Corps de l’article

Introduction

Les explications de la pauvreté, de la croissance et du développement dépendent de divers facteurs macroéconomiques et microéconomiques. Au cours des années récentes, à côté des facteurs traditionnels macroéconomiques, quantité de travail, capital, progrès technique, institutions et ouverture économique, une attention croissante s’est portée sur les facteurs individuels. Les déterminants du développement en particulier trouvent alors un fondement en partie microéconomique où le comportement et les préférences sociales jouent un rôle important, voire capital.

L’économie expérimentale offre des méthodes pour mesurer les préférences individuelles et tester les représentations généralement utilisées par l’analyse économique. La méthode type consiste en des expériences de laboratoire, confrontant des volontaires – en général recrutés parmi les étudiants – à des situations fictives, qui permettent d’observer leurs réactions et leurs choix. Au travers de ces expériences de laboratoire et du formidable développement de l’économie expérimentale, nous disposons aujourd’hui d’une accumulation de connaissances sur les préférences des étudiants. Au regard de cette accumulation de travaux, cet article cherche à faire un tour d’horizon des principaux résultats expérimentaux visant à expliquer les préférences individuelles dans les pays développés ainsi que dans les pays en voie de développement. L’article tente également de savoir quelle est la représentativité de ces études, reposant sur les préférences d’un groupe particulier d’individus. Cette question de la validité externe des résultats expérimentaux est cruciale lors d’études sur des phénomènes concernant la population en général, tels que la pauvreté ou le développement par exemple. Cet article représente la première tentative de comparer les populations vis-à-vis de différentes catégories de préférences, en se basant principalement, sur Heinrich et al. (2010) et Cardenas et Carpenter (2008). Nous trouvons qu’en matière de préférences sociales, les résultats des étudiants sont souvent atypiques comparés aux résultats sur des populations plus générales. Mais, il est nettement plus difficile de conclure à une spécificité des étudiants, ou de toute autre population particulière, pour ce qui concerne les attitudes face au risque ou les préférences temporelles.

L’accumulation de résultats expérimentaux sur les préférences individuelles a été largement critiquée par Henrich et al. (2010). Selon ces auteurs, la richesse des bases de données est restreinte et cela remet en question la validité supposée des résultats expérimentaux. À titre d’exemple, une analyse des grandes revues spécialisées dans 6 sous-disciplines de psychologie de 2003 à 2007 a révélé que 68 % des sujets proviennent des États-Unis, et 96 % des sujets proviennent des sociétés occidentales et industrialisées, c’est-à-dire Amérique du Nord, Europe, Australie et Israël (Arnett, 2008). La construction de ces échantillons reflète largement le pays de résidence des auteurs, puisque 73 % des premiers auteurs provenaient des universités américaines, et 99 % provenaient des universités des pays occidentaux. Cela signifie que 96 % des échantillons recensés par Arnett (2008) proviennent, au mieux, de seulement 12 % de la population du monde. Au-delà de la psychologie, les sujets des expériences en économie expérimentale ne sont pas plus diversifiés.

Henrich et al. (2010) montrent que la majorité des données et des recherches en sciences comportementales est basée sur des échantillons tirés des populations occidentales, formées, industrialisées, riches et démocratiques (en anglais l’acronyme WEIRD–« bizarre »–correspond à Western, Educated, Industrialized, Rich, and Democratic). Ainsi, les travaux en économie comportementale, souvent implicitement, supposent que l’on compte soit peu de variations entre les populations humaines, soit que les sujets classiques issus des populations WEIRD sont représentatifs de toute autre population. En examinant les bases de données comparatives des sciences comportementales, Henrich et al. (2010) affirment qu’il existe une variabilité importante des résultats expérimentaux au niveau des populations : ceux qui font référence aux sujets issus des populations WEIRD sont inhabituels par rapport au reste du monde et représentent des observations aberrantes. Par conséquent, il ne règne a priori aucune raison évidente pour supposer qu’un échantillon d’une seule sous-population puisse être la base d’un comportement particulier universel. La validité externe des expériences de laboratoire, notamment en ce qui concerne les résultats sur les préférences individuelles, serait donc très limitée.

Afin de proposer une approche plus formelle de la question de la validité externe, Brunswik (1956) a introduit la notion de « protocole représentatif » (en anglais Representative Design) en psychologie comprenant deux dimensions. Premièrement, les sujets d’une expérience doivent être représentatifs de la population à laquelle nous souhaitons généraliser les résultats. Deuxièmement, les situations hypothétiques rencontrées par ces sujets doivent également être représentatives de leurs environnements. Selon Hogarth (2005), les économistes ont été moins intéressés à intégrer la deuxième dimension dans leurs expériences. Le non-respect de cette dernière a conduit à des échecs expérimentaux en psychologie, à partir desquels, l’économie pourrait apprendre. Une inférence valide ne peut être atteinte que par un échantillonnage d’une manière représentative basée sur ces deux dimensions.

