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Le phénomène des gangs de rue suscite des préoccupations importantes de la part des autorités canadiennes et mondiales, notamment en raison des conséquences individuelles et sociales qui y sont reliées. En effet, l’association aux gangs[1] multiplie les risques d’arrestations, d’incarcérations, de blessures et de décès chez les jeunes impliqués, augmentant par conséquent les coûts assumés par la société découlant des activités des gangs (Chatterjee, 2006). Par ailleurs, les préoccupations des autorités et de la population sont intimement liées aux actes délinquants et, particulièrement, aux actes violents perpétrés par ces jeunes (Le Blanc et Cusson, 2010).

Piquero, Farrington et Blumstein (2003) proposent différentes dimensions afin d’évaluer la séquence des délits commis par les délinquants. La fréquence (le nombre de reprises où les délits ont été commis), la durée (l’âge au moment des premiers et des derniers délits commis), le polymorphisme (la variabilité dans le type de délits commis), la sévérité (la gravité des délits commis) ainsi que la codélinquance (le fait de commettre les délits seul ou en groupe) constituent les paramètres classiques permettant d’évaluer la délinquance.

La majorité des études tendent à démontrer que la délinquance est omniprésente au sein des gangs de rue. Effectivement, les jeunes associés aux gangs commettraient un nombre plus élevé de délits que les jeunes qui n’y sont pas associés, et cette délinquance serait plus violente et sévère (Decker et Pyrooz, 2014; Haymoz, 2014b; Melde et Esbensen, 2013). Ces jeunes seraient souvent impliqués dans des crimes violents (intimidation, vols, agressions contre la personne, utilisation d’une arme à feu, homicide) et la vente de drogue (Decker, Katz et Webb, 2008).

Deux trajectoires sont proposées par Thornberry, Krohn, Lizotte, Smith et Tobin (2003) afin d’expliquer l’association entre la délinquance et les gangs de rue : l’hypothèse de la sélection et l’hypothèse de la facilitation. La première stipule que les jeunes les plus impliqués dans la délinquance seraient les plus susceptibles de s’associer aux gangs de rue alors que la deuxième soutient que l’association aux gangs favoriserait l’adoption de comportements délinquants chez ces jeunes. Il semble néanmoins que l’hypothèse la plus plausible soit mixte : les jeunes les plus délinquants s’associeraient davantage aux gangs, et cette association aurait pour conséquence d’augmenter la fréquence et l’intensité de leurs comportements délinquants.

Par ailleurs, divers facteurs motivent les jeunes à s’associer aux gangs de rue. En premier lieu, les jeunes peuvent être tentés de s’associer aux gangs afin d’obtenir une protection et un sentiment de sécurité (Fleisher et Decker, 2001; Sharkey, Shekhtmeyster, Chavez-Lopez, Norris et Sass, 2011). Ironiquement, l’association aux gangs de rue augmenterait plutôt le risque d’être victime de violence (DeLisi, Barnes, Beaver et Gibson, 2009; Trickett, 2011). En effet, non seulement les personnes associées aux gangs commettraient plus d’actes de violence que celles qui n’y sont pas associées, mais elles subiraient également davantage de violence, tel qu’être menacé par une arme, être victime de vol, se faire blesser ou se faire battre (Coid et al., 2013; Decker et al., 2008). Considérant que la victimisation à l’adolescence augmente le risque de souffrir de dépression ou de troubles anxieux (Hawker et Boulton, 2000; Storch, Masia-Warner, Crisp et Klein, 2005), il y a lieu de se demander si celle-ci a le même effet chez les jeunes contrevenants associés aux gangs. Les jeunes peuvent également s’associer aux gangs de rue afin de vivre un sentiment d’appartenance à un groupe de pairs qui leur ressemble et qui leur offre un certain support social, de se forger une identité, de récolter des gains monétaires liés aux activités criminelles, d’augmenter leur estime de soi et leur sentiment d’accomplissement en ayant du succès dans leurs activités criminelles et d’affirmer leur masculinité à travers leur statut de membre de gang, leur pouvoir sur les autres et leur agressivité (Fleisher et Decker, 2001; Sharkey et al., 2011).

Jusqu’à présent, les études portant sur les gangs de rue abordent principalement la prévalence des gangs, les codes de conduites et les règles au sein des gangs, les caractéristiques sociodémographiques des jeunes associés aux gangs ou encore les raisons motivant les jeunes à s’associer et à quitter les gangs. Divers facteurs de risques sociaux (pairs délinquants), communautaires (quartiers problématiques où la criminalité est omniprésente), familiaux (familles dysfonctionnelles, abus au sein de la famille, faible contrôle parental), scolaires (difficultés académiques, faible attachement face à l’école) et individuels (tendances psychopathiques, attitudes antisociales, impulsivité, agressivité, faible estime de soi, faible autocontrôle, attrait pour la prise de risque, compétences sociales défaillantes, facilement influençable) liés à l’association aux gangs ont également été identifiés dans plusieurs études (Chatterjee, 2006; Dupéré, Lacourse, Willms, Vitaro et Tremblay, 2007; Haymoz, 2014a). La présence d’un nombre élevé de facteurs de risque, provenant en outre de différents domaines augmenteraient la probabilité qu’un jeune s’associe aux gangs de rue (Chatterjee, 2006). Bien que certaines caractéristiques individuelles des adolescents associés aux gangs de rue aient été évaluées par diverses recherches, peu d’études se sont intéressées à l’impact de cette association aux gangs sur la santé mentale de ces jeunes.

