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Cet ouvrage, dirigé par Pierre Beaudet et Paul Haslam, traite de la question du développement dans une perspective globale. Il a comme toile de fond les objectifs du Millénaire pour le développement, proposés par l’Organisation des Nations Unies (Onu) en l’année 2000, qui se sont avérés impossibles à atteindre. À cette fin, les directeurs ont réuni en trois sections et 23 chapitres des analyses portant sur les défis associés à l’atteinte d’un développement mondial équilibré, dont le point de départ est la lutte contre la pauvreté dans les sociétés du Tiers-Monde.

Beaudet présente le thème central dans l’introduction. Suit un premier chapitre théorique sur les interprétations du développement, présenté par Haslam. Le deuxième chapitre, présenté par les deux directeurs de la publication, met en évidence la relation « État/développement ». Les réflexions générales sont apportées en conclusion par Immanuel Wallerstein. Les autres chapitres sont développés par 28 auteurs différents ; soit individuellement, soit en collaboration. Beaudet présente le cadre général des réflexions sur le développement en notant que ceci est un « seul monde », mais structuré par de grandes polarisations et fractures sur les plans économique, social, politique, culturel et environnemental. Il souligne aussi que les multiples causes de cette évolution constituent l’objet de cet ouvrage. Wallerstein souligne pour sa part les préoccupations associées au développement dans le contexte postcrise internationale de 2008 et à une hégémonie qui n’a pas la capacité d’imposer un certain ordre en raison de la détérioration de son pouvoir global.

Chacune des trois sections – « Les grands enjeux », « Les acteurs », « Les champs d’actions » – traite de thèmes spécifiques, leurs interprétations et différentes approches y étant associées. Le thème principal de la première section se développe autour des débats sur le rôle de l’État comme acteur central dans la conception de différents modèles de développement, l’impact de la mondialisation (économique et social) et ses acteurs.

Fait intéressant au deuxième chapitre : après avoir fait une analyse historique de l’évolution de l’État moderne, les auteurs – Beaudet et Haslam – nous font part de deux inquiétudes : dans le monde d’aujourd’hui, les formes d’État sont diverses ; et nulle part jusqu’à présent la relation État/développement n’a été résolue de façon positive. Pour des raisons liées aux carences des pays du Tiers-Monde, l’État ne parvient pas à devenir un agent de développement. Les directeurs de ce chapitre arrivent à la conclusion que la bonne gouvernance ne signifie pas la même chose dans le Nord que dans le Sud, et idem pour l’Est et l’Ouest.

La deuxième section traite des grands acteurs qui sont aujourd’hui au coeur du développement international, par exemple l’Onu, les agences multilatérales pour le développement, les institutions financières internationales, le secteur privé, les mouvements sociaux et les organisations non gouvernementales (ong) du Sud.

La troisième section, qui occupe la moitié du livre, se penche sur des questions telles que la dette, la lutte contre la pauvreté, les problèmes de la santé, les États fragiles, le financement du développement ; et cela en rapport avec des thèmes comme les droits humains, la démocratie, l´économie sociale, l’intervention humanitaire, les pays émergents et le rôle de la science et de la technologie dans la problématique du développement.

La contribution de Wallerstein, en conclusion, ajoute un intérêt supplémentaire à l’ouvrage. Dans son texte, celui-ci reprend le concept de crise pour analyser la scène politique internationale après 2008, reliant les deux cycles de développement du système mondial moderne : le cycle hégémonique et le cycle économique. L’auteur note que le développement capitaliste a besoin d’un pouvoir hégémonique qui puisse imposer un certain degré d’ordre dans la vie interétatique. Au contraire, la détérioration récente du pouvoir hégémonique global et la présence d’un cycle économique de stagnation ont conduit vers la crise. Pour s’en sortir, il faut penser à la lutte contre les trois inégalités fondamentales présentes à l’échelle mondiale, c’est-à-dire les inégalités de genre, de classe et de race, et celles associées à l’ethnicité, à la religion et l’orientation sexuelle. Mais Wallerstein est optimiste ; de fait, il signale que nous avons au mieux 50 % de chances de créer un système-monde meilleur que celui dans lequel nous vivons aujourd’hui, ce qui est déjà beaucoup, selon lui.

Comme l’exprime Haslam, les idées sont toujours marquées par le contexte historique et politico-économique dans lequel elles évoluent, et elles ont ce qu’on peut appeler une base matérielle. L’État est un acteur central dans les défis du développement. À partir de cette conviction, l’ouvrage fait valoir que la relation entre l´État et le problème du développement reste encore une question ouverte. Son mérite est d’avoir essayé de concentrer dans un seul texte les trois axes qui déterminent les questions et les programmes dans la relation entre l’État et le développement, c’est-à-dire les grands enjeux, les acteurs et les champs d’action. Mais une lecture plus attentive des textes aurait pu éviter quelques manquements dans certains chapitres. On trouve en effet des erreurs de dates (dans le chapitre 5, on parle du 20e siècle au lieu du 21e siècle) et d’autres inexactitudes concernant l’utilisation de concepts particuliers. On y lit par exemple que l’objectif d’un nouvel ordre économique international a été approuvé par l’Assemblée générale de l’Onu à partir d’un projet élaboré à Alger par un groupe des pays du Tiers-Monde en 1974, alors que dès la naissance de l’unctad (United Nations Conference on Trade and Development) en 1964, les pays d’Amérique latine avaient soulevé la nécessité de résoudre le problème du développement et de la coopération Nord-Sud compte tenu des relations économiques internationales. De manière similaire, la description de certaines approches théoriques dans le premier chapitre oublie la contribution de la pensée structuraliste latino-américaine, qui avait soulevé depuis la fin des années 1940 le problème du développement et ses relations avec l’industrialisation et la modernisation, donnant lieu à une ligne épistémique de réflexion sur le développement, connue sous le nom le « structuralisme ». Cependant, ce livre constitue une bonne introduction, traitant de tous les acteurs et les dynamiques qui sont aujourd’hui des éléments clés pour comprendre les problèmes et les défis du développement.