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Introduction : l’admission du jeune et de l’enfant en centre psychiatrique

Un survol de la législation canadienne[2] et celle d’une variété d’autres juridictions en matière de santé mentale[3] révèle l’existence de mécanismes, souvent intégrés à différentes lois portant sur la santé mentale, traitant de l’admission volontaire et l’admission dite involontaire d’un individu dans un centre psychiatrique[4].

Dans un nombre important de tels instruments légaux, la question du statut particulier du patient mineur ne fait pas l’objet de dispositions particulières, ce qui a pu mener certains auteurs à dégager comme conséquences de cet état du texte de la législation que, d’une part, de telles lois s’appliquent aux jeunes et aux enfants et, d’autre part, qu’elles renvoient pour les questions plus générales du consentement aux soins aux règles particulières habituellement applicables dans chacune des juridictions concernées[5]. C’est-à-dire que, dans un tel cas, le parent ou le détenteur de l’autorité parentale sera la personne qui sera appelée à consentir, en lieux et place du mineur, qu’il s’agisse de soins physiques ou autres.

Quoiqu’il soit légitime de présumer que les parents agissent dans le meilleur intérêt de leur enfant mineur souffrant de détresse psychiatrique, il n’en demeure que plusieurs études ont démontré une augmentation statistique significative[6] des admissions dites volontaires d’enfants et d’adolescents lorsque les contextes juridiques permettaient qu’une telle admission fasse suite à un jugement clinique favorable à l’admission, suite à une demande des titulaires de l’autorité parentale. Une telle possibilité n’a pas été sans soulever d’importantes critiques. Par exemple, comme le remarque Melton (1984) dans des propos toujours d’actualité :

Second, it is probably fallacious to assume that general expectations of parental concern can be applied uncritically to parents of children being considere for admission to mental hospitals. It is well established that dynamics of families of seriously disturbed children vary in imporant ways from those of normal families, although specific deviation may vary with the nature of the child’s condition. Certainly conventional clinical wisdom suggests that parents’ percerptions of their distrubs chidlrens’ needs are frequently distorted by their own needs. Moreover, as the parham dissenters argues, the mere fact of an attempt at hospitalization suggests a fractionation of parental and child interest. Family integrity is effectively diminished by the attempt to institutionnalize a child, partiularly for the relatively lenghty periods characteristics of placement of juveniles. Unity of interests is particularily questionable when the bases for institutionalization are misbehaviour (i.e. conduct disorder and lack of another place to go, rather than « mental illness » (i.e. psychosis). (…) Warrem (1981) has indicated that such use of the mental health system is common elsewhere and apparently increasing as a result of policy changes making the juvenile justice system less accessible as a remedy for « incorrigibility » and extreme family discord

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Plusieurs constats s’imposent. Le mineur qui n’a pas atteint l’âge requis dans une juridiction donnée pour être considéré capable de consentir aux soins de santé le concernant pourrait voir le consentement à son admission « volontaire »[7] exprimé par voie substituée, soit généralement par un parent ou un titulaire de l’autorité parentale. Ici, l’admission dite « volontaire » du patient mineur pourra donc pourtant être faite en l’absence de l’expression de tout consentement par ce dernier.

Alternativement, un mineur n’ayant pas atteint l’âge de la capacité pour consentir aux soins ne détient pas plus la possibilité de refuser des soins de santé ou d’autrement demander lui-même à mettre fin à un traitement ou une admission : ils sont de facto détenus et une demande d’admission et éventuellement une demande de congé, sera elle aussi formulée par voie de consentement substitué via le titulaire de l’autorité parentale.