Les troubles mentaux chez les jeunes contrevenants

Dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-IV-TR[2]; APA, 2003), un trouble mental est défini comme suit :

[…] un modèle ou un syndrome comportemental ou psychologique cliniquement significatif, survenant chez un individu et associé à une détresse concomitante (p. ex., symptôme de souffrance) ou à un handicap (p. ex., altération d’un ou plusieurs domaines du fonctionnement) ou à un risque significativement élevé de décès, de souffrance, de handicap ou de perte importante de liberté. De plus, ce modèle ou ce syndrome ne doit pas être simplement la réponse attendue et culturellement admise à un événement particulier, par exemple le décès d’un être cher. Quelle qu’en soit la cause originelle, il doit être considéré comme la manifestation d’un dysfonctionnement comportemental psychologique ou biologique de l’individu. […]

p. XXXV

Un grand nombre d’études se sont intéressées aux troubles mentaux présentés par les jeunes contrevenants en général, sans tenir compte de l’association aux gangs de rue. Une méta-analyse effectuée par Fazel, Doll et Langstrom (2008), dans laquelle sont recensées 25 études, démontre que plus de 50 % des adolescents en détention ou en centres correctionnels[3] pour jeunes présentent un trouble des conduites. De plus, en comparaison avec les adolescents de la population générale, la psychose y est dix fois plus fréquente (prévalence de 3,3 %), le trouble de déficit de l’attention/hyperactivité deux à quatre fois plus fréquent (prévalence de 11,7 %) et le trouble dépressif majeur deux fois plus fréquent (prévalence de 10,6 %). Ainsi, plusieurs jeunes contrevenants doivent composer avec des troubles mentaux.

Les troubles mentaux chez les jeunes contrevenants associés aux gangs de rue

Alors que plusieurs études ont évalué les troubles mentaux chez les jeunes contrevenants en général (Colins et al., 2010; Robertson, Dill et Husain, 2004; Ståhlberg, Anckarsäter et Nilsson, 2010), peu d’études s’y sont intéressées plus spécifiquement chez les jeunes contrevenants associés aux gangs de rue. Les résultats des quelques études abordant ce sujet démontrent que ces jeunes présentent davantage de symptômes extériorisés (comportements délinquants et agressifs) et de troubles mentaux que les jeunes qui n’y sont pas associés (Coid et al., 2013; Corcoran, Washington et Meyers, 2005; Harper, Davidson et Hosek, 2008).

Corcoran et ses collègues (2005) ont réalisé une étude auprès de 73 jeunes hommes âgés de 13 à 19 ans et associés (n = 24) ou non aux gangs de rue (n = 49) hébergés en garde fermée. L’association aux gangs de rue était autorévélée et les questionnaires Oregon Mental Health Referral Checklist (OMHRC; Corcoran, 2005) et Child Behavior Checklist (CBCL; Achenbach, 1991) ont été utilisés afin d’évaluer divers comportements observables regroupés en problèmes intériorisés et extériorisés. Cette étude souligne que les jeunes faisant partie des gangs rapportent plus de destructivité, de délinquance, de problèmes de la pensée, de tentatives de suicide, d’idées homicidaires, d’hallucinations ou d’idées bizarres, de pertes de contact avec la réalité (sans être sous l’influence de drogue ou d’alcool) et de fugues que ceux qui n’y sont pas associés.

Harper et ses collaborateurs (2008) ont quant à eux effectué une recherche auprès de 69 hommes sans-abri afro-américains âgés de 16 à 21 ans. L’association aux gangs de rue était autorévélée et a permis d’identifier que 31 participants se considéraient associés aux gangs alors que 38 participants disaient ne pas y être associés. Ils ont utilisé quatre items du Survey of Children’s Exposure to Community Violent Scale (Richters et Martinez, 1993) afin d’évaluer les comportements de violence perpétrés. En ce qui a trait aux symptômes extériorisés, leurs résultats vont dans le même sens que ceux de Corcoran et ses collègues (2005) à savoir que les jeunes associés aux gangs présentent plus de comportements violents, sont davantage impliqués dans des batailles et font plus de graffitis sur les murs que les jeunes qui n’y sont pas associés. La prévalence des symptômes extériorisés semble donc supérieure chez les jeunes associés aux gangs. Les auteurs de ces études (Corcoran et al., 2005; Harper et al., 2008) ne spécifient toutefois pas si la prévalence des symptômes extériorisés des jeunes contrevenants qui ne sont pas associés aux gangs est considérée élevée comparativement à celle des adolescents de la population générale.

Si les auteurs s’entendent généralement sur la présence d’un plus grand nombre de symptômes et de troubles extériorisés chez les jeunes contrevenants associés aux gangs de rue comparativement à ceux qui n’y sont pas associés, ce n’est pas le cas pour les symptômes intériorisés. Les symptômes intériorisés engendrent une souffrance chez l’individu et regroupent les comportements anxieux, dépressifs, de retrait et les plaintes somatiques sans cause médicale (Achenbach et McConaughy, 1992).

Divers résultats dans les écrits supportent l’hypothèse que les jeunes contrevenants associés aux gangs de rue présentent plus de symptômes intériorisés que les jeunes qui n’y sont pas associés. Pesenti-Gritti et ses collègues (2008) ont réalisé une étude auprès de 398 paires de jumeaux âgés de 8 à 17 ans qui visait notamment à évaluer le lien entre les comportements extériorisés et les comportements intériorisés à l’aide du CBCL (Achenbach, 1991). Ils ont démontré que la présence de comportements extériorisés problématiques rend l’individu sept fois plus à risque de présenter également des comportements intériorisés problématiques. Ainsi, comme les jeunes associés aux gangs présenteraient plusieurs comportements extériorisés (Corcoran et al., 2005; Harper et al., 2008), il est possible de supposer qu’ils peuvent aussi présenter une forte prévalence de comportements intériorisés. Par ailleurs, divers facteurs de risque propres à l’association aux gangs sont connus pour être également liés à la présence de symptômes ou troubles intériorisés. En effet, un faible statut socio-économique, être témoin de violence, être victime d’abus physiques ou émotionnels, la négligence, un sentiment d’isolement et de marginalisation et un grand nombre d’événements de vie stressants (p. ex., une crise financière, la mort d’un parent, le divorce des parents, une maladie physique, une rupture amoureuse, un changement d’école) sont liés à l’association aux gangs, tout comme aux symptômes et troubles intériorisés (Belitz et Valdez, 1994; Jones, Herrera et De Benitez, 2007; Kim, Conger, Elder Jr. et Lorenz, 2003; Mrug et Windle, 2010). Bref, une grande concomitance entre les problèmes comportementaux intériorisés et extériorisés de même qu’un nombre important de facteurs de risque communs supportent l’hypothèse selon laquelle les jeunes associés aux gangs présentent davantage de symptômes et de troubles intériorisés que ceux qui n’y sont pas associés.

