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À l’instar des sociétés occidentales, la croissance continue de la prospérité personnelle et collective des Québécois passe par une économie du savoir (UNESCO, 2005). Les universités se voient donc attribuer un rôle de premier plan pour le compte de la performance économique mondialisée, où l’on mise principalement sur le capital intellectuel en favorisant un taux de diplomation permettant un positionnement favorable sur l’échiquier planétaire (Cusso, 2008). Pour réussir, les universités ont évidemment tout intérêt à « attirer les étudiants brillants qui présentent les meilleures chances de graduer avec honneur et de contribuer à leur rayonnement » (Whitaker, 2008, p. 1). Il semble que le perfectionnisme participe activement à ce que les étudiants s’acquittent de ces critères d’excellence (Onwuegbuzie et Daley, 1999; Witcher, Alexander, Onwuegbuzie, Collins et Witcher, 2007). Néanmoins, au-delà des considérations utilitaristes, les universités ne devraient pas être motivées uniquement par le rendement, mais se sentir tout aussi concernées par un idéal de formation humaniste qui tend vers le bien-être de ses usagers (Morin, 2008). En d’autres termes, les institutions académiques doivent concilier ces deux impératifs afin de développer des individus compétents et épanouis qui sauront s’adapter à la réalité tout en contribuant à l’humanité. En ce sens, bien que le perfectionnisme représente une caractéristique valorisée par plusieurs professeurs et institutions (Schrag, 2004), il demeure important de ne pas négliger son impact sur le bien-être psychologique des étudiants sélectionnés.

En effet, il semble que le style cognitif des étudiants perfectionnistes contribue à leur désarroi (Pirbaglou et al., 2013). Et, il est reconnu qu’au Canada, la détresse psychologique accable davantage la population étudiante que le reste de la population (Adlaf, Gliksman, Demers et Newton-Taylor, 2001). Aussi, n’est-il pas surprenant que les universités montréalaises constatent une augmentation de la demande d’aide psychologique par leurs usagers et qu’elles s’affairent à développer des programmes ciblant la dépression, l’anxiété, les troubles alimentaires et l’abus d’alcool (Léouzon, 2014). Or le perfectionnisme pourrait bien être le dénominateur commun chez les étudiants présentant ces divers troubles (Shafran et Mansell, 2001). D’où l’importance d’y porter une attention particulière.

Même si les études qui mesurent le perfectionnisme des étudiants universitaires en tant qu’échantillon de convenance foisonnent, trop peu s’intéressent vraiment à l’impact de cette caractéristique sur leur réalité et aucune à ce jour n’en fait une lecture globalisante et exhaustive. Cet article vise donc à combler ce vide par l’élaboration d’un modèle théorique hypothétique faisant le pont entre divers éléments disparates puisés à même la littérature existante tout en les articulant en un modèle cohérent et systématique. En dernière instance, il a pour ambition de mieux comprendre l’expérience subjective de l’étudiant perfectionniste en circonscrivant les variables sur lesquelles intervenir prioritairement vu que l’Université représente un terreau fertile du perfectionnisme pathologique au sein duquel les manifestations sont très nombreuses (Rice et Slaney, 2002).

Définition et causes probables du perfectionnisme

La première vague d’écrits sur le perfectionnisme, s’échelonnant de 1950 à 1990, l’assimile essentiellement à un trait de personnalité unidimensionnel très dommageable. Évidemment, on peut avancer l’hypothèse fort plausible que le fait que ces écrits soient basés principalement sur des observations cliniques a pu biaiser négativement l’interprétation des auteurs. Dans ces premiers écrits, le perfectionnisme est considéré comme « un des mécanismes inconscients avec lequel le Moi meurtri tente d’échapper à la torture du Surmoi, seulement pour se retrouver pris dans son propre piège » (Branfman et Bergler, 1955, p. 15). Il est question ici d’une caractéristique personnelle qui répond à un « besoin obsessionnel de contrôle » (p. 147) de soi, des autres et des imprévus par des « efforts prophylactiques » (p. 162) visant surtout à éviter tout jugement défavorable à son endroit (Mallinger, 1984). La « quête de perfection » est avant tout un stratagème inconscient pour « éviter de ressentir la honte ou la culpabilité » (Sorotzkin, 1985, p. 564). Selon Pacht (1984), le perfectionnisme est un mécanisme de défense « insidieux » et pathologique. Dans sa quête utopique de perfection, le perfectionniste sacrifie une bonne part de son humanité en ne se permettant pas d’être limité et imparfait (Pacht, 1984). Pour Burns (1980), même si le perfectionniste parvient à un niveau d’excellence qui serait difficilement accessible sans son grand souci de perfection, il participe activement à sa propre déconfiture en « s’efforçant compulsivement et sans relâche d’atteindre des objectifs impossibles et en mesurant sa valeur personnelle en termes de productivité et d’accomplissement » (p. 34). Il risque de « se sentir oppressé par la charge imposante de travail que son perfectionnisme lui impose » (Hollender, 1965, p. 94). Contrastant quelque peu avec les autres auteurs, Hamachek (1978) propose la division dichotomique entre un « perfectionnisme névrotique » et un « perfectionnisme normal ». Le premier correspond à la description faite dans les textes fondateurs tout juste abordés, alors que le second s’entend comme une forme plus adaptative où il est question de faire de son mieux tout en prenant en compte ses limites personnelles et les demandes situationnelles.

Dans la littérature contemporaine, la version normale du perfectionnisme proposée par Hamachek (1978) dans son texte anedoctique suscite la critique de certains auteurs. Ceux-ci considèrent qu’il ne s’agit pas vraiment de perfectionnisme, mais plutôt du désir d’exceller d’une personne ambitieuse et consciencieuse à distinguer du perfectionnisme véritable qui ne peut qu’être que négatif vu son potentiel ravageur (Blatt, 1995; Flett et Hewitt, 2006; Greenspon, 2000). En contrepartie, plusieurs chercheurs reprennent l’idée d’une dichotomie et s’affairent à comparer deux types de perfectionnisme, un sain et un malsain (Stoeber et Otto, 2006; Stumpf et Parker, 2000; Terry-Short, Owens, Slade et Dewey, 1995). Il semble pourtant que le débat concernant le caractère normal ou pathologique du perfectionnisme atteint ses limites en différenciant les dimensions débilitantes de celles qui sont facilitantes. Effectivement, les évidences empiriques démentent cette hypothèse et ne permettent pas véritablement de parler d’un perfectionnisme positif à opposer à un perfectionnisme négatif, mais plutôt d’un style de personnalité ayant des facettes nettement négatives de même que des facettes qui sont principalement positives en vertu de certaines conditions optimales, c’est-à-dire lorsque l’étudiant atteint ses objectifs, mais qui peuvent devenir négatives dès lors que l’étudiant n’obtient pas les résultats escomptés (Stoeber et Yang, 2010). D’une part, même en contrôlant le chevauchement entre les deux, le perfectionnisme soi-disant adaptatif montre des résultats équivoques pour certaines études (Stoeber et Otto, 2006). D’autre part, les dimensions positives ne sont pas indépendantes des dimensions négatives dans la réalité, car toutes les études sur le sujet sans exception révèlent un lien largement significatif entre les deux groupes d’éléments (le groupement dit fonctionnel et le groupement dit dysfonctionnel). Il est donc plus juste de dire que le perfectionnisme peut être avantageux lorsque l’étudiant a les moyens de ses ambitions, et qu’à l’inverse il constitue un facteur de vulnérabilité susceptible de se manifester lorsque les conditions s’avèrent moins favorables (Hewitt et Flett, 2007). Aussi, le fait que les exigences très élevées puissent être accompagnées de préoccupations excessives représente vraisemblablement ce qui établit la frontière entre les perfectionnistes et les simples ambitieux talentueux qui réussissent (Tozzi et al., 2004).