Dans cet article, nous explorons cette question et nous proposons une synthèse et un point de vue sur la représentativité des résultats expérimentaux en matière de préférences. Pour cela, nous procédons en trois temps. En premier, nous présentons une série d’expériences de laboratoire et de terrain qui visent à expliquer les préférences sociales : la coopération, la confiance et la réciprocité, l’équité et l’altruisme dans les pays développés ainsi que dans les pays en voie de développement. Dans un deuxième temps, nous présentons une autre série d’expériences expliquant les préférences concernant le risque et le temps. La dernière partie présente la notion de la représentativité des résultats expérimentaux au regard de ces éléments.

1. La représentativité des préférences sociales

1.1 Expériences testant la propension à coopérer dans les dilemmes sociaux

Comprendre les sources de la coopération humaine est une question fondamentale dans les sciences sociales. Une connaissance empirique solide de ses déterminants est donc un élément important pour le développement des théories du choix et l’explication de la coopération.

La recherche concernant la coopération des individus s’est historiquement fondée en économie expérimentale sur deux types d’expériences : le dilemme du prisonnier et le jeu du bien public. Chaque jeu représente un dilemme social pour les participants où une des stratégies mène à l’optimum social tandis que la stratégie dominante mène à une situation socialement inefficace. Le dilemme du prisonnier est bien connu. C’est un jeu à deux participants symétriques qui choisissent entre deux stratégies, coopérer et ne pas coopérer, et où la non-coopération est la stratégie dominante. Le jeu du bien public (ou VCM, Voluntary Contribution Mechanism) est un jeu de contribution volontaire à un bien public. Ce jeu permet de mesurer expérimentalement la coopération des joueurs et le comportement prosocial dans un contexte de groupe[1]. Le jeu du bien public présente la tension entre le bien-être collectif et la motivation individuelle. La théorie économique prévoit ici que les individus ne vont pas contribuer volontairement au bien public et se comporteront en passagers clandestins. Pourtant, de nombreuses expériences, par exemple celles de Fehr et al. (2002), Fehr et Fischbacher (2004) et Gächter et Herrmann (2009), trouvent des résultats contradictoires avec cette prédiction. Typiquement, les études expérimentales concluent à une participation au bien public comprise entre 40 % et 60 % de la dotation. Autrement dit, il existe une coopération substantielle entre les individus, émergeant de manière endogène. Les individus ont donc des préférences sociales et pas seulement des préférences centrées sur leur niveau de consommation. De plus, ces résultats montrent également une certaine variabilité dans les comportements observés. Les motivations pour coopérer sont donc hétérogènes et la théorie doit prendre cet état de fait en considération[2].

Cardenas et Carpenter (2008) proposent une méta-analyse des expériences de la littérature visant à expliquer les préférences sociales dans plusieurs pays en voie de développement et dans plusieurs pays développés. Ils trouvent que globalement à peu près un tiers des participants coopère dans le jeu de dilemme du prisonnier et que les participants dans le jeu de bien public contribuent en moyenne à hauteur de la moitié de leur dotation. Nous considérons ici un pays comme « développé » si son indice de développement humain (IDH)[3] est supérieur à 0,9. Le tableau 1 montre les différents niveaux de coopération issus des expériences de jeu de dilemme de prisonnier et de jeu du bien public dans des pays en voie de développement et développés.

Le tableau 1 montre que pour juger de la validité externe du comportement prosocial observé dans le dilemme du prisonnier et dans le jeu du bien public, il est nécessaire de prendre en compte deux types de variabilité dans les résultats de ces expériences : premièrement une variabilité interpays et deuxièmement une variabilité au sein d’un même pays.

Il existe une variabilité remarquable des résultats des expériences entre les différents pays. Nous remarquons que le taux de coopération est élevé chez les participants d’Afrique et Asie du Sud-Est tandis qu’il est modéré chez les étudiants aux États-Unis. Ainsi, il existe apparemment une relation inverse entre les normes de coopération et le niveau de développement. Cependant, cette relation n’est pas parfaite puisque par exemple, le taux de coopération des horticulteurs pauvres au Pérou est assez faible.

Tableau 1

Niveau de coopération dans les pays en voie de développement et les pays développés

Niveau de coopération dans les pays en voie de développement et les pays développés

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Il existe également une variabilité dans les résultats des expériences au sein du même pays. Il semble que les étudiants coopèrent moins que les autres participants. Les résultats montrent que ceci n’est pas dû à l’éducation mais plutôt à l’âge. En se concentrant sur les non-étudiants, List (2004) trouve que l’âge et les préférences sociales sont corrélés. Les individus les plus âgés aux États-Unis sont plus coopératifs que les jeunes puisqu’ils contribuent davantage au bien public. Gächter et al. (2004) trouvent le même résultat pour la Russie. La variabilité des contributions semble également liée à d’autres facteurs. Gächter et Hermann (2011) trouvent une différence de comportement de coopération entre les habitants urbains et ruraux et aussi entre les jeunes et les plus âgés en Russie. Ils constatent que les résidents ruraux et les participants plus âgés sont plus coopératifs que les résidents urbains et les jeunes. Dans ces jeux, les possibilités de punition modifient les résultats de façon remarquable et tendent à orienter également les sujets vers la coopération. Au niveau agrégé, on trouve que les taux moyens de coopération pour les étudiants et les non-étudiants sont respectivement 41,33 % et 50,7 % et ceux pour les populations WEIRD et les non-WEIRD sont respectivement 38,9 % et 50,5 %. Ceci montre que les étudiants et les populations WEIRD coopèrent moins que les autres.

