Corps de l’article

Introduction

Au Québec, le suicide complété vient au deuxième rang des causes de décès chez les adolescents, tout juste derrière les accidents de la route (Légaré, Gagné, St-Laurent et Perron, 2013). Chez les adolescents de 12 à 15 ans, les données épidémiologiques mettent surtout en évidence l’importance des idées suicidaires et des tentatives de suicide (Institut de la Statistique du Québec, 2009). Dans l’Enquête québécoise sur la santé mentale des jeunes réalisée en 1992 (Breton, Tousignant, Bergeron et Berthiaume, 2002), les prévalences d’idées suicidaires, évaluées par les adolescents augmentent systématiquement à partir de 12 ans (5,4 %), 13 ans (11,3 %) et 14 ans (13,4 %), ces pensées étant plus fréquentes chez les filles (10 %) que chez les garçons (4,4 %). La pertinence de mieux comprendre les idées suicidaires chez les adolescents est bien connue. Leur présence est non seulement le principal prédicteur d’une tentative de suicide, mais aussi un indice fortement associé à la détresse émotionnelle et aux difficultés de fonctionnement familial, social et scolaire (Beautrais, 2000; Bridge, Goldstein et Brent, 2006; Fergusson, Horwood, Ridder et Beautrais, 2005; Kerr et Capaldi, 2011; Mazza et Reynolds, 2001; Reinherz, Tanner, Berger, Beardslee et Fitzmaurice, 2006).

D’un point de vue conceptuel, les comportements suicidaires sont définis sur un continuum incluant les idées de s’enlever la vie, la tentative de suicide et le suicide complété (Brenner et al., 2011). Les idées suicidaires expriment un désir de mourir dont le sérieux de l’intentionnalité prend la forme d’un plan pour s’enlever la vie. Ces comportements ne sont pas définis comme un trouble mental dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux-5e édition (DSM-5), mais représentent des symptômes intégrés aux diagnostics de dépression majeure et de personnalité limite (American Association of Psychiatry, APA, 2013). La notion de troubles mentaux, telle que définie au DSM-5, représente un ensemble de symptômes ou de manifestations comportementales et psychologiques survenant simultanément, qui dévient une norme établie (Kendell et Jablensky, 2003). Néanmoins, il n’existe toujours aucun critère absolu (par ex. un de marqueur biologique) permettant de valider les construits définissant les troubles mentaux (Kendell et Jablensky, 2003). Le DSM propose un algorithme qui implique des critères de gravité déterminant un nombre minimal de symptômes pour définir la présence ou l’absence de chacun des troubles mentaux. Une difficulté importante demeure dans l’établissement des diagnostics : la présence de faux négatifs, c’est-à-dire l’absence d’un diagnostic alors qu’il y aurait un problème possible. Plusieurs adolescents présentant un trouble mental, tel que la dépression, passent inaperçus bien que les données suggèrent que la présence d’une dépression mineure (en deçà du seuil exigé par le DSM-5) augmente significativement la possibilité de développer un autre trouble et est associés à des niveaux de dysfonctionnement importants (Fergusson et al., 2005). Dans ces situations, plusieurs chercheurs emploient le concept de syndrome qui se définit par une constellation de divers symptômes d’une même catégorie de trouble. Le syndrome n’implique pas l’atteinte des critères diagnostiques établis par le DSM-5, mais suggère la présence d’un problème de santé mentale (Foley, Goldston, Costello et Angold, 2006; Goldney, Fisher, DaI Grande et Taylor, 2004; Marcotte, 1995).

Dans une perspective de prévention, l’étude proposée s’intéresse à vérifier la force de l’association entre des syndromes du DSM-5 et les idées suicidaires chez des adolescents de 12 à 15 ans. L’apport de cette étude est de mettre en évidence la pertinence d’accorder une attention particulière aux adolescents qui présentent un nombre important de symptômes de l’un ou l’autre trouble mental, sans répondre aux critères diagnostiques proposés par le DSM, afin de cibler les jeunes qui pourraient potentiellement être plus à risque de présenter des idées suicidaires.

Cadre théorique

L’approche développementale suggérées par Brent et Mann (2003) ainsi que Bridge et ses collaborateurs (2006) offre l’avantage de penser le processus suicidaire comme un enchainement de facteurs pour lesquels l’interaction et le cumul conduisent à l’émergence d’idées suicidaires et augmentent le risque de faire une tentative de suicide. Les comportements suicidaires surviennent dans un contexte où la vulnérabilité du jeune est accentuée par la présence de troubles mentaux ou la tendance à l’impulsivité et à l’agressivité (Brent et Mann, 2003; Mann, Waternaux, Haas et Malone, 1999; Shaffer et Pfeffer, 2001). Selon ces modèles, les comportements suicidaires seraient associés aux troubles mentaux en interaction avec les difficultés vécues au cours de l’enfance (familiales, relationnelles et scolaires) (Bridge et al., 2006; Cicchetti et Rogosch, 1996).