D’ailleurs, Maltsberger (1998) présente le cas d’un étudiant en droit très compétitif et grandement perfectionniste qui illustre de façon extrême l’effet dévastateur et potentiellement fatal d’entretenir la perception de ne pas avoir la compétence nécessaire pour remplir les exigences de son programme d’études contingenté et pour rivaliser avec ses collègues. Celui-ci, présentant des symptômes dépressifs et anxieux et s’estimant incapable de faire face à ses examens, a opté pour une solution pour le moins radicale en se jetant en bas d’un pont le jour même de l’évaluation. Ayant néanmoins échoué dans sa tentative, il mentionna que la décision de se suicider lui avait donné l’impression d’avoir enfin le contrôle (Maltsberger, 1998).

Caractéristiques principales du perfectionnisme

Bien que le perfectionnisme ne constitue pas un trouble psychologique en soi, il représente un facteur de vulnérabilité important, surtout en période de stress (Blankstein, Lumley et Crawford, 2007; Flett, Hewitt, Blankstein et Mosher, 1995; Hewitt et Flett, 1993; Hewitt, Flett et Ediger, 1996). Figurant à titre de trait de la personnalité obsessionnelle-compulsive dans le Diagnostic and statistical manual of mental disorders, cinquième édition, de l’Association américaine de psychiatrie (DSM-5: APA, 2013), le perfectionnisme est défini dans le dictionnaire Le Petit Larousse illustré (2013, p. 811) comme « la recherche excessive de perfection ». À grands traits, le perfectionniste aspire donc à l’atteinte d’un niveau parachevé qui n’est pas susceptible d’amélioration. Par conséquent, les perfectionnistes sont reconnus comme ayant des normes de réussite difficilement atteignables faisant preuve d’intransigeance en ce qui concerne la grandiosité de leurs réalisations (Frost, Marten, Lahart et Rosenblate, 1990). Le construit scientifique habituellement accepté dans la littérature portant sur le sujet est toutefois plus complexe puisqu’il prend en compte d’autres considérations telles que le perfectionniste est très préoccupé par la possibilité de faire des erreurs; il perçoit une contingence entre l’approbation de ses parents et son niveau de performance; il manque de confiance en ce qu’il fait et il a un sens de l’organisation hors de l’ordinaire (Frost et al., 1990). Il semble néanmoins que certains aspects énumérés ci-dessus sont des antécédents ou des corrélats plutôt que des parties intégrantes et substantielles du perfectionnisme (Shafran et Mansell, 2001). Être perfectionniste, c’est essentiellement poursuivre de très grands objectifs et critiquer sévèrement ses réalisations concrètes si elles ne satisfont ces mêmes objectifs (Frost et al., 1990).

Conséquences du perfectionnisme

La perception des gens concernant le perfectionnisme est souvent polarisée, en ce sens qu’il est tantôt considéré comme une grande qualité estimable et tantôt comme une tare dont il faut se défaire. Comme les perceptions varient en fonction des conséquences effectives du perfectionnisme, il s’agit dès lors d’un couteau à double tranchant tel que l’a proposé Basco (2000). D’une part, il peut être un « puissant moteur de réussite » en stimulant la persévérance, la méticulosité, le sens du devoir et le succès, mais d’autre part, il peut être ressenti comme « un tyran intérieur » qui suscite l’insatisfaction permanente, la fatigue, les tracas, l’indécision et les difficultés relationnelles (Fanget, 2006). Du point de vue physiologique, il peut occasionner des maux de tête chroniques et intenses auprès des étudiants touchés (Bottos et Dewey, 2004). Bref, le perfectionnisme joue à plusieurs égards sur la qualité de vie des individus qui en sont affublés de même que sur les membres de leur entourage immédiat.

En effet, l’origine et la cible du perfectionnisme peuvent différer, ce qui donne lieu à trois traits différents de perfectionnisme susceptibles de cohabiter chez une seule et même personne (Hewitt et Flett, 1991). D’abord, la pression de performer peut venir d’une personne en vertu de critères institués par et pour elle-même (perfectionnisme orienté vers soi : Hewitt et Flett, 1991). Elle peut aussi lui sembler prescrite socialement ou bien par des parents excessivement exigeants ou bien dans le cas qui nous intéresse, les contraintes d’un programme universitaire (perfectionnisme prescrit par autrui : Hewitt et Flett, 1991). L’étudiant peut également diriger son perfectionnisme vers les autres en exigeant de ses coéquipiers l’impeccabilité dans un travail nécessitant une mise en commun des connaissances et une étroite collaboration (perfectionnisme orienté vers autrui : Hewitt et Flett, 1991).

Perfectionnisme à plusieurs facettes

L’arrivée de la conception multidimensionnelle du perfectionnisme dans la littérature au début des années 1990 en raison de la création de deux instruments de mesure efficaces à cet effet (F-MPS : Frost et al., 1990; HF-MPS : Hewitt et Flett, 1991) a permis de constater que certains aspects sont positifs dans certaines conditions et que d’autres aspects sont carrément négatifs. Les facteurs situationnels qui incitent le perfectionniste au souci excessif de l’évaluation tels les préoccupations à propos des erreurs, les attentes parentales, les critiques parentales, les doutes concernant les actions et le perfectionnisme prescrit par autrui mènent constamment à de fâcheuses conséquences, alors que ceux qui favorisent la mobilisation positive tels les standards personnels élevés, l’ordre/organisation , le perfectionnisme orienté vers soi et le perfectionnisme orienté vers les autres peuvent avoir des répercussions favorables (Frost, Heimberg, Holt, Mattia et Neubauer, 1993). Bref, cette nouvelle perspective expose le problème du perfectionnisme avec plus d’acuité en introduisant des nuances importantes par rapport aux premiers écrits sur le sujet.

