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Introduction

La réussite scolaire est un enjeu important du développement de l’enfant qui ira même jusqu’à influencer plusieurs sphères de sa vie d’adulte, par exemple son statut socioéconomique (Chen et Kaplan, 2003). À plus court terme, le fait de réussir à l’école contribue à la probabilité que l’élève persévère jusqu’à sa diplomation (Henry, Knight et Thornberry, 2012) et présente par conséquent un grand intérêt compte tenu que près du quart des élèves québécois abandonnent l’école avant l’obtention d’un diplôme (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS), 2014). Pour réussir à l’école, l’élève doit bien souvent mobiliser ses ressources individuelles, par exemple, ses capacités intellectuelles, mais également les ressources de sa communauté et de son entourage immédiat, notamment de sa famille.

Plusieurs variables familiales sont connues pour influencer la réussite scolaire, notamment le statut socioéconomique, les attitudes et les comportements des parents face à l’école ainsi que le niveau de scolarité de la mère (Davies-Kean, 2005; Dearing, McCartney et Taylor, 2001; Marjoribanks, 2001; Putallaz, Costanzo, Grimes et Sherman, 1998). Cette dernière variable constitue d’ailleurs l’un des plus importants prédicteurs de la réussite scolaire de l’enfant dans la mesure où une mère scolarisée est davantage capable de soutenir et d’accompagner son enfant lors des activités d’apprentissage et ainsi, favoriser sa réussite (Carneiro, Meghir et Parey, 2013). Par contre, le nombre d’années d’études complétées par la mère nous renseigne peu sur la nature de son expérience scolaire antérieure et sur les mécanismes selon lesquels cette expérience influence le vécu scolaire de son enfant. À cet égard, Taylor, Clayton et Rowley (2004) suggèrent qu’afin de mieux comprendre les mécanismes de la transmission intergénérationnelle de la réussite scolaire, il peut être utile d’aller au-delà du nombre d’années de scolarité de la mère et d’examiner les souvenirs qu’elle garde de certains aspects significatifs de son expérience à l’école, notamment de son engagement scolaire (Barnett et Taylor, 2009). À ce jour, il n’existe aucune mesure validée permettant de rendre compte du souvenir que conservent les parents de leur expérience scolaire en général, ni de leur engagement scolaire en particulier. Par conséquent, l’objectif général de la présente étude menée à partir de données secondaires est d’explorer le souvenir parental de l’engagement scolaire en validant auprès de mères d’élèves de la maternelle l’Échelle du souvenir maternel de l’engagement scolaire (ÉSMES) et d’en examiner les liens avec la performance scolaire de ces élèves.

Souvenir parental de l’engagement scolaire

L’engagement scolaire représente un des aspects les plus importants de l’expérience scolaire (Christenson, Sinclair, Lehr et Godber, 2001; Finn, 1989; Fredricks, Blumenfeld et Paris, 2004). Nous aborderons dans un premier temps la notion d’engagement scolaire telle qu’étudiée auprès des élèves durant leur scolarisation actuelle puis, dans un deuxième temps, il sera question du souvenir que les parents sont susceptibles de conserver de leur engagement scolaire lorsqu’ils étaient à l’école.

L’engagement scolaire : définition et mesure. L’engagement scolaire se traduit par l’implication de l’élève à l’école, son investissement psychologique et les efforts qu’il déploie dans le but d’apprendre, de comprendre ou de maîtriser les connaissances et les habiletés promues par l’école (Klem et Connell, 2004). De nombreuses études ont montré que les élèves ayant un engagement scolaire élevé ont tendance à avoir un rendement scolaire élevé et sont moins enclins à abandonner l’école avant l’obtention d’un diplôme d’études secondaires (Johnson, McGue et Iacono, 2006; Li et Lerner, 2011; Whitlock, 2006). Bien qu’il n’existe pas de consensus quant à la définition de l’engagement scolaire, le cadre conceptuel proposé par Fredricks et ses collègues (2004) a cependant reçu de nombreux appuis (par exemple. Archambault, Janosz, Fallu et Pagani, 2009; Wang et Eccles, 2012). Il traduit l’engagement scolaire en trois dimensions : comportementale, cognitive et affective. La dimension comportementale de l’engagement scolaire fait référence aux comportements de conformité tels que respecter les consignes et être assidu en classe (Jimerson, Campos et Greif, 2003). Chez les élèves du primaire, cette dimension de l’engagement peut être rapportée par l’enseignant ou l’élève qui évalue des comportements observables au quotidien, tels que suivre les instructions, se conformer aux règlements et participer activement en classe (Archambault et Vandenbossche-Makombo, 2013; Pagani, Fitzpatrick, Archambault et Janosz, 2010). De nombreuses études ont montré que la dimension comportementale de l’engagement est associée positivement au rendement scolaire de l’élève du primaire et du secondaire (Balfanz et Byrnes, 2006; Li et Lerner, 2011; Marks, 2000).

La dimension cognitive de l’engagement scolaire renvoie à l’autorégulation des apprentissages et fait notamment référence à l’attention et aux stratégies métacognitives de l’élève. Cette dimension se conçoit comme le niveau d’investissement déployé par l’élève pour faire ses apprentissages (Appleton, Christenson et Furlong, 2008). Difficilement observable par l’enseignant dans un contexte de classe, cette dimension est fréquemment auto-rapportée. On pose par exemple à l’élève des questions portant sur les stratégies auxquelles il a recours pour vérifier et évaluer son travail (Archambault et Vandenbossche-Makombo, 2013). Bien que moins étudiée que la dimension comportementale de l’engagement, la dimension cognitive a fait l’objet de quelques études qui ont conclu à une association positive entre cette dernière et le rendement scolaire de l’élève (Boekarts, Pintrich et Zeidner, 2000; Zimmerman, 1990).

