’intervention afin de leur offrir un soutien. En outre, les défis développementaux de l’adolescence sont abordés en famille. En terme de modalités de traitement, l’approche comprend de 10 à 20 rencontres familiales d’une durée approximative d’une heure s’échelonnant sur une période de 6 à 12 mois. L’alliance thérapeutique revêt un rôle essentiel dans cette approche, car elle permet de contribuer à la réponse initiale au traitement et d’éviter l’abandon de la thérapie14, 33, 34, 35. Le modèle de Maudsley est considéré comme efficace par plusieurs spécialistes et possède une bonne acceptabilité dans la communauté scientifique, mais des études sont en cours afin de démontrer son efficacité9.

Conclusion

Cette recension des écrits scientifiques permet de mettre en évidence qu’il est nécessaire que le traitement s’inscrive dans une perspective biopsychosociale et s’appuie sur une approche plurimodale compte tenu de la nature multidimensionnelle de l’anorexie mentale2. L’intervention doit à la fois viser les composantes médicales et psychologiques de la maladie. Par conséquent, une équipe de soins devrait être composée de médecins et d’intervenants psychosociaux (pédopsychiatres, psychologues, psychoéducateurs, etc.) spécialisés en troubles des conduites alimentaires. La présence d’un psychiatre apparaît également essentielle afin d’évaluer la présence de comorbidités psychiatriques. Les services devraient être offerts par des spécialistes afin d’augmenter l’efficacité de l’intervention. La bonne communication au sein de l’équipe de soins s’avère également essentielle15, 11,12. Le traitement ambulatoire doit être priorisé compte tenu de son efficacité et de son efficience. Les thérapies individuelle et familiale devraient être combinées considérant la nature multidimensionnelle de la maladie. Plusieurs formes de thérapies individuelles sont possibles, mais aucune n’est efficace avec toutes les personnes11, 12. Les intervenants psychosociaux devraient donc être en mesure d’avoir recours à ces différentes formes d’intervention selon les besoins spécifiques des personnes et la phase d’évolution de la maladie36. Il apparaît pertinent de s’inspirer de l’approche de Maudsley pour la thérapie familiale puisque cette dernière fait consensus dans la littérature9, 33, 35. En outre, le suivi médical devrait se poursuivre minimalement jusqu’à une reprise pondérale complète. Dans tous les cas, une attention particulière doit être portée au développement de l’alliance thérapeutique.