Aussi, des trois types, le perfectionnisme orienté vers soi — en raison de la mobilisation massive d’efforts du perfectionniste orientés vers des buts qu’il se fixe lui-même et en raison de son sens de l’organisation aiguisé — apparaît comme le plus favorable à la réussite scolaire (Bieling, Israeli, Smith et Antony, 2003; Blankstein, Dunkley et Wilson, 2008; Brown et al., 1999; Grzegorek, Slaney, Franze et Rice, 2004; Witcher et al., 2007) et cela n’est possiblement pas étranger à sa correspondance avec la motivation intrinsèque (Miquelon, Vallerand, Grouzet et Cardinal, 2005; Stoeber, Feast et Hayward, 2009) et du fait que la personne touchée fait preuve d’ambition, d’assurance et d’une grande détermination (Ward et Ashby, 2008).

En contrepartie, le perfectionnisme prescrit par autrui — en raison du fait que l’individu affublé a des standards de réussite irréalistes dans le but d’être reconnu par des personnes importantes pour lui, qu’il présente une faible estime de soi et qu’il se soucie excessivement de l’évaluation — est négativement lié au rendement scolaire (Arthur et Hayward, 1997; Bieling et al., 2003; Blankstein et al., 2008; Flett, Blankstein et Hewitt, 2009; Witcher et al., 2007). En fait, le perfectionniste socialement déterminé connaît plus de détresse psychologique que le perfectionniste autodéterminé (Arthur et Hayward, 1997; Miquelon et al., 2005). Néanmoins, il convient de mentionner que les deux types ne sont toutefois pas indépendants l’un de l’autre puisqu’ils sont significativement corrélés. (Arthur et Hayward, 1997; Blankstein et Winkworth, 2004; Miquelon et al., 2005; Witcher et al., 2007). Il est donc légitime de supposer que les deux types de perfectionnisme rendent les étudiants vulnérables aux difficultés psychologiques lorsque des conditions défavorables prévalent (Stoeber, Schneider, Hussain et Matthews, 2014). Par ailleurs, le perfectionnisme orienté vers les autres semble le moins pertinent en ce qui concerne le rendement scolaire, raison pour laquelle il est exclu du modèle proposé.

Perfectionnisme et rendement scolaire

De fait, les exigences très élevées vis-à-vis la moyenne cumulative que se fixe l’étudiant perfectionniste peuvent être des moteurs puissants de motivation qui l’incitent à investir des efforts soutenus dans ses études (Brown et al., 1999; Mills et Blankstein, 2000; Miquelon et al., 2005) et à faire preuve d’une grande persévérance pour obtenir les résultats convoités (Kobori, Yamagata et Kijima, 2005). Cependant, cette persévérance devient problématique lorsque l’étudiant vise trop haut et, n’étant pas capable de mobiliser les moyens intellectuels correspondants à ces hauts objectifs, s’entête à poursuivre un but inaccessible (Campbell et DiPaula, 2002), bien qu’il serait à son avantage à plusieurs égards, notamment pour sa santé, qu’il abandonne et réoriente ses efforts vers des objectifs plus réalistes (Wrosch, Miller, Scheier et de Pontet, 2007; Wrosch, Scheier, Carver et Schulz, 2003). Or, la rigidité excessive est une caractéristique saillante du perfectionnisme (Ferrari et Mautz, 1997) à un tel point que certains étudiants perfectionnistes ne cessent de viser de plus en plus haut d’un examen à l’autre, ce qui augmente considérablement leur risque d’échouer (Bieling et al., 2003; Kobori, Hayakawa et Tanno, 2009). On peut aisément concevoir que les examens puissent, à juste titre, inquiéter les étudiants, car l’obtention du diplôme de baccalauréat en cours est la condition sine qua non de l’admission aux cycles supérieurs. L’échec est donc menaçant pour l’ensemble du corps étudiant, mais il l’est d’autant plus pour les étudiants perfectionnistes. Pour eux, l’éventualité d’un échec entraîne des répercussions qui dépassent le contexte strictement scolaire en ce sens que l’aveu d’échec confronte l’étudiant avec sa propre faillibilité, ce qui ébranle son idéal de perfection le laissant non pas sans une certaine détresse émotionnelle (Frost et Marten, 1990). À l’évidence, les étudiants perfectionnistes redoutent tout particulièrement l’insuccès (Blankstein, Flett, Hewitt et Eng, 1993; Onwuegbuzie, 2000).

Ainsi, ceux dont la valeur propre fluctue en fonction de leurs résultats scolaires, et c’est le lot de bon nombre d’étudiants perfectionnistes (DiBartolo, Frost, Chang, LaSota et Grills, 2004; Flett, Besser, Davis et Hewitt, 2003), peuvent être plus motivés à éviter l’échec qu’à approcher le succès (Covington, 1984; Crocker et Park, 2004). D’où un lien entre le perfectionnisme et la procrastination (Ferrari, 1992; Flett, Hewitt et Martin, 1995; Frost et al., 1990; Onwuegbuzie, 2000). En fait, il est plus probable que la peur d’échouer de l’étudiant perfectionniste le pousse à procrastiner s’il évalue que la tâche surpasse ses compétences (Steel, 2007). La procrastination représente ainsi une façon de protéger son estime de soi, du moins temporairement en repoussant le verdict d’un échec possible (Flett, Hewitt et Martin, 1995) ou en lui fournissant une excuse externe s’il n’obtient pas une note parfaite. Pourtant, remettre à plus tard l’accomplissement d’une tâche scolaire nécessaire va à l’encontre de ses intérêts et de son bien-être puisque la procrastination est liée à la diminution des résultats scolaires (voir Steel, 2007 pour une méta-analyse) et qu’être dans l’inaction concernant ce qu’il doit faire peut mener l’étudiant perfectionniste à ruminer, c’est-à-dire à tourner et retourner dans sa tête les idées qu’il nourrit sur sa soi-disant incapacité en raison d’une conscience aiguë de la possibilité d’un échec. (Randles, Flett, Nash, McGregor et Hewitt, 2010). Ces pensées anxiogènes génèrent une certaine souffrance psychologique (O’Connor, O’Connor et Marshall, 2007), ce qui donne de la crédibilité à l’hypothèse selon laquelle elles contribueraient à miner l’estime personnelle déjà plus faible chez les personnes perfectionnistes. En effet, à la différence des étudiants qui procrastinent en raison de la répulsion que peuvent inspirer certains travaux académiques, ceux qui le font plutôt par peur d’échouer présentent une estime de soi faible, un niveau d’anxiété exacerbé (Solomon et Rothblum, 1984) ainsi qu’une peur de l’échec incitant à la procrastination (Onwuegbuzie, 2000). La procrastination et le fait de se fixer des objectifs irréalistes constituent des stratégies défensives d’autosabotage (Covington, 2000; Greenberg, 1985) qui sont toutes deux présentes chez les doctorants n’arrivant pas à achever leur thèse dans les délais prescrits (Kearns, Gardiner et Marshall, 2008).

