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Il y a aujourd’hui plus d’enfants des Premières Nations placés en famille d’accueil qu’il y a jamais eu d’élèves autochtones fréquentant les pensionnats. Il est de plus en plus évident que ce problème est causé par les structures de financement inéquitables et déficientes du gouvernement fédéral pour les services d’aide à l’enfance. En 2007, la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada (la Société de soutien) et l’Assemblée des Premières Nations (APN) ont déposé une plainte qui mettait de l’avant deux allégations de discrimination. La première allégation portait sur les conflits de compétence entre les gouvernements fédéral et provinciaux, qui font en sorte que les enfants des Premières Nations sont souvent laissés en attente de services dont ils ont désespérément besoin ou se voient même refuser des services qui sont offerts aux autres enfants. La deuxième allégation de discrimination concernait le traitement défavorable de 163 000 enfants des Premières Nations dans le cadre du système de protection de l’enfance offert sur les réserves. Dans les deux cas, il était allégué que ces traitements constituaient des actes discriminatoires prohibés par la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP). Au cours des six années suivantes, le gouvernement canadien a dépensé des millions de dollars dans une multitude de tentatives infructueuses pour faire avorter les audiences préliminaires. L’audience a néanmoins commencé en février 2013 devant le Tribunal des droits de la personne (TCDP). Pour la première fois dans l’histoire du Canada, la responsabilité du gouvernement fédéral quant à des allégations de discrimination envers les enfants des Premières Nations a été évaluée par un organisme pouvant rendre des décisions judiciairement contraignantes et des ordonnances réparatrices. Au cours de l’année suivante, le Tribunal a entendu plus de 25 témoins et a examiné plus de 500 documents mis en preuve. Les documents internes fédéraux déposés ont révélé une discrimination constante et systématique envers les enfants des Premières Nations ainsi que l’échec du gouvernement fédéral à résoudre le problème même si les solutions étaient connues. Alors même que le procès se déroulait devant le Tribunal, plusieurs auteurs de doctrine et membres des Premières Nations établissaient un parallèle entre la réaction du gouvernement fédéral dans ce dossier et d’autres cas de discrimination quant à l’accès à des services tels que l’éducation, la police, la santé et le logement dans les communautés autochtones. Cet article est écrit du point de vue des trois auteures, qui étaient étroitement impliquées dans la cause, deux à titre d’avocates et l’autre à titre de témoin et plaignante. Il offre d’abord une vue d’ensemble des principales questions juridiques soulevées par ce dossier avant d’analyser la preuve documentaire et testimoniale. La nécessité de redresser la situation dans d’autres sphères de services gouvernementaux pour les Premières Nations sera aussi abordée.

Le rôle du TCDP

La LCDP est une loi fédérale qui interdit aux employeurs, associations professionnelles et autres fournisseurs de services de refuser d’offrir un service ou d’offrir un traitement différent en raison de la race, de l’origine nationale ou ethnique, de la couleur, de la religion, de l’âge, du sexe, de l’orientation sexuelle, de l’état matrimonial, de la situation de famille, de l’état de personne graciée ou de la déficience (LCDP, 1985 : article 3(1)). Comme pour la plupart des lois provinciales en matière de droits de la personne, l’objectif de la LCDP est d’éliminer la discrimination dans la société (LCDP, 1985 : article 2 ; Code des droits de la personne, 1990 : préambule; et Code des droits de la personne, 2013 : préambule). Bien que divers mécanismes, incluant des ordonnances quasi criminelles, aient été considérés par le Parlement avant l’adoption de la LCDP, le régime qui a été ultimement choisi et qui est aujourd’hui applicable repose sur la volonté de l’individu ou du groupe d’individus de déposer une plainte devant la Commission canadienne des droits de la personne (Commission ou CCDP) lorsqu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’une personne a commis un acte discriminatoire (LCDP, 1985 : article 40(1) ; Tarnopolsky, 1982 : 27). Par conséquent, la réalisation des objectifs législatifs de la LCDP dépend de la volonté des plaignants d’aller de l’avant et de dénoncer les actes discriminatoires contraires aux droits de la personne. C’est probablement pour cette raison que la Cour suprême décrit le système des droits de la personne créé par le TCDP comme étant le « dernier recours de la personne désavantagée et de la personne privée dans ses droits de représentation » (Zurich Insurance Co. c. Ontario, 1992).

Lorsqu’elle reçoit une plainte, la Commission examine celle-ci et décide s’il y a lieu de la confier au Tribunal. Si, après avoir tenu une audience, le Tribunal juge la plainte comme étant fondée, il peut émettre toute ordonnance visant à faire cesser l’acte discriminatoire. Ceci inclut la mise en place de programmes ou de mesures de redressement destinés à prévenir tout désavantage auquel doivent faire face ceux qui sont victimes de discrimination (LCDP, 1985 : articles 16(1) et 53(1)). Le Tribunal peut par ailleurs ordonner à l’intimé de fournir une compensation à l’individu victime de discrimination en lui accordant les droits, les chances et les occasions dont l’acte discriminatoire l’a privé (LCDP, 1985 : article 53(1)). L’objectif de tels recours est de dédommager entièrement la victime de discrimination (Tranchemontagne c. Ontario, 2006 : 33).

