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Un ouvrage de Gregory Baum : a priori, cela a de quoi exciter ! Un ouvrage de G. Baum qui brosse un portrait de la théologie catholique au Québec depuis la Révolution tranquille : cela soulève bien des attentes, car le professeur Baum est un acteur important sur cette scène depuis longtemps. Sa formation, les lieux où il pratiqua la théologie, ses options théologiques lui offrent des atouts pour proposer une interprétation personnelle de ce parcours théologique québécois. Le titre de l’ouvrage Truth and Relevance titille l’imagination théorique. Il pourrait y avoir du vrai qui ne serait pas pertinent. Il pourrait y avoir exclusion mutuelle du vrai et de la pertinence. La vérité de la pertinence et la pertinence de la vérité pourraient être mises en question. Traduire « relevance » par « pertinence » est déjà un choix, mais la traduction offre deux autres possibilités, « intérêt » et « justesse », qu’il pourrait être intéressant de ne pas taire trop rapidement afin de saisir les nuances du propos offert à la lecture…

Dès l’introduction, pourtant, une question hante le lecteur : quel est le genre littéraire adopté ici ? Est-ce un livre d’histoire ? La théologie catholique au Québec, depuis la Révolution tranquille, aurait subi et se serait engagée dans des déplacements méthodologiques, institutionnels, épistémologiques à cause d’un contexte sociologique et historique en mouvement qui seront exposés et analysés dans l’ouvrage. Divers faits et événements sont évoqués : Vatican II, la transformation des formes et du rapport à la pratique dominicale ainsi que les transformations institutionnelles des lieux de la pratique de la théologie, le « catholicisme culturel », la Révolution tranquille… En ce sens, l’histoire de la théologie catholique au Québec francophone est inscrite dans un milieu qui l’affecte.

Est-ce bien le cas ? Car, à l’orée de l’introduction, explicitement, Gregory Baum annonce que le livre sera composé de portraits de théologiens et de théologiennes qu’il a connus et que ces portraits seront peints à partir de ses souvenirs, de ses lectures, de son propre prisme théologique qui diffère explicitement de celui de bien de ses modèles. Ainsi, ce n’est plus tout à fait d’une histoire comme reconstruction et analyse méthodique du passé dont il s’agit, mais d’une relation plus personnelle, fruit d’interactions situées. Les éléments sociologiques et historiques mobilisés au début des chapitres ne viennent, en fait, que cadrer les présentations. Le livre serait donc à apprécier comme des « confessions ». D’ailleurs la conclusion de l’ouvrage introduit explicitement l’idée de « confession » (p. 19), réservant quelques surprises qu’on peut considérer comme autant de clés pour parcourir à rebours – à nouveau – le livre avec un autre oeil.

Je note cette instabilité quant au genre littéraire du livre afin de prévenir le lecteur : si vous vous attendez à une approche historique systématique, vous serez déçu car plusieurs présupposés sont « datés » et ne tiennent pas toujours compte des travaux récents sur la Révolution tranquille ! Par ailleurs, si vous vous attendez à une série de portraits fidèles aux personnes mentionnées, vous risquez quelques irritations, car on trouve parfois des raccourcis déformants afin de faire entrer les gens dans les cadres de la thèse. Par exemple, le portrait d’Anne Fortin me semble témoigner d’une mécompréhension du parcours, des choix et des enjeux de l’écriture de cette théologienne. Les pages sur Risquer l’avenir (p. 156-162) offrent un bel exemple d’une interprétation et de la réception critique d’une production théologique et pastorale qui pourrait surprendre quelqu’un de ma génération.

Cela dit, les chapitres 2 à 4 sont tout à fait intéressants. Je passe le chapitre sur Vatican II pour insister sur les « introductions » à Fernand Dumont et Jacques Grand’Maison qu’il faut savourer. Il est intéressant de voir la place éminente et significative que leur réserve Baum. Le choix n’est pas innocent : ce sont deux sociologues et théologiens qui ouvrent le bal, ouvrent les esprits, rendent pensables les déplacements. Dumont sert de fil rouge à tout l’ouvrage. Dumont et son rapport de 1970 hantent l’ouvrage jusqu’à sa conclusion. Je me réjouis de cet hommage. On pourrait pousser encore plus loin et souligner des options théologiques peu mises de l’avant par Baum. On pourrait aussi, pourtant, mettre en question ce statut de grille heuristique qui lui est donné : le rapport Dumont importe, certes, pour les années 1960 et 1970, mais demeure-t-il structurant pour les décennies suivantes ? Quoi qu’il en soit, un enjeu traverse ces chapitres : l’attention portée tant sur les idées théologiques que sur les propositions pastorales. Leur rapport y est défini à l’aune d’options sociologiques et par une prise en compte particulière de l’aspect social de la mission du Christ et de l’Église. Après les temps de la théologie déductive des manuels et du discours autoritaire de l’Église, l’entrée de la société francophone du Québec dans la modernité (sécularisation, pluralisme) passe par un intérêt proprement théologique pour la situation pastorale, pour une parole théologienne qui s’y enracine et y trouve un écho. L’aspect « pertinence » prend ainsi le devant de la scène. Le contraste entre l’avant et l’après « Révolution tranquille » est trop brutal cependant : le Québec francophone avait déjà produit des analyses théologiques rivées sur les changements socio-économiques et ecclésiaux !

Les chapitres suivants proposent des arrêts sur images sur de grands thèmes : Jésus et l’Église, la justice, la foi, les rapports hommes/femmes, le magistère et le pluralisme. En arrière-fond à ces thématiques, Gregory Baum peint un rapport à Dieu et à la rédemption dans l’histoire (p. 42 et 209). À l’occasion de l’examen de ces thèmes, sans que l’ordre chronologique soit structurant, des figures de théologiens et de théologiennes illustrent les nouveaux accents, la diversité des méthodes mises en oeuvre et l’attention aux nouvelles problématiques. Une étrange absente : l’éthique.

Les théologiens et théologiennes en herbe trouveront dans ces chapitres une foule de personnages aux prises avec des questionnements, des personnes qui ont osé signaler des impasses, des auteures qui ont ouvert des brèches et soupiré après des libérations. Pour cette jeune génération, ces personnes sont souvent des « noms », des « références ». Elles sont ici présentées aux prises avec ce qui fut leur présent… Pour les contemporains, pour les compagnes et compagnons de travail de ces figures, l’ouvrage de Baum sera – je le souhaite – l’occasion d’une autre relecture de cette période. Le faisceau de ces relectures engendrera une meilleure réception des gestes théologiques et incitera à poursuivre l’exploration théologique inventive.