Enfin, la dimension affective de l’engagement réfère aux sentiments positifs ou négatifs que l’élève éprouve à l’endroit de son école, de ses pairs et de ses enseignants. Tout comme la dimension cognitive de l’engagement, la dimension affective peut difficilement être évaluée avec acuité par une tierce personne. Le plus souvent, on pose à l’élève des questions qui portent sur son intérêt à l’égard des matières scolaires (Archambault et Vandenbossche-Makombo, 2013) ainsi que sur ses émotions en général en ce qui concerne son école et son enseignant (Stipek, 2002). Très peu d’études ont cependant permis d’évaluer la contribution unique de cette dimension au rendement scolaire de l’élève (Fredricks et al., 2004). Certains auteurs postulent que le lien qui existe entre l’engagement affectif et ces variables est indirect (Voelkl, 2012). Cette dimension affecterait ainsi les sphères comportementale et cognitive de l’engagement qui à leur tour influenceraient les apprentissages (Stewart, 2003). Par conséquent, nous avons choisi de laisser l’engagement affectif de côté aux fins de la présente étude et de nous centrer sur les dimensions cognitive et comportementale qui sont directement associées à la performance scolaire.

Le souvenir maternel de l’engagement scolaire. Le souvenir maternel de l’engagement scolaire correspond à la représentation mentale que la mère a de son propre engagement scolaire alors qu’elle était à l’école. Sur la base des modèles et des travaux portant sur l’engagement scolaire, il est plausible que le souvenir maternel de cet engagement comporte lui aussi plusieurs dimensions, notamment comportementale et cognitive. En s’inspirant de la définition de l’engagement scolaire proposée par Fredricks et al. (2004), le souvenir que conserve la mère de son engagement comportemental renvoie à l’image actuelle qu’elle se fait de son assiduité en classe lorsqu’elle fréquentait l’école, de sa conformité aux règles scolaires et de son niveau de discipline lors de diverses activités, notamment la période des devoirs. De la même manière, le souvenir maternel de son engagement cognitif fait référence aux représentations actuelles de la mère à propos de la capacité qu’elle avait à l’époque de maintenir son attention lors des tâches scolaires et de la propension qu’elle avait à déployer des stratégies métacognitives pour s’autoévaluer, corriger ses erreurs et planifier son travail.

Bien que l’étude du souvenir soit courante dans le domaine de la psychiatrie ou dans le cadre d’études portant sur l’attachement, il est loin de faire consensus dans la communauté scientifique (Gallo, Smith et Ruiz, 2003; van Ijzendoorn, 1995). Les biais les plus couramment attribués à ce type de mesure incluent l’influence des émotions associées à un souvenir en particulier et le manque de fiabilité de la mémoire autobiographique en général (Brewin, Andrews et Gotlib, 1993). Il est en effet probable que le souvenir ne représente pas une image fidèle de l’évènement dont il tire son origine et qu’il s’avère plutôt une construction basée sur l’attitude ou l’état affectif actuel du sujet relativement à cet évènement (Lewis, 1997). Or, la perception actuelle de l’individu par rapport à ses expériences passées peut s’avérer fort utile pour comprendre comment ces évènements teintent ses croyances et ses actions dans un domaine particulier (Benjamin, 1996). Plutôt que leur acuité ou leur fidélité, c’est la mesure de la représentation mentale de l’engagement scolaire qui est visée dans la présente étude. En d’autres termes, cette étude s’intéresse aux représentations actuelles des parents quant à leur engagement scolaire passé, sur la base du postulat que ces représentations sont susceptibles d’influencer leurs pratiques et leurs comportements actuels vis-à-vis de la scolarisation de leurs enfants.

Le souvenir maternel de l’engagement scolaire et la continuité intergénéra-tionnelle de la réussite scolaire

Dans plusieurs domaines, les chercheurs observent une continuité de comportements ou de traits à travers les générations (Holden et Zambarano, 1992), notamment en matière de maltraitance (Putallaz et al., 1998) et de styles d’attachement (van Ijzendoorn, 1995). Cette continuité s’expliquerait entre autres éléments par le fait que les parents tendent à avoir recours à des stratégies et à des pratiques similaires à celles dont ils ont eux-mêmes fait l’expérience à l’enfance (Putallaz et al., 1998). Cette continuité intergénérationnelle ne s’inscrit cependant pas dans une perspective déterministe puisqu’elle interagit avec les conditions de vie et l’environnement actuel de la famille pour influencer les comportements, les attitudes et les pratiques parentales (Holden & Zambarano, 1992).

La réussite scolaire fait partie des domaines où on observe une certaine continuité intergénérationnelle : les parents ayant un niveau de scolarité élevé et ayant eu un parcours scolaire positif ont plus de chances de voir leur enfant réussir à l’école (Davies-Kean, 2005; Epstein et Connors, 1992; Putallaz et al., 1998). Par contre, on en sait peu sur les mécanismes par lesquels cette transmission intergénérationnelle de la réussite scolaire opère. Deux hypothèses principales ont été proposées pour expliquer la continuité au niveau de la réussite scolaire. D’abord, les parents ayant eu un vécu scolaire caractérisé par le succès sont susceptibles de transmettre à leur enfant un patrimoine génétique propice à la réussite scolaire (Murnane, Maynard et Ohls, 1981; Plug, 2004). Une seconde hypothèse concerne l’environnement familial et suggère qu’au-delà de la transmission génétique, les parents plus scolarisés seraient davantage disposés à mettre en place un environnement familial propice à l’acquisition d’habiletés favorables à la réussite scolaire, comparativement aux parents moins scolarisés (Davis-Kean, 2005; Taylor et al., 2004). De plus, ayant eux-mêmes réussi à l’école, ils entretiennent des attentes élevées en ce qui a trait à la réussite scolaire de leurs enfants et les encouragent à performer à l’école en adoptant des comportements qui soutiennent cette réussite (Eccles et Harold, 1996; Jeynes, 2005).