Compte tenu de l’objectif de la LCDP d’éradiquer la discrimination dans la société canadienne, le TCDP peut aussi émettre des ordonnances afin de prévenir toute forme future de discrimination contre le plaignant ou le groupe qu’il représente. Lorsqu’il est question de discrimination systémique, le TCDP peut émettre des ordonnances connues sous le nom de « réparations d’intérêt public ». Celles-ci incluent des réparations telles que la formation de personnel, des campagnes publicitaires éducatives, et des consultations avec le TCDP et des membres de groupes victimes de discrimination ainsi que d’autres mesures proactives visant à prévenir les actes discriminatoires (Hughes c. Éléction Canada, 2010).

Les parties

En 2007, la Société de soutien et l’APN ont déposé une plainte à la Commission, alléguant que les conflits de compétence entre les gouvernements fédéral et provinciaux qui font en sorte que les enfants des Premières Nations sont souvent laissés en attente de services dont ils ont désespérément besoin ou se voient même refuser des services qui sont offerts aux autres enfants, ainsi que le traitement défavorable de 163 000 enfants des Premières Nations dans le cadre du système de protection de l’enfance offert sur les réserves, étaient des actes discriminatoires. Cette plainte a été déposée à la Commission fédérale, car les plaignants étaient d’avis que ce palier de gouvernement était responsable de ces iniquités.

La Commission a accepté la plainte et l’a confiée au Tribunal pour qu’il tranche cette affaire en septembre 2008. Le gouvernement canadien a contesté sans succès cette décision devant la Cour fédérale (Canada (Procureur général) c. Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada, 2010). Une fois la plainte devant le Tribunal, le gouvernement canadien a cherché une fois de plus à la faire rejeter de façon préliminaire. Dans ce qui a d’abord semblé dévastateur pour les plaignants, le Tribunal a rejeté la plainte en raison d’un défaut procédural soulevé par le gouvernement fédéral. Toutefois, la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale n’ont pas partagé le point de vue du Tribunal, et elles ont ordonné la tenue d’une nouvelle audience sur le fond (Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2012 ; et Canada (Procureur général) c. Commission canadienne des droits de la personne, 2013).

La preuve

La discrimination dans les services de protection de l’enfance

Les enfants des Premières Nations sont surreprésentés à toutes les étapes du système de protection de l’enfance, depuis le traitement des signalements jusqu’au placement en famille d’accueil. Ils sont 12 fois plus susceptibles d’être placés hors de leur foyer que les autres enfants canadiens (Trocmé et al., 2006). Les principaux motifs de placement sont la négligence physique et la supervision inadéquate de l’enfant. Ces deux facteurs sont hautement corrélés avec la pauvreté, les mauvaises conditions de logement et l’utilisation inappropriée de drogues par les parents (Trocmé et al., 2006). Une amélioration de la situation est néanmoins possible grâce à des interventions culturelles ciblées. Malheureusement, le sous-financement significatif et prolongé du système de protection de l’enfance rend difficile la mise en place de telles interventions (Commission royale sur les peuples autochtones, 1996). Les familles des Premières Nations tentent encore aujourd’hui de se remettre des décennies au cours desquelles leurs enfants ont été arrachés à leur foyer et placés dans des pensionnats où l’on dénigrait leur culture, leur langue et leurs traditions (Commission royale sur les peuples autochtones, 1996). Selon les données recueillies par le gouvernement fédéral, les enfants des Premières Nations ont passé plus de 66 millions de nuits en famille d’accueil entre 1989 et 2012 (excluant l’année fiscale 2011 pour l’Ontario). En bref, il y a aujourd’hui plus d’enfants des Premières Nations en famille d’accueil qu’il y a eu d’élèves autochtones dans les pensionnats à l’apogée du système.

Pour contrer cette importante surreprésentation, de nombreuses nations autochtones ont mis sur pied, dès les années 1970, leurs propres organismes de protection de l’enfance. En 2014, on comptait plus de 108 organismes de ce type à travers le Canada.