Peu importe que l’étudiant perfectionniste soit confronté à ses responsabilités de façon active ou passive, c’est-à-dire qu’il se surinvestisse ou qu’il use de procrastination, il y a de fortes probabilités que ses comportements s’accompagnent d’anxiété (Covington, 2000; Shafran, Cooper et Fairburn, 2002), surtout s’il existe un décalage entre les résultats souhaités et ceux obtenus. Lorsque la réalité diffère des grandes aspirations du perfectionniste, les pensées automatiques dysfonctionnelles du genre « je dois absolument… » se déclinent selon deux fixations à savoir le « besoin d’être parfait » et « la conscience des imperfections », et se font très insistantes (Flett, Hewitt, Whelan et Martin, 2007). La fréquence de ces intrusions cognitives à teneur perfectionniste est liée notamment à la manifestation d’anxiété chez les étudiants universitaires (Flett, Hewitt, Blankstein et Gray, 1998; Flett, Madorsky, Hewitt et Heisel, 2002). Ainsi, les tendances obsessionnelles-compulsives liées au perfectionnisme (Frost, Steketee, Cohn et Griess, 1994; Tangney, Wagner et Gramzow, 1992) ont pour but de prévenir les conséquences négatives anticipées et d’augmenter le sentiment de contrôle relativement aux événements stressants, voire menaçants, et ce, en réduisant temporairement le niveau élevé d’anxiété (Mallinger, 1984; McFall et Wollersheim, 1979; Rhéaume, Ladouceur et Freeston, 2000). Bref, le style cognitif biaisé, rigide, intransigeant et extrême de l’étudiant perfectionniste semble assez problématique.

Aspect compétitif de certains programmes universitaires

Malgré l’état pathologique qui accompagne fréquemment le perfectionnisme, il semble pourtant être un mal nécessaire dans les études de haut niveau. Source de motivation pour plusieurs étudiants, ceux-ci croient fermement que leur succès est largement tributaire de leur perfectionnisme et, en sens, le considèrent comme un allié dont ils ne voudraient pas se passer en dépit des souffrances associées. Contraints en quelque sorte d’être collectivement performants et compétitifs sur la scène internationale, les programmes universitaires contingentés représentent indubitablement des microsociétés de performance où chaque étudiant doit se tailler une place (Barrett, Darredeau, Bordy et Pihl, 2005). Le contingentement quant au nombre d’admissions est une pratique universitaire qui confère donc un caractère compétitif aux programmes concernés. Vouloir faire des études supérieures dans un programme contingenté implique d’avoir des objectifs très élevés en matière de résultats scolaires, car seuls les meilleurs candidats sont sélectionnés. Or, les grands standards de réussite, le dépassement permanent de soi et la volonté de supériorité intellectuelle sont des dispositions mentales au coeur du perfectionnisme (Flett et Hewitt, 2002). Et les perfectionnistes autodéterminés manifestent davantage le désir d’accéder aux cycles supérieurs dans les programmes contingentés (Finn et Guay, 2014) et il semble que ceux qui visent très haut par choix personnel et qui canalisent leur énergie dans l’atteinte de leurs objectifs soient ceux qui performent le mieux (Blankstein et al., 2008; Rice et Ashby, 2007; Slaney, Rice, Mobley, Trippi et Ashby, 2001). Cependant, la compétition accrue dans les programmes contingentés peut vraisemblablement générer de l’anxiété de performance, plus particulièrement si l’étudiant perçoit les exigences académiques comme excédant ses ressources personnelles ou encore s’il remet en doute ses propres aptitudes cognitives (Zeidner, 1998, 2007).

À ce propos, dans un article très percutant, Blatt (1995) relate l’histoire tragique de trois grands perfectionnistes pour qui la pression de performer a débouché sur une issue a fatale. Tous les trois sont passés d’étudiants exceptionnels à professionnels estimés et influents dans leur domaine respectif. Bien que l’étiquette de « golden boy » leur était accolée, ils se montraient particulièrement vulnérables à la critique et avaient des jugements moraux très rigides. Fatigués d’avoir l’impression de devoir constamment prouver leur valeur et angoissés à l’idée de ternir leur image impeccable, ils ont fini par se suicider. Deux d’entre eux menaient une brillante carrière universitaire.

Se fixer personnellement des normes de performance très élevées et s’investir à fond pour s’y conformer n’est pas problématique en soi pour les étudiants (Finn et Guay, 2013). D’ailleurs, le fait qu’il y ait plus d’étudiants touchés par le perfectionnisme orienté vers soi aux cycles supérieurs qu’au premier cycle (Onwuegbuzie et Daley, 1999; Witcher et al., 2007) indique que le perfectionnisme autodéterminé est avantageux pour se tailler une place à la maîtrise et au doctorat, et ce, surtout lorsque l’étudiant sait qu’il a les compétences nécessaires pour se classer parmi les meilleurs. En contrepartie, ce trait de personnalité utile dans des conditions favorables représente un facteur de vulnérabilité susceptible de s’exprimer lorsque la réalité ne correspond pas aux grandes aspirations des étudiants touchés par cette quête excessive de perfection (Rice, Leever, Christopher et Porter, 2006). Il est plus dommageable lorsque les hauts standards sont imposés par autrui et que l’étudiant concerné est excessivement préoccupé par l’évaluation de son rendement, ce qui contribue à l’émergence d’anxiété de performance durant les périodes d’examens. Le spectre de l’échec peut alors faire apparaître des difficultés psychologiques chez les étudiants dont l’estime personnelle dépend exagérément de leurs résultats scolaires (Beery, 1975).

À cet égard, bien qu’il y ait plus d’étudiants touchés par le perfectionnisme orienté vers soi aux cycles supérieurs qu’au premier cycle, il semble que le lien entre le perfectionnisme orienté vers soi (celui qui favorise la réussite scolaire) et le perfectionnisme prescrit par autrui (celui qui nuit au rendement scolaire et au bien-être psychologique) s’intensifie avec la gradation du niveau universitaire. En effet, l’étude qui s’est intéressée aux étudiants gradués et qui fournit cette donnée présente une corrélation de r = 0,75, entre le perfectionnisme autodéterminé et celui sociodéterminé (Witcher et al., 2007), alors qu’elle est généralement moindre au premier cycle (r = 0,44 Dunkley, Blankstein et Berg, 2012; r = 0,49 Rice, Ashby et Slaney, 2007). En fait, on constate que le perfectionnisme pourrait favoriser l’acception dans des programmes contingentés, mais deviendrait plus problématique une fois que l’étudiant chemine aux cycles supérieurs. Peut-on qualifier le perfectionnisme de mal nécessaire, à la fois facilitant et handicapant?