Mann et ses collaborateurs (1999) proposent un modèles stress-diathèse dans lequel la présence de troubles mentaux est une condition nécessaire, mais non suffisante à l’explication des comportements suicidaires. La prédisposition aux conditions psychiatriques et la présence de symptômes définissant les troubles mentaux sont des facteurs importants de prédisposition dans l’émergence des idées suicidaires (Bridge et al., 2006). Bien que les comportements suicidaires soient rares avant la puberté, tout comme la dépression, les recherches démontrent que la présence, à titre d’exemple, d’anxiété et de comportements perturbateurs (Kelly et al., 2004) sont susceptibles d’augmenter la vulnérabilité du jeune à développer de la dépression et des comportements suicidaires au début de l’adolescence.

En s’appuyant ainsi sur les données de recherches précédentes, l’intérêt d’une étude portant sur l’association entre la présence de syndromes et les idées suicidaires est d’autant plus pertinente tant d’un point de vue clinique que celui de la recherche. Une étude qui identifie des jeunes à risque plutôt que des jeunes qui présentent déjà des troubles mentaux a l’avantage de définir des groupes vulnérables et souligne l’importance d’une intervention précoce afin de prévenir les comportements suicidaires. À notre connaissance, aucune étude de la sorte n’a été réalisée auprès d’un échantillon scolaire et d’un échantillon clinique.

Idées suicidaires et santé mentale

À ce jour, des dizaines d’articles ont été publiés démontrant l’association entre les comportements suicidaires et les troubles mentaux chez les adolescents. La dépression majeure, les troubles anxieux, les comportements perturbateurs (trouble d’opposition et trouble des conduites), les traits de personnalité limite ainsi que la consommation de substances (cigarettes, alcool et drogues) sont les troubles les plus fréquemment associés aux idées suicidaires (Brezo, Paris, Tremblay, Vitaro, Hébert et Turecki, 2007; Fergusson, Beautrais et Horwood, 2003; Groves, Stanley et Sher, 2007; Hallfors et al., 2004; Hetrick, Vance et Hall, 2008; O’Neil, Puleo, Benjamin, Podell et Kendall, 2012; Ruchkin, Schwab-Stone, Koposov, Vermeiren et King, 2003; Seguin, Renaud, Lesage, Robert et Turecki, 2011; Vander Stoep et al., 2011). Les études tendent également à démontrer depuis quelques années, l’association entre les idées suicidaires et le TDAH (Chronis-Tuscano et al., 2010; Hurtig, Taanila, Moilanen, Nordström et Ebeling, 2012). L’étude de Chronis-Tuscano et ses collaborateurs (2010), suggère que les enfants de 4 à 6 ans qui présentent un TDAH sont plus à risque de vivre une dépression ou de faire une tentative de suicide avant l’âge de 18 ans comparativement aux jeunes qui ne présentaient pas de TDAH à l’enfance.

La dépression est généralement décrite comme l’un des principaux facteurs de risque des comportements suicidaires (Dalca, McGirr, Renaud et Turecki, 2013). Par exemple, Lewinsohn et ses collaborateurs (1996) trouvent que les idées suicidaires sont élevées chez les jeunes présentant des symptômes dépressifs (40,7 %). Bien que la dépression soit plus fortement associée aux comportements suicidaires, d’autres troubles mentaux augmentent aussi la vulnérabilité d’un adolescent à l’émergence des idées suicidaires (Dalca et al., 2013). La contribution de chacun des autres troubles mentaux varie toutefois d’une étude à l’autre lorsque plusieurs troubles sont considérés dans une même analyse statistique et peu de données permettent d’identifier quel (s) trouble (s) prédit (sent) le mieux les idées suicidaires chez les adolescents (Nock, 2009).

O’Neil et ses collaborateurs (2012) trouvent un lien significatif entre la présence d’anxiété et les idées suicidaires après avoir contrôlé pour la dépression. Les résultats de l’équipe de Foley (2006) montrent que les troubles anxieux ainsi que la consommation de substances sont associés à l’augmentation du risque suicidaire seulement lorsqu’ils sont associés à la présence d’autres troubles (comorbidité). De leur côté, Javdani et ses collaborateurs (2011) soulignent que l’inclusion des caractéristiques d’impulsivité, d’agressivité et de dépression s’avère significative tandis que l’anxiété ne contribue pas à expliquer les comportements suicidaires. Cette association entre les idées suicidaires et les troubles mentaux a également été étudiée chez les 825 adolescents de 12 à 14 ans dans l’Enquête québécoise sur la santé mentale des jeunes (Breton et al., 2002). Les analyses ont été réalisées sur des regroupements de troubles intériorisés et extériorisés. Les résultats suggèrent que ces deux catégories de troubles augmentent le risque de présenter des idées suicidaires lorsque l’informateur est le jeune.

Idées suicidaires selon l’âge et le sexe

Plusieurs constantes ressortent des données épidémiologiques sur les différents comportements suicidaires à l’adolescence (Epstein et Spirito, 2010). Au Québec, la prévalence de mort par suicide est 3,3 fois plus élevées chez les hommes que chez les femmes (Légaré et al., 2013). Les moyens utilisés dans les tentatives de suicide sont également différents entre les filles et les garçons, ces derniers utilisant des moyens beaucoup plus violents (par ex. arme à feu, pendaison) que les filles (par ex. empoisonnement). De leur côté, les filles sont plus à risque de faire des tentatives de suicide et d’avoir des idées suicidaires que les garçons (2:1) (Breton et al., 2002; Evans et al., 2005; Reinherz et al., 2006). Au cours de l’adolescence, la prévalence des comportements suicidaires est plus élevée lorsque les jeunes vieillissent (Evans, Hawton, Rodham et Deeks, 2005). Une question se pose : est-ce que l’association entre les troubles mentaux et les comportements suicidaires est stable ou change-t-elle selon l’âge de la population étudiée et le sexe de l’adolescent?