En dehors des réserves, les organismes de protection de l’enfance tirent leur mandat et leur financement des gouvernements provinciaux et territoriaux. Par contre, les organismes desservant les communautés autochtones doivent s’accommoder d’un régime de financement fédéral fondé sur une formule. Même si le gouvernement fédéral exige que les organismes autochtones respectent les lois provinciales ou territoriales, la formule de financement ne tient pas compte de ces exigences et n’est pas axée sur les besoins des enfants concernés (Blackstock, 2011). Le gouvernement fédéral administre les services offerts aux enfants des Premières Nations ainsi qu’à leurs familles par le biais de son ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (AINC). Selon les manuels nationaux du programme d’AINC (Affaires indiennes et du Nord Canadien, 2005 ; Affaires indiennes et du Nord canadien, 2012a), celui-ci a pour objectif de fournir des services culturellement appropriés aux enfants et aux familles des Premières Nations, d’un niveau comparable aux services reçus par les autres enfants canadiens.[1] AINC emploie trois régimes distincts de financement pour les services offerts aux enfants et aux familles des Premières Nations à travers le pays. La Directive 20-1 (développée en 1989) est applicable en Colombie-Britannique, au Nouveau-Brunswick, à Terre-Neuve-et-Labrador ainsi qu’au Yukon. L'Approche améliorée axée sur la prévention (AAAP) est en vigueur en Alberta, en Saskatchewan, au Manitoba, au Québec et à l’Île-du-Prince-Édouard. L’Entente de 1965 sur le bien-être des Indiens (développée en 1965), quant à elle, est applicable en Ontario (Affaires indiennes et du Nord canadien, 2012a). Les évaluations menées par le Bureau du vérificateur général du Canada (Vérificateur général du Canada, 2008 et 2011) ont démontré que les trois régimes en question étaient biaisés et inéquitables, ce qui rejoint les résultats d’études conduites auparavant par le Ministère (Commission royale sur les peuples autochtones, 1996 ; MacDonald et Ladd, 2000 ; Loxley et al., 2005) et ceux d’une évaluation menée par le Comité des Nations Unies sur les droits de l’enfant,2003). Le rapport déposé par le témoin expert du gouvernement fédéral et préparé par KPMG LLP (KPMG LLP, 2010) est encore plus frappant et confirme le déficit quant au financement, avec un écart de 0,25 pour cent par rapport aux résultats obtenus dans un rapport conjoint réalisé en 2005 par le gouvernement fédéral et l’Assemblée des Premières Nations (Loxley et al., 2005).

En plus de ces études globales, une preuve a été présentée pour chaque régime de financement. Le gouvernement fédéral a développé la Directive 20-1 en 1989 (Affaires indiennes et du Nord canadien, 1995) et, bien qu’il ait élargi au fil des années l’éventail de services couverts par la formule, le financement n’a pas été augmenté en conséquence. En réalité, la formule de financement a été ajustée à la baisse puisque le gouvernement fédéral a décidé unilatéralement de cesser d’ajuster les montants de façon à refléter l’augmentation du coût de la vie, ce qui a résulté en une baisse de 21 pour cent du pouvoir d’achat des organismes entre 1999 et 2005 (Loxley et al., 2005). L’étude de la Directive 20-1 par le gouvernement fédéral révèle que l’allocation pour la prévention, qui a pour objectif de garder les enfants en sécurité dans leur foyer, est particulièrement inadéquate (MacDonald et Ladd, 2000 ; Loxley et al., 2005) et n’a pas augmenté depuis 24 ans, contribuant ainsi à une augmentation du taux de placement en famille d’accueil. Cet extrait d’une fiche publiée sur le site Web du ministère des Affaires indiennes en 2007 résume le point de vue du ministère quant à la Directive 20-1 :

Changement de décor : Les Provinces et les Territoires ont introduit de nouvelles approches législatives relativement à la protection de l’enfance ainsi qu’un continuum de services plus large que les organismes de services à l’enfance et à la famille des Premières Nations doivent dispenser afin de conserver leur mandat provincial à titre de fournisseurs de services. Néanmoins, le mode de financement présentement employé par le fédéral ne permet pas aux organismes de services à l’enfance et à la famille des Premières Nations de s’adapter aux changements législatifs provinciaux et territoriaux. Par conséquent, ces organismes sont incapables de fournir des services comparables à ceux offerts aux autres Canadiens et Canadiennes. Un changement fondamental d’approche en matière de financement des organismes de services à l’enfance et à la famille des Premières Nations est nécessaire afin que les organismes puissent satisfaire à leurs obligations, permettant ainsi de renverser la tendance et de faire diminuer le nombre croissant d’enfants pris en charge (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, 2006 [nous traduisons].

Malgré l’impact négatif évident de la Directive 20-1, le ministère continue d’appliquer cette formule de financement inadéquate et biaisée en Colombie-Britannique, à Terre-Neuve-et-Labrador, au Nouveau-Brunswick ainsi qu’au Yukon. Le Comité permanent des comptes publics s’est indigné à ce sujet en 2009 :

Parce que le Ministère continue d’utiliser une formule de financement boiteuse, les organismes des Premières Nations offrant des services à l’enfance et à la famille sont souvent sous-financés, et les enfants des Premières Nations de même que leurs familles ne reçoivent pas les services dont ils ont besoin. Au contraire, les enfants des Premières Nations sont plus susceptibles d’être pris en charge et de le rester, et leurs familles n’ont pas accès à tout l’éventail des services de soutien qui les aideraient à offrir un milieu de vie sûr à leurs enfants. Cette situation est intenable (Comité permanent des comptes publics, 2009 : 15).