Pour examiner la possibilité de généraliser ces résultats, Herrmann et al. (2008) ont fait des expériences avec des étudiants provenant des différentes populations. Leurs données expérimentales se composent de 1120 participants venant de 15 pays aux caractéristiques socioéconomiques et culturelles diverses : des pays asiatiques (Chine et Corée), des pays arabes (Oman et Arabie saoudite), des pays anglophones (Australie, États-Unis et Royaume-Uni), d’Europe de l’Est (Ukraine, Russie et Biélorussie), d’Europe centrale germanophone (Suisse et Allemagne), des pays scandinaves (Danemark) et d’Europe du Sud-Est (Grèce et Turquie). En plus de trouver des différences de volonté de coopération des sujets au niveau de la population, Hermann et al. (2008) découvrent dans la moitié de ces échantillons, un phénomène de punition antisociale qui n’est pas observé chez les étudiants suisses servant de population de référence. Les individus peuvent punir les passagers clandestins, tout comme les individus prosociaux et extrêmement coopératifs. La sanction antisociale est due au fait que les individus n’acceptent pas la punition et cherchent donc à se venger. Ce comportement affecte négativement le niveau de coopération pour ces populations. Dans la majorité des pays, la possibilité de punition altruiste[4] ne génère pas de niveaux élevés de coopération. Cependant, les sujets d’un certain nombre de pays occidentaux, tels que les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie se comportent comme les étudiants de Zurich où la punition augmente le niveau de coopération. Alors, on peut en conclure que les résultats de l’échantillon de Zurich sont généralisables à d’autres populations WEIRD, mais ils ne peuvent pas être étendus au-delà.

1.2 Expériences testant la confiance et la réciprocité

Dans le jeu de confiance ou trust game, les joueurs sont dotés d’une somme d’argent et organisés par paire. Dans chaque paire, l’un des individus joue le rôle d’ « envoyeur » et l’autre celui de « receveur ». Pour chaque somme reçue, le receveur a la possibilité d’en renvoyer une partie à l’envoyeur[5]. La confiance est illustrée par le fait que l’ « envoyeur » donne le montant qu’il souhaite de sa dotation à un receveur anonyme. Puis, la réciprocité est présentée par la volonté du receveur de renvoyer le montant qu’il souhaite dans la deuxième étape. Le receveur n’a, bien sûr, aucun intérêt à renvoyer une somme d’argent. Par induction à rebours, l’envoyeur, suivant cette logique, ne va rien envoyer. L’unique prédiction d’équilibre de Nash pour ce jeu, avec information parfaite, est d’envoyer zéro. Malgré cette prédiction, Berg et al. (1995) trouvent que les « envoyeurs » envoient environ 50 % de leurs dotations et les « receveurs » renvoient 30 %. Malgré la déviation vers la prosocialité, le fait que l’envoyeur envoie de l’argent au receveur n’est pas un investissement rentable pour l’envoyeur puisqu’il récupère en général 90 % seulement du montant qu’il envoie.

Le graphique 1 se fonde sur le tableau de Cardenas et al. (2008) (présenté en tableau A1 en annexe) et résume les différents résultats des expériences de jeux de confiance faites dans les pays développés et en voie de développement. Nous présentons une méta-analyse de ces résultats expérimentaux. Le graphique 1 montre qu’il existe une relation positive entre le taux moyen d’envoi et celui de retour de dotation, autrement dit entre la confiance et la réciprocité. La relation monotone positive entre le taux moyen d’envoi et celui de retour de dotation est forte pour les étudiants (Spearman ρ = 0,88 et p <0,01) et les sujets issus des populations WEIRD (Spearman ρ = 0,92 et p <0,01). Pourtant, elle est faible voire inexistante pour les non-étudiants (Spearman ρ = 0.18 et n’est pas statistiquement significatif[6]) et les sujets issus des populations qui ne sont pas WEIRD (Spearman ρ = 0,44 et p <0,1). Dans un cas extrême, selon l’expérience Ashraf et al. (2006) avec des étudiants de l’Afrique du Sud, les envoyeurs envoient une fraction faible de leur dotation et les receveurs renvoient significativement moins que ce qu’ils ont reçu. À l’autre extrême, selon Danielson et Holm (2007), les non-étudiants de la Tanzanie envoient plus que la moitié de leurs dotations et renvoient en moyenne 40 %. Les comportements de confiance et de réciprocité sont donc extrêmement hétérogènes en dehors des populations non-WEIRD.