Certaines études suggèrent cependant que la transmission intergéné-rationnelle de la réussite scolaire n’est pas le seul fait des comportements manifestes que les parents adoptent ou des gènes qu’ils transmettent à leur enfant et que des mécanismes cognitifs seraient également impliqués (Taylor et al., 2004; Wentzel, 1998). Le modèle de la socialisation scolaire de Taylor et ses collègues (2004) rend compte de la manière dont les croyances et les représentations mentales que les parents entretiennent relativement à l’école influencent l’encadrement qu’ils prodiguent à leur enfant au plan scolaire. Ces représentations et ces croyances sont teintées par leur propre expérience scolaire et les souvenirs qu’ils en conservent (Eccles et Harold, 1996). Les parents puisent également dans les souvenirs de leurs propres expériences pour interpréter l’expérience actuelle de leur enfant (Putallaz, Costanzo et Smith, 1991), en particulier lorsque l’enfant entre en maternelle puisque les souvenirs et les croyances du parent sont alors susceptibles d’être activés pour la première fois et sont moins enclins à être influencés par le vécu scolaire de l’enfant (Räty, 2011).

À l’heure actuelle, deux études empiriques ont considéré l’impact du souvenir parental de l’expérience scolaire en général sur le vécu scolaire de l’enfant. Une première étude menée auprès de 76 mères d’élèves de maternelle s’est intéressée à la préparation préscolaire des enfants. Dans cette étude, les mères étaient invitées à se souvenir de l’implication de leurs propres parents dans leur suivi scolaire (Barnett et Taylor, 2009). Les auteurs ont mesuré le souvenir que les mères en conservaient à partir d’entrevues semi-structurées comportant 27 questions. Les résultats indiquent que les mères se souvenant que leurs propres parents s’étaient impliqués activement dans leur scolarité avaient tendance à s’investir davantage dans la préparation préscolaire de leur enfant. Une seconde étude a documenté le souvenir parental de l’expérience scolaire en général chez 326 parents (Räty, 2011). Ces derniers ont eu à évaluer leur niveau de satisfaction à l’égard de cinq aspects de leur propre parcours scolaire durant le primaire : l’enseignement reçu, la justice et l’impartialité dans le traitement des élèves, les encouragements reçus, l’utilité des apprentissages et la prise en considération de leurs besoins. Les résultats témoignent d’une plus grande implication parentale dans l’aide aux devoirs et dans l’étude en vue d’examens chez les parents ayant conservé un souvenir négatif de leur propre expérience scolaire. L’auteur attribue cette tendance à la volonté du parent de protéger son enfant des difficultés qu’il aurait lui-même vécues durant son parcours scolaire.

Par contre, les mesures utilisées dans le contexte de ces deux études pour rendre compte du souvenir parental portent sur les souvenirs qu’ils conservent des réponses de l’environnement familial ou scolaire plutôt que sur leurs propres comportements à l’école. Or, nous postulons que les souvenirs que les parents conservent de leurs propres comportements à l’école, par exemple leur engagement scolaire, seront associés à la performance scolaire chez leur enfant. À ce jour, il n’existe pas d’études ayant porté sur le souvenir parental de l’engagement scolaire, un aspect pourtant central de l’expérience scolaire. De plus, aucune mesure de nature quantitative ne permet de rendre compte du souvenir parental de l’expérience scolaire en général ou du souvenir de l’engagement scolaire en particulier.

Objectifs de l’étude

La présente étude vise à explorer la validité d’une mesure du souvenir maternel de l’engagement scolaire et à en examiner les liens avec la performance scolaire des enfants, dans le but de mieux comprendre les mécanismes de la transmission intergénérationnelle de la réussite scolaire. Conçue aux fins de la recherche, cette mesure n’a pas de visée clinique. L’Échelle du souvenir maternel de l’engagement scolaire a été élaborée à partir d’un questionnaire préexistant intitulé Mesure de l’implication parentale dans les activités scolaires (MIPAS - Normandeau et Nadon, 2000). Le MIPAS a été administré à une population de mères d’élèves de maternelle de la région de l’Estrie au Québec, dans le cadre d’une courte étude longitudinale (Capuano, Bigras, Normandeau, Letarte et Parent, 2001; Letarte, Normandeau, Parent, Boudreau, Bigras et Capuano, 2008). Ce questionnaire rend compte de plusieurs dimensions de la participation des parents à la vie scolaire de leur enfant comme par exemple les attentes des parents ainsi que la fréquence et la qualité des contacts avec l’école (Normandeau et Nadon, 2000). Bien que la validité de certaines échelles du MIPAS soit soutenue par l’examen de leur cohérence interne et de leur association à diverses caractéristiques de l’enfant, cette validation a été menée auprès de parents d’élèves plus âgés et n’incluait pas les items portant sur le souvenir maternel de son propre engagement scolaire. De plus, la structure en échelle du MIPAS n’a jamais fait l’objet d’une validation factorielle. Dans ce contexte, cette étude représente un premier pas vers la validation de la structure dimensionnelle des items de souvenir parental inclus dans le MIPAS pour des parents d’enfants qui fréquentent la maternelle. Les items qui réfèrent au souvenir maternel son propre engagement scolaire ont été extraits de ce questionnaire afin de produire une mesure francophone auto-révélée des souvenirs que la mère a de son engagement comportemental et cognitif lorsqu’elle fréquentait l’école. Les items relatifs au souvenir de l’engagement comportemental ont trait à la période des devoirs alors que les items associés au souvenir de l’engagement cognitif touchent l’expérience scolaire en général.