En réponse aux arguments relatifs à la discrimination, le gouvernement fédéral se contente de citer l’Approche améliorée axée sur la prévention (AAAP) développée en 2006 et initialement mise en œuvre en 2007 en Alberta. Aujourd’hui, ce régime est également appliqué en Saskatchewan, au Manitoba, au Québec ainsi qu’à l’Île-du-Prince-Édouard. L’AAAP est une version modifiée de la Directive 20-1 (Affaires autochtones et Développement du Nord Canada, 2012a) qui, bien qu’elle augmente le niveau de financement préventif, incorpore néanmoins plusieurs hypothèses erronées de la Directive 20-1 et ne tient pas compte de façon adéquate des besoins des enfants et des familles concernés (Vérificateur général du Canada, 2008 et 2011).

La preuve présentée par les témoins du gouvernement fédéral révèle des lacunes significatives dans l’AAAP. Par exemple, des services essentiels tels que la réception et l’examen des signalements ainsi que les frais légaux associés aux services ne sont pas inclus dans la formule de financement. Des exigences de base – par exemple, s’assurer que les organismes de services à l’enfance et à la famille des Premières Nations puissent se conformer aux standards de construction et d’accessibilité – sont négligées, et il n’existe aucun ajustement permettant de pallier l’inflation (Commission canadienne des droits de la personne, 2014).

Une présentation interne préparée pour le sous-ministre adjoint en 2012 indique qu’un montant additionnel de 43,1 millions de dollars serait nécessaire afin d’amener l’AAAP à un niveau raisonnablement comparable, c’est-à-dire afin

[…] d’assurer que les organismes soient en mesure d’atteindre les standards provinciaux tout en maintenant la programmation relative à la prévention à un niveau élevé (Évaluation AAAP des recommandations de la Nouvelle-Écosse et de la Saskatchewan, 2012) et que le financement demeure raisonnablement comparable à celui offert par les provinces (Affaires autochtones et Développement du Nord Canada, 2012b : 16) [nous traduisons].

Bien que le gouvernement fédéral estime que l’AAAP constitue la solution aux problèmes de la Directive 20-1, il n’a fourni de financement à aucune nouvelle région relativement à l’AAAP depuis 2010.

Le dernier régime de financement offert aux organismes de services à l’enfance et à la famille des Premières Nations est celui qui s’applique en Ontario. Développée en 1965, l’Entente sur le bien-être des Indiens (aussi connue sous le nom d’Entente de 1965) est un accord bilatéral entre le gouvernement fédéral et la province de l’Ontario. Les Premières Nations n’ont pas été impliquées dans les négociations et ne sont pas signataires de l’entente originale ni de ses amendements subséquents. L’Entente de 1965 est un mécanisme en vertu duquel le gouvernement fédéral rembourse au gouvernement ontarien approximativement 93 pour cent des dépenses engagées par celui-ci dans une vaste gamme de services sociaux dispensés dans les réserves, incluant les services de protection de l’enfance. Le gouvernement fédéral n’a jamais révisé l’Entente de 1965 afin de s’assurer qu’elle se traduise en des services équitables et culturellement adaptés aux besoins des enfants et des familles des Premières Nations. Le vérificateur général du Canada a jugé à deux reprises (2008, 2011) que la formule était inéquitable et ne respectait pas les besoins des enfants. La preuve déposée devant le Tribunal révèle que l’annexe du document relativement à la protection de l’enfance réfère à la version de 1978 de l’Entente, laquelle n’a pas été mise à jour de façon à refléter les services actuellement exigés par la loi (Loi sur les services à l'enfance et à la famille, 1990). Cela signifie que les dispositions exigeant que des représentants des bandes participent à la prise de décision en matière de protection de l’enfance n’étaient financées ni par le gouvernement fédéral ni par la province. Le témoignage des fonctionnaires fédéraux a révélé des lacunes quant aux services de prévention en Ontario ; un nombre important de communautés du sud de l’Ontario ne reçoivent aucun service de prévention (Commission canadienne sur les droits de la personne, 2014).

Le gouvernement canadien subventionne les provinces ainsi que diverses sociétés non autochtones d’aide à l’enfance afin qu’elles offrent leurs services sur les réserves non desservies par un organisme de protection de l’enfance des Premières Nations. Cette situation survient dans la majorité des cas au Yukon, en Colombie-Britannique, en Alberta et au Québec ; dans chaque cas, le gouvernement fédéral fournit un appui financier plus important ainsi qu’une marge de flexibilité plus grande aux organismes non autochtones, lesquels ne sont pas soumis aux mêmes contrôles que les organismes sur les réserves. Toutefois, la preuve présentée concernant la province de la Colombie-Britannique et un centre jeunesse québécois démontre que, même lorsqu’un appui plus significatif est offert, le financement accordé ne suffit pas à pallier les besoins (Commission canadienne des droits de la personne, 2014). Dans sa plaidoirie finale, la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada (2014) a affirmé que le financement supérieur octroyé à des fournisseurs de services non autochtones constitue un incitatif à offrir des services et des soins qui ne sont pas culturellement appropriés. Cet élément s’ajoute donc à la preuve démontrant que le financement fédéral est discriminatoire à l’endroit des Premières Nations.