De même, les normes diffèrent d’une communauté à une autre. Par exemple, Greig et Bohnet (2009) montrent que la norme dans les bidonvilles de Nairobi est la réciprocité équilibrée, qui est la disposition à donner quelque chose de valeur équivalente à ce que l’on a reçu. Au contraire, la majorité des données des pays développés suit la norme de la réciprocité conditionnelle, dans le sens où plus on a confiance en une personne, plus elle donne en retour et donc agit d’une manière réciproque. La relation entre les deux parties est considérée comme un partenariat dans lequel les deux joueurs accumulent du profit. Dans le premier cas, il n’y a pas de relation entre la confiance et la réciprocité mais dans le deuxième, ils sont positivement corrélés.

Graphique 1

Illustration des expériences de jeu de confiance par pays et population

Jeu de confiance pour les étudiants

Jeu de confiance pour les étudiants
Source : Fondé sur Cardenas et Carpenter (2008) (tableau A1 de l’annexe)

Jeu de confiance pour les sujets issus des populations WEIRD

Jeu de confiance pour les sujets issus des populations WEIRD
Source : Fondé sur Cardenas et Carpenter (2008) (tableau A1 de l’annexe)

Jeu de confiance pour les non-étudiants

Jeu de confiance pour les non-étudiants
Source : Fondé sur Cardenas et Carpenter (2008) (tableau A1 de l’annexe)

Jeu de confiance pour les sujets issus des populations non-WEIRD

Jeu de confiance pour les sujets issus des populations non-WEIRD
Source : Fondé sur Cardenas et Carpenter (2008) (tableau A1 de l’annexe)

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1.3 Expériences testant l’équité et l’altruisme

Il existe deux façons de penser les normes qui peuvent influencer les interactions entre les individus. Dans le cas le plus simple, les normes d’altruisme dictent comment une personne doit traiter une autre quand la deuxième a peu, voire aucune, possibilité de contrôler le résultat. Ces normes dirigent beaucoup d’actes philanthropiques. Cependant, la situation devient plus compliquée quand la deuxième personne a assez de pouvoir pour se venger des injustices. Afin de différencier les normes qui dictent le comportement dans cette situation, nous utilisons le terme « d’équité ». Les expérimentalistes ont développé deux moyens pour mesurer les normes d’équité et d’altruisme : le jeu de l’ultimatum[7] et le jeu du dictateur[8]. Un résultat connu depuis longtemps est qu’il existe des différences substantielles de comportement entre les pays (Roth, 1991) et que la plupart des individus dévient de l’équilibre parfait en sous-jeux. Ce qui est intéressant d’un point de vue du développement est la variété des normes et les facteurs économiques qui déterminent ces normes. Les tableaux A2 et A3 (en annexe) montrent les différents résultats des expériences des jeux de l’ultimatum et du dictateur. L’allocation moyenne de l’offreur est considérablement supérieure à zéro dans les deux jeux.

Dans Carpenter et al. (2005) et Henrich et al. (2006), les étudiants offrent légèrement plus que 41 % en moyenne de leur dotation dans le jeu de l’ultimatum mais, seulement, 25 % et 32 % dans le jeu du dictateur. Cependant, la différence entre l’offre moyenne du jeu de l’ultimatum et de celui du dictateur dans les pays en voie de développement est bien plus faible. Ceci montre que les étudiants des États-Unis sont plus sensibles aux différences de l’environnement stratégique d’un jeu mais aussi que le comportement d’autres individus est plus influencé par les normes. En particulier, les données de Henrich et al. (2006) montrent notamment la puissance de normes locales. Dans certains cas, les participants rejettent des offres qui sont trop élevées ou bien trop faibles.

Pour étudier l’interaction entre normes et institutions, Henrich et al. (2001) mènent une étude dans 15 sociétés de petite taille. Ils trouvent que la récompense de la coopération et le degré d’intégration dans le marché expliquent 68 % de la variation des offres dans le jeu de l’ultimatum. Les sociétés où le travail en équipe est nécessaire pour la production (les pêcheurs de baleine de Lamalera par exemple) ont des normes de partage importantes tandis que les sociétés composées de petits groupes de familles indépendantes et isolées, comme les Matskigenkas, ne sont pas généreux envers les étrangers et ne s’attendent pas à ce que les étrangers le soient envers eux. Il semble donc que les différences au niveau des communautés expliquent davantage la variabilité de comportement que les différences individuelles. Cela confirme l’idée que les normes sont locales et dépendent des conditions économiques locales.

