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Neuf ans après son essai sur le programme d’éthique et culture religieuse et huit ans après l’implantation de celui-ci, Georges Leroux revient, dans sa dernière publication, sur les fondements et les enjeux de l’éducation au pluralisme. S’inscrivant dans la tradition nord-américaine de la philosophie libérale de l’éducation (Nussbaum), il défend avec force la conviction que la diversité, religieuse, morale et politique, constitue une richesse pour nos sociétés démocratiques, mais aussi un défi pour la formation citoyenne des jeunes. Si l’auteur assume bien l’héritage des penseurs du courant anglo-saxon, on regrettera cependant l’absence de références à la riche tradition philosophique française en matière de tolérance et de laïcité (notions chères à l’auteur), réduite parfois à quelques stéréotypes (distinction imprécise entre loi Combes et loi de 1905).

L’ouvrage est organisé en cinq chapitres. Le premier présente les diverses objections formulées à l’encontre du programme d’éthique et culture religieuse par des groupes religieux, laïques et politiques, et explique les contestations sociales et juridiques auxquelles elles ont donné lieu. Leroux connaît très bien les différents acteurs de ces débats, dont il est lui-même un des principaux protagonistes, étant intervenu comme expert lors des deux procès intentés contre le programme d’éthique et culture religieuse. Il livre ici une analyse fine des critiques soulevées et en réfute brillamment les fondements argumentatifs. Le second chapitre constitue un plaidoyer en faveur du pluralisme normatif et axiologique à la base de la réflexion éthique proposée par le programme d’éthique et culture religieuse, qui favorise la reconnaissance de l’autre et relève de l’idéal démocratique que l’éducation doit viser, tout en critiquant le relativisme moral qui pourrait conduire au cynisme.

Dans le troisième chapitre, l’auteur distingue les finalités du dialogue, compétence essentielle du programme. Si, pour le volet éthique, la discussion rationnelle critique et la recherche de l’autonomie de pensée sont encouragées, la culture religieuse demande, quant à elle, respect absolu des convictions étudiées. Or cette sorte d’absolutisation du respect dû aux religions ne va pas sans poser problème : d’une part les religions sont constituées elles-mêmes d’une multiplicité de courants interprétatifs divergents, parfois très critiques entre eux; d’autre part, la pensée critique doit permettre aux élèves, surtout au secondaire, d’interroger des rituels ou des croyances sur leur signification, souvent loin d’être univoque. Dans le quatrième chapitre, Leroux examine les questions relatives au respect de l’identité des jeunes et de leur liberté de conscience, ainsi qu’aux défis de la neutralité de l’enseignant, entre authenticité et rejet de l’endoctrinement. Ce dernier point mériterait cependant plus de nuances, en particulier quand le devoir de réserve des enseignants est associé à une opération de camouflage … Enfin, le dernier chapitre offre une analyse du nouveau paradigme éducatif organisé autour du développement des compétences. Le philosophe Leroux, formé dans la riche tradition humaniste, livre ici un vibrant et courageux plaidoyer en faveur du programme d’éthique et culture religieuse-ECR, souvent méconnu, en faveur de ses vertus démocratiques et de son projet éducatif, plus que jamais nécessaire, de former à la culture et à une liberté réfléchie.