Des éléments de preuve additionnels ressortent des présentations d’AINC (2013). Ces dernières démontrent qu’AINC réaffecte plus d’un demi-milliard de dollars afin d’assurer un financement minimal pour une foule de programmes destinés aux Premières Nations, incluant ceux relatifs à la protection de l’enfance. Comme l’énonce l’une des présentations :

Des sommes significatives réservées aux infrastructures ont été affectées à d'autres programmes au cours des six dernières années. Par exemple, AADNC a réaffecté près de 505 millions de dollars dans des programmes d'éducation, des programmes d'aide sociale et d’autres services afin de combler les lacunes dans ces secteurs. Puisque les infrastructures n’étaient pas en mesure de couvrir l’ensemble des besoins sociaux et économiques annuels, d’autres ressources internes ont été utilisées afin de combler les lacunes restantes. Cette réaffectation continue met beaucoup de pression sur une infrastructure déjà fragile et ne suffit pas à combler les besoins des programmes sociaux et éducatifs (AINC, 2013 : 6) [nous traduisons].

Si ces réaffectations temporaires font diminuer temporairement la pression budgétaire, à long terme elles risquent d’aggraver les principaux facteurs qui contribuent à la surreprésentation des enfants des Premières Nations au sein du système de protection de l’enfance, soit le manque de logements et l’inefficacité des programmes de lutte à la pauvreté (Trocmé et al., 2006).

Il est vrai que le budget des services à l’enfance et à la famille des Premières Nations a augmenté au cours des 14 dernières années. Toutefois, comme le montre la présentation de 2013 d’AINC (laquelle est disponible sur le site Internet d’AINC en date de mai 2015), ces sommes additionnelles étaient largement attribuables aux enfants placés en foyer d’accueil, et non aux services de prévention.

Cette augmentation du financement découle principalement du fait que les frais de maintenance (frais relatifs aux enfants placés en foyer d’accueil) par enfant ont plus que doublé depuis 1999. Cette augmentation découle de : (1) l’augmentation des coûts facturés par les provinces ; (2) une augmentation des coûts pour les enfants ayant des besoins spéciaux, lesquels sont en nombre grandissant ; et (3) une plus grande dépendance des organismes envers les soins en établissement (Affaires indiennes et du Nord canadien, 2013) [nous traduisons].

La même présentation montre par ailleurs une augmentation relativement minime du pourcentage de financement accordé aux provinces où l’AAAP s’applique et confirme qu’aucun financement additionnel n’a été attribué pour compenser la discrimination dont sont victimes les enfants des Premières Nations et leurs familles en Colombie-Britannique, au Nouveau-Brunswick, à Terre-Neuve-et-Labrador ainsi qu’au Yukon.

Il importe de souligner que le gouvernement fédéral n’a soumis aucune preuve affirmant que ces documents et les points de vue exprimés par ses employés sont erronés.

La mise en œuvre déficiente du principe de Jordan

La plainte de la Société de soutien et de l’APN allègue en outre que la mise en œuvre déficiente du principe de Jordan constitue une forme de discrimination prohibée par la LCDP. Le principe de Jordan veut que, dans les conflits de compétence, on accorde la priorité aux intérêts et aux besoins des enfants. Ce principe a été nommé en mémoire de Jordan River Anderson, un enfant de la nation crie de Norway House, au Manitoba. Le garçon, né dans un hôpital à Winnipeg en raison de complications durant la grossesse, avait des besoins médicaux complexes ; à l’âge de deux ans, il a reçu l’autorisation de son équipe médicale de quitter l’hôpital. Cependant, Jordan n’a pas pu rentrer chez lui, car la province du Manitoba et le gouvernement fédéral se renvoyaient mutuellement la balle quant au paiement des soins à domicile du garçon, alors que les autres Canadiens tiennent de tels soins pour acquis. Jordan est décédé à l'hôpital à l'âge de cinq ans et n’a jamais passé une seule journée dans son foyer familial (Société de soutien, 2014 : 146). Selon le principe de Jordan, le gouvernement qui a été contacté en premier lieu doit payer pour les services et demander un remboursement plus tard, afin que l'enfant ne soit pas coincé tragiquement entre deux bureaucraties qui s’affrontent (Société de soutien, 2014 : 146).

Selon la preuve, les litiges sont fréquents entre les gouvernements fédéral et provinciaux concernant les paiements pour les services aux enfants des Premières Nations. Les enfants autochtones doivent souvent attendre pour recevoir des services dont ils ont besoin ; il arrive aussi qu’ils se voient refuser des services qui sont offerts aux autres enfants. Par exemple, selon un témoin, des travailleuses sociales en Saskatchewan ont dû faire une campagne de financement afin d’acheter un fauteuil roulant à un enfant, après qu’AINC eut refusé de payer. De même, un enfant souffrant de difficultés respiratoires a dû attendre 16 mois pour obtenir le lit nécessaire en raison de sa condition médicale (Société de soutien, 2014 : 150).