Le graphique A1 (en annexe), illustre la variabilité des résultats des expériences de jeu de l’ultimatum (JU) et du dictateur (JD). Le comportement des adultes non-étudiants américains occupe l’extrémité de la distribution dans tous les cas. Pour le jeu du dictateur, les États-Unis ont l’offre moyenne la plus élevée suivie par la ville de Sanquianga en Colombie. Les offres des États-Unis correspondent au double de celles des chasseurs-cueilleurs de Hadza en Tanzanie et des horticulteurs de Chimane -Amazonie bolivienne. En ce qui concerne le jeu de l’ultimatum, les États-Unis ont la deuxième offre moyenne la plus élevée après les populations Sursurunga (Papouasie-Nouvelle-Guinée). Le troisième graphique montre la possibilité de punition du jeu de l’ultimatum à travers les offres de maximisation de revenu de chaque population. L’offre de maximisation du revenu est celle qu’un offreur propose s’il connaît la probabilité de rejet pour chaque possibilité d’offre. Les États-Unis et le peuple Sursurunga de Papouasie-Nouvelle-Guinée ont le même niveau d’offre de maximisation des revenus qui, par rapport à la majorité des autres sociétés, est cinq fois plus élevé. Les populations des pays industrialisés occupent souvent l’extrémité de la distribution de comportement humain. Henrich et al. (2010b) constatent que le degré d’intégration du marché par la population peut engendrer des offres plus élevées. De même, la taille de la communauté est positivement corrélée avec un degré de punition plus fort. Henrich et al. (2006) ont observé une tendance à exclure les offres très élevées dans à peu près la moitié des sociétés de petites tailles étudiées. Cette tendance à refuser les « offres hyperéquitables » s’accroît quand les offres augmentent de 60 % à 100 % de dotation. Celle-ci existe aussi bien dans les populations russes (Bahry et Wilson, 2006), chinoises (Hennig-Schmidt et al., 2008) puis, dans une moindre proportion, chez les adultes non-étudiants en Suède, Allemagne (Güth et al. 2003) et les Pays-Bas (Bellemare et al., 2008).

2. Préférences individuelles face au risque et au temps

Dans de nombreuses situations, la prise de décisions économiques optimales dépend des attitudes vis-à-vis du risque ainsi que des préférences temporelles. Dans cette partie, nous présentons une série d’expériences de laboratoire et de terrain mesurant les attitudes vis-à-vis du risque et les préférences temporelles. Comme précédemment, nous comparons les résultats habituellement obtenus sur les sujets WEIRD aux résultats obtenus pour des populations plus générales.

2.1 Les préférences individuelles face au risque

Les préférences face au risque et à l’incertain occupent une position centrale pour comprendre le comportement économique. Par exemple, elles sont essentielles comme déterminant non seulement des comportements d’investissement et d’assurance mais également des choix d’emploi, familiaux et éducatifs. Dans la littérature sur la prise de décision, le concept de risque est généralement identifié aux situations où les probabilités sont données et connues d’une façon objective. Nous retenons ici les études expérimentales renvoyant explicitement à de telles situations de risque.

Plusieurs chercheurs ont mené des expériences dans les pays en voie de développement pour expliquer les situations individuelles par les préférences des agents. La littérature en économie du développement souligne le risque d’une « culture de la pauvreté » : les pauvres dans les pays en voie de développement le restent non seulement du fait de leurs taux d’escompte élevés mais également de leur aversion au risque (Lewis, 1959). Ainsi, les préférences individuelles seraient sources de trappes à développement où il serait impossible pour les individus d’épargner et de prendre le risque nécessaire à l’accumulation du capital. Parmi les mesures expérimentales des préférences face au risque, deux grandes méthodes ont été largement utilisées. La première méthode est celle, bien connue, de Holt et Laury (2002). Dans cette expérience, les participants font une série de choix entre deux loteries, lorsque les probabilités de gain varient. Une des loteries est systématiquement plus risquée que l’autre et la domine en termes d’espérance et de variance de gain. L’ensemble des choix proposés permet de mesurer simplement le coefficient d’une fonction d’utilité du type CRRA. En moyenne, Holt et Laury trouvent que les étudiants ont un coefficient d’aversion relative au risque compris entre 0,68 et 0,97. Ce niveau représente une forte aversion au risque. Parallèlement à cette méthode bien connue, la seconde méthode employée repose sur un simple choix de loterie. Dans cette méthode, les participants doivent choisir une loterie dans une liste permettant un arbitrage en fonction de l’importance du gain espéré. Le choix d’une loterie particulière révèle alors le degré d’aversion au risque. Cette méthode est la méthode traditionnelle en économie du développement. Elle a été proposée initialement par Binswanger (1980) dans le cas de paysans en Inde.