Comme le remarque Robertson (1994), cet état des choses a pour conséquence de soustraire les patients qui n’ont pas encore atteint l’âge de pouvoir consentir eux-mêmes aux soins les concernant de la variété de protections juridiques qui seraient autrement applicables aux patients qui sont admis involontairement pour soins psychiatriques :

One of the consequences of regarding child as a voluntary patient is that he or she is denied the protection which mental health legislation affords involuntary patietns, including the right to apply for a review of the confinment. The underlying philosophy of the legislation is that since voluntary patients are in the facility by choice and are free to leave if they so decide, they do not require the same legal protection as involuntary patients. This reasoning is strained when applied to children who are admitted as a result of their parents’ decision rather than their own

Gray, Shone et Liddle, 2008, note 1, p. 375

Si, pour le patient mineur, l’admission volontaire en centre hospitalier ne signifie pas nécessairement une admission faisant suite à l’expression de son consentement, certaines lois concernant la santé mentale ont intégré des mécanismes visant à assurer un contrôle de la légalité de l’admission en centre psychiatrique.

Comme le rappellent les auteurs, la teneur de ces mécanismes varie grandement d’une juridiction à l’autre et ils peuvent inclure la révision régulière du caractère justifié de l’admission du patient « volontaire », ainsi que l’aménagement de droits et recours devant des instances administratives ou judiciaires comparables à ceux offerts aux patients admis de façon involontaire en institut psychiatrique[8].

Ce texte proposera tout d’abord, dans la prochaine partie (Partie I), la prise en compte du contexte tout particulier qui a mené à l’émergence du critère de la dangerosité comme standard communément utilisé pour juger du caractère justifié de l’admission psychiatrique dite involontaire d’un patient. La partie II identifiera certains obstacles, épistémologiques par nature, identifiés par la littérature s’agissant des limites à l’(in)capacité de la psychiatrie d’établir un risque futur de dangerosité chez un patient. La partie III permettra d’évaluer de quelle manière le critère de la dangerosité trouve une application médico-légale chez l’enfant et les jeunes, tout en soulevant les risques liés à l’adoption d’une norme de l’anormal lors de l’évaluation pédopsychiatrique du patient.

1. D’un critère de l’admission en centre psychiatrique fondé sur le besoin de traitement à celui d’un critère fondé sur la dangerosité

Comme le rappellent notamment Gray, Shone et Liddle (2008) dans une remarquable étude de la question, toute étude de l’ « environnement juridique »[9] suppose une prise en compte d’une variété de facteurs historiques, culturels, économiques, scientifiques qui à leur tour convergent en une représentation résolument itérative de ce que constitue la santé en général, et la santé mentale, en particulier.

D’inspiration principalement britannique, les premières lois apparues au Canada et dans le Commonwealth concernant la santé mentale et l’admission du malade en établissement psychiatrique, bien qu’ils relayent une vision de la normalité et de la santé mentale qui pourrait aujourd’hui choquer les esprits contemporains, s’intéressaient d’abord et avant tout à la question de la « nécessité » de traitement du malade.

Au courant des années 50 et suivantes, une variété de remises en questions de l’existence même de la « maladie mentale » ont été formulées tant par certains théoriciens et praticiens de la psychiatrie que par des spécialistes des sciences sociales. Ces mouvements, parfois fédérés comme mouvement dit de l’ « antipsychiatrie », ont offert des critiques souvent assez sévères des conditions de vie en institution psychiatrique, conditions tellement déplorables qu’elles ont été décrites comme étant elles-mêmes bien souvent les causes iatrogéniques des troubles de santé mentale. L’utilisation de la psychiatrie a pu, dans cette perspective, être perçue comme poursuivant des fins essentiellement normalisatrices en vue de contrôler les phénomènes perçus comme déviances (homosexualité, itinérance, etc…).

Certaines des critiques les plus dévastatrices faites à la psychiatrie remettaient en question la capacité même du psychiatre de poser un diagnostic de maladie mentale d’une manière satisfaisante d’un point de vue scientifique, alors que d’autres critiques qualifiaient les traitements pharmaceutiques et chirurgicaux alors en cours en établissement psychiatrique comme une forme de torture[10], inhumains, inefficaces et dangereux[11].