À ce jour, l’âge et le sexe sont reconnus comme des indicateurs développementaux utiles pour mieux saisir les comportements suicidaires et les troubles mentaux (Angold et Costello, 2006). Ils demeurent des indicateurs fiables qui ont, jusqu’à présent, montré des différences significatives au plan statistique dans certaines études sur les prévalences et les variables associées aux troubles mentaux et aux comportements suicidaires (Breton et al., 1999, 2002, Bergeron et al., 2007, Costello et al., 2003; Foley et al., 2006). L’âge et le niveau de développement cognitif, physiologique et social ainsi que le genre contribuent à déterminer la façon dont un jeune vit et exprime ses états émotionnels (Cicchetti et Toth, 1998). Par exemple, la tristesse est un symptôme majeur dans la dépression, mais s’exprime différemment selon l’âge. Les jeunes garçons ont tendance à manifester leur détresse par des comportements extériorisés et sont souvent mal diagnostiqués comparativement aux filles (Breton et al., 2012).

Les résultats de l’étude de Kerr et de ses collaborateurs (2013) trouvent que les jeunes qui présentent une dépression ou des troubles extériorisés en 5e année augmentent la probabilité d’avoir des idées suicidaires au début de l’âge adulte. De tels résultats suggèrent que les difficultés rencontrées au cours de l’enfance prédisent le risque de présenter des idées suicidaires tôt à l’âge adulte (Herba, Ferdinand, Van Der Ende et Verhulst, 2007). Goldston et ses collaborateurs (2009) ont aussi trouvé des résultats intéressants à cet effet auprès d’un échantillon de 180 jeunes de 12 à 19 ans ayant été hospitalisés. Leurs analyses ont été réalisées afin de vérifier l’évolution de la concordance (émergence simultanée) entre les idées suicidaires (ou tentatives de suicide) et les troubles mentaux. Leurs résultats suggèrent que l’association entre les tentatives de suicide, la dépression, l’anxiété généralisée, TDAH et la consommation de substances augmentent entre l’adolescence et le début de l’âge adulte. Par ailleurs, l’association entre les tentatives de suicide et le trouble de comportement ou le trouble panique diminue au cours de la même période.

Une équipe canadienne (Peter et Roberts, 2010) s’est intéressée aux différences sexuelles dans l’association entre les troubles intériorisés (dépression et anxiété) et les troubles extériorisés (comportements déviants, comportements sexuels, consommation d’alcool et de marijuana) et les comportements suicidaires auprès de 2 499 adolescents de 15 ans. Leurs résultats montrent que la présence de troubles extériorisés chez les filles serait plus fortement associée aux comportements suicidaires que chez les garçons. De même, la présence de troubles intériorisés, essentiellement l’anxiété, chez les garçons serait plus fortement associée aux comportements suicidaires que chez les filles. Les chercheurs expliquent ces résultats en s’appuyant sur les stéréotypes sociaux, à savoir que les filles aux prises avec des comportements perturbateurs vivraient plus de stress. De leur côté, Mazza et Reynolds (2001) ont réalisé des analyses séparées pour les filles et les garçons et trouvent, dans les deux cas, que l’augmentation de la sévérité des troubles mentaux est associée à une augmentation du risque de présenter des comportements suicidaires à l’adolescence.

Constats des recherches recensées

Bien que certains auteurs se soient penchés sur la question de l’association entre les comportements suicidaires et les troubles mentaux, des limites demeurent. Tout d’abord, dans l’étude des idées suicidaires chez les adolescents, la plupart des recherches se sont intéressées à l’identification de troubles mentaux atteignant un seuil de sévérité comparable à celui du DSM et, pour la plupart, les données montrent que la présence d’un trouble mental est une condition nécessaire, mais non suffisante pour augmenter le risque de comportements suicidaires (Mann, 1999). La dépression et les troubles du comportement sont généralement les plus souvent associés aux comportements suicidaires. De plus, les études soutiennent que l’augmentation de la sévérité du trouble mental augmente aussi le risque de présenter des idées suicidaires ou de faire une tentative de suicide (O’Brien, Becker, Spirito, Simon et Prinstein, 2014). Toutefois, peu d’études ont ciblé l’association entre les syndromes qui suggèrent un problème de santé mentale possible et les idées suicidaires.

Ensuite, les études sur les adolescents suicidaires ciblent généralement les jeunes plus âgés, 15 à 24 ans, puisque la prévalence de comportements suicidaires atteint généralement un sommet plus tard au cours de l’adolescence (Boeninger, Masyn, Feldman et Conger, 2010). Bien que le suicide soit rare avant l’âge de 12 ans, la puberté est généralement associée à la première augmentation significative des taux de suicide (Jamison, 1999). S’intéresser de façon spécifique aux adolescents de 12 à 15 ans favorise une identification précoce des problèmes de santé mentale et permet le dépistage précoce des jeunes plus vulnérables aux idées suicidaires.