Malgré cela, il est possible de remarquer des divergences entre les résultats de deux études s’étant attardées aux symptômes intériorisés chez les jeunes contrevenants associés aux gangs (Corcoran et al., 2005; Harper et al., 2008). Corcoran et ses collaborateurs (2005) ne rapportent pas de différence significative entre les prévalences de symptômes intériorisés des deux groupes. De leur côté, Harper et ses collègues (2008), en utilisant les questionnaires State-Trait Anxiety Inventory (STAI; Spielberger, 1968) et Center for Epidemiological Studies – Depression Scale (CES-D; Radloff, 1977), remarquent un nombre plus élevé de symptômes anxieux et dépressifs chez les jeunes associés aux gangs comparativement aux jeunes qui n’y sont pas associés.

La divergence entre les études précédemment décrites peut s’expliquer par divers facteurs. Tout d’abord, les milieux de vie des échantillons diffèrent. En effet, les participants de l’étude de Corcoran et ses collègues (2005) étaient incarcérés dans une installation sécurisée alors que ceux de Harper et ses collaborateurs (2008) étaient des jeunes sans logement fixe depuis au moins un mois. Ainsi, il est possible que les milieux de vie des participants aient eu une influence sur le nombre de symptômes intériorisés présenté. De plus, il y a une différence quant au choix des instruments de mesure utilisés. Corcoran et ses collaborateurs (2005) ont utilisé des questionnaires remplis par les jeunes évaluant divers comportements observables regroupés en problèmes intériorisés et extériorisés. L’équipe de Harper (2008) a quant à elle opté pour l’utilisation de questionnaires administrés par des interviewers formés, mesurant spécifiquement les symptômes anxieux et dépressifs similaires à ceux retrouvés dans le DSM-IV-TR (APA, 2000). Ainsi, il est possible que les différences observées découlent du choix des questionnaires utilisés et par la façon de les administrer. Finalement, dans les deux études, le nombre de participants était relativement faible. On ne peut dès lors exclure que ces échantillons de plus petite taille aient eu un impact sur la puissance statistique des analyses effectuées. Davantage d’études sont ainsi nécessaires afin de déterminer l’impact de l’association aux gangs de rue sur les symptômes intériorisés.

Objectifs et hypothèses

L’objectif de cette recherche est de comparer le nombre de symptômes et de troubles intériorisés (nombre total et par catégories diagnostiques) entre les jeunes contrevenants associés aux gangs de rue et ceux qui n’y sont pas associés. Cette étude vise également à évaluer si l’association aux gangs de rue est liée significativement aux symptômes et aux troubles intériorisés lorsque les effets de l’âge des participants et de leur délinquance sont contrôlés. Plus précisément, les effets de l’âge des participants et des variables liées à leur délinquance (âge moyen lors des premiers délits et polymorphisme) seront isolés statistiquement dans les analyses puisque ces variables ont une influence connue sur les symptômes et troubles intériorisés (Cleverley, Bennett et Duku, 2013; Sheidow et al., 2008).

Il est attendu que les jeunes contrevenants associés aux gangs de rue présenteront un nombre significativement plus élevé de symptômes et de troubles intériorisés que les jeunes contrevenants qui n’y sont pas associés, et ce, pour la majorité des catégories diagnostiques étudiées. De plus, il est attendu que, même lorsque les effets de l’âge et de la délinquance sont contrôlés, l’association aux gangs de rue sera liée significativement aux symptômes et aux troubles intériorisés chez les jeunes contrevenants; le fait d’être associé à un gang de rue sera lié à un risque accru de présenter des symptômes et des troubles intériorisés.

Méthode

Participants

L’échantillon de cette étude est composé de 103 jeunes contrevenants âgés de 14 à 20 ans (M = 17,18, É-T = 1,18). Les participants sont répartis entre deux groupes : les jeunes contrevenants ayant rapporté n’avoir jamais été associés aux gangs de rue (n = 62) et les jeunes contrevenants ayant révélé une association aux gangs de rue (n = 41), actuellement (n = 23/41) ou dans le passé (n = 18/41). Le recrutement a été fait au sein des programmes offerts aux jeunes contrevenants en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (LSJPA), au Centre jeunesse de Montréal – Institut Universitaire (CJM-IU), au Centre jeunesse des Laurentides et au Centre jeunesse de Laval.

Seuls les jeunes contrevenants de sexe masculin ont été inclus dans l’étude. En effet, comme des différences sont observées sur le plan de la délinquance et des troubles intériorisés en fonction du genre de l’adolescent et que les délinquantes sont beaucoup moins nombreuses dans les services (APA, 2000; Lanctôt, 2010), un autre devis de recherche aurait été nécessaire afin d’évaluer ces différences. En outre, tous les participants devaient être en mesure de comprendre le français et ne pas présenter de déficience intellectuelle, tel que noté au dossier des jeunes. Finalement, seuls les participants ayant rempli les principaux questionnaires (questions sur l’association aux gangs de rue, le Massachusetts Youth Screening Instrument, version 2 et le Mini International Neuropsychiatric Interview) ont été retenus.

Instruments de mesure

Données sociodémographiques. Un questionnaire de neuf items inspiré de ceux utilisés dans les grandes enquêtes de Santé Québec a permis de recenser les principales données sociodémographiques (p. ex., âge, origine ethnique, niveau académique, etc.) des participants.