Question d’intérêt social

Il devient pressant de se pencher sérieusement sur cette question étant donné l’importance du capital intellectuel pour la prospérité individuelle et collective en contexte de mondialisation. Bien que la grande majorité des doctorants aient les aptitudes requises pour compléter avec succès le doctorat, le taux de diplomation est seulement d’environ 57 % selon une étude d’envergure menée par le Council of Graduate Schools (2008) auprès de 24 universités canadiennes et américaines. Si l’aspect financier demeure le « facteur le plus influent » expliquant le désistement, force est de constater que la thèse doctorale semble constituer une épreuve insurmontable pour un bon nombre d’étudiants qui abandonnent en cours de route (Conseil supérieur de l’éducation, 2000). Le perfectionnisme et la procrastination qui en découlent sont reconnus comme des entraves importantes à la rédaction de la thèse (Fredtoft, Poulsen, Bauer et Malm, 1996; Green, 1997; Kearns et al., 2008; Nerad et Cerny, 1993), surtout lorsque l’étudiant croit fermement que la première version doit être impeccable (Pyryt, 2007) ne tolérant aucune erreur au risque d’ébranler profondément son estime personnelle.

L’estime de soi de l’étudiant gradué peut être perturbée par la concentration importante d’étudiants brillants aux cycles supérieurs. Ces étudiants dûment sélectionnés pour leur excellence parmi un large bassin d’étudiants se retrouvent maintenant parmi les plus forts de leur programme d’étude. Il est probable que la comparaison défavorable entre pairs (Zeidner, 2007; Zeidner et Schleyer, 1999a, 1999b) ne soit pas étrangère aux problèmes psychologiques vécus par certains doctorants perfectionnistes (Ellis, 2002). En effet, un sentiment d’infériorité peut être exacerbé par la confrontation à cette nouvelle réalité d’être dans ou sous la moyenne. Aussi, le « syndrome de l’imposteur » est-il très présent dans les programmes compétitifs, c’est-à-dire que l’étudiant peut avoir tendance à « remettre en question ses compétences et avoir peur que les autres découvrent qu’il est une fraude intellectuelle », ce qui peut affecter son comportement (Henning, Ey et Shaw, 1998, p. 456). Cela peut le pousser à user de procrastination par peur de confirmer son insuffisance supposée et devenir ultérieurement paralysé par l’échéance qui se rapproche toujours plus (Clance, Dingman, Reviere et Stober, 1995). Compte tenu de ce problème, il est souhaitable de trouver des moyens de faire en sorte que les doctorants perçoivent la rédaction de leur thèse comme une occasion de se développer humainement et professionnellement (Deci et Ryan, 2008) plutôt que comme un obstacle à franchir ou un test compromettant leur valeur propre.

Implications cliniques et institutionnelles

Le caractère à la fois bénéfique et toxique du perfectionnisme doit vraiment faire l’objet d’attention soutenue dans le milieu universitaire, véritable microcosme d’une société de performance. Il y a effectivement des avantages à être perfectionniste, car les étudiants qui s’imposent des exigences élevées réussissent mieux que les autres (Blankstein et al., 2008). Les perfectionnistes seraient également plus scolarisés que les non-perfectionnistes (Nekanda-Trepka, 1984), ce qui reste toutefois à être dûment vérifié. Quoi qu’il en soit, l’autocritique sévère qui accompagne souvent cette quête de perfection à tout prix est particulièrement malsaine (Dunkley, Zuroff et Blankstein, 2006). Par conséquent, l’intervention optimale auprès des étudiants universitaires est de stimuler les côtés bénéfiques du perfectionnisme et d’en diminuer les inconvénients (Kutlesa et Arthur, 2008).

Radhu et ses collaborateurs (2012) proposent un programme d’intervention sur internet visant la diminution des pensées perfectionnistes et de leur impact sur l’humeur, validé auprès d’étudiants universitaires perfectionnistes canadiens de premier cycle. Celui-ci comprend 13 modules et inclut de la restructuration cognitive, des techniques de gestion du stress et de relaxation. Les avantages des programmes sur le web sont leur accessibilité en tout temps, leur diffusion à grande échelle et leur coût minime (Radhu et al., 2012). Ce protocole offre une base intéressante qui demande à être bonifiée avec les avancées futures (Arpin-Cribbie, Irvine et Ritvo, 2012).

Kutlesa et Arthur (2008) ont pour leur part testé avec un certain succès un traitement s’échelonnant sur quatre semaines à raison de deux séances par semaine. Les participants étaient des étudiants de premier cycle et des cycles supérieurs d’une université canadienne. La démarche revient essentiellement à comprendre le perfectionnisme et à reconnaître les pensées, émotions, les comportements et les facteurs interpersonnels qui en découlent et d’en peser le pour et le contre. Le traitement consiste principalement en de la psychoéducation (l’explication théorique), de la restructuration cognitive, de l’imagerie guidée et de la relaxation.

Kearns, Gardiner et Marshall (2008) ont évalué un programme visant spécifiquement à aider les doctorants d’une université australienne à compléter leur thèse en ciblant directement les comportements d’autosabotage dont fait partie le perfectionnisme. Ce programme d’entraînement comportemental comprend cinq étapes : 1) la détermination d’objectifs précis; 2) l’identification des entraves potentielles et des manières d’agir habituellement nuisibles; 3) l’appréciation des conséquences négatives de ces façons d’agir; 4) le passage à l’action; et 5) l’identification et la remise en question et des croyances dysfonctionnelles.

Les programmes d’aide aux étudiants peuvent s’inspirer de ces protocoles qui ont démontré une certaine efficacité. Cependant, il serait aussi nécessaire de poursuivre les recherches pour vraiment saisir la réalité estudiantine du perfectionnisme dans son ensemble. Il convient de souligner que l’angle sous lequel le perfectionnisme est conçu influence la façon dont il sera traité. Le perfectionnisme est complexe et renvoie à plusieurs acceptions; « une caractéristique de la personnalité et un style cognitif spécifique avec son mode de comportement correspondant » (Todorov et Bazinet, 1996, p. 292), un facteur de vulnérabilité à la psychopathologie, un critère diagnostique de la personnalité obsessionnelle-compulsive, un diagnostic en soi ou une entrave à la psychothérapie (Riley, Lee, Cooper, Fairburn et Shafran, 2007). Les protocoles présentés visent toutefois les symptômes les plus apparents sans vraiment toucher les processus sous-jacents. Le fait que ces protocoles aient des impacts limités sur le niveau de perfectionnisme suggère qu’il faut d’abord bien définir les différents éléments fautifs et surtout comprendre la façon dont ils s’articulent afin de mieux définir les cibles de traitement (Flett et Hewitt, 2008) et avoir un impact thérapeutique majeur et surtout durable. Comme suggéré par Riley et ses collègues (2007), il faut s’intéresser à l’aspect vulnérabilité pour véritablement soigner le perfectionnisme clinique. C’est dans cette optique qu’un modèle théorique hypothétique est ébauché et présenté ci-après.