La validation exploratoire de cette mesure sera réalisée en deux étapes. En premier lieu, nous procéderons à la validation du construit et à l’évaluation de la cohérence interne des échelles. Nous nous attendons à ce que la structure factorielle comporte deux facteurs : un facteur du souvenir maternel de l’engagement comportemental et un facteur du souvenir maternel de l’engagement cognitif. Il est également anticipé que les mères ayant le souvenir d’avoir manifesté un engagement comportemental et cognitif plus élevés auront des aspirations scolaires relativement à leur enfant qui seront supérieures à celles des mères rapportant des niveaux d’engagement scolaire moins élevés. De la même manière, nous nous attendons à ce que les mères rapportant des niveaux d’engagement comportemental et cognitif élevés auront un niveau de scolarité plus élevé que les mères se rappelant avoir été moins engagées à l’école.

Ensuite, comme la littérature suggère que les représentations mentales des parents relatives à leur expérience scolaire en général sont associées à la réussite scolaire de leurs enfants (Barnett et Taylor, 2009; Putallaz et al., 1998), nous établirons la validation prédictive de l’ÉSMES sur la performance scolaire des élèves. Nous nous attendons à ce que les élèves de maternelle dont la mère se rappelle avoir été davantage engagée aux plans comportemental et cognitif lorsqu’elle était à l’école afficheront une meilleure performance scolaire lorsqu’ils auront atteint la première année du primaire que ceux dont la mère rapporte des niveaux moindres d’engagement. Nous postulons que cette relation existera au-delà de la contribution de variables étroitement associées au rendement scolaire, soit le sexe de l’élève (Carter et Wojkiewicz, 2000), son niveau de vocabulaire au moment de l’entrée à l’école (Tramontana, Hooper, & Selzer, 1988), le revenu de sa famille (Hill, 2001) et le niveau de scolarité de sa mère (Carneiro et al., 2013).

Méthode

Échantillon et procédures

L’échantillon retenu pour la présente étude inclut 373 mères dont l’enfant était en maternelle (51 % filles). Les enfants étaient âgés de cinq ans (forme: 2004247n.jpg = 56 mois) au moment de la première évaluation à l’automne 1997 (temps 1). Les mères et les élèves participaient à un projet longitudinal plus large (Capuano et al., 2001; Letarte et al., 2008) ayant cours dans 52 écoles réparties dans huit commissions scolaires de l’Estrie. Ces écoles étaient situées dans des quartiers défavorisés où un programme de stimulation similaire à la prématernelle était offert. La presque totalité des élèves et des mères faisant partie de l’étude sont d’origine canadienne (97 %). De plus, 63 % des mères ont complété une scolarité de niveau secondaire et près de la moitié (49 %) avaient un revenu familial annuel inférieur à 30 000$. Enfin, 86 % des familles de l’échantillon sont biparentales.

Le projet de recherche a d’abord été présenté aux directeurs des écoles de chaque commission scolaire de l’Estrie. Par la suite, des lettres adressées aux mères ont été acheminées par les enseignants. Ces lettres informatives incluaient un coupon-réponse que les mères devaient retourner à l’enseignant de leur enfant. Une fois que les mères ont donné leur consentement, chacun des enfants a été soumis à une épreuve de vocabulaire administrée individuellement en classe à l’automne 1997 (temps 1). Les mères ont pour leur part répondu à un questionnaire écrit (temps 1). Enfin, au printemps 1998, alors qu’ils étaient en première année (temps 2), 165 élèves ont complété une épreuve écrite visant à évaluer leurs habiletés en mathématiques, en lecture ainsi qu’en écriture.

Mesures

Souvenir maternel de l’engagement scolaire. La version initiale de l’ÉSMES comportait 21 questions évaluant les dimensions comportementale et cognitive du souvenir parental de l’engagement scolaire. La répartition théorique de ces items à travers les dimensions de l’engagement est présentée au tableau 1. Alors que leur enfant débutait la maternelle (temps 1), les mères devaient répondre à chacun des items à l’aide d’une échelle de type Likert en cinq points d’ancrage (de 1 = jamais, à 5 = très souvent). Deux items relatifs à la qualité du souvenir sont également inclus dans la mesure (« vous souvenez-vous de votre expérience scolaire? »; « vous souvenez-vous des notes que vous aviez et de la façon dont vous faisiez vos devoirs? ») auxquels les mères répondaient à l’aide d’un choix de réponse dichotomique (1 = oui, 0 = non). Les mères ayant répondu non à l’une ou l’autre de ces deux questions ont été exclues de l’échantillon aux fins de la présente étude.

Performance scolaire de l’élève. La performance scolaire de l’élève en première année (temps 2) a été mesurée à l’aide de trois épreuves présentées sous forme de jeux et administrées individuellement en classe au printemps. Ces épreuves visent à évaluer les compétences de l’élève en mathématiques, en lecture et en écriture. L’épreuve de mathématiques comporte dix questions. Les scores varient entre zéro et cinquante points. Celle de lecture comprend six questions où l’on demande à l’enfant de faire une croix sur l’image qui correspond à une phrase qu’il doit lire. Les scores à cette épreuve varient entre zéro et dix points. Enfin, l’épreuve d’écriture consiste en sept phrases à compléter. Le pointage se situe entre zéro et quarante. Un score global a été calculé à partir de la somme des points obtenus à chacune de ces épreuves et qui varie entre 0 et 100 (forme: 2004248n.jpg = 69,33; σ = 15,10).