Association aux gangs de rue. L’association aux gangs de rue a été évaluée à l’aide de deux questions adaptées du questionnaire Gang Involvement Scale (GIS) de Spergel et ses collaborateurs (2005) : « Vous considérez-vous comme un membre d’un gang de rue? » et « Considérez-vous avoir déjà été membre d’un gang de rue? ». Ici, le terme membre d’un gang de rue a été préféré au terme associé aux gangs de rue, car ce terme est davantage utilisé dans la culture populaire et qu’il a été jugé plus familier et porteur de sens pour les jeunes contrevenants. Lorsque le jeune répondait positivement à l’une de ces deux questions, il était considéré associé aux gangs de rue.

Délinquance. La délinquance des jeunes contrevenants a été évaluée à l’aide de la version française du questionnaire Self Report of Offending – Revised (SRO-R; Huizinga, Esbenson et Weihar, 1991) en 51 items. Ce questionnaire mesure les activités délictueuses autorévélées commises au cours des douze derniers mois. Pour les jeunes placés dans une unité, il leur était demandé de songer aux délits commis au cours des douze derniers mois précédant leur placement en centre jeunesse afin d’avoir un portrait réel de leur délinquance. La prévalence, soit le nombre de jeunes ayant commis chacun des délits au cours de la dernière année, la précocité des premiers délits, soit l’âge moyen auquel le participant rapporte ses premiers délits et le polymorphisme, soit le nombre de délits différents effectués (entre 0 et 30), ont été évalués à l’aide des réponses des participants au SRO-R. Les mesures autorévélées de l’association aux gangs de rue et de la délinquance possèdent une bonne fidélité test-retest (généralement α ≥ 0,80), une validité de contenu élevée et une validité de critères modérée à élevée (r = 0,30-0,65) (Decker, 2000; Dupéré et al., 2007; Thornberry et Krohn, 2000; Thornberry et al., 2003).

Symptômes intériorisés. Les symptômes intériorisés ont été évalués à l’aide du Massachusetts Youth Screening Instrument, version 2 (MAYSI-2; Grisso et Barnum, 2001). Ce questionnaire est utilisé auprès de jeunes contrevenants dans plus de 47 états américains (Grisso et al., 2012). La version québécoise en cours de validation a été utilisée dans cette étude. Il est composé de 52 items et comprend sept sous-échelles dont les quatre concernant les symptômes intériorisées ont été retenues pour la présente étude : colère-irritabilité, dépression-anxiété, plaintes somatiques et idéations suicidaires. La sous-échelle colère-irritabilité a été retenue puisque l’irritabilité représente un symptôme d’un épisode dépressif chez les enfants et les adolescents, tel que défini par le DSM-IV-TR (APA, 2000). De plus, la somme des scores obtenus à chacune des sous-échelles retenues a été effectuée afin d’obtenir un nombre total de symptômes intériorisés pour chacun des participants. Le MAYSI-2 possède une bonne consistance interne. En effet, Grisso, Barnum, Fletcher, Cauffman et Peuschold (2001) rapportent des coefficients alpha entre 0,72 et 0,85 pour toutes les sous-échelles retenues pour la présente étude. Les coefficients de consistance interne obtenus à l’aide des données des participants de l’étude mère sont légèrement inférieurs (α entre 0,61 et 0,71 pour les sous-échelles retenues dans la présente étude). Le MAYSI-2 présente une bonne fidélité test-retest (r moyen de 0,74) ainsi qu’une bonne validité convergente avec le Youth Self Report (r entre 0,40 et 0,55) d’Achenbach et Rescorla (2001) et le Million Adolescent Clinical Inventory (r entre 0,45 et 0,64) de Millon, Million et Davis (1993) (Grisso et al., 2001).

Troubles intériorisés. Le Mini International Neuropsychiatric Interview (M.I.N.I.; Sheehan et al., 1998) est une entrevue structurée visant à évaluer la présence de troubles psychiatriques selon les critères diagnostiques du DSM-IV-TR (APA, 2000) et de la CIM-10 (OMS, 1992). La version française validée de cette entrevue (Sheehan et al., 1998) a été retenue. Dans le cadre de cette étude, huit des 15 sous-échelles ont été utilisées : épisode dépressif (actuel et récurrent), dysthymie, agoraphobie, trouble panique, phobie sociale, trouble obsessionnel compulsif, anxiété généralisée et état de stress post-traumatique. Les sous-échelles épisode dépressif (actuel et récurrent) et dysthymie ont été regroupées afin de déterminer si les participants répondent aux critères diagnostiques d’au moins un trouble de l’humeur. Les sous-échelles agoraphobie, trouble panique, phobie sociale, trouble obsessionnel-compulsif, anxiété généralisée et état de stress post-traumatique ont quant à elles été regroupées afin de déterminer si les participants répondent aux critères diagnostiques d’au moins un trouble anxieux. Finalement, les deux sous-échelles liées aux troubles de l’humeur et les six sous-échelles liées aux troubles anxieux ont été regroupées afin de déterminer si les participants répondent aux critères diagnostiques d’au moins un trouble intériorisé. Le M.I.N.I. possède une bonne fidélité test-retest, tous les kappas étant plus élevés que 0,63 dans l’étude de Sheehan et ses collègues (1998). La validité convergente avec le Structured Clinical Interview for DSM-III-R - Patient version (SCID-P; Spitzer, Williams, Gibbon et First, 1990) et le Composite International Diagnostic Interview (CIDI; Organisation mondiale de la santé, 1989) varie de modérée à excellente d’une sous-échelle à une autre (κ de 0,50 à 0,75) (voir Sheehan et al., 1998 pour plus de détails) pour celles retenues dans le cadre de la présente étude.

