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À l’ère où « l’aide médicale à mourir » se trouve valorisée comme un droit fondamental consacrant la pleine dignité de l’individu, il devient essentiel d’approfondir notre réflexion sur les problématiques entourant la mort, mais surtout sur notre vision de la vie dans sa globalité, incluant notre rapport à la souffrance. Notre rythme de vie, accéléré par les nouvelles technologies, et la survalorisation sociale des loisirs risquent de nous maintenir à la surface des choses et de négliger la question du sens à donner aux événements dont nous n’avons pas la maîtrise, par exemple les pertes douloureuses et les difficultés majeures. Qu’en est-il lorsque le choc violent du suicide d’un proche nous frappe de plein fouet?

À Suicide Action Montréal (SAM), où nous oeuvrons à prévenir le suicide, notre expérience auprès des gens qui envisagent cette option nous révèle paradoxalement cette part d’eux-mêmes qui tient à la vie. La prévention du suicide part en effet du principe que la personne qui veut mourir cherche surtout à se libérer d’une souffrance jugée intolérable, incontournable et interminable, devant laquelle elle se sent seule et impuissante. Lorsque le geste du suicide est posé, cette souffrance plutôt que de prendre fin semble se propager comme une onde de choc dans l’ensemble des communautés d’appartenance et plus douloureusement chez les proches du défunt. Ce deuil, qui commande un travail profond et beaucoup de patience, laisse parfois sans ressource tant il est difficile pour l’entourage de trouver les mots et les gestes susceptibles de soutenir la personne endeuillée. Comment accompagner les personnes touchées par le suicide d’un proche? C’est à cette question délicate que répond entre autres l’ouvrage d’Andrée Quiviger, psychoéducatrice de formation, écrivaine allumée et bénévole d’expérience à SAM.

Soulignons d’emblée la pertinence du sujet. Autour de 1100 suicides se produisent chaque année au Québec (INSPQ, 2016) et une personne se suicide quelque part dans le monde à toutes les 40 secondes (OMS, 2014). Pour chacun de ces décès tragiques, plusieurs proches particulièrement attachés à la personne disparue découvrent, stupéfiés, la dure réalité du suicide. Le livre précité rend compte, dans toute leur profondeur, des impacts de ce geste fatal, ce qui peut valider chez les personnes endeuillées par suicide la complexité et l’intensité de leurs réactions. Avoir accès à des exemples qui font écho à leur propre vécu peut également réduire l’isolement des personnes endeuillées privées de soutien. À l’aide d’une panoplie de témoignages et de réflexions de l’auteure, « Des pas l’un après l’autre » illumine les apprentissages et les découvertes qui ont cours dans les processus de ce type de deuil. Dans un langage simple, Andrée Quiviger réussit à mettre en lumière aussi bien les impacts d’un suicide sur la vie des proches que leurs pas l’un après l’autre vers la résilience. Cependant, ce travail requiert le soutien de l’entourage et le but premier de l’ouvrage consiste précisément à éclairer ces chemins de guérison dans lesquels ils peuvent s’engager.

En toile de fond, le livre met l’accent sur l’importance de stimuler les forces vitales des personnes touchées par un suicide et de souligner les moments où la vie reprend le dessus. Grâce à de nombreux exemples vibrants, le lecteur devient en quelque sorte le témoin des effets des services gratuits offerts à SAM à cette clientèle qui, par le biais d’entrevues individuelles ou du groupe de soutien, avance concrètement dans le laborieux processus d’adaptation à la perte.

Parrainé par Suicide Action Montréal, « Des pas l’un après l’autre » s’adresse à un lectorat varié. En plus des personnes endeuillées elles-mêmes et de leurs proches en recherche de moyens de les soutenir, les intervenants psychosociaux y trouveront matière à inspirer leurs actions professionnelles auprès de cette clientèle, souvent démunie mais pleine de ressources.

Comme bénéfice secondaire à cette lecture déjà riche, j’émets personnellement le souhait que les personnes endeuillées trouvent à leur tour le courage et la patience de déposer délicatement sur papier leur propre histoire. Qu’elle soit partagée ou non, il est reconnu que l’écriture, de par sa puissance thérapeutique, peut aider à créer du sens, ne serait-ce qu’en inscrivant des bouts de notre existence complexe sur du papier concret. Le livre d’Andrée Quiviger est peut-être aussi une invitation toute simple à prendre le crayon pour marquer l’un après l’autre nos pas dans la recherche des sens que prend notre vie au fur et à mesure des événements qui la traversent.