Finalement, peu d’études évaluent l’effet systématique de l’interaction avec l’âge ou le sexe de l’association entre les syndromes ou les troubles mentaux proposés par le DSM-5 et les idées suicidaires. Une étude qui ciblerait spécifiquement de telles interactions en analysant la variation de l’association entre les syndromes en tant que variables indépendantes et les idées suicidaires comme variable dépendante en fonction des indicateurs de développement, apporterait une contribution scientifique originale dans ce domaine de recherche.

Objectifs

L’objectif général de cette étude est d’examiner la compréhension de la relation entre les principaux syndromes du DSM-5 retrouvés à l’adolescence et les idées suicidaires. Plus spécifiquement, le premier objectif est de décrire la force d’association entre cinq catégories de syndromes (anxiété, dépression, consommation de substances [cigarettes, alcool ou drogues], TDAH, comportements perturbateurs) et la présence ou l’absence d’idées suicidaires. Le second objectif est de vérifier l’effet du groupe d’âge (12 et 13 ans et 14 et 15 ans) et du sexe sur l’association entre les regroupements de syndromes et les idées suicidaires.

Hypothèses

Nous postulons un effet significatif de l’âge (12 à 13 ans et 14 à 15 ans) et du sexe (filles et garçons) sur l’association entre les syndromes et les idées suicidaires. Cet effet devrait mettre en évidence : 1) une force d’association plus élevée entre les syndromes extériorisés et les idées suicidaires chez les garçons, 2) une association plus élevée entre la dépression et les idées suicidaires chez les filles, 3) une association plus importante entre les comportements perturbateurs, l’anxiété et les idées suicidaires chez les adolescents de 12 à 13 ans et 4) une association plus forte entre la dépression, la consommation de substances et les idées suicidaires chez les jeunes de 14 à 15 ans.

Méthode

Participants

Deux échantillons d’adolescents francophones vivant dans la région de Montréal furent constitués : 464 adolescents de 12 à 15 ans proviennent de la population scolaire (237 filles et 227 garçons) sélectionnée dans six écoles secondaires de Montréal et 141 adolescents issus d’une population clinique (62 filles et 79 garçons), sélectionnés dans les cliniques de pédopsychiatrie de quatre hôpitaux répartis sur le territoire de Montréal (Hôpital Rivière-des-Prairies, Hôpital Notre-Dame, Sacré-Coeur et Hôpital Jean-Talon). L’échantillon scolaire est réparti équitablement selon l’âge, le sexe et les indices de défavorisation attribués aux écoles par le Ministère de l’Éducation, des Loisirs et des Sports (MELS) du Québec. Dans l’échantillon clinique, on retrouve une sous-représentation des jeunes de 15 ans et une surreprésentation des garçons et des jeunes de 12 et 13 ans. Le lecteur peut se référer à l’article de Bergeron et ses collaborateurs (2010) afin d’obtenir plus d’information sur la méthode d’échantillonnage employée.

Instrument

Le Dominique Interactif pour Adolescents (DIA) est une bande dessinée multimédia qui évalue la symptomatologie du DSM-5 (APA, 2013) pour les six troubles mentaux les plus fréquents chez les adolescents de 12 à 15 ans (phobies spécifiques, trouble d’anxiété généralisée, dépression, trouble d’opposition avec provocation, TDAH et trouble des conduites). Cet instrument inclut aussi un indicateur de consommation de substances (cigarettes, alcool ou drogues). Chaque symptôme est illustré par une image adaptée selon le sexe et accompagnée d’une question représentée sous une forme visuelle et auditive (Bergeron et al., 2010). Le jeune doit répondre par « oui » ou « non » à des questions du type : « Es-tu souvent triste, comme Dominique? »

Le DIA comprend deux seuils de sévérité définissant trois catégories de problèmes : absence probable du problème, problème possible et présence probable du problème. Ces différents seuils permettent d’obtenir l’information sur les « tendances » à présenter l’un ou l’autre trouble mental du DSM-5 (APA, 2013). Le seuil supérieur (présence probable) exige un nombre élevé de symptômes afin de s’approcher des catégories diagnostiques du DSM. Le seuil inférieur (problème possible) exige un nombre de symptômes moins importants, mais représentant tout de même des adolescents aux prises avec des problèmes de santé mentale à considérer dans un contexte de prévention (Bergeron et al., 2010). Dans la présente étude, le seuil inférieur a été retenu pour évaluer les syndromes associés aux idées suicidaires. À cet égard, le DIA prévoit un nombre de symptômes minimal pour chaque trouble identifié au seuil inférieur : phobies spécifiques (≥4), anxiété généralisée (≥ 10), dépression (≥ 11), trouble d’opposition avec provocation (≥ 5), trouble des conduites (≥ 4), TDAH (≥ 11) et consommation de substances (≥ 3). L’absence probable d’un problème au DIA est définie par tous les adolescents qui se situent sous le seuil inférieur.