Déroulement

À la suite de la présentation de la recherche aux jeunes contrevenants lors d’une rencontre en groupe et de l’obtention des consentements nécessaires, les jeunes souhaitant participer étaient rencontrés individuellement à deux reprises par des assistants de recherche formés à la passation des questionnaires. Chacune de ces deux rencontres était d’une durée de deux à trois heures. Une telle durée était requise puisque, au cours de ces deux rencontres, la passation de questionnaires et d’entrevues de l’étude mère s’ajoutait à celle requise par la présente étude. Le questionnaire sociodémographique et celui sur l’association aux gangs de rue, le MAYSI-2 et le M.I.N.I. ont été administrés durant la première rencontre. Le SRO-R a été complété durant le second entretien. Les rencontres étaient effectuées dans un local assurant la confidentialité des participants de même que la sécurité des participants et des interviewers. À la fin de chacun des entretiens, une compensation financière de 30 dollars était remise au jeune. Ce projet de recherche a reçu l’approbation du Comité d’éthique de la recherche Lettres et sciences humaines de l’Université de Sherbrooke et du Comité d’éthique de la recherche du CJM-IU.

Analyses

Des tests-t ont été effectués afin de comparer le nombre de symptômes présentés par les jeunes contrevenants associés aux gangs de rue et ceux qui n’y sont pas associés alors que des tests de chi-carrés ont été réalisés afin de comparer la présence de troubles intériorisés entre les deux groupes.

Ensuite, des régressions linéaires multiples ont été effectuées pour les sous-échelles de symptômes intériorisés où une différence significative était observée entre les deux groupes alors que des régressions logistiques binaires (présence/absence du trouble) hiérarchiques ont été réalisées pour les catégories de troubles intériorisés où une différence significative a été notée entre les deux groupes. Afin de contrôler l’effet de la délinquance, les variables précocité des premiers délits et polymorphisme ont été sélectionnées. Les variables indépendantes ont été entrées dans l’ordre suivant : Bloc 1) âge, précocité des premiers délits et polymorphisme, Bloc 2) association aux gangs de rue. L’âge des participants ainsi que les variables liées à leur délinquance ont été entrés dans un premier bloc afin de contrôler leur effet, ceux-ci ayant une influence connue sur les symptômes et troubles intériorisés (Cleverley, Bennett et Duku, 2013; Sheidow et al., 2008).

Résultats

Données descriptives

Données sociodémographiques. Les deux groupes ont été comparés quant aux principales variables sociodémographiques. Ils sont comparables pour toutes les variables sociodémographiques (âge, lieu de naissance, langue maternelle et de scolarisation, niveau académique, emploi, source de revenus, état civil et pratiques religieuses), excepté pour l’origine ethnique rapportée. En effet, davantage de jeunes contrevenants associés aux gangs de rue (78,05 %) que de jeunes contrevenants qui ne sont pas associés à un gang (48,39 %) considèrent être d’une origine ethnique autre que québécoise (χ2(1, N = 103) = 9,06, p = 0,003). Par ailleurs, 70,87 % de l’ensemble des participants rapportent être nés au Québec. La majorité des participants (63,11 %) sont placés sous garde au sein d’une unité fermée d’un centre jeunesse, 22,33 % sont placés sous garde dans une unité ouverte d’un centre jeunesse et 14,56 % sont suivis dans la communauté. Sur le plan de la scolarité, 17,65 % des jeunes indiquent avoir atteint un niveau de sixième année ou secondaire un, 44,12 % un niveau de secondaire deux ou trois et 38,23 % un niveau de secondaire quatre, secondaire cinq ou collégial. Finalement, 79,61 % des participants rapportent avoir redoublé au moins une année au cours de leur parcours scolaire.

Association aux gangs de rue. Au sein de cet échantillon, l’âge moyen de début de fréquentation des gangs est de 12,56 ans. Une proportion de 34,14 % des jeunes indique avoir été associée aux gangs pendant un ou deux ans, 41,46 % entre trois et cinq ans et 17,07 % pendant six ans ou plus. Chez les jeunes contrevenants associés aux gangs de rue actuellement, la majorité d’entre eux disent faire partie d’un gang comptant 20 membres et plus (69,56 %) et avoir des contacts avec le gang tous les jours (69,56 %). Une forte proportion de jeunes contrevenants associés aux gangs (95,35 %) rapporte que leur gang est impliqué souvent ou toujours dans des activités criminelles. Dans un même ordre d’idées, davantage de jeunes contrevenants associés aux gangs de rue (91,43 %) considèrent avoir moyennement ou très bien réussi dans leurs activités criminelles que de jeunes contrevenants qui n’ont jamais été associés à un gang (62,50 %; χ2(1, N = 91) = 9,28, p = 0,002).

Délinquance. Le Tableau 1 présente la prévalence des divers types de délits pour chacun des deux groupes. Les jeunes contrevenants associés aux gangs de rue et ceux qui n’y sont pas associés sont comparables quant à la prévalence de la majorité des délits questionnés. En effet, des divergences entre les deux groupes sont observées pour seulement trois types de délits : avoir commis un vol qualifié, avoir fait une tentative de meurtre et avoir effectué du trafic de cocaïne. Dans les trois cas, les jeunes contrevenants associés aux gangs sont plus nombreux à avoir commis ces types de délits que les jeunes contrevenants qui ne sont pas associés aux gangs. En ce qui a trait au polymorphisme, soit la variété des délits commis, une différence significative est observée entre les deux groupes : les jeunes contrevenants associés aux gangs de rue ont commis en moyenne une plus grande variété de délits (M = 11,52) comparativement aux jeunes contrevenants qui ne sont pas associés aux gangs (M = 8,48; t(81) = 2,24, p = 0,028). Finalement, aucune différence significative n’est observée entre les deux groupes de participants concernant l’âge moyen auquel ils ont commis pour la première fois leurs divers délits. Les participants rapportent avoir commis leurs délits pour la première fois en moyenne à 13,92 ans (É-T = 1,80).

