Corps de l’article

Introduction : contexte et enjeux

Tout récemment, le Comité du prix Abel a choisi Andrew Wiles, un mathématicien d’Oxford, comme lauréat du prix en 2016. Wiles a marqué les sciences mathématiques, car il a réussi à résoudre un problème posé par Pierre de Fermat, de France, il y a plus de trois cents ans. Ce problème, connu comme le dernier théorème de Fermat, a été posé en 1637 et a suscité l’intérêt d’un grand nombre de mathématiciens qui ont tenté de le résoudre, mais sans succès pendant plus de trois siècles avant que Wiles produise une preuve qui a mis fin aux efforts collectifs. L’aspect le plus