Ces différentes critiques, adossées à un arrière-plan politique favorable aux libertés individuelles, à la montée du paradigme structuraliste en sciences sociales – permettant ainsi de conceptualiser les rapports entre médecins, psychiatres et patients dans un cadre plus large de gestion de la déviance et de la différence à l’intérieur d’un système – ont offert un terreau fertile à une sensibilisation croissante d’intellectuels et de juristes à l’utilité du droit et des recours judiciaires en vue d’aider les victimes du phénomène de « détention psychiatrique ».

L’expression d’un mouvement favorable aux droits des patients s’est traduite, dans la législation, par le passage d’un critère fondé sur le « besoin de traitement » à celui de la « dangerosité physique », c’est-à-dire le risque que le patient présente un danger pour lui-même ou pour autrui dans le futur :

The trend in Canada to eliminate need for treatment criteria and replace them with physical dangerousness criteria commenced in Ontario. Alberta and the Northwest Territories followed shortly thereafter. The Alberta provision was not limited to physical danger but a court interpreted it to include this restriction. To satisfy the Charter requirement that criteria not be overbroad or vague, other provinces modified their admission criteria (e.g. Saskatchewann, Manitoba and New Brunswick), but not to the extent of exclusive bodily harm. These « non bodily harm » provinces refined their criteria so that committal was limited to those with a severe mental disorder that likely would cause significant harm or significant deterioration and who needed psychiatric treatment

Gray, Shone et Liddle, 2008, note 1, p. 110

Le critère de la dangerosité, qu’on le considère obsolète ou ambigu[12], demeure un critère largement répandu dans la législation concernant la santé mentale dans une variété de juridictions. Ce terme, comme le rappelle l’auteur Leong, s’inscrit dans la mouvance plus générale des politiques de la dangerosité (Gregory et Leong, 2008) qui sous-tendent une variété de mesures politiques visant à gérer les phénomènes de comportements divergents, différents ou tout simplement dérangeants :

Cette « universalisation » des tentatives d’objectivation des déviances ne doit pas occulter que la dangerosité se construit essentiellement en ciblant des groupes sociaux particuliers. Cela était déjà le cas des vagabonds au XVIe siècle (Dauven), des jeunes filles atteintes de maladie vénérienne en Belgique au début du XXe siècle (François, Massin) ou encore des individus étiquetés « antisociaux » relégués dans un parcours pénitentiaire à durée indéterminée jusque dans les années 1970 (Vimont). En particulier, la jeunesse délinquante est aujourd’hui, avec le pédophile, une figure dominante de la dangerosité. Ce processus de stigmatisation repose sur la construction d’archétypes caricaturaux facilement exploitables médiatiquement et politiquement (Yvorel). Il ne s’agit d’ailleurs pas d’un phénomène récent, c’est toute la modernité qui établit un rapport ambivalent avec l’enfance, entre mineur en danger et mineur dangereux, comme figure paradigmatique de l’incertitude radicale qui taraude le sujet moderne