Comparaison des symptômes et des troubles intériorisés entre les deux groupes

Au questionnaire MAYSI-2 évaluant les symptômes intériorisés, les jeunes contrevenants associés aux gangs de rue rapportent un nombre significativement plus élevé de symptômes que les jeunes contrevenants qui ne sont pas associés aux gangs aux sous-échelles colère-irritabilité (p = 0,021) et dépression-anxiété (= 0,023). De plus, les jeunes contrevenants associés aux gangs de rue présentent un nombre total de symptômes intériorisés significativement plus élevé que ceux qui n’y sont pas associés (p = 0,045). Les moyennes et écarts-types des deux groupes pour chacune des sous-échelles du MAYSI-2 évaluées sont présentés dans le Tableau 2.

Tableau 1

Prévalence des divers délits autorapportés chez les jeunes contrevenants associés aux gangs de rue et chez ceux qui n’y ont jamais été associés

Prévalence des divers délits autorapportés chez les jeunes contrevenants associés aux gangs de rue et chez ceux qui n’y ont jamais été associés

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Au questionnaire M.I.N.I. évaluant la présence de troubles intériorisés, une proportion significativement plus élevée de participants associés aux gangs de rue que de participants qui n’y sont pas associés rencontrent les critères d’au moins un trouble anxieux (p = 0,049). Par ailleurs, une tendance est observée pour l’anxiété généralisée : davantage de jeunes contrevenants associés aux gangs de rue rencontrent les critères de cette sous-échelle que de jeunes contrevenants qui n’y sont pas associés. Les prévalences des troubles intériorisés mesurés à l’aide du M.I.N.I. pour les deux groupes sont présentées dans le Tableau 3.

Tableau 2

Moyennes et écarts-types de symptômes aux sous-échelles du MAYSI-2 chez les jeunes contrevenants associés aux gangs de rue et chez ceux qui n’y ont jamais été associés

Moyennes et écarts-types de symptômes aux sous-échelles du MAYSI-2 chez les jeunes contrevenants associés aux gangs de rue et chez ceux qui n’y ont jamais été associés

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Analyses de régression

Postulats de base. Une matrice de corrélation a permis de confirmer l’absence de multicolinéarité entre les prédicteurs (r allant de –0,247 et 0,188). De plus, parmi les prédicteurs continus, seul le polymorphisme diffère en fonction de l’association aux gangs de rue (M = 8,48 vs 11,52; t(81) = 2,24, p = 0,028). Le polymorphisme a tout de même été conservé dans les analyses puisqu’il constitue un paramètre important permettant d’évaluer la délinquance des participants. L’examen des diagrammes de dispersion des résidus standardisés révèle le respect des postulats de base de la régression multiple (normalité, linéarité et homoscédasticité).

Les symptômes intériorisés et l’association aux gangs de rue. Le Tableau 4 présente les résultats pour chacun des modèles de régression linéaire effectués. Les symptômes de dépression-anxiété sont prédits par la précocité des premiers délits (= 0,017) et l’association aux gangs de rue (p = 0,043); une plus grande précocité et le fait d’être associé aux gangs de rue prédisent un nombre plus élevé de symptômes de dépression-anxiété. La proportion de la variance expliquée par le modèle final de cette variable est de 12,8 %. Les symptômes de colère-irritabilité et le nombre total de symptômes intériorisés sont prédits par la précocité seulement (respectivement p = 0,008 et p = 0,003); une plus grande précocité des premiers délits prédit un nombre plus élevé de symptômes de colère-irritabilité et de symptômes intériorisés. La proportion de la variance expliquée par les modèles finaux de ces deux variables est respectivement de 19,3 % pour les symptômes de colère-irritabilité et de 15,1 % pour le nombre total de symptômes intériorisés.

Tableau 3

Prévalence des troubles intériorisés mesurés à l’aide du M.I.N.I. chez les jeunes associés aux gangs de rue et chez ceux qui n’y ont jamais été associés

Prévalence des troubles intériorisés mesurés à l’aide du M.I.N.I. chez les jeunes associés aux gangs de rue et chez ceux qui n’y ont jamais été associés

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Tableau 4

Analyses de régression linéaire hiérarchique prédisant les symptômes de dépression-anxiété (modèle 1), les symptômes de colère-irritabilité (modèle 2) et le nombre total de symptômes intériorisés (modèle 3) à partir de l’association aux gangs

Analyses de régression linéaire hiérarchique prédisant les symptômes de dépression-anxiété (modèle 1), les symptômes de colère-irritabilité (modèle 2) et le nombre total de symptômes intériorisés (modèle 3) à partir de l’association aux gangs

a Un score élevé indique que les délits ont été commis en moyenne à un âge plus élevé;

b Un score élevé indique une plus grande variété de délits commis;

c La catégorie de référence est non-associés aux gangs de rue

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Les troubles intériorisés et l’association aux gangs de rue. Le Tableau 5 présente les résultats du modèle de régression logistique effectué. Les résultats révèlent que les variables contrôlées prises ensemble (bloc 1) ne prédisent pas significativement la présence d’un trouble anxieux. Par contre, le fait d’être associé à un gang est lié à un risque accru de présenter un trouble anxieux (p = 0,032).

Tableau 5

Analyses de régression logistique prédisant la présence d’un trouble anxieux

Analyses de régression logistique prédisant la présence d’un trouble anxieux

a Un score élevé indique que les délits ont été commis en moyenne à un âge plus élevé;

b Un score élevé indique une plus grande variété de délits commis;

c La catégorie de référence est non-associés aux gangs de rue

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Discussion

Cette étude avait pour objectif de comparer le nombre de symptômes et de troubles intériorisés entre les jeunes contrevenants associés aux gangs de rue actuellement ou dans le passé et ceux qui n’y ont jamais été associés. Elle visait également à explorer si l’association aux gangs de rue est liée significativement aux symptômes et aux troubles intériorisés lorsque l’effet de l’âge des participants et l’effet de leur délinquance, mesurée à l’aide de la précocité des premiers délits et du polymorphisme, sont contrôlés. Tel qu’attendu, les jeunes contrevenants associés aux gangs de rue présentent davantage de symptômes de colère-irritabilité et de dépression-anxiété que les jeunes contrevenants ayant rapporté n’avoir jamais été associés aux gangs. L’association aux gangs de rue demeure d’ailleurs liée à un nombre plus élevé de symptômes de dépression-anxiété, et ce, même lorsque les effets de l’âge et de la délinquance sont contrôlés. Les jeunes associés aux gangs rapportent également un plus grand nombre de symptômes intériorisés que les jeunes qui ne sont pas associés aux gangs de rue. Ces résultats appuient ceux obtenus par Harper et ses collègues (2008); les jeunes contrevenants associés aux gangs de rue présentent davantage de symptômes intériorisés que les jeunes contrevenants qui n’y sont pas associés.