Les résultats de l’étude de Bergeron et collaborateurs (2010) suggèrent de très bonnes qualités psychométriques du DIA. En fait, leur étude révèle que l’instrument possède une consistance interne de modérée à excellente pour l’ensemble des échelles (coefficients alpha de Cronbach = 0,69 à 0,89), à l’exception de l’échelle des phobies spécifiques qui a une consistance interne de 0,55 en raison de l’hétérogénéité des items. Contrairement au DSM-5, l’échelle des phobies spécifiques du DIA est définie par un cumul de différentes situations phobogènes. La fidélité test-retest des échelles de symptômes varie de modérée à bonne (coefficients de corrélation interclasses = 0,78 à 0,87). La fidélité test-retest des catégories de problèmes définies par les deux seuils du DIA a également été mesurée. Les résultats révèlent que les kappas se situent en majorité au-dessus de 0,40, ce qui est le critère minimal acceptable dans ce domaine de recherche. De plus, la consistance interne et la fidélité test-retest observées pour les échelles de symptômes sont relativement stables selon le groupe d’âge (12 et 13 ans, 14 et 15 ans), le sexe et les deux échantillons sélectionnés (scolaire et clinique).

Concernant la validité de critère, elle est déterminée par deux approches distinctes puisqu’il n’existe pas de critère externe absolu dans le domaine de la santé mentale. La première approche utilisée est la comparaison entre les jeunes référés en clinique et les jeunes de la population scolaire. Une différence significative (p ≤ 0,05) a été observée pour toutes les échelles de symptômes du DIA. La seconde approche s’appuie sur le jugement clinique d’experts (préalablement formés) concernant la présence ou l’absence des symptômes. La fidélité interjuges varie entre 0,87 et 0,98. Bergeron et ses collaborateurs (2010) suggèrent que l’accord entre le DIA et le jugement clinique d’experts varie d’un niveau modéré à élevé (Kappa ≥ 0,60) pour la majorité des symptômes et des syndromes.

Les questions évaluant la présence ou l’absence des idées suicidaires chez les adolescents à l’aide du DIA sont les suivantes : « As-tu des fois envie de mourir comme Dominique » et « Penses-tu souvent à mourir comme Dominique » (voir figure 1). L’adolescent qui répond positivement à l’une ou l’autre de ces questions est inclus dans le groupe de jeunes suicidaires. La fidélité test-retest pour chacune de ces questions est égale ou supérieure à des kappas de 0,50 tandis que leur validité concomitante est supérieure à 0,40 (Cournoyer, Bergeron, Labelle et Berthiaume, 2010).

Figure 1

Questions et illustrations évaluant les idées suicidaires au DIA

a

« As-tu des fois envie de mourir comme Dominique »

« As-tu des fois envie de mourir comme Dominique »

a

« Penses-tu souvent à mourir comme Dominique »

« Penses-tu souvent à mourir comme Dominique »

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Procédure

La participation des adolescents se faisait sur une base volontaire et nécessitait leur consentement écrit ainsi que celui de leur responsable légal. Les adolescents étaient rencontrés individuellement afin de préserver la confidentialité de leurs réponses. Des assistants de recherche ayant préalablement suivi une formation sur le questionnaire introduisaient le DIA selon une démarche standardisée. L’évaluation par le DIA avait une durée approximative de 15 à 20 minutes et se déroulait dans le cadre des heures régulières de classe à l’école ou dans les cliniques de pédopsychiatrie. Le protocole de recherche a reçu l’approbation du Comité d’éthique de la recherche de l’Hôpital Rivière-des-Prairies.

Devis

Cette étude est descriptive et exploratoire. Elle présente les résultats d’analyses secondaires réalisées à partir d’une base de données constituée dans le cadre d’une recherche portant sur les qualités psychométriques du DIA (Bergeron et al., 2010). Pour ce faire, cinq catégories de syndromes du DSM-5 ont été considérées afin d’augmenter la puissance des analyses réalisées : 1) problèmes d’anxiété (phobies spécifiques et anxiété généralisée), 2) dépression, 3) TDAH, 4) comportements perturbateurs (problèmes de conduite et d’opposition) et 5) consommation de substances (cigarettes, alcool et drogues).

Analyses

Des fréquences sont calculées afin de rendre compte de la distribution des idées suicidaires et de chaque catégorie de troubles mentaux pour les deux échantillons. L’utilisation du rapport de cotes permet de déterminer la force d’association entre chaque regroupement de troubles mentaux et les idées suicidaires. Le rapport de cotes représente « une augmentation ou une diminution de la chance » (Bernard et Lapointe, 1987) que les idées suicidaires soient présentes chez un adolescent possédant une caractéristique donnée comparativement aux jeunes ne possédant pas la caractéristique (par ex. avec ou sans comportements perturbateurs). L’intervalle de confiance indique la précision des rapports de cotes estimée à un niveau de probabilité de 95 %. Le résultat n’est pas significatif lorsque l’intervalle de confiance inclut « 1 » (Bernard et Lapointe, 1987; Hosmer et Lemeshow, 1989).