Vitiello

Historiquement, la construction scientifique et professionnelle de la dangerosité s’est faite dans l’inter jeu du psychiatre et du magistrat, du pouvoir psychiatrique et du pouvoir judiciaire, avec comme ligne de force que ce qui relevait de la psychiatrie ne pouvait relever du droit (Villerbu et Moulin). La limite ou les tensions d’une telle dichotomie s’observent clairement en milieu carcéral avec l’apparition depuis une vingtaine d’années d’une nouvelle population pénale constituée de délinquants sexuels, de toxicomanes, de malades mentaux et de détenus souffrant des troubles de la personnalité. La probabilité de troubler l’ordre interne au travers des violences physiques, des comportements auto-agressifs ou des mouvements collectifs s’est accrue. Il apparaît ainsi, à travers le prisme de l’univers carcéral, trois formes de dangerosité aux frontières ténues : la dangerosité pénitentiaire, la dangerosité psychiatrique et la dangerosité criminologique. L’administration pénitentiaire se trouve face à un double défi : celui d’évaluer efficacement, d’une part, la dangerosité pénitentiaire des détenus afin de mieux gérer la sécurité des personnes et des établissements, d’autre part, la dangerosité criminologique des détenus éligibles aux dispositifs d’aménagement de peine (Mbanzoulou). Dans ce contexte, la collaboration avec le personnel soignant s’avère indispensable. De même que s’exprime la nécessité pour les différents experts de s’accorder autour des critères d’évaluation de la dangerosité. Mais ne faudrait-il pas finalement changer de paradigme en abordant la dangerosité sous l’angle de la vulnérabilité? Chacun étant dangereux là où il est vulnérable, l’étude dynamique des vecteurs de fragilisation liés tant à la personne psychologique qu’à son environnement conduirait vers un diagnostic psychocriminologique plus complexe et plus riche

Villerbu et Moulin

Dans une décision récente[13], la Cour supérieure de justice de l’Ontario, au Canada, a toutefois précisé que les aspects relevant des moeurs et du style de vie d’un jeune délinquant ne sont pas le genre d’indices qui devraient mener à une conclusion de « dangerosité » :

37 I do not regard the child's use of drugs, her life on the street or her sexual behaviour (even though not in her best interests) as constituting the type of activity that should lead to a secure treatment order, at least in the circumstances of this case neither would the assault of 4 October 2002 on the mother by the child or the attempt to jump from a moving motor vehicle. (I have little in the way of particulars regarding these incidents.)

38 Conduct that is worrisome or a nuisance to others, bizarre, antisocial, belligerent, eccentric or even assaultive or self-assaultive is not, by that fact alone, necessarily enough to qualify under clause 117(1)(b). It is not the intention of Part VI of the Act to sweep the streets clean of fallen youths.

Dans cette décision, le juge en est venu à la conclusion que :

52 The part of this application with which I grappled most was the fact that the child, by all accounts, has made progress while at Brant House. It struck me as unfair to her that, in the face of such progress (all largely self-motivated), I was being asked to send her to a place that she did not want to attend. I was sorely tempted to leave her in Brant House for several more months and then have the matter returned for a hearing. However, as I have said, Brant House does not provide treatment and the child's mental disorders are not likely to resolve without medical intervention. Dr. MacDonald currently sees the child biweekly, but she does not think that such outpatient treatment is sufficient in the circumstances; a secure treatment program offers around-the-clock attention. In the end, I was confronted with the testimony of Dr. MacDonald that she did not view the child's recent progress at Brant House as representative of what the future holds for her, absent secure treatment.

Cependant, dans une remarquable étude sur la question, Clément (2001), après avoir procédé à une étude empirique de la tenue d’audiences de révision de cure fermée, en est venue à des constats surprenants :

Sur un plan général, on peut dire que bien que les audiences soient la seule fenêtre par laquelle on peut observer, dans l’action, la façon dont s’élabore le discours sur l’état mental et la dangerosité, notre observation en situation, à l’instar de plusieurs autres études, ne sera pas parvenue à cerner en quoi un individu est objectivement dangereux, outre le fait qu’on le qualifie comme tel lors de l’audience. En effet, les notions d’état mental et de dangerosité sont peu discutées et abordées dans des termes concrets par les psychiatres traitants. Par ailleurs, lorsque ce fût le cas, elles n’ont pas fait l’objet de pourparlers détaillés. Les deux notions sont plutôt apparues comme des incises, dans une discussion à bien plus large spectre. Ce commentaire doit toutefois être nuancé par le fait que les audiences observées mettent en scène des individus qui possèdent déjà un diagnostic de maladie mentale et qui, par surcroît, ont tous été étiquetés de dangereux de par le fait de leur mise en cure fermée