Divers facteurs pourraient expliquer ces résultats. En premier lieu, les jeunes associés aux gangs sont plus à risque d’être témoins et victimes d’actes de violence (DeLisi et al., 2009). Étant donné que la victimisation à l’adolescence augmente le risque de souffrir de dépression et de troubles anxieux (Hawker et Boulton, 2000; Storch et al., 2005), il est possible qu’une prévalence plus élevée de victimisation chez les jeunes contrevenants associés aux gangs de rue soit responsable du plus grand nombre de symptômes de dépression et d’anxiété chez ce groupe de participants. Par la suite, divers facteurs de risque sont communs à l’association aux gangs de rue et aux symptômes et troubles intériorisés : un faible statut socio-économique, être victime de négligence, un sentiment d’isolement et de marginalisation, un grand nombre d’événements de vie stressants (Belitz et Valdez, 1994; Jones et al., 2007, Kim et al., 2003, Mrug et Windle, 2010). Certains ou l’ensemble de ces facteurs de risque pourraient contribuer à l’explication du nombre plus élevé de symptômes intériorisés, particulièrement de symptômes de dépression-anxiété, chez les jeunes contrevenants associés aux gangs de rue. Des études ayant pour but de cibler les facteurs de risque et de protection agissant à titre de médiateurs ou de modérateurs dans le lien unissant l’association aux gangs de rue et les symptômes intériorisés seraient nécessaires afin de mieux comprendre ce lien et ainsi, de développer ou d’améliorer les programmes de prévention et d’intervention destinés à ces jeunes. Il serait notamment intéressant d’évaluer si la réception de services en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse constitue un facteur influençant l’émergence d’une problématique sur le plan intériorisé chez ces jeunes contrevenants qui s’associent aux gangs de rue.

Ensuite, une seule différence significative est observée entre les deux groupes en ce qui a trait aux troubles intériorisés, soit qu’une proportion plus élevée de participants associés aux gangs de rue que de participants qui n’y sont pas associés rencontrent les critères d’au moins un trouble anxieux. L’association aux gangs de rue demeure d’ailleurs un prédicteur significatif de la présence d’un trouble anxieux chez les jeunes contrevenants lorsque les effets de l’âge des participants, du polymorphisme et de la précocité des premiers délits sont contrôlés. Coid et ses collaborateurs (2013) offrent une piste intéressante afin d’expliquer le lien entre l’association aux gangs de rue et la présence de troubles anxieux chez une population d’hommes adultes. Les auteurs indiquent que la combinaison de ruminations violentes, d’expériences antérieures de victimisation et de la peur d’être à nouveau victime de violence pourrait expliquer le lien entre l’association aux gangs de rue et la présence de troubles anxieux. Les résultats de l’étude qualitative de Trickett (2011) obtenus auprès de jeunes âgés de 16 à 21 ans et faisant partie d’un groupe de pairs impliqué régulièrement dans le crime et la violence sont similaires. Les participants de cette recherche rapportent de l’anxiété liée aux expériences de violence vécues antérieurement et une peur d’être attaqués à nouveau dans le futur. L’auteure croit même que les peurs et l’anxiété des jeunes contrevenants pourraient constituer des facteurs déterminants pour expliquer leur utilisation continue de la violence (Trickett, 2011). Ces pistes d’explication semblent prometteuses. De futures recherches seraient nécessaires afin de mieux comprendre les liens unissant la victimisation antérieure et anticipée, l’anxiété, la délinquance et les gangs de rue chez la population des jeunes contrevenants québécois.

Contrairement à ce qui avait été attendu, les jeunes contrevenants associés aux gangs de rue et ceux qui n’y sont pas associés présentent une prévalence comparable pour la majorité des troubles intériorisés évalués. Le type de variable utilisé dans cette étude pourrait expliquer pourquoi les jeunes contrevenants associés aux gangs de rue présentent davantage de symptômes intériorisés, mais pas de troubles intériorisés comparativement aux jeunes contrevenants n’y étant pas associés. Les symptômes intériorisés constituent une variable continue alors que les troubles intériorisés sont une variable dichotomique (présence/absence du trouble). Ainsi, deux jeunes pourraient rencontrer les critères diagnostiques d’un même trouble, mais présenter un nombre de symptômes différents.

Par ailleurs, bien qu’il n’y ait pas de différence significative entre les deux groupes de participants, des prévalences élevées sont observées à certaines sous-échelles de troubles intériorisés pour l’ensemble de l’échantillon. En effet, un nombre élevé de participants, associés ou non aux gangs de rue, rencontrent les critères diagnostiques de l’épisode dépressif actuel (19,80 %) et de l’anxiété généralisée (26,21 %). De plus, 43,69 % des participants de cette étude répondent aux critères diagnostiques d’au moins un trouble intériorisé. Les prévalences obtenues pour ces troubles sont plus élevées que celles généralement observées dans la population générale. Par exemple, le risque de présenter un trouble dépressif majeur au cours de la vie chez les hommes varie de 5 à 12 % et le risque de présenter un trouble d’anxiété généralisée au cours de la vie est de 5 % chez la population générale (APA, 2000). Les prévalences élevées obtenues dans cette étude appuient les résultats de la méta-analyse de Fazel, Doll et Langstrom (2008) concernant les prévalences de certains troubles mentaux plus élevées chez les jeunes contrevenants que dans la population générale. Il serait pertinent que de futures études s’attardent aux facteurs de risque et aux causes de ces prévalences élevées de troubles mentaux chez les jeunes contrevenants québécois.