Tableau 1

Répartition anticipée des items de l’ÉSMES

Répartition anticipée des items de l’ÉSMES

Note. R indique les items qui sont inversés

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Sexe de l’élève. Le sexe de chaque élève a été rapporté par la mère (temps 1) (0 = féminin; 1 = masculin).

Niveau de scolarité de la mère. La mère a répondu à la question suivante : « encerclez le plus haut niveau d’éducation générale terminé » au temps 1. La répondante devait indiquer le niveau scolaire à partir d’une échelle indiquant le nombre d’années d’études complétées, variant entre zéro et dix-neuf ans.

Aspirations scolaires de la mère. La mère devait répondre à la question (temps 1) : « quel niveau de scolarité pensez-vous que votre enfant va atteindre? » à partir d’une échelle de type Likert en quatre points (de 1 = diplôme d’études secondaires général à 4 = diplôme d’études universitaires).

Revenu familial. Le revenu a été rapporté par la mère (temps 1). Elle devait répondre à la question : « indiquez votre revenu annuel familial brut, soit le total des revenus de tous les adultes vivant dans la famille ». L’échelle de réponse pour cette question comporte huit échelons (de 1 = moins de 10 000$, à 8 = 100 000$ et plus).

Connaissance du vocabulaire. Le niveau de connaissance du vocabulaire de l’élève a été évalué alors que l’élève débutait la maternelle à l’aide de l’Échelle de vocabulaire en images Peabody (EVIP; Dunn, Thériault-Whalen et Dunn, 1993). Le participant doit choisir parmi quatre images celle qui illustre le mieux la signification d’un mot qui est prononcé à haute voix par l’examinateur. Le participant répond à des items de difficulté appropriée déterminés en fonction de son âge. Dans le cadre de la présente étude, nous avons utilisé le score standardisé dont la moyenne se situe à 100 points et l’écart type à 15 points.

Stratégie analytique

Les analyses ont été réalisées en plusieurs étapes. Nous avons dans un premier temps examiné la moyenne et l’écart-type de chacun des items de même que les corrélations inter-items et avec les autres variables à l’étude. Dans le but de procéder à la validitation exploratoire du construit, nous avons ensuite introduit les 21 items qui mesurent les deux dimensions du souvenir maternel de l’engagement scolaire dans une série d’analyses en composantes principales (ACP). Puisque nous nous attendions à ce que les facteurs soient corrélés entre eux étant donné qu’ils font référence à deux des dimensions d’un même construit, nous avons opté pour une rotation de type Oblimin (Tabachnick et Fidell, 2007). Cette étape a été réalisée à l’aide du logiciel SPSS version 22. Les différents modèles d’ACP ont été comparés sur la base de leur pertinence théorique et statistique. Nous avons d’abord utilisé le graphique des valeurs propres (eigenvalues), puis, afin de sélectionner les items composants chacun des facteurs identifiés, nous avons procédé à l’examen des poids de saturation ainsi que des communalités. Selon Comrey et Lee (1992), des poids de saturation sont adéquats à partir de 0,45. Tous les items dont les poids de saturation étaient inférieurs à 0,45 ont donc été retirés des analyses et n’ont pas été pris en considération lors des étapes ultérieures. Dans le but d’évaluer la validité de construit, nous avons également examiné les corrélations entre les dimensions du souvenir parental de l’engagement scolaire et le niveau de scolarité de la mère ainsi que les aspirations de la mère vis-à-vis du niveau de scolarité de son enfant. Une fois le modèle final déterminé, la cohérence interne des dimensions sous-jacentes a été évaluée au moyen d’alphas de Cronbach. Afin d’explorer la validité prédictive de la mesure, nous avons fait une série de modèles de régressions dans le but d’établir l’association entre les échelles de l’ÉSMES et la performance scolaire des élèves une fois parvenus en première année. Dans tous ces modèles, nous avons contrôlé pour le sexe de l’enfant, son niveau de connaissance du vocabulaire à l’entrée en maternelle, le niveau de scolarité de la mère ainsi que le revenu familial.

Résultats

Validation de construit

Identification des dimensions du souvenir maternel de l’engagement scolaire. Avant d’étudier la structure factorielle de l’ÉSMES, nous avons vérifié si les données se prêtaient à ce type d’analyse (Tabachnick et Fidell, 2007). Le nombre de participants est supérieur au minimum de 300 recommandé pour procéder à une analyse factorielle. La présence de plusieurs coefficients de corrélation supérieurs à 0,30 (tableau 2) témoigne également d’une intercorrélation suffisante entre les items pour pouvoir effectuer ce type d’analyse. La valeur de Kaiser-Meyer-Oklin (KMO) qui sert à mesurer l’adéquacité de l’échantillon est égale à 0,93, ce qui est supérieur à la valeur minimale recommandée de 0,60 (Kaiser, 1970). Ensuite, le test de sphéricité de Barlett (Barlett, 1954) était significatif (p < 0,001), ce qui indique que les matrices de corrélation ont le potentiel de générer une solution factorielle. Procéder à une analyse factorielle exploratoire à partir de cet échantillon est donc pertinent.

Nous avons procédé à des ACP à partir des 21 items mesurant le souvenir maternel de l’engagement scolaire. Les résultats des ACP indiquent que quatre modèles composés de un à quatre facteurs ont des valeurs propres qui sont supérieures à 1 (entre 1,03 et 8,74). Les modèles comprenant cinq facteurs ou plus n’ont donc pas été pris en compte puisqu’ils affichaient des valeurs propres inférieures à 1.