L’analyse de régression logistique multivariée (seuil de signification ≤ 0,05) est utilisée afin de vérifier les hypothèses concernant la possibilité que l’association entre les troubles mentaux et les idées suicidaires varie selon l’âge ou le sexe. En fait, l’analyse des interactions permet de vérifier la variation de l’association entre la variable dépendante (idées suicidaires) et les variables indépendantes (cinq regroupements de troubles mentaux), en fonction des indicateurs du développement définis par le groupe d’âge et le sexe (Tabachnick et Fidell, 2013). Le tableau 1 présente un sommaire des variables incluses dans les modèles d’analyses statistiques. Notons que les caractéristiques développementales, chaque trouble mental et les variables d’interaction ont été introduits simultanément dans les analyses. La méthode d’exclusion des variables à un seuil de signification de 0,05 est utilisée. Pour cette étape, l’utilisation du test du rapport de vraisemblance (Likelihood Ratio Test) a été retenue puisqu’il performe mieux avec des échantillons de petite taille ou de taille modérée (Kleinbaum, 1994). La statistique du rapport de cotes permet d’interpréter les résultats obtenus dans la régression logistique.

Tableau 1

Sommaire des variables incluent dans l’analyse de régression logistique

Sommaire des variables incluent dans l’analyse de régression logistique

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La puissance statistique pour l’échantillon scolaire (n = 464) avec un effet moyen (0,15) est très bonne (0,99), tandis que la puissance statistique pour l’échantillon clinique (n = 141) est acceptable (0,78).

Résultats

Le tableau 2 a pour but de décrire les participants des deux échantillons de l’étude. Les analyses de fréquence ont permis de montrer que 8,6 % des jeunes présentaient des idées suicidaires dans l’échantillon issu de la population scolaire et 37,6 % dans l’échantillon clinique. Les pourcentages de catégories de syndromes y sont également rapportées pour chaque échantillon étudié.

Tableau 2

Distributions des idées suicidaires et des syndromes mentaux selon l’âge, le sexe et le type d’échantillon (N = 605)

Distributions des idées suicidaires et des syndromes mentaux selon l’âge, le sexe et le type d’échantillon (N = 605)

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Le tableau 3 présente les résultats des rapports de cotes évaluant la force d’association entre les idées suicidaires et les cinq catégories de syndromes pour chacun des échantillons à l’étude. Dans l’échantillon scolaire, les rapports de cotes sont significatifs pour les tendances aux troubles anxieux, à la dépression, aux comportements perturbateurs et aux TDAH. Dans l’échantillon clinique, les tendances aux troubles anxieux, à la dépression et à la consommation sont significativement associées aux idées suicidaires.

Tableau 3

Force d’association entre les idées suicidaires et les cinq catégories de syndromes chez les jeunes de 12 à 15 ans selon chaque échantillon d’appartenance

Force d’association entre les idées suicidaires et les cinq catégories de syndromes chez les jeunes de 12 à 15 ans selon chaque échantillon d’appartenance

Abréviations : RC = rapport de cotes; IC = intervalle de confiance au niveau 95 %

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Les tableaux 4 et 5 présentent les résultats des analyses de régression logistique multivariée réalisées selon le type d’échantillon (scolaire ou clinique). Ces deux tableaux rapportent, dans un premier temps, les variables qui sont demeurées dans chacun des modèles finaux. Les modalités d’analyse et de comparaison sont ensuite spécifiées ainsi que leur rapport de cotes et leur intervalle de confiance. Pour les variables de chaque modèle, la valeur de signification du test de vraisemblance (likelihood ratio test) est présentée.

Dans l’échantillon scolaire, quatre variables sont significatives dans cette analyse. Considérant l’ensemble des variables retenues dans le modèle, les adolescents déprimés ainsi que le groupe de jeunes âgés de 14 et 15 ans sont plus susceptibles de présenter des idées suicidaires que les adolescents non déprimés et les jeunes âgés de 12 et 13 ans. De plus, deux interactions entre deux syndromes et le sexe sont trouvées : 1) les garçons qui présentent des comportements perturbateurs ont 11 fois plus de probabilité de présenter des idées suicidaires que les garçons qui ne présentent pas de comportements perturbateurs et 2) les filles qui présentent un TDAH sont trois fois plus susceptibles de présenter des idées suicidaires que les filles qui ne présentent pas un TDAH. Finalement, les variables significatives retenues dans les deux effets d’interaction ont été analysées en effet principal.

Tableau 4

Variables associées aux idéations suicidaires chez les jeunes de l’échantillon scolaire (N = 464)

Variables associées aux idéations suicidaires chez les jeunes de l’échantillon scolaire (N = 464)

Test Hosmer-Lemeshow (χ2[6]=1,540; p=0,957)

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Dans l’échantillon clinique, deux effets principaux ressortent : 1) les adolescents déprimés ont 17 fois plus de possibilité de présenter des idées suicidaires que les adolescents non déprimés et 2) les adolescents consommateurs (drogue, alcool ou cigarettes) sont six fois plus susceptibles de présenter des idées suicidaires que les adolescents non consommateurs.