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La construction du lien entre état mental et dangerosité nécessite par ailleurs que le droit partage avec la psychiatrie l’implicite de la thérapeutique. Dans le cadre des audiences observées, la soumission de l’appelant à sa thérapeutique se présente en effet comme une condition essentielle à sa libération. On doit se souvenir ici de la confidence faite par l’un des avocats, à savoir qu’il n’assurait pas la défense de l’appelant lorsque celui-ci refusait de se dire malade et (ou) de collaborer au traitement et que, le cas échéant, cette défense devenait du reste inutile. De notre analyse, il ne fait aucun doute que les avocats des appelants partagent l’implicite du Tribunal en y acceptant toutes les prémisses dont la principale est évidemment le traite ment de l’individu malade. En somme, même si l’hospitalisation involontaire peut être dans l’intérêt de l’appelant, c’est toute la structure du Tribunal qui est imprégnée par la nécessité de la thérapeutique et c’est ce qui se prête à l’observation lorsque l’on pénètre l’enceinte des audiences du Tribunal administratif du Québec

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Il semble donc que, de l’activité judiciaire ou des jugements rendus s’agissant de la santé mentale, bien peu de balises puissent être dégagées en vue de déterminer ce qu’implique la notion de « dangereux ». L’implicite de la thérapeutique semble donc être le facteur qui, au final sera peut-être le plus central lorsqu’il sera question d’évaluer de la « dangerosité » du patient adulte, mais possiblement enfant et jeune également. La non-reconnaissance de son état de « malade »[14], sa non « compliance » s’agissant de la prise de médicament, de son hygiène et de sa participation des activités thérapeutiques pourraient fort souvent être des éléments pris en compte dans l’appréciation de la dangerosité future du jeune patient.

2. La dangerosité future : quelques obstacles épistémologiques connus au pronostic psychiatrique

La psychiatrie légale fait partie intégrante d’une variété de circonstances et contextes judiciaires ou juridictionnels : qu’il s’agisse notamment de l’audition sur remise en liberté d’un accusé en attente de son procès, de la fixation de la peine appropriée en regard du risque de récidive d’un délinquant reconnu coupable d’un crime ou d’une infraction, de la question des suites à apporter à un verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux, ou enfin de la détermination de l’inscription d’un délinquant sexuel à un registre de délinquants dangereux[15]. La psychiatrie légale agit donc dans un certain nombre de contextes en qualité de science forensique[16], devenant ce faisant parfois une science auxilliaire du droit, et qui sera bien souvent appelée à déterminer de la délicate question de la dangerosité future d’une personne. Comme le rappelle l’auteure Bernheim (2008), la littérature opte généralement entre deux modèles théoriques lorsqu’il est question de décrire les interactions prenant place entre droit et médecine. La relative liberté que se reconnaissent les décideurs appelés à administrer une preuve médicale a ainsi pu être exprimée par le truchement de modèles qui témoignent, sous une forme synthétique, de l’existence de rapports d’ancillarisation réciproques entre droit et médecine.

La structure du système d’admission involontaire en établissement de santé repose sur le présupposé – fortement contesté par la communauté médicale elle-même[17] – qu’il est possible pour un médecin de prédire le degré de dangerosité future d’un patient.

Or de nombreux médecins, psychiatres et spécialistes de la santé décrient le critère de la « dangerosité » comme étant à la fois flou, insoluble, et d’une utilité discutable. La violence n’est ni un diagnostic, ni une maladie mentale en soi et n’est pas l’apanage exclusif – voire même prépondérant – de personnes souffrant de maladie mentale :

Research, in fact, confirms the error in associating dangerousness with mental illness, showing that “the vast majority of people who are violent do not suffer from mental illnesses. The absolute risk of violence among the mentally ill as a group is still very small and only a small proportion of the violence in our society can be attributed to persons who are mentally ill”. Violence is not a diagnosis nor is it a disease. Potential to do harm is not a symptom or a sign of mental illness, rather it must be the central consideration when assessing future dangerousness.
In reality, no one can predict future dangerousness precisely and with absolute certainty. Assessments of future dangerousness therefore may be more accurately described as the identification of factors associated with potential dangerous behavior by a given individua l. In making such an assessment, the clinician should be able to articulate measures necessary to a management plan that minimizes the identified future risks. Hospital emergenc y rooms, outpatient departments, general psychiatric in-patient wards and day hos pitals all demand their own particular clinical justifications[18].