La campagne Je suis un témoin (www.fnwitness.ca)

La Société de soutien croit que cette cause est un bon exemple de la discrimination dont sont victimes les enfants et les familles des Premières Nations eu égard à d’autres programmes financés par le gouvernement fédéral, notamment en matière d’éducation, de santé, de logement et d’accès à l’eau potable (Société de soutien, 2015). Puisque la décision dans cette affaire pouvait servir de précédent, en 2008, la Société de soutien a mis sur pied une campagne d’éducation publique, nommée « Je suis un témoin ». Il s’agit d’une ressource éducative disponible sur Internet qui publie régulièrement les arguments juridiques présentés par les parties et des rapports indépendants tels que ceux du vérificateur général du Canada (2008 et 2011), et qui invite la population et les organisations à s’enregistrer comme témoins. Il ne s’agit pas d’un appel à prendre parti d’un côté ou de l’autre, mais plutôt d’une invitation lancée au public à jeter un regard critique sur la preuve soumise et à déterminer par lui-même si les Premières Nations sont traitées équitablement.

L’objectif de la campagne a été mis en lumière lorsque la Cour fédérale a permis, en dépit des objections du gouvernement fédéral, la diffusion des audiences du Tribunal par le Réseau de télévision des peuples autochtones (APTN) (Réseau de télévision des peuples autochtones c. Commission canadienne des droits de la personne, 2011). Cette décision a permis au public de visionner l’ensemble des témoignages, les déclarations d’ouverture et les plaidoiries finales. L’enregistrement est archivé sur le site Internet Je suis un témoin, qui offre ainsi une excellente ressource éducative et historique.

Le site Internet Je suis un témoin et la diffusion des audiences par APTN ont permis aux enfants des Premières Nations et à leurs familles à travers le Canada de participer à cette décision qui aura un impact direct sur leur vie. Grâce à la campagne, les Canadiens non autochtones ont également pu en apprendre davantage sur la situation des enfants et des familles des Premières Nations. Les enfants et les adolescents ont été des témoins particulièrement actifs et ont quotidiennement assisté aux audiences et rédigé leurs réflexions sur celles-ci.

Près de 14 000 individus et organisations sont inscrits à titre de témoins en date de mai 2015, et plusieurs personnes ont accepté l’invitation à assister aux audiences, faisant de cette affaire le procès le plus suivi dans l’histoire du Canada en matière de droits de la personne.

La décision du Tribunal

Le Tribunal canadien des droits de la personne a rendu sa décision le 26 janvier 2016. Sur le fond, il a donné entièrement raison aux plaignants, et il a accepté la preuve analysée plus haut. Il a jugé que les trois régimes de financement étaient discriminatoires puisque le financement qui en découlait ne permettait pas aux agences des Premières Nations d’offrir des services qui répondent aux besoins ni, à plus forte raison, de fournir des services culturellement adaptés. De plus, il a reconnu que les formules de financement ont pour effet d’inciter les agences des Premières Nations à placer les enfants autochtones dans des foyers d’accueil, puisque le gouvernement fédéral rembourse alors toutes les dépenses. Le fait de ne pas ajuster les niveaux de financement en fonction de l’augmentation du coût de la vie est également discriminatoire. Enfin, le manque de coordination entre les différents ministères fédéraux, combiné à une définition étroite et à une mise en œuvre déficiente du principe de Jordan, conduit aussi à des refus de service ou à des délais qui constituent une forme de discrimination.

Le Tribunal a également rejeté les arguments juridiques présentés par le gouvernement fédéral pour tenter d’éviter une condamnation. Ces arguments étaient principalement de deux ordres : (i) le gouvernement fédéral ne fournit pas de services visés par la LCDP (la question des « services »); et (ii) pour appliquer la LCDP, il n’est pas permis de comparer un service offert par le gouvernement fédéral avec un service offert par les provinces (la question de la « comparaison »). Ces arguments étaient fondés sur une interprétation technique et étroite de la LCDP.

Par rapport à la question des « services », le gouvernement fédéral prétendait que le financement qu’il offre en matière de services à l’enfance et à la famille n’est pas assujetti à la LCDP. En effet, comme dans bien d’autres domaines, il ne fournit pas directement ces services aux membres des Premières Nations ; il se contente de financer d’autres organismes pour que ceux-ci offrent le service. Cependant, comme l’a noté le Tribunal, le gouvernement fédéral fournit tout de même une aide ou un bénéfice concret aux individus par le biais du financement qu’il accorde. De plus, les conditions auxquelles le financement est accordé déterminent directement la manière dont le service est offert aux individus. Bref, AADNC conserve un degré de contrôle important sur la manière dont les services à l’enfance et à la famille sont offerts aux Premières Nations, même s’il ne livre pas lui-même ces services.