Tableau 5

Variables associées aux idéations suicidaires chez les jeunes de l’échantillon clinique (N = 141)

Variables associées aux idéations suicidaires chez les jeunes de l’échantillon clinique (N = 141)

Test Hosmer-Lemeshow (χ2[6]=0,845; p=0,991)

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Discussion

L’objectif général de cet article était de mieux comprendre la force d’association entre la présence d’idées suicidaires et les cinq catégories de syndromes (anxiété, dépression, consommation de substances, comportements perturbateurs et TDAH) chez des jeunes de 12 à 15 ans. Dans cette étude transversale, il a été possible de déterminer l’association entre la présence d’idées suicidaires et de syndromes mentaux selon l’âge, le sexe et le type d’échantillon (scolaire et clinique).

Dans l’échantillon scolaire, l’anxiété, la dépression, les comportements perturbateurs et le TDAH sont significativement associés à la présence d’idées suicidaires chez les jeunes. Dans l’échantillon clinique, l’anxiété, la dépression ainsi que la consommation de substances sont les trois syndromes associés aux idées suicidaires. De plus, la dépression ressort comme le syndrome le plus fortement associé aux idéations suicidaires indépendamment de l’échantillon étudié. Ce résultat demeure après avoir contrôlé pour la présence de l’anxiété, les comportements perturbateurs, le TDAH et la consommation de substances. Celui-ci suggère que la présence de dépression représente un facteur de vulnérabilité important, tant chez les filles que chez les garçons de 12 à 15 ans. L’importance de la dépression dans l’explication des idées suicidaires appuie les résultats obtenus dans plusieurs études réalisées auprès de populations générales et cliniques (Beautrais, 2000; Breton et al., 2002; Bridge et al., 2006; Foley et al., 2006; Kerr et al., 2013; Peter et Roberts, 2010). La présence de symptômes dépressifs chez la majorité des jeunes présentant des idées suicidaires suggère que le niveau de gravité de ce trouble génère une détresse importante faisant émerger un désir ou une idée de la mort.

Dans l’échantillon clinique, en plus de la dépression, la présence de consommation de substances (drogues, alcool ou cigarettes) est associée aux idées suicidaires chez les deux sexes. D’autres études ont montré qu’une consommation était associée aux idées suicidaires à l’adolescence (Hallfors et al., 2004; Nock, 2009). Foley et ses collaborateurs (2006) suggèrent que la consommation de substances peut être une complication d’un trouble mental primaire et constituer un facteur de risque supplémentaire chez les jeunes suicidaires. En ce sens, la consommation serait un indice de détresse associé à la sévérité des troubles mentaux chez les jeunes. L’échantillon du présent article est constitué de jeunes au début de l’adolescence. La présence de consommation, tôt dans le développement, pourrait être l’expression supplémentaire d’une détresse importante chez les adolescents et ainsi augmenter le risque suicidaire chez ces derniers. La référence en pédopsychiatrie est un autre indicateur de dysfonctionnement. Ainsi, la consommation de substances, dans l’échantillon clinique de cette étude et non dans l’échantillon scolaire, peut témoigner de cette différence de sévérité dans l’expression des symptômes de troubles mentaux entre ces deux échantillons.

Les résultats de cette étude appuient la pertinence d’une identification précoce des syndromes du DSM-5 et l’importance du dépistage précoce chez les adolescents de 12 à 15 ans. Les données suggèrent que la présence de syndromes psychiatriques, telle que nous l’avons évaluée, augmente le risque de présenter des idées suicidaires chez les adolescents de cet échantillon. Il appert ainsi que la présence d’une constellation de symptômes, comparativement à l’absence de symptômes, chez les jeunes de 12 à 15 ans, est associée aux idées suicidaires. En ce sens, certains chercheurs mettent en évidence un lien entre la présence d’une symptomatologie dépressive et des difficultés d’adaptation (difficultés de fonctionnement social et une moins bonne qualité de vie) chez des jeunes (Foley et al., 2006; Goldney et al., 2004), ce que la présente étude soutient.

Par ailleurs, l’effet systématique de l’âge et du sexe sur les associations entre les idées suicidaires et les catégories de syndromes montre que les symptômes intériorisés et extériorisés contribuent indépendamment à l’explication des idées suicidaires lorsqu’ils sont inclus dans un même modèle de prédiction. Dans l’échantillon clinique, l’importance des symptomatologies est telle que les différences selon le sexe ne contribuent pas à expliquer les idées suicidaires. Par contre, dans l’échantillon scolaire les résultats sont plus nuancés quant au sexe des adolescents et la présence des comportements perturbateurs et du TDAH. Deux effets d’interaction sont retrouvés. Tout d’abord, il existe un effet d’interaction entre la présence de TDAH et la variable sexe dans la prédiction des idées suicidaires. Les filles qui présentent un TDAH ont plus de possibilité d’avoir des idées suicidaires que les filles qui ne présentent pas de TDAH, un résultat qui n’est pas obtenu chez les garçons. Le faible pourcentage de TDAH dans notre échantillon est toutefois une limite pour bien comprendre ce résultat. Néanmoins, ils vont dans le sens des résultats obtenus par Chronis-Tuscano et ses collaborateurs (2010). Ces derniers suggèrent que les filles diagnostiquées en bas âge avec un TDAH sont plus à risque de présenter de la dépression et d’avoir des idées suicidaires comparativement aux garçons. À l’adolescence, les filles sont donc plus susceptibles d’être affectées par les conséquences négatives du TDAH (par ex. faibles résultats, inattention etc.).