Modèle théorique hypothétique

Le modèle théorique hypothétique du perfectionnisme de l’étudiant universitaire proposé (voir figure 1) intègre les divers éléments puisés dans la littérature scientifique et discutés dans cet article afin de former un tout cohérent et plausible. Comme le perfectionnisme est de toute évidence multidimensionnel et multidéterminé (Flett, Hewitt, Oliver et Macdonald, 2002), seuls les chemins qui semblent le mieux expliquer les deux types de perfectionnisme en milieu universitaire sont retenus. Le modèle prend pour prémisse que la vulnérabilité du perfectionniste tient principalement à un schéma précoce inadapté d’imperfection/honte (ou sentiment d’infériorité) et que la différence entre le perfectionnisme négatif et celui positif dépend majoritairement du fait que ce schéma soit activé ou neutralisé. Un schéma précoce inadapté est « un ensemble de souvenirs, d’émotions, de sensations physiques et de cognitions qui tourne autour d’un thème infantile » et qui influence l’expérience par un traitement biaisé de l’information (Young, Klosko et Weishaar, 2005, p. 57). Le perfectionnisme serait le processus par lequel l’enfant se protège de la souffrance résultant de l’insatisfaction du besoin d’être accepté inconditionnellement par ses parents, c’est-à-dire une tentative de compensation narcissique reliée au sentiment de ne pas être à la hauteur des attentes parentales. Partant de la théorie adlérienne du complexe d’infériorité, Ashby et Kottman (1996) arrivent à la conclusion que les perfectionnistes dysfonctionnels ont un plus grand sentiment d’être de moindre valeur que les perfectionnistes fonctionnels. Il convient de souligner que, similairement aux schémas précoces, les complexes sont des « ensembles organisés de représentations et de souvenirs à forte valeur affective, partiellement ou totalement inconscients qui se constituent à partir des relations interpersonnelles de l’histoire infantile et qui peuvent structurer tous les niveaux psychologiques : émotions, attitudes et conduites » (Laplanche et Pontalis, 2007, p. 72). Ce sont justement ces émotions, attitudes et conduites qui représentent les manifestations apparentes desquelles on peut inférer la présence du complexe ou du schéma en question.

L’état de ce schéma est, dans le modèle proposé, supposé relevé du fait d’avoir ou non les moyens de ses hautes ambitions, car l’importance de l’écart entre les résultats souhaités et ceux réellement obtenus est l’élément déterminant dans les difficultés d’adaptation vécues par les étudiants perfectionnistes (Suddarth et Slaney, 2001), et cela est abondamment documenté dans la littérature comme en témoigne le présent article. En d’autres termes, le perfectionnisme dit adaptatif l’est moins lorsque les performances de l’étudiant s’éloignent de la perfection (Stoeber et Yang, 2010) ; l’étudiant compense ou confirme son sentiment d’infériorité. C’est possiblement ce qui explique le jugement dichotomique (succès ou échec, héros ou zéro) des perfectionnistes.

La personnalité adulte dépend principalement de la potentialisation mutuelle du tempérament et de l’expérience durant l’enfance et l’adolescence (Rothbart, Ahadi et Evans, 2000). Le tempérament prend assise sur le bagage génétique et constitue la disposition innée de l’individu à réagir d’une façon particulière à certains stimuli. En ce qui concerne le style de personnalité perfectionniste, peu d’études ont été effectuées relativement au tempérament comme tel, mais plusieurs touchent des concepts connexes. Il est réaliste de croire qu’un tempérament anxieux constitue un terrain propice à son développement en raison des indices suivants. D’une part, une étude sur des jumeaux propose une origine partiellement génétique du perfectionnisme (Tozzi et al., 2004). D’autre part, ce style de personnalité est lié au système d’inhibition comportementale c’est-à-dire à une tendance à ressentir la peur et l’anxiété et une inclinaison à réagir par l’évitement (Randles et al., 2010; Turner et Turner, 2011). De plus, le perfectionnisme est associé à la faible recherche de nouveauté (Kobori et al., 2005) et à la peur des symptômes anxieux (Pirbaglou et al., 2013).

Du point de vue de l’expérience, les parents ont certes une influence dans le développement du perfectionnisme de leurs enfants (Flett, Hewitt, et al., 2002). Certains enfants deviennent perfectionnistes par apprentissage vicariant auprès de parents perfectionnistes; d’autres le deviennent en réaction à des parents qui font preuve d’inconsistance dans la juste mesure entre les règles et les conséquences (le perfectionnisme les protège en leur permettant d’en faire plus que pas assez); d’autres intériorisent l’anxiété des parents surprotecteurs, le perfectionnisme devenant la stratégie leur permettant de calmer leur agitation interne et celle de leurs parents (Flett, Hewitt, et al., 2002). Dans le modèle élaboré, il est question du style parental autoritaire caractérisé par le contrôle et le manque de sensibilité, car il semble être le plus susceptible de rendre l’enfant vulnérable aux conséquences délétères du perfectionnisme (Flett, Hewitt, et al., 2002; Soysa et Weiss, 2014). Qui plus est, le système d’inhibition comportementale est surtout à l’oeuvre chez les enfants dont les parents ne mesurent pas l’impact de leurs ambitions déraisonnables à leur endroit (Turner et Turner, 2011). L’enfant élevé ainsi en vient à croire qu’il n’est pas à la hauteur, parce qu’il perçoit l’approbation parentale largement dépendante de ses performances et de l’importance des hauts standards communiqués par ces mêmes personnes dont sa survie dépend (Flett, Hewitt, et al., 2002). Il semble y avoir un lien entre le style parental autoritaire, le perfectionnisme et le fait que l’étudiant utilise des stratégies d’approche du succès ou d’évitement de l’échec (Fletcher, Shim et Wang, 2012). Les exigences parentales élevées ne sont pas graves si l’étudiant a les capacités pour les atteindre, car il pourra exceller consécutivement à ses actions dirigées vers le succès et ainsi neutraliser le schéma par compensation. Toutefois, si l’étudiant n’a pas les capacités requises, il est plausible que les pratiques parentales qui suscitent la honte et la culpabilité se fassent plus présentes contribuant ainsi à l’activation du sentiment d’infériorité, d’où l’augmentation des préoccupations quant aux erreurs et aux doutes à propos des actions favorisant les comportements d’évitement susceptibles de le mener à cet échec tant redouté et de confirmer son infériorité. Et, à plus forte raison, que l’anxiété relative au schéma imperfection/honte émerge lorsqu’un événement externe menace la cohésion interne (Cousineau, 2004), car l’étudiant perfectionniste s’identifie à part entière à ses résultats scolaires. Pour lui, l’échec devient purement personnel; il n’échoue pas, il est l’échec.