Le premier modèle comporte quatre facteurs[1] et permet d’expliquer 63 % de la variance totale des items. Ces quatre facteurs expliquent respectivement 40 %, 13 %, 6 % et 5 % de la variance totale. Par contre, l’item 1 a dû être retiré d’emblée du modèle car il est redondant, c’est-à-dire également représenté, sur plus d’un facteur. Notons qu’au sein de ce modèle, plusieurs items sont redondants sur plus d’un facteur (items 2, 3, 6, 11, 17, 18, 20). De plus, la répartition des items en quatre facteurs fait peu de sens au plan théorique et les items regroupés sous les facteurs 1 et 2 sont pour la plupart redondants avec ceux des facteurs 3 et 4.

Un second modèle contraint à trois facteurs[2] a été produit afin d’obtenir une meilleure répartition des items. Ces trois facteurs expliquent respectivement 41 %, 12 % et 6 % de la variance totale. Les items 16 et 19 sont toutefois retirés des analyses subséquentes puisqu’ils affichent des poids de saturation inférieurs à 0,45. Les trois items qui composent le troisième facteur sont redondants avec ceux du premier facteur.

Dans un souci de parcimonie et de meilleure répartition des items, un troisième modèle contraint à deux facteurs[3] a été examiné. Ce modèle explique 55 % de la variance totale, soit 41 % de variance expliquée par le premier facteur et 14 % par le second facteur. Bien que le pourcentage de variance expliqué par ce modèle soit moindre que celui des deux modèles précédents, il est tout de même satisfaisant. Les items 9, 12 et 13 sont cependant retirés car ils présentent des poids de saturation inférieurs à 0,45.

Tableau 2

Matrice des corrélations inter-items et statistiques descriptives

Matrice des corrélations inter-items et statistiques descriptives

Note. * p < 0,05; ** p < 0,01

-> Voir la liste des tableaux

En dépit du fait que le tableau et le graphique des valeurs propres suggèrent que la solution devrait comporter quatre facteurs, nous avons retenu le troisième modèle qui répartit les items en deux facteurs. Ce modèle est le plus parcimonieux tout en offrant la répartition la plus intéressante des items parmi les facteurs, c’est-à-dire qu’il présente le moins de redondance et la meilleure cohérence avec les théories de l’engagement scolaire. En retirant les items 9, 12 et 13, le pourcentage de la variance totale expliquée par ce modèle augmente légèrement à 59 %, dont 46 % sont attribuables au premier facteur et 13 % au deuxième facteur. Les communalités des items de ce modèle varient entre 0,52 et 0,71. Les poids de saturation des items à l’intérieur de chacun de ces facteurs se situent entre 0,69 et 0,84.

La solution finale retenue comporte donc deux facteurs (voir tableau 3). Neuf items font partie d’un premier facteur qui correspond à la dimension comportementale du souvenir maternel de l’engagement scolaire. Plus le score obtenu sur cette échelle est élevé, moins la mère se rappelle avoir été engagée au plan comportemental. Pour faciliter la lecture des résultats, les items de cette échelle ont été inversés de sorte qu’un score élevé reflète un engagement élevé. Six autres items constituent un second facteur qui renvoie à la dimension cognitive du souvenir maternel de l’engagement scolaire. Plus le score obtenu sur cette échelle est élevé, plus la mère se rappelle avoir été engagée au plan cognitif. L’échelle du souvenir maternel de l’engagement cognitif affiche une très bonne cohérence interne (α = 0,83) alors que celle du souvenir maternel de l’engagement comportemental est excellente (α = 0,92). Les communalités des items retenus dans cette solution varient entre 0,48 et 0,71 ce qui indique que les items sont bien représentés par cette solution factorielle.

Corrélation avec des construits liés à l’expérience scolaire maternelle. Nous avons produit des corrélations bivariées entre les deux échelles du souvenir maternel de l’engagement scolaire et certaines variables réputées pour être liées à l’expérience scolaire parentale (tableau 4). Les deux dimensions du souvenir maternel de l’engagement scolaire significativement corrélées dans le sens attendu avec le niveau de scolarité et les aspirations scolaires de la mère.

Validité prédictive

Une fois les dimensions du souvenir maternel de l’engagement scolaire identifiées, nous avons évalué la capacité des deux échelles à prédire la performance scolaire de l’élève. Pour ce faire, nous avons procédé à des régressions linéaires multiples hiérarchiques (voir tableau 5) en tenant compte du niveau de scolarité de la mère, du revenu familial, du sexe de l’enfant ainsi que de son niveau de vocabulaire lors de son entrée à l’école.

Le premier modèle (F (3,164) = 8,83, p < 0,001) qui inclut uniquement les variables de contrôle est significatif et rend compte de 14 % de la variance de la performance de l’élève. Toutefois, seul le niveau de vocabulaire permet de prédire la performance de l’élève (β = 0,36; p < 0,001). Ainsi les élèves qui ont un niveau élevé de vocabulaire à l’entrée à l’école obtiennent un score plus élevé aux épreuves de lecture, écriture et mathématiques. Le second modèle ajoute les dimensions cognitive et comportementale du souvenir maternel de l’engagement scolaire au modèle précédent. Ce modèle (F (5, 164) = 8,83, p < 0,001) est significatif et permet d’expliquer 17 % de la variance de la performance de l’élève, ce qui représente une augmentation de 3 % par rapport au modèle précédent. Les résultats indiquent que le niveau de vocabulaire lors de l’entrée à l’école continue d’être associé à une performance élevée chez l’élève et que la dimension cognitive du souvenir maternel de l’engagement scolaire ne contribue pas à expliquer celle-ci. La dimension comportementale contribue à expliquer la performance de l’élève (β = 0,18; p < 0,05), au-delà des variables de contrôle.