2.1.1 La variabilité des préférences face au risque au sein d’un pays

Plusieurs chercheurs ont étudié les préférences face au risque sur des populations autres que des étudiants. Tanaka et al. (2010) proposent une expérience dans les villages vietnamiens montrant comment sont corrélées les préférences avec les circonstances économiques qui affectent les individus. Les auteurs ont collecté expérimentalement des mesures de préférences puis ont déterminé la relation entre ces mesures et des variables démographiques et économiques (notamment le revenu) issues d’une précédente enquête auprès des ménages. Les résultats montrent que le revenu moyen d’un village est lié à l’aversion au risque de ses habitants : ainsi, les habitants des villages plus riches ont un degré moins élevé d’aversion au risque que les habitants des villages plus pauvres. À un niveau plus individuel, Carlsson et al. (2013) étudient la prise de décision des couples en Chine. Ils constatent que les conjoints ont des préférences individuelles de risque plus semblables, lorsque le ménage est plus riche et que la contribution de la femme au revenu est plus grande. C’est également le cas lorsque les deux conjoints sont membres du parti communiste. Cependant, ces découvertes ne devraient pas dissimuler le fait que les préférences individuelles de risque des conjoints étaient identiques pour seulement 6 % des ménages. De ce fait, il y a un grand degré d’hétérogénéité au sein des ménages. Cette grande hétérogénéité des préférences face au risque rend ainsi difficile leur interprétation en tant que caractéristique globale de tel ou tel pays ou de telle ou telle communauté. Afin d’obtenir des mesures sur des populations autres que les traditionnelles populations étudiantes, Von Gaudecker et al. (2011) analysent les préférences de risque à l’aide d’une expérience avec un échantillon représentatif de la population néerlandaise. Ils modélisent l’hétérogénéité dans toutes les préférences et les paramètres d’erreurs comme une fonction des caractéristiques observées et non observées. Ils trouvent que les préférences face au risque dans la population sont très hétérogènes, et seulement une petite partie de cette hétérogénéité peut être capturée avec les variables standards telles que l’âge, le genre, l’éducation, le revenu et la richesse. En outre, la courbure de la fonction d’utilité s’avère être le principal déterminant des choix individuels dans le contexte du risque.

Par ailleurs, il est possible que le modèle de décision, de type utilité espérée, supposé dans les mesures les plus populaires de l’aversion au risque, ne soit pas adapté. Ainsi, De Brauw et Eozenou (2014) étudient les préférences face au risque des agriculteurs en Mozambique à l’aide d’une expérience de terrain. Ils rejettent l’hypothèse que les préférences des agriculteurs suivent une fonction d’utilité CRRA et ils trouvent que les trois quarts des agriculteurs de l’échantillon ont des préférences face au risque suivant le modèle d’utilité dépendante au rang. Un tel résultat, avec des proportions très proches, a également été trouvé sur des populations d’étudiants chinois ou suisses (Bruhin et al., 2010). Ce résultat semble donc relativement stable entre les différentes populations.

2.1.2 La variabilité des préférences face au risque entre différents pays

Vieider et al. (2015) présentent des données collectées dans des expériences contrôlées avec 2939 étudiants dans 30 pays mesurant les attitudes envers le risque et l’incertitude par des mesures incitatives aussi bien que par enquête. Ils trouvent que les données de l’enquête visant à mesurer les attitudes face au risque sont corrélées avec les décisions lorsque de l’argent réel est en jeu. Les données d’enquête et les mesures incitatives sont également corrélées au sein de la plupart des 30 pays et entre ces pays. Les résultats montrent également une forte relation entre la tolérance au risque et le PIB par habitant. De même, les attitudes face à l’incertitude sont liées dans la plupart des contextes et des domaines.

Dans la même veine, Rieger et al. (2014) présentent des résultats d’une enquête internationale à grande échelle sur les préférences vis-à-vis du risque conduite dans 53 pays. Conformément à la Prospect Theory de Kahneman et Tversky (1979), ils trouvent dans tous les pays, en moyenne, une attitude d’aversion relative au risque dans les gains et une recherche du risque dans les pertes, le degré d’aversion au risque varie significativement entre pays. De plus, les attitudes face au risque dans leur échantillon dépendent non seulement de conditions économiques, mais aussi de facteurs culturels. Il semble que la culture de l’individualisme et de l’incertitude favorise la prise de risque.

L’Haridon et Vieider (2016) analysent l’hétérogénéité dans les préférences face au risque à travers plusieurs dimensions : entre les individus, entre les contextes de décisions et entre pays. Les préférences dans les pays non occidentaux différent systématiquement de ceux dans les pays occidentaux, considérées universelles. De même, les caractéristiques individuelles expliquent peu l’hétérogénéité des préférences. Les facteurs macroéconomiques peuvent expliquer la plupart de l’hétérogénéité.

2.2 Les préférences individuelles face au temps

Eckel et al. (2005) utilisent des données d’enquêtes et des données expérimentales d’un échantillon de travailleurs canadiens ayant de faibles revenus afin d’étudier les attitudes face au risque et au temps. Les auteurs trouvent que les individus ayant une forte aversion au risque ont une préférence plus marquée pour le présent. Le principal facteur pour appréhender le comportement des travailleurs à faibles revenus est leur contrainte monétaire actuelle. Les auteurs trouvent que les décisions expérimentales prises pour un horizon de court terme permettent de prédire les arbitrages réalisés par les participants entre le présent et des décisions de long terme. En particulier les préférences des travailleurs à faible revenu semblent caractérisées par des taux d’escompte extrêmement élevés.