Ensuite, un effet d’interaction significatif entre les comportements perturbateurs et la variable sexe dans la prédiction des idées suicidaires est trouvé. Ce résultat appuie l’hypothèse développementale suggérant que les garçons qui présentent des comportements perturbateurs augmentent la probabilité de présenter des idées suicidaires que les garçons sans comportements perturbateurs. En outre, bien que les données révèlent la présence d’idées suicidaires chez les jeunes de 12 à 13 ans, les jeunes de 14-15 ans sont plus susceptibles de présenter des idées suicidaires que les jeunes de 12-13 ans dans l’échantillon scolaire. Ces données appuient la littérature qui, à ce jour, suggère que les adolescents plus âgés ont plus de chance de présenter des idées suicidaires (Breton et al., 2002; Evans et al., 2005).

L’échantillon clinique ne met en évidence aucune différence significative quant à l’âge et au sexe de l’adolescent pour différencier les syndromes associés aux idées suicidaires. Pour expliquer ces distinctions, notons que les études en milieux cliniques présentent des biais reliées à l’intensité, à la gravité et à la complexité des symptomatologies observée dans ce type de population (Angold et al., 1999). Les données semblent aussi montrer que plus le niveau de sévérité d’un trouble augmente plus l’apport des variables développementales s’estompe, mettant de l’avant la psychopathologie du jeune. Dans l’échantillon scolaire, les différences développementales semblent toutefois plus saillantes. Les associations différentes rencontrées dans chacun des échantillons peuvent aussi témoigner des différentes trajectoires de soins que peuvent prendre les jeunes dans le système de santé au Québec. En effet, l’absence d’association significative entre les comportements perturbateurs ou le TDAH et les idées suicidaires dans la population clinique peut, en partie, s’expliquer par la possibilité que les jeunes aux prises avec de telles difficultés soient dirigés vers les Centres jeunesse plutôt que les cliniques de pédopsychiatrie. Les jeunes aux prises avec des difficultés émotionnelles, telles que la dépression, se retrouvent plus facilement dans les milieux hospitaliers (Breton et al., 2012).

D’un point de vue clinique, une des principales contributions de cette étude réside dans l’association significative entre les principaux syndromes du DSM-5 et la présence d’idées suicidaires chez les adolescents de 12 à 15 ans. Une seconde contribution plus méthodologique est l’utilisation d’un instrument pictographique et auto-administré pour évaluer la perception des jeunes de leurs problèmes de santé mentale. Dans l’ensemble les résultats de cette étude suggèrent la pertinence d’une identification précoce des problèmes de santé mentale chez les jeunes, dans les écoles secondaires ou dans les services de première ligne, même si ces jeunes n’atteignent pas les seuils de sévérité proposés par le DSM-5.

Limites

Malgré l’importance des résultats obtenus dans cette étude, quatre limites sont identifiées. Premièrement, il s’agit d’une étude transversale. Un tel devis n’offre pas de données sur la séquence temporelle entre le développement des troubles mentaux et l’émergence des idées suicidaires. À partir d’un tel devis, il est alors impossible d’identifier si l’un ou l’autre des syndromes significatifs précède la survenue des idées suicidaires. Deuxièmement, les deux échantillons d’adolescents de cette étude ne sont pas représentatifs. Il est donc impossible de généraliser les résultats à l’ensemble des jeunes de 12 à 15 ans de la région de Montréal. Dans les modèles de régression logistique élaborés, bien que certains rapports de cotes montrent des associations modérées ou fortes (>2), la borne inférieure de l’intervalle de confiance se situe sous ce seuil, proposant ainsi une association plus faible. Troisièmement, certains intervalles de confiance sont très étendus laissant percevoir un manque de précision dans les résultats obtenus. En effet, bien que les échantillons proposés aient des puissances statistiques adéquates, la rareté du phénomène suicidaire, principalement dans l’échantillon scolaire semble diminuer la précision statistique. Il faut donc interpréter les résultats avec prudence puisque le résultat a 95 % des chances de se situer dans cet intervalle, plutôt que d’être le rapport de cotes obtenu. Finalement, l’intensité des idées suicidaires n’a pas pu être évaluée. Toutefois, les résultats de la recension systématique des écrits de Evans et ses collaborateurs (2005) portant sur les prévalences des différents comportements suicidaires à l’adolescence indique que jusqu’à 21,3 % des jeunes pouvaient avoir des idées suicidaires (sans porter attention à la sévérité de l’idée) et jusqu’à 29,9 % au cours de la vie.

Conclusion

Ces résultats appuient l’importance de l’identification précoce des problèmes de santé mentale à l’adolescence et permettent de déterminer certaines catégories de jeunes qui seraient potentiellement plus à risque de développer des idées suicidaires. L’importance de la prévention des idées suicidaires réside non seulement dans la prévention de la dépression chez les jeunes, mais également dans la prévention des comportements perturbateurs et du TDAH. De plus, la proposition de programmes de sensibilisation à la consommation de substances, chez les filles et les garçons, pourrait aider à prévenir les idées et les tentatives de suicide.