L’étude de Grebot et Girard-Dephanix (2004) révèle que c’est précisément lorsque les schémas inadaptés sont activés que les étudiants destinés à se faire évaluer font preuve de stratégie d’évitement, alors que lorsque ces schémas sont inhibés, les étudiants s’ajustent en utilisant des stratégies centrées sur le problème. D’ailleurs, il semble que c’est en situation d’adversité surtout concernant les accomplissements que le perfectionnisme autodéterminé s’accompagne de détresse psychologique (Hewitt et al., 1996). Lorsque le perfectionniste reçoit une rétroaction négative sur sa performance, il devient plus dysfonctionnel (Besser, Flett et Hewitt, 2004). L’anxiété survient généralement lorsque le schéma est activé par un incident critique, c’est-à-dire un événement qui fait écho à son thème central (Cousineau, 2004), soit au sentiment d’infériorité dans le cas qui nous occupe. Hirsch et Hayward (1998) décrivent le cas d’un patient perfectionniste qui tend à confirmer cette idée; un homme de 40 ans entretenant la croyance fondamentale de « ne pas être assez bon » en compensant son insuffisance par le perfectionnisme. Cette méthode l’a bien servi jusqu’à ce qu’il soit incapable de remplir les exigences haussées par sa nouvelle situation au travail, d’où une « activation de son schéma fondamental dysfonctionnel et de la détresse émotionnelle relative » (Hirsch et Hayward, 1998, p. 361). Plusieurs cas publiés dont celui de l’étudiant en droit présenté précédemment suggère que le perfectionnisme est une « tentative de compenser pour un déficit de soi perçu » (Flett et Hewitt, 2002, p. 9). Il semble que la perception d’une asymétrie entre ce qu’ils sont et ce qu’ils voudraient être est liée à la symptomatologie dépressive chez les étudiants, alors que la perception d’un écart entre ce qu’ils sont et ce qu’ils croient devoir être est liée à la symptomatologie anxieuse (Higgins, Bond, Klein et Strauman, 1986; Scott et O’Hara, 1993).

Par ailleurs, l’étude de Gaudreau et Thompson (2010) suggère que les étudiants perfectionnistes qui ne sont pas outre mesure préoccupés par leur performance représentent les étudiants les plus motivés à réussir, et que leur niveau de satisfaction scolaire et d’affects positifs et négatifs est assez similaire à celui des non-perfectionnistes. Leur absence d’inquiétude découle probablement d’une grande confiance en leurs compétences, et que celle-ci résulterait d’une succession de succès scolaires antérieurs et actuels qui aurait pu faciliter l’appropriation des exigences externes, la consolidation de leur estime personnelle et l’inhibition du schéma fondamental ultimement. Un peu dans la même veine, le modèle du double processus de Slade et Owens (1998) stipule que le caractère positif ou négatif du perfectionnisme dépend de ses conséquences et de sa fonction; le perfectionniste renforcé positivement par les résultats souhaités adopte des comportements dirigés vers la réussite et celui qui est renforcé négativement par des résultats décevants agit dans le but de prévenir sa déconfiture.

Il n’en demeure pas moins que les perfectionnistes apparemment sains sont vulnérables aux difficultés psychologiques advenant un échec (Masson, Cadot et Ansseau, 2003; Stoeber et al., 2014). Certains chercheurs qui concluent à l’existence du perfectionnisme adaptatif le font à la suite d’analyses statistiques qui permettent de contrôler le chevauchement entre les caractéristiques majoritairement positives et celles franchement négatives (Stoeber et Otto, 2006). À l’évidence, les premières épurées des deuxièmes sont souvent associées à des conséquences positives. Bien sûr, cela est utile et nécessaire pour connaître l’apport de chaque composante et cibler celles à promouvoir et celles à traiter, mais cela peut être trompeur pour juger du caractère sain ou malsain du perfectionnisme, car les deux sont toujours positivement associés en réalité comme le soulignent Powers et ses collègues (2011). Dans leur étude, en contrôlant l’autocritique (aspect du perfectionnisme dont le caractère particulièrement débilitant est abondamment documenté), le perfectionnisme orienté vers soi montre un lien positif marginalement significatif avec la progression vers l’atteinte des objectifs. Cité hors contexte, cela peut artificiellement suggérer que le perfectionnisme autodéterminé est adaptatif pour les étudiants. Cependant, la progression vers les buts est inversement liée à l’autocritique (= -0,29; p < 0,05) et l’autocritique est positivement liée (= 0,51; p < 0,01) au perfectionnisme orienté vers soi (Powers et al., 2011). Peut-on sérieusement conclure à l’existence d’un perfectionnisme adaptatif en tant qu’entité distincte si la corrélation entre une conséquence souhaitable et ses aspects positifs abstraits de ses aspects négatifs se montre la plupart du temps beaucoup plus faible que le lien entre ces mêmes aspects positifs et négatifs? Il est probablement plus juste de parler d’un style de personnalité complexe et potentiellement dommageable qui inclut des dimensions qui ne sont pas néfastes en soi.

Le fait de purifier par des analyses statistiques le perfectionnisme de ce qui le rend malsain peut porter à minimiser son impact dans la vie des étudiants qui en sont touchés. En ce sens, il importe de se questionner sur le fait que l’autocritique néfaste et les préoccupations excessives quant à l’évaluation sont à l’état latent pour certains étudiants perfectionnistes et pas pour d’autres. La réponse la plus adéquate, telle que suggérée précédemment, suppose que le schéma précoce inadapté soit inopérant en raison d’une absence d’écart entre les résultats obtenus et ceux voulus. Les pensées dysfonctionnelles automatiques à teneur perfectionniste surgissent en force lorsqu’un décalage entre les hauts standards et les performances est perçu (Flett et al., 1998), ce qui laisse supposer l’activation d’un schéma. De plus, l’importance de l’écart va de pair avec l’importance des soucis excessifs de l’évaluation (Blankstein et al., 2008). Et l’on sait que l’estime de soi de plusieurs étudiants perfectionnistes dépend de leur moyenne cumulative (DiBartolo et al., 2004). Pallanti (2004), fort à propos, suggère la métaphore du chêne de la fable Le chêne et le roseau de La Fontaine faisant référence au perfectionniste positif qui, par analogie au chêne, est solide et « ne plie pas », mais « casse » lorsqu’il est trop sollicité par l’adversité. Poussé à son paroxysme, le perfectionnisme exacerbé mène au suicide de jeunes étudiants particulièrement doués scolairement (Delisle, 1986). Ça prend de la flexibilité pour triompher des obstacles endogènes autant qu’exogènes, ce qui semble faire défaut aux adeptes de la perfection qui sont, au contraire, reconnus pour leur rigidité (Ferrari et Mautz, 1997).