Tableau 3

Communalités, poids de saturation et cohérence interne des items associés à chaque dimension

Communalités, poids de saturation et cohérence interne des items associés à chaque dimension

Note. R indique les items qui sont inversés

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Tableau 4

Matrice des corrélations avec les construits liés à l’expérience scolaire parentale

Matrice des corrélations avec les construits liés à l’expérience scolaire parentale

Note. * p < 0,05; ** p < 0,01

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Tableau 5

Résultats de la régression linéaire multiple hiérarchique (variable dépendante : performance scolaire)

Résultats de la régression linéaire multiple hiérarchique (variable dépendante : performance scolaire)

Note. * p < 0,05; ** p < 0,01; *** p < 0,001

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Discussion

L’objectif de la présente étude était d’explorer la validité d’une mesure permettant de qualifier l’expérience scolaire des mères et d’évaluer l’association entre le souvenir maternel de l’engagement scolaire et la performance scolaire de leur enfant de première année du primaire. Plus spécifiquement, nous avons examiné si les mères ayant le souvenir d’avoir été motivées et organisées lorsqu’elles faisaient leurs devoirs, d’avoir eu le souci de bien faire leurs tâches à l’école ainsi que d’avoir fait preuve d’organisation et d’autorégulation voient leur enfant performer davantage à des épreuves d’écriture, de lecture et de mathématiques.

Selon les résultats des analyses exploratoires de validité de construit, le souvenir maternel de l’engagement scolaire se traduit par deux dimensions. La dimension comportementale est représentée par neuf items qui traitent du souvenir que la mère a gardé de son assiduité et de son niveau de discipline lorsque venait le temps de faire ses devoirs. La dimension cognitive du souvenir maternel de l’engagement scolaire comporte six items reflétant le souvenir que la mère conserve de son aptitude à persévérer, à faire preuve d’autorégulation et à mettre en oeuvre des stratégies métacognitives lors de tâches scolaires.

Les résultats des analyses de validité prédictive suggèrent que les enfants dont les mères conservent le souvenir d’avoir été engagées au plan comportemental présentent une performance scolaire plus élevée. Plus précisément, les mères qui rapportent avoir été davantage assidues et disciplinées lorsque venait le temps de faire leurs devoirs voient leur enfant obtenir un score plus élevé à des épreuves de mathématiques, de lecture et d’écriture administrées en première année du primaire. Le souvenir maternel de l’engagement comportemental est donc positivement associé au rendement de l’élève, et ce, en tenant compte de la contribution de variables réputées pour prédire le rendement scolaire comme le niveau de vocabulaire ainsi que le nombre d’année de scolarité de la mère. Les mères qui se rappellent avoir fait preuve d’assiduité et de discipline alors qu’elles étaient enfants manifestent possiblement ces mêmes caractéristiques une fois parvenues à l’âge adulte et les ont peut-être généralisées à leur rôle parental. Il est ainsi plausible que ces mères fassent preuve de plus d’assiduité et de constance dans l’encadrement qu’elles prodiguent à leur enfant, notamment lors des devoirs, et par le fait même, favorisent la réussite scolaire de ce dernier (Spera, 2005; Steinberg, Lamborn, Dornbusch et Darling, 1992). Les résultats montrent également que les mères qui se rappellent avoir étés assidues et disciplinées entretiennent des attentes élevées relativement à la scolarité de leur enfant. Il est plausible que ces mères aient aussi des attentes élevées en ce qui concerne l’assiduité et la discipline de leur enfant et orientent leurs pratiques et leurs demandes en ce sens, ce qui pourrait favoriser un meilleur rendement chez ce dernier. Il est par ailleurs possible que le résultat observé soit tributaire du fait que les items composant cette dimension renvoient à la période des devoirs et que ce soit spécifiquement l’expérience de la mère relative aux devoirs qui soit en cause dans cette association. Ces mères ont possiblement développé un ensemble de compétences et de stratégies pour faire leurs devoirs de manière assidue qu’elles sont en mesure de transmettre à leur enfant, favorisant ainsi sa réussite. Cela est d’autant plus envisageable que l’implication parentale dans le suivi scolaire se traduit principalement par la supervision des devoirs (Hoover-Dempsey, Battiato, Walker, Reed, DeJong et Jones, 2001).

Les résultats suggèrent également que la dimension cognitive du souvenir maternel n’est pas associée à la performance de l’élève lorsque son niveau de vocabulaire ainsi que le revenu familial et le niveau de scolarité de sa mère sont pris en compte. Il est toutefois possible que cette variable y soit indirectement associée et que des variables médiatrices entrent en ligne de compte. Pensons notamment aux pratiques parentales qui permettraient de transmettre à l’enfant les stratégies que la mère aurait développées durant son parcours scolaire pour s’autoréguler dans ses apprentissages. Il est également possible que les élèves participant à l’étude soient trop jeunes pour que de telles stratégies soient bénéfiques à leur réussite. En effet, la dimension cognitive de l’engament scolaire réfère à des habiletés métacognitives, c’est-à-dire qui visent à penser sur ses propres processus cognitifs ainsi qu’à planifier, contrôler et vérifier les stratégies qui sont mises en oeuvre pour mener les apprentissages (Flavell, 1987). Ces habiletés sophistiquées ne sont peut-être pas au coeur des processus d’apprentissages des élèves en tout début de parcours scolaire primaire, auquel cas les stratégies que le parent peut enseigner à cet égard n’auraient pas d’effet sur la réussite à ce moment du développement de l’enfant.