Pour la question de la « comparaison », le Tribunal s’est principalement fondé sur les décisions de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale, qui avaient rejeté les requêtes du gouvernement fédéral visant à faire avorter la cause au stade préliminaire. Ces décisions soulignaient que, pour faire la preuve d’une discrimination, il n’est pas toujours nécessaire de se fonder sur une comparaison. En particulier, puisque les peuples autochtones relèvent de la compétence fédérale et que bien des services offerts aux Premières Nations par le gouvernement fédéral sont offerts aux autres citoyens par les provinces, accepter l’argument du gouvernement fédéral aurait permis à celui-ci de discriminer impunément les Autochtones. De plus, il était ironique que le gouvernement soulève cet argument, alors qu’il s’était lui-même fixé l’objectif de fournir des services à l’enfance et à la famille qui soient « raisonnablement comparables » à ceux qui sont offerts par les provinces. De toute manière, le Tribunal a noté que de nombreux éléments de preuve permettaient d’établir des comparaisons entre les niveaux du financement octroyé par le gouvernement fédéral et par les provinces.

Les suites de la décision

Une fois la décision rendue, le gouvernement fédéral a indiqué, après un long mois de silence, qu’il ne porterait pas l’affaire en appel. Cependant, le Tribunal a réservé sa décision quant aux ordonnances précises demandées par les plaignants, afin d’obtenir plus d’information à ce sujet. Au moment d’écrire ces lignes, le Tribunal n’a pas encore rendu ses ordonnances. Il peut toutefois être utile d’examiner le type d’ordonnances qui sont susceptibles d’être rendues.

Premièrement, le Tribunal pourrait chercher à dédommager les enfants des Premières Nations qui ont été victimes de discrimination. Cette conclusion serait conforme au souhait exprimé par la Société de soutien à l’effet qu’une fiducie indépendante soit créée par le gouvernement du Canada au bénéfice des enfants des Premières Nations pour les souffrances découlant de la discrimination (Société de soutien, 2014 : 200). Plus particulièrement, la Société de soutien affirme que le gouvernement du Canada devrait verser, en raison de sa conduite discriminatoire et téméraire, une somme de 20 000 dollars à chaque enfant des Premières Nations qui a été pris en charge par le système depuis février 2006, jusqu’à la date du jugement final (Société de soutien, 2014 : 200). S’il est difficile d’imaginer une façon réellement adéquate de dédommager les enfants des Premières Nations pour les conséquences dévastatrices à long terme qu’a eues sur eux un système de protection de l’enfance discriminatoire, l’objectif de la fiducie réclamée par la Société de soutien est de leur permettre d’avoir accès à des services tels que des programmes linguistiques et culturels, des programmes de réunification familiale, des services d’orientation, des programmes de santé et bien-être et des programmes éducatifs (Société de soutien, 2014 : 200).

Deuxièmement, le Tribunal pourrait ordonner l’arrêt immédiat de toute discrimination. Cela pourrait inclure une ordonnance obligeant le gouvernement du Canada à injecter immédiatement des fonds additionnels pour pallier le sous-financement identifié par le Tribunal. Ces fonds viseraient à combler sans attendre certaines lacunes bien connues des formules de financement. La Société de soutien demande également la mise en application du principe de Jordan à tout conflit entre les divers ministères fédéraux (Société de soutien, 2014 : 206). Ceci marquerait un premier pas vers l’atteinte d’une égalité réelle pour les enfants des Premières Nations et leurs familles dans le contexte des services de protection de l’enfance.

Troisièmement, la Société de soutien demande un vaste éventail de réparations d’intérêt public, dont l’établissement d’un processus de consultation publique qui assureraient une solution durable et culturellement appropriée, basée sur les besoins réels des enfants et des familles et sur les connaissances des experts qui travaillent avec eux. Ceci inclut la création et le financement d’un comité national consultatif composé d’employés du siège social d’AINCC et des bureaux régionaux d’AINC, des plaignants et de représentants des organismes régionaux offrant des services aux enfants des Premières Nations et à leurs familles. Ce comité examinerait et émettrait des recommandations en plus de surveiller la mise en œuvre d’une formule de financement non discriminatoire et culturellement appropriée qui prendrait en considération les besoins de chaque enfant (Société de soutien, 2014 : 209). La Société de soutien demande aussi la mise en place d’un programme de formation pour les employés d’AADNC qui les instruirait sur la culture autochtone et sur le travail social auprès des Premières Nations (Société de soutien, 2014 : 187). Finalement, elle réclame la diffusion publique de toute information ou politique concernant le service de protection de l’enfance des Premières Nations (Société de soutien, 2014 : 188) afin de prévenir toute forme de discrimination.

Il est important de noter que plusieurs des réparations demandées par les plaignants reflètent les recommandations relatives à la protection de l’enfance émises par la Commission de vérité et réconciliation (Commission de vérité et réconciliation, 2015 : 1-2). Ainsi, la mise en œuvre de ces réparations pourrait aussi faire progresser le processus de réconciliation prôné par la Commission. En l’absence d’une volonté politique ou d’une obligation éthique d’agir, le gouvernement du Canada pourrait bien être forcé légalement par le Tribunal de prendre des mesures.