Or il revient tout d’abord de préciser que la législation ne prévoit généralement pas de définition générale de ce que signifie la « dangerosité » d’un patient, la portée de ce terme étant donc appelée à être balisée par l’appréciation qui en est faite par un médecin ou un psychiatre face à un patient donné[19].

Par ailleurs, l’ambiguïté du concept de dangerosité future peut également avoir pour effet de réduire le nombre d’individus qui vivent une détresse psychiatrique à être appelés via le mécanisme d’admission involontaire pour soins psychiatriques, pour toutefois être autrement ou plus tard réinstitutionnalisés suite à la commission d’un délit ou d’un crime ou alors que leur condition s’est dégradée à un tel point que le critère de dangerosité, cette fois-là, est atteint (Stavis, 1989). De nombreuses histoires de cas illustrent pareil écueil[20].

Il est par ailleurs intéressant de remarquer que ce passage au critère de la dangerosité peut avoir pour corollaire de retarder la prise en charge de patients qui, tout en étant en situation de détresse psychiatrique, ne rencontrent pas (ou pas encore) le critère de dangerosité ou de risque de détérioration requis par la législation[21].

Le droit ce faisant, participe d’un effet que nous pourrions qualifier d’antithérapeutique. Des patients se voient refuser des soins alors que leur tableau clinique ne correspond pas suffisamment aux critères prévus à la loi. Ces personnes souffrant de détresse psychiatrique peuvent être appelées à entrer éventuellement en contact avec le système de justice criminelle, ou encore, que l’aggravation de leur condition soit telle que la « fenêtre thérapeutique » qui aurait justifié une intervention médicale au moment approprié se soit refermée depuis[22].

3. Désinstitutionnalisation, transinstitutionnalisaton et réinstitutionnalisation : le parcours de l’enfant marqué au coin des politiques de la dangerosité

Comme le rappelle Parry (2013), bien que le nombre de patients psychiatriques admis de manière involontaire suivant la procédure légale semble avoir diminué, un nombre important d’enfants et de jeunes souffrant de troubles de nature psychiatrique, mais également de problèmes liés à des retards développementaux ou autres troubles cognitifs, se voient placés de façon involontaire dans une variété de contextes de prestations de soins[23]. L’une des catégories de patients dont la croissance a été la plus remarquable est relative aux traitements des jeunes toxicomanes[24]. C’est en effet bien souvent par le truchement du système de justice pénale ou par l’intervention d’acteurs oeuvrant en matière de délinquance juvénile que des jeunes aux prises avec des problèmes de santé mentale se voient en quelque sorte ré-institutionnalisés[25] en établissement de santé divers, maison d’accueil, familles d’accueils[26] ou refuges transitoires, et ce, parfois à répétition.

Melton (1984), la revue de plusieurs études permet de dégager l’existence d’un phénomène de transinstitutionnalisation par lequel des décisions concernant le traitement des enfants et des jeunes par des professionnels de la santé relèveraient pour une part insoupçonnée à des considérations autres que médicales mais plutôt de pressions liées à l’administration des ressources de santé : le système de santé mentale prenant dans certain cas le relai du système de justice pour adolescents (et vice-versa). Ce faisant, des considérations politiques et administratives toujours d’actualité relevant de la gestion de la délinquance juvénile influencent l’appréciation et la qualification que sera appelé à recevoir un jeune patient :