Discussion

On ne peut pas penser que le parcours universitaire puisse être stimulant en tout temps et exempt de peines affectives sans manquer de réalisme. Faire des études dans le but d’obtenir un diplôme et l’étiquette sociale rattachée est considéré comme un rite de passage dans les sociétés modernes et, corollairement, cela comporte son lot de règles et d’épreuves (Blum, 2010). Il s’agit aussi d’un rite d’institution, car l’obtention du diplôme convoité, en plus de représenter une consécration de tous ses efforts et de lui fournir sa légitimité professionnelle, le différencie de ceux qui n’ont pas fait d’études semblables et de ceux qui ont échoué (Bourdieu, 1982). Le diplôme, en étant à la fois une attestation de compétence et une forme de reconnaissance peut être vu par l’étudiant perfectionniste comme une preuve tangible de sa valeur personnelle. En contrepartie, ne pas l’obtenir marquerait officiellement son manque de valeur et confirmerait son sentiment d’infériorité.

Afin que le parcours scolaire n’ampute pas l’étudiant de sa créativité et de sa vitalité, il est important qu’il s’approprie les exigences au lieu de les subir sans discernement, car l’intégration est préférable à l’introjection (Deci et Ryan, 2008). Pour ce faire, il doit sentir que sa formation favorise son épanouissement personnel et sa contribution à la société (Kasser et Ryan, 1996) plutôt qu’elle ne réponde qu’aux exigences parentales et institutionnelles. Les activités reliées au développement du potentiel sont inversement liées à la détresse psychologique, alors que celles qui sont poursuivies dans le but d’obtenir une validation externe de sa valeur personnelle sont positivement liées à la détresse psychologique et au désengagement (Dykman, 1998), encouragent du coup un style défensif (Schimel, Arndt, Pyszczynski et Greenberg, 2001). Le perfectionnisme de tout type est négativement associé à la tendance à l’autoactualisation, et cela tient principalement à la faible tolérance à l’échec de celui qui en est affublé (Flett, Hewitt, Blankstein et Mosher, 1991). Mieux vaudrait donc que les étudiants perfectionnistes visent le dépassement de soi plutôt que le dépassement des autres et qu’ils apprennent à échouer fructueusement, c’est-à-dire qu’ils conçoivent les échecs comme des occasions d’apprendre (Nugent, 2000). Mais, est-ce vraiment réaliste pour quelqu’un, perfectionniste de surcroît, qui veut absolument accéder à un programme contingenté dans lequel seuls les meilleurs étudiants sont admis?

Figure 1

Modèle théorique hypothétique du perfectionnisme de l’étudiant universitaire

Modèle théorique hypothétique du perfectionnisme de l’étudiant universitaire

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Conclusion

Manifestement, de nouvelles études sont requises afin d’améliorer l’état des connaissances sur le perfectionnisme en milieu universitaire. Bien que théoriquement intéressant et cliniquement pertinent, le modèle hypothétique présenté constitue une invitation à approfondir le lien entre les variables personnelles et les pratiques institutionnelles qui influent sur le rendement scolaire et la santé mentale des étudiants universitaires. La contribution originale du présent article est d’offrir des informations aux cliniciens travaillant dans les programmes d’aide aux étudiants et aux professeurs qui doivent diriger des étudiants perfectionnistes.

Cependant, force est d’admettre que de former un tout cohérent avec des éléments disparates évalués sur des échantillons divers, bien que majoritairement formés d’étudiants universitaires, implique une bonne dose d’inférence. Néanmoins, l’exercice constitue une étape nécessaire vers l’éclaircissement du phénomène et l’élaboration de meilleurs protocoles d’intervention. Il reste toutefois que le modèle théorique présenté est à un stade embryonnaire et qu’il appelle à être validé empiriquement. S’il se révèle valable, il serait judicieux de viser la transformation du schéma précoce inadapté afin de rendre l’étudiant perfectionniste moins vulnérable aux revers, voire moins perfectionniste. Bien que la théorie des schémas représente une façon très éclairante de conceptualiser l’organisation et le fonctionnement de la personnalité à la base des motivations plus ou moins conscientes des étudiants perfectionnistes, elle demeure une présomption qui se vérifie indirectement. Malgré le manque de confirmation irréfutable, il ne faut pas négliger tous les éléments pouvant constituer des pistes de solution. Il serait aussi préférable de viser l’augmentation de la flexibilité des étudiants perfectionnistes afin que ceux qui réalisent qu’ils n’ont pas ce qu’il faut pour réussir dans leur programme d’études se réorientent vers un autre qui correspond mieux à leurs aptitudes scolaires.

En outre, cette proposition initiale demande l’appui éventuel d’études longitudinales qui pourront, par exemple, en valider la séquence temporelle et ainsi donner des indications utiles aux parents qui sont les mieux placés pour intervenir en amont, avant que le schéma se forme et se cristallise. Il existe potentiellement divers chemins menant un enfant à risque de développer un sentiment d’infériorité. Nommément, s’il se sent comparé défavorablement avec un autre membre de la fratrie, de la famille élargie ou encore du voisinage par un de ses parents; ou s’il se sent condamné à le décevoir en étant idéalisé ou surinvesti de colmater ses failles personnelles ou de rehausser sa valeur propre par procuration; et peut-être même d’égaler ses exploits si ce parent est hyperperformant. Même si le parent a rarement l’intention explicite d’imposer une telle pression sur sa progéniture, il est primordial qu’il demeure néanmoins vigilant aux manifestations apparentes, dont font partie le perfectionnisme et ses nombreux corrélats exposés dans le présent document, spécialement si cette quête tyrannique de perfection s’étend dans toutes les sphères de sa vie, car il est supposé que le perfectionnisme généralisé est encore plus problématique que le perfectionnisme exclusif à un champ d’activités (Flett et Hewitt, 2002). Il est souhaitable que l’enfant se sente accepté avec ses forces et ses faiblesses, investi et orienté adéquatement et reconnu en tant qu’être humain unique, imparfait, faillible et digne d’intérêt.