Il est par ailleurs surprenant de constater que le sexe de l’élève ainsi que le niveau de scolarité de la mère ne sont pas associés à la performance scolaire de l’élève dans les modèles de régression alors que ces deux variables sont connues pour y être étroitement associées (Carter et Wojkiewicz, 2000). Il est possible que leurs associations aient été masquées par celle du niveau de vocabulaire antérieur qui explique une proportion importance de la variance de la performance de l’élève. Il importe néanmoins de souligner le fait que le souvenir maternel de l’engagement comportemental est malgré tout associé à la performance de l’élève témoigne de la force du lien observé entre ceux deux variables.

Forces et limites de l’étude

Cette étude comporte plusieurs avantages. Sa plus grande force réside dans son caractère novateur. En effet, la présente étude permet un avancement dans la connaissance des aspects de l’expérience scolaire des mères qui influent sur le vécu scolaire de leur enfant. Cette étude a également pour avantage de reposer sur un échantillon relativement homogène au plan ethnique, socioéconomique et de la configuration familiale. Quoique cette homogénéité puisse limiter la généralisation des résultats, elle s’ajoute aux variables contrôlées dans les analyses pour assurer que de solides prédicteurs du rendement scolaire soient contrôlés, accroissant la robustesse des résultats.

Cette étude comporte également des limites. D’abord, seules les mères des élèves ont rempli le questionnaire de la mesure de souvenir parental. Cette étude ne prend donc pas en compte la contribution de l’expérience scolaire du père alors qu’il aurait été souhaitable de la considérer puisque son apport à l’éducation de l’enfant est unique et complémentaire à celui de la mère (Dubeau, Clément et Chamberland, 2005; Dubeau et Coutu, 2003). Par ailleurs, la mesure que nous proposons n’inclut pas d’items de désirabilité sociale. Or la réussite scolaire étant une condition valorisée socialement, on peut se questionner quant à la justesse des réponses des mères aux questions. En effet, les mères ayant éprouvé des difficultés dans leur parcours scolaire pourraient être réticentes à laisser transparaître ces difficultés dans leurs réponses aux questions, ce qui pourrait biaiser les résultats. Dans le même ordre d’idées, le fait que les questions sur l’engagement comportemental soient limitées au contexte des devoirs et formulées négativement a pu biaiser les réponses pour certaines participantes. Cette caractéristique pourrait être corrigée dans une version future. Enfin, une limite de la présente étude est l’exclusion de la dimension affective de l’engagement scolaire. Il serait pertinent d’inclure cette dimension dans les études à venir afin de considérer les souvenirs que la mère conserve de ses sentiments vis-à-vis de l’école. Il est en effet plausible que ces derniers influent sur la manière dont elle appréhende l’expérience scolaire de son enfant.

Implications pour la recherche future

La présente étude constitue un premier pas dans l’exploration empirique du souvenir parental de l’engagement scolaire et de son association avec le rendement scolaire de l’enfant. Dans les études à venir, il serait souhaitable d’explorer d’autres avenues afin d’identifier les aspects de l’expérience scolaire parentale qui influent sur le vécu actuel de l’enfant. Au-delà de la période des devoirs, il serait pertinent d’explorer d’autres contextes où l’engagement comportemental du parent est susceptible d’être déployé, par exemple, en classe. Des variables médiatrices sont possiblement en cause et il serait pertinent d’étudier en quoi l’expérience scolaire parentale est susceptible de teinter les pratiques parentales qui influencent directement l’adaptation scolaire de l’enfant, par exemple, l’implication parentale dans le suivi scolaire, la qualité de l’environnement d’apprentissage à la maison ainsi que le sentiment de compétence parentale (Deslandes et Bertrand, 2004). Par ailleurs, il est possible que le souvenir parental de l’engagement scolaire soit associé à d’autres aspects du vécu scolaire de l’élève comme son ajustement social et son engagement scolaire et ceux-ci devraient être pris en compte dans les études futures.

Implications pour l’intervention

Il y aurait lieu de sensibiliser les intervenants à l’importance du souvenir maternel de l’engagement scolaire puisque celui-ci est associé au rendement scolaire de l’élève. Il serait par exemple pertinent de considérer cette variable lors de l’évaluation du fonctionnement familial en complément aux éléments habituellement pris en compte dans ces évaluations. Certains parents peuvent conserver un souvenir négatif de leur expérience scolaire ce qui peut teinter leurs représentations actuelles de l’école de leur enfant. Il y aurait lieu d’explorer ces perceptions avec les parents afin de démystifier le rôle de l’école et des intervenants scolaires. Il semble également que ce soit le souvenir des parents relativement aux devoirs qui soit associé à la performance scolaire de l’élève. Il serait pertinent d’explorer avec les parents si ces représentations teintent leur expérience actuelle lorsqu’ils encadrent les devoirs de leur enfant et de leur fournir au besoin un soutien pour favoriser un meilleur accompagnement lors des devoirs.

Conclusion

Cette étude fournit une première validation d’une mesure du souvenir maternel de l’engagement scolaire. Les analyses de validation exploratoire indiquent l’existence de deux dimensions du souvenir maternel de l’engagement scolaire, soit comportementale et cognitive. Les résultats des analyses de validité prédictive suggèrent que les mères qui se rappellent avoir fait preuve d’assiduité et de discipline durant leurs devoirs voient leur enfant obtenir un score supérieur à une épreuve de mathématiques, de lecture et d’écriture. Ces mères ont aussi un niveau de scolarité et des aspirations scolaires à l’endroit de leur enfant qui sont plus élevés que celles qui se souviennent avoir été moins engagées au plan scolaire. L’étude du souvenir maternel de l’engagement scolaire représente une contribution novatrice aux connaissances sur la transmission intergénérationnelle de la réussite scolaire. D’autres études seront toutefois nécessaires afin de raffiner et d’élargir la mesure du souvenir parental de l’expérience scolaire.