Dans les villages vietnamiens, Tanaka et al. (2010) trouvent que le revenu moyen d’un village est corrélé non seulement à une aversion au risque modérée, mais également à un taux d’escompte faible. Autrement dit, les habitants de villages les plus riches sont plus patients. De même, le revenu du ménage est corrélé à la patience, mais pas à la préférence face au risque. Ces résultats sont cohérents avec ceux obtenus de longue date par Binswanger (1980, 1981). Par ailleurs, les préférences face au risque et au temps peuvent affecter le succès des programmes du microcrédit. Bauer et al. (2012) proposent une série d’expériences ayant pour but de mesurer le taux d’escompte et l’aversion au risque pour 573 villageois en Karnataka au sud de l’Inde. Leurs résultats montrent qu’il existe, pour les femmes, une corrélation positive robuste entre la préférence pour le présent et la demande des prêts auprès d’une institution de microcrédit.

Tableau 2

Un tour d’horizon des études des préférences face au risque et au temps

Un tour d’horizon des études des préférences face au risque et au temps

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3. Discussion

Les chercheurs font souvent face à un dilemme de validité externe de leurs résultats concernant la mesure des préférences des individus. Faire une expérience avec des milliers de sujets est difficile à mettre en oeuvre étant donné les coûts administratifs et financiers que cela représente. À l’opposé, les données des enquêtes ou des expériences faites avec des centaines de sujets ne sont pas toujours fiables puisque l’échantillon est relativement petit et doté d’une puissance statistique faible. La preuve de la fiabilité des mesures expérimentales est une question non résolue. Il existe d’ailleurs un débat considérable sur l’exactitude des questions hypothétiques et les circonstances dans lesquelles elles sont susceptibles de bien fonctionner (Camerer et Hogarth, 1999; Manski, 2004).

D’après Siedler et Sonnenberg (2010), la sélection de l’échantillon représente également une limite majeure de la plupart des expériences puisqu’elles sont basées sur des échantillons d’étudiants, qui s’auto-sélectionnent dans l’étude et qui ne sont donc pas représentatifs de la population adulte. En réalité, en raison de l’autosélection, les études expérimentales basées sur des étudiants pourraient même ne pas être représentatives de l’ensemble de la population étudiante. Les auteurs discutent des avantages de combiner les méthodes expérimentales avec des bases de données représentatives afin de surmonter cette limite des expériences en laboratoire. En premier lieu, les enquêtes représentatives peuvent servir de données de référence pour les chercheurs qui collectent leurs propres données afin d’évaluer le potentiel biais de sélection de l’échantillon. Cela permettra donc de savoir dans quelle mesure les études expérimentales basées sur des échantillons d’étudiants peuvent être généralisées. En second lieu, les travaux de recherche mesurant à la fois les préférences révélées et les préférences déclarées permettent aux chercheurs de valider leurs mesures. Par exemple, Fehr et al. (2002), Ermisch et al. (2009), et Naef et Schupp (2009) trouvent que les réponses aux questions relatives aux attitudes concernant la confiance envers les étrangers prédisent le comportement réel de confiance dans l’expérience. Les études d’Eckel et Grossman (2000) et Roe et al. (2009) montrent l’importance de l’autosélection dans les études expérimentales. Leurs études suggèrent que les résultats des expériences de laboratoire pourraient ne pas être généralisés à l’ensemble de la population.

L’étude de Dohmen et al. (2011) représente un autre exemple démontrant les avantages de combiner des méthodes expérimentales incitatives avec les données d’une enquête représentative. L’objectif est de valider les mesures de risques issues d’une enquête du panel socioéconomique (SOEP) de 2004, basée sur un échantillon représentatif de 22 000 individus de la population adulte allemande à l’aide des données d’une expérience de terrain. Les auteurs trouvent que les mesures de l’enquête SOEP ayant pour but de tester le comportement de prise de risque individuelle sont pertinentes et constituent une bonne mesure de prédiction du comportement vis-à-vis du risque dans l’expérience. Pour Dohmen et al. (2006), il est ainsi possible de valider les mesures issues des enquêtes lors d’une expérience de laboratoire avec des étudiants, ce qui est relativement plus facile à réaliser et moins coûteux. Ceci ne résout pas pour autant la question de la validité externe. En effet, la validation est « valide » uniquement pour un sous-groupe de la population totale. Par ailleurs, les résultats de Dohmen et al. (2011) ne permettent pas de conclure à la validité externe des mesures de risque en dehors d’un pays développé tel que l’Allemagne. Andersen et al. (2008) ont également essayé de résoudre le problème de validité externe des mesures de préférence face au risque en constituant un échantillon représentatif de la population danoise âgée entre 19 et 75 ans. Andersen et al. (2008) appliquent ainsi les mesures habituelles des expériences en laboratoire, du type Holt et Laury (2002), avec des expérimentations de terrain et trouvent des résultats similaires pour un individu représentatif.