Implications en matière de droits de la personne

La décision rendue par le Tribunal a des répercussions considérables au-delà du domaine de la protection de l’enfance. Premièrement, en affirmant que le programme de services à l’enfance et à la famille du gouvernement fédéral constitue un « service » en vertu de la LCDP, le Tribunal établit un précédent qui pourrait s’appliquer à tous les programmes et services dispensés par le gouvernement fédéral à l’intention des Premières Nations, même si ces services sont fournis par le biais d’un tiers ou par un autre type d’arrangement. Ce précédent serait particulièrement important pour les membres des Premières Nations vivant sur les réserves, puisque de nombreux services essentiels (tels que les services de santé, la police et les programmes d’aide à la vie autonome) sont financés par le gouvernement du Canada mais livrés par des intermédiaires (Pictou Landing Band Council c. Canada (Procureur général), 2013). Le sous-financement de ces services pourrait donc constituer une forme de discrimination prohibée par la LCDP. D’ailleurs, des poursuites concernant certains de ces services ont déjà été engagées devant le Tribunal.

Deuxièmement, la reconnaissance du droit à l’égalité des membres des Premières Nations malgré la structure constitutionnelle du Canada est véritablement révolutionnaire. En effet, l’argument de la « comparaison » avancé par le gouvernement fédéral avait pour conséquence de priver les Autochtones de la possibilité de comparer les services qu’ils reçoivent à ceux que les provinces offrent aux autres citoyens. Le rejet de cet argument permet aux tribunaux de se saisir de contestations fondées sur le caractère inadéquat des services fournis par le gouvernement fédéral aux Premières Nations. Cela empêchera également le gouvernement fédéral de rejeter des allégations de discrimination, notamment dans des forums internationaux, en prétextant que la structure constitutionnelle du Canada rend toute comparaison impossible (Amnistie internationale, 2013) ; un principe international en matière de droits de la personne établit qu’une division constitutionnelle des pouvoirs ne peut justifier une violation des droits de la personne (Hogg, 2007 : 11.2). Les membres des Premières Nations sont donc en droit de réclamer des services comparables à ceux offerts aux autres Canadiens.

Le rejet de l’argument relatif au « groupe de comparaison » marque également un progrès significatif dans la jurisprudence canadienne en matière de droits de la personne, puisqu’il montre que les tribunaux peuvent être flexibles dans l’application des précédents afin de considérer les nuances et les subtilités des expériences de vie ainsi que la situation sociale des plaignants. Pour les membres des Premières Nations du Canada, cela signifie qu’ils ont droit à une égalité réelle, sans égard au casse-tête constitutionnel dans lequel ils sont plongés malgré eux. La décision du Tribunal impose l’obligation d’assurer l’égalité réelle dans toutes les sphères de services gouvernementaux disponibles sur les réserves et rend le système canadien des droits de la personne réellement accessible aux membres des Premières Nations.

Conclusion

L’objectif du programme fédéral de services à l’enfance et à la famille des Premières Nations est de fournir des services qui soient comparables à ceux offerts aux autres enfants canadiens et qui soient culturellement appropriés aux enfants des Premières Nations. Le but du principe de Jordan est d’assurer que tous les enfants, y compris les enfants des Premières Nations, aient un accès juste et égal aux services. Le fondement même de notre démocratie constitutionnelle repose sur ces deux objectifs, qui reflètent un engagement à atteindre l’égalité réelle. La décision du Tribunal montre cependant que le gouvernement du Canada a failli à sa tâche d’étendre ces protections fondamentales et essentielles aux enfants des Premières Nations. Au contraire, il a facilité la mise en place d’un programme inéquitable qui a échoué à mettre en application le principe de Jordan. Cela a eu et continue d’avoir des conséquences dévastatrices sur plus de 163 000 enfants des Premières Nations à travers le Canada. Les plaignants ont désormais mis au jour ces réalités et le Tribunal devra déterminer de quelle façon il redressera les inégalités. À travers la campagne Je suis un témoin, des dizaines de milliers de personnes dans le monde ont suivi attentivement cette cause grâce aux mesures exceptionnelles accordées par le Tribunal afin de rendre l’audience accessible.

Cette affaire est sans précédent : le traitement des enfants des Premières Nations par le gouvernement du Canada a été mis sous la loupe et, à la lumière de la preuve abondante présentée par les plaignants, le Tribunal a conclu que les enfants des Premières Nations n’étaient pas traités de manière juste et équitable. Cette décision pourrait bien marquer un point tournant dans le traitement des membres des Premières Nations par le gouvernement du Canada. Plus particulièrement, le Tribunal pourrait rendre une ordonnance forçant le gouvernement fédéral à développer un nouveau mode de financement pour les services de protection de l’enfance en collaboration avec les Premières Nations, qui sont les experts lorsqu’il est question de la protection de leurs enfants et des soins à leur fournir. Bien que plusieurs étapes restent à franchir, la Société de soutien espère que cette décision mènera à la création et à la mise en place de services de protection de l’enfance équitables, non discriminatoires, culturellement appropriés et axés sur besoins des enfants et de leur famille, rendant ainsi la réconciliation possible pour les générations futures.