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Ce qui fut jadis Canada-Québec 1534-1968 est devenu au fil de ses nombreuses rééditions Canada-Québec 1534-2015. Près de 50 ans séparent la première de la cinquième et ultime version, aux dires de l’éditeur, de cet ouvrage. Aucune synthèse d’histoire n’a connu un destin aussi prolifique au Québec au cours des cinquante dernières années. Comment expliquer une telle longévité dans un contexte marqué, depuis le début des années 1970, par l’explosion de la production savante en histoire, tout comme la multiplication des manuels d’histoire scolaire? Qu’apporte de nouveau, d’original cette ultime version de Canada-Québec?

Même si Canada-Québec n’a jamais été approuvé par le ministère de l’Éducation, il a fait office de manuel dans les écoles secondaires aussi tard, parfois, que la fin des années 1980. L’ouvrage était aussi populaire auprès du grand public, comme en font foi les centaines de milliers d’exemplaires vendus. Or, s’il a indéniablement marqué le paysage culturel et modelé une grande partie des connaissances historiques de la population québécoise, Canada-Québec a été pratiquement ignoré par les historiens de métier, n’ayant presque jamais fait l’objet de recensions, à deux ou trois exceptions près. Dit autrement, cet ouvrage est passé sous le radar du regard historien, ce qui n’a pas empêché son succès fort enviable.

Le succès de Canada-Québec tient d’abord à la notoriété de ses auteurs. Tandis que la discipline historique se professionnalisait en négligeant la production destinée au grand public, Jacques Lacoursière et Denis Vaugeois, deux personnages publics très connus, et dans une moindre mesure Jean Provencher, ont occupé le terrain délaissé de l’histoire populaire en publiant leur synthèse, mais aussi d’autres ouvrages de vulgarisation. Le lectorat s’est reconnu dans leur histoire du Québec centrée sur le destin de la nation canadienne-française, conquise par les Britanniques en 1760 mais combattive et survivante, et ayant accompli sa révolution tranquille. L’ouvrage lui-même, de facture assez attrayante, est construit de manière chronologique, découpé en de nombreuses parties et sous-parties, ponctué d’une abondance de sous-titres, qu’aère une généreuse iconographie. Enfin et surtout, les auteurs assurent n’avoir rien ménagé pour révéler au grand public « tout ce qu’on ne [lui] a pas dit », « tout ce que ne [lui] dira pas l’histoire propagande », et pour lui proposer « une histoire vraie », comme l’indique encore aujourd’hui la quatrième de couverture. Ainsi, on laisse entendre que la mission de l’ouvrage est de permettre aux Québécois de se réapproprier leur histoire… qu’on leur aurait sciemment dérobée.

Mais comment cette « histoire vraie » a-t-elle traversé le temps? Comment a-t-elle été mise à jour pour tenir compte de l’historiographie depuis 1983, année de production du texte de base de l’ouvrage? Comme pour l’essentiel rien n’a été modifié, ni dans la structure de l’ouvrage, ni dans le corps du texte, il serait injuste de critiquer un contenu élaboré il y a plus de 30 ans à la lumière des travaux récents. Où se trouve alors le travail de « mise à jour » de l’ouvrage annoncé sur la première de couverture de Canada-Québec 1534-2015? En l’ajout d’à peine 15 pages depuis l’édition de 2000 (p. 525-538) qui, elle-même, consistait essentiellement en la reprise du contenu de la version de 1983. Bref, les quelques pages additionnelles de l’édition de 2015 évoquent des évènements politiques survenus depuis 2001, et sont complétées par une série de tableaux « en guise d’épilogue » dont il vaut la peine de donner un aperçu: tableaux sur la croissance de la population du Québec et son poids à l’intérieur du Canada, sur l’âge de la population québécoise, sur les indicateurs de fécondité, sur la population d’Amérindiens et sur le nombre d’immigrants selon les pays d’origine. Que penser de cet amalgame de tableaux? Veut-il suggérer la disparition éventuelle de la nation québécoise?

La « mise à jour » prétendue de Canada-Québec réside en outre dans l’ajout en marge de ce que l’éditeur nomme des « gloses ». Il s’agit en l’occurrence de remarques et de références bibliographiques, principalement de D. Vaugeois, qui nuancent, complètent, commentent le texte de base de la synthèse. Ces ajouts dans les marges sont pour le moins étranges. Parfois, ils contredisent ce qui est écrit dans le texte, parfois ils le nuancent, presque toujours ils dérangent la lecture du fait d’être ainsi juxtaposés plutôt que d’avoir été réellement intégrés dans le corps du livre. Comme la plupart de ces gloses datent de 2000, tout comme le cahier de 32 pages en couleurs, force est de conclure que la mise à jour de la 5e édition de Canada-Québec se résume à bien peu, malgré ce que la page de couverture et la note de l’éditeur prétendent. Quel intérêt alors à se procurer ou à consulter cette édition? Poser la question, c’est y répondre.