Exadaktylos et al. (2013) démontrent plutôt le contraire. Leurs résultats suggèrent que les étudiants autosélectionnés constituent un échantillon approprié pour l’étude du comportement social. Ils utilisent les données d’une enquête expérimentale basée sur un échantillon de 5 765 individus représentatifs de la population de la ville de Grenade. Les données comprennent des étudiants et des non-étudiants ainsi que des bénévoles et des non-bénévoles. Ils examinent séparément les effets de statut étudiant et bénévole sur le comportement, qui permet de comparer ceteris paribus entre les étudiants qui s’autosélectionnent (étudiants*bénévoles) et la population représentative. L’échantillon d’étudiants autosélectionnés produit des résultats qualitativement et quantitativement précis.

Les expériences de laboratoire sont souvent basées sur des échantillons très homogènes (généralement des étudiants qui étudient le même sujet à la même université) et fréquemment des informations potentiellement importantes, sur les caractéristiques socioéconomiques des sujets, sont manquantes, ou manquent de diversité. Une autre limite des expériences de laboratoire est le manque d’anonymat. Dans la plupart des expériences de laboratoire, les étudiants jouent les uns contre les autres et savent que l’autre joueur est un étudiant. Par conséquent, le degré de l’anonymat est plutôt faible. Le degré d’homogénéité et d’anonymat pourraient influencer les préférences sociales révélées (Sapienza et al., 2007). Afin d’atteindre une meilleure diversité d’échantillon et mener des expériences sociales interculturelles, les expérimentalistes, en sciences économiques, trouvent qu’Internet est un outil très pratique dans cette mise en oeuvre. Hergueux et Jacquemet (2014) mènent une expérience en ligne et dans le laboratoire visant à renforcer la validité interne des décisions générées sur Internet. Ils trouvent d’ailleurs un fort parallélisme des préférences révélées dans les deux expériences. Ces résultats sont importants pour les chercheurs qui souhaitent mener leurs expériences sur Internet.

La question de la validité externe et de la généralisation des résultats reste une question ouverte et seule l’accumulation d’expérience de terrain permettra d’avoir une vue claire des méthodes et des protocoles gardant un sens au-delà du laboratoire d’expérimentation de telle ou telle université.

Conclusion

Pour conclure, nous avons vu qu’il existait des différences incontestables entre les étudiants et les adultes non-étudiants dans le domaine de l’économie comportementale. En comparant les étudiants avec des échantillons représentatifs d’adultes, nous avons remarqué que les étudiants constituent en quelque sorte une limite inférieure de la prosocialité dans les mesures expérimentales de confiance, d’équité ou de coopération.

Dans les expériences testant la propension à coopérer, il existe deux types de variabilité dans les résultats : une variabilité entre les pays et à l’intérieur du pays. Il existe apparemment une relation inverse non parfaite entre les normes de coopération et le niveau de développement d’un pays. En outre, les facteurs sociodémographiques (par exemple : âge, urbanisation, statut étudiant) déterminent le comportement de coopération au sein d’un même pays. Donc, les étudiants se comportent différemment des autres participants et les résultats expérimentaux basés sur un échantillon d’étudiants ne sont pas souvent généralisables. De même, pour les étudiants et les sujets issus des populations WEIRD, la relation entre confiance et réciprocité est positive et forte, pourtant elle est inexistante pour les adultes non-étudiants et les sujets issus des populations non-WEIRD. En outre, les expériences mesurant l’équité et l’altruisme confirment que les étudiants sont un échantillon spécial. La différence entre l’offre moyenne du jeu de l’ultimatum et de celui du dictateur dans les pays en voie de développement est bien plus faible que celle des étudiants. Ceci montre que les étudiants des États-Unis sont plus sensibles aux différences de l’environnement stratégique d’un jeu, mais aussi que le comportement d’autres individus est plus influencé par les normes.

On constate que les résultats des étudiants sont souvent atypiques en regard des résultats sur des populations plus générales. Par ailleurs, nous avons vu que les étudiants avaient également un comportement beaucoup plus homogène dans ces jeux que les participants en population générale. La généralisation des résultats issus des études expérimentales est donc sensible, non seulement car les comportements sont potentiellement différents, mais également plus diversifiés en population générale.

La comparaison des mesures des attitudes vis-à-vis du risque et du temps entre les populations d’étudiants et les autres populations est plus délicate puisqu’il y a des différences de méthodologie, de protocole et de contexte entre les travaux. D’une part, les attitudes sont très hétérogènes, même au sein d’une population supposée homogène, comme celle des étudiants. D’autre part, et contrairement aux situations de jeu, les mesures réalisées des attitudes vis-à-vis du risque ou de l’impatience reposent souvent sur des méthodes très différentes les unes des autres. En plus de l’hétérogénéité individuelle et de l’hétérogénéité des populations d’origine, ces différences de méthodes de mesure créent un troisième type d’hétérogénéité, méthodologique, rendant difficile toute comparaison. Dans ce domaine également, notre analyse montre qu’une forte hétérogénéité est la règle, et de ce fait, il est nettement plus difficile de conclure à une spécificité des étudiants ou de toute autre population particulière pour ce qui concerne les attitudes face au risque ou les préférences temporelles.