For example, Warren (1981) has found that « delinquents » and « status offenders » have frequently been « transinstitutionalized » into the mental health system as the gates havae closed to the juvenile justice system. A recent survey of administrators of residential treatmen programs has strakly docuymented these extraneous pressures. About half of the respondents expressed agreement with a statement that « agencies often accept and discharge clients based on agency need or convenience rather than the needs of the child. » About tow-fifths of the respondents admitted that « treatment decisions are more often influenced by agency policy thant by a child,s needs », and a majhority acknowledged that professionals often increase the severity of a child’s « label » to ensure that the child will receive services. A survey of social-welfarre caseworkers (Bullingsley, 1964) indicated similar supremacy of bureaucratic pressures over clients needs in many cases[27].

Ces limites – épistémologiques et pratiques – du droit et de la psychiatrie prennent une acuité particulière lorsqu’il est question d’évaluer le risque de « dangerosité » d’un jeune ou d’un enfant.

Un enjeu qui se présente avec une acuité particulière est celui de l’application du critère de la « dangerosité » à des jeunes et des enfants. Quelle teneur donner à la dangerosité lorsqu’il est question d’enfants, voire de jeunes enfants ou de bébés qui, bien que pouvant requérir des soins psychiatriques, ne voient leur symptôme que difficilement cadrer avec un critère du « dangereux » hérité de l’imagerie carcérale et des politiques de la dangerosité qui en sont l’une des expressions :

Dans les faits, sous couvert de dangerosité, la garde en établissement peut être ordonnée pour cause de toxicomanie, de “mauvaise conduite”, d’“hygiène négligée” ou de dérangement (39). Dans le district judiciaire de Montréal en 2009, la grande majorité des audiences a duré entre zéro et quatre minutes; les ordonnances ont été rendues sur le banc, souvent sans explication des motifs qui ont motivé la décision; leur durée moyenne est de 30 jours, mais certaines atteignent 60 ou 90 jours; 90 % des requêtes ont été accueillies, 5 % partiellement accueillies et 0,5 % ont été rejetées (40). Les défendeurs n’obtiennent donc que rarement gain de cause. Le processus judiciaire, s’il ne constitue pas au regard des droits le “garde-fou” que l’on imaginait, contribue au contraire directement à la stigmatisation que vivent les personnes souffrant de troubles mentaux. Le diagnostic psychiatrique se double alors de l’étiquette juridique “dangereux”, difficile à porter en société

Bernheim, 2015, p. 1007

Il est possible que la teneur de la notion de « dangerosité » dans des circonstances de placement des jeunes et des enfants soit fonction du développement relatif de la pédopsychiatrie, discipline encore naissante. Qu’il s’agisse de l’observation du bébé[28] ou des enfants, de la question de la solubilité de la pédopsychiatrie dans le mouvement de la médecine factuelle[29], plusieurs auteurs nous rappellent que les enfants nous « viennent toujours d’ailleurs »[30]. Comme nous le rappelle Constant (2008) :

L’activité pédopsychiatrique apparaît ainsi comme un lieu où sous couvert de références scientifiques à l’enfance, le débat idéologique sur l’idée d’enfant est des plus vifs. Si on peut à la rigueur concevoir de mesurer les écarts par rapport aux lois naturelles du développement, en pratique la question de la déviation est posée par rapport à la norme culturelle. Cela nous conduit à nous interroger sans cesse (c’est l’honneur de notre éthique) sur notre propre construction culturelle de l’enfant pédo-psychiatrique, c’est-à-dire sur les valeurs qui sous-tendent nos propres références théoriques

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Le constat suivant s’impose : l’enfant est une construction sociale, une « configuration culturelle collective »[31] à laquelle participent les parents, l’entourage de l’enfant, le corps médical, l’école, les médias qui, dans une représentation toujours mouvante des attentes face à l’enfant, participent de la fixation d’une dichotomie « normalité/déviance » souvent bien souvent voisine des notions de la « santé » et du « pathologique ». Parlant de sa profession de pédopsychiatre, Constant (2008) poursuit :