Cette étude comporte cinq limites. Premièrement, le nombre de participants est restreint (n = 103) et les jeunes proviennent de seulement trois centres jeunesse du Québec, ce qui limite la puissance statistique et la généralisation des résultats. Les résultats auraient pu être différents avec un plus grand échantillon de jeunes provenant de différentes régions du Québec.

Deuxièmement, toutes les variables étudiées dans la présente recherche sont autorévélées. En effet, l’association aux gangs de rue, les symptômes intériorisés, les troubles intériorisés et la délinquance étaient mesurés à l’aide d’instruments répondus par le jeune. Bien que les mesures autorévélées s’avèrent efficaces dans le domaine de la délinquance et des gangs de rue, il n’en demeure pas moins que les participants aient pu volontairement ou involontairement sous-estimer ou surestimer certains éléments. Dans un même ordre d’idées, bien qu’évalués à l’aide d’un entretien structuré administré par des assistants de recherche formés, les troubles intériorisés ne peuvent être considérés comme de réels diagnostics puisqu’ils sont basés sur les perceptions du jeune seulement et non diagnostiqués par un professionnel de la santé mentale. De futures études utilisant plusieurs répondants (p. ex., le jeune, les parents du jeune, les éducateurs du centre jeunesse, les professionnels impliqués au dossier) seraient pertinentes afin d’augmenter la validité des résultats.

Troisièmement, le choix du terme membre de gangs plutôt qu’associé aux gangs dans les questions utilisées pour déterminer l’association aux gangs de rue des jeunes constitue une autre limite de cette étude. Il est possible que certains jeunes aient des contacts avec les gangs de rue et considèrent y être associés sans en être un membre. Cela a pu avoir une influence sur la composition des groupes et, du coup, sur les résultats de la recherche. Il serait judicieux dans une étude subséquente de questionner les jeunes au sujet du type d’association qu’ils entretiennent avec le gang et de tenir compte de cette distinction dans les analyses si celle-ci s’avère pertinente.

Quatrièmement, la méthode utilisée dans le cadre de cette recherche ne permet pas de connaître le sens de la relation entre l’association aux gangs de rue et les symptômes et les troubles intériorisés. En effet, il n’est pas possible de déterminer si l’association aux gangs de rue engendre les symptômes et les troubles intériorisés ou si ce sont ces derniers qui poussent les jeunes à s’associer aux gangs de rue. Le gang pourrait être perçu comme une option intéressante et sécurisante chez les jeunes plus vulnérables sur le plan intériorisé. D’un autre côté, les jeunes qui s’associent aux gangs sont plus à risque d’être victimes d’actes de violence et de vivre des événements traumatiques, ce qui peut occasionner l’apparition de symptômes et de troubles intériorisés. L’hypothèse mixte représente une possibilité dans ce cas-ci; les jeunes présentant davantage de symptômes et de troubles intériorisés seraient plus à risque de s’associer aux gangs de rue et cette association aux gangs pourrait augmenter leur nombre de symptômes et de troubles intériorisés. Des études longitudinales débutant dès l’enfance seraient nécessaires afin de déterminer le sens de la relation entre l’association aux gangs de rue et les symptômes et troubles intériorisés.

La dernière limite concerne l’influence possible de variables non évaluées dans cette étude. Par exemple, il est possible que le contexte de vie dans lequel ces jeunes évoluent (majoritairement dans une unité fermée d’un centre jeunesse) et les particularités qui y sont associées aient eu un impact sur leur nombre de symptômes et troubles intériorisés. En effet, le lien entre l’association aux gangs de rue et les symptômes et troubles intériorisés serait possiblement différent chez une population d’adolescents qui commettent des actes de délinquance, mais qui ne se sont pas fait arrêter et sanctionner par la LSJPA. Néanmoins, cette étude souligne la présence de symptômes et de troubles intériorisés chez les jeunes contrevenants en centre jeunesse et, pour certaines catégories (c.-à-d. les symptômes de dépression-anxiété et la présence d’un trouble anxieux), en nombre plus important pour ceux qui sont associés aux gangs de rue. Ces résultats contribuent aux connaissances portant sur l’adaptation psychologique de ces jeunes et constituent un élément supplémentaire dans la compréhension du phénomène hautement complexe que sont les gangs de rue.

Finalement, les résultats de cette étude soulignent l’importance que les intervenants travaillant auprès des jeunes contrevenants soient en mesure d’identifier la présence de symptômes et de troubles intériorisés chez ces jeunes, particulièrement chez ceux qui sont associés aux gangs de rue, afin de leur offrir les services appropriés. Bien que ces jeunes aient reçu une ordonnance en raison de leurs comportements de délinquance et donc, de leurs problèmes extériorisés, il apparait aussi essentiel de s’attarder à leurs troubles intériorisés même si ceux-ci peuvent être plus difficilement détectables de prime abord. Dans un même ordre d’idées, considérant que près de la moitié des jeunes contrevenants répondent aux critères diagnostiques d’au moins un trouble intériorisé, il pourrait s’avérer pertinent de développer des programmes de prévention et de traitement ciblant les symptômes et les troubles intériorisés pour les jeunes contrevenants du Québec. Par exemple, des programmes visant le développement de meilleures stratégies de coping pourraient aider ces jeunes à faire face de façon adaptée aux événements difficiles ou stressants qu’ils vivent actuellement ou qu’ils sont à risque de vivre dans le futur et ainsi, prévenir l’apparition de symptômes et de troubles intériorisés. Offrir des services ayant pour cible les symptômes et troubles intériorisés, en combinaison avec des services ciblant les facteurs de risque individuels, sociaux, familiaux, scolaires et communautaires présentés par les jeunes, pourrait potentiellement diminuer la souffrance de ces jeunes et augmenter l’efficacité des programmes qui leurs sont offerts.