Nous devenons les spécialistes de l’enfant normal. Cette évolution nous conduit à redéfinir le champ de notre discipline si nous ne voulons pas être assignés à un rôle de normalisateur des enfants qui ne suivraient pas “le droit chemin”. Les indignations éthiques n’y suffisent pas. Pour argumenter notre légitimité sur des bases scientifiques, il faut oser déconstruire cette évidence du sens commun : la notion d’enfant. Quand une mère – figure de style assez fréquente – s’exclame dans le climat de confiance de la consultation : “mais qu’ai-je fait au Bon Dieu pour avoir un enfant pareil?”, il faut oser se demander... pareil à qui?... pareil à quoi?... Cet enfant peut nous paraître différent pendant l’examen mais différent par rapport à qui, par rapport à quoi? Une telle exigence d’explicitation d’une notion aussi polysémique que “l’enfant” est une entreprise complexe. Tout le monde sait implicitement ce qu’est un enfant, et même ce que doit être un enfant et personne n’en donne une définition identique

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La norme de l’anormal (Bernheim, 2011) se construit, à grands traits de rapports d’experts, combinant taxonomie médico-légales et nosologies[32] sans cesse renouvelées par la compréhension progressivement plus fine qu’offre les compendiums des troubles mentaux de la nature de la psyché humaine. Le défi demeure entier : s’assurer de la transparence de l’exercice, de l’intelligibilité, tout particulièrement pour l’enfant, des décisions – judiciaires, parentales, médicales ou administratives – qui le mèneront vers un lieu privatif de liberté quel qu’il soit. L’existence de recours, réels, effectifs et accessibles ne sauraient être absents de tout régime médico-légal soucieux de la santé de l’enfant et du respect de ses droits.

4. Avenues de solutions

Différentes pistent de solution ont été formulées à partir d’une variété de perspectives disciplinaires et théoriques en vue de palier les écueils inhérents à l’exercice d’une privation de liberté qui, tout en ne faisant parfois pas l’objet d’un consentement exprimé par le malade, repose parfois sur des assises épistémologiques où l’incertitude et les limites pronostiques des disciplines mobilisées prennent une importance inusitée.

Du point de vue de la norme juridique, l’apport du droit international et son intégration[33] dans les systèmes de santé nationaux participe d’un balisage plus important des droits des patients psychiatriques. Par exemple, l’adoption des Principes pour la protection des personnes atteintes de maladie mentale et pour l’amélioration des soins de santé mentale[34] est une étape importante dans la reconnaissance des droits en lien avec la prestation de services de santé mentale pour des mineurs. Il est intéressant de remarquer que le second principe de cet instrument international prévoit expressément la possibilité de nommer un représentant légal autre qu’un membre de la famille et la nécessité de veiller à protéger les droits des mineurs.

Toujours dans une perspective juridique, une récente étude a démontré que la tendance, au sein des pays du Commonwealth, est à l’effet que le critère de la dangerosité est peu à peu remplacé par des critères plus souples s’intéressant au traitement du patient et à son rôle et à sa protection juridique par des révisions régulières de la pertinence de sa détention, il demeure plusieurs juridictions faisant exceptions à cette tendance[35].

Certains autres auteurs se sont plutôt intéressés à la nécessité de repenser les forums et les instances décisionnelles qui sont bien souvent composées de personnes qui n’ont pas de formation particulière en matière de santé mentale. Inspirée du mouvement de la Jurisprudence thérapeutique, la mise en place de tribunaux de santé mentale, instances spécialisées pour prendre en charge des délinquants souffrant de problème de santé mentale, a une popularité croissante à l’échelle du globe. Le succès de telles initiatives demeure toutefois difficile à apprécier à l’heure actuelle (Jaimes, Crocker, Bédard et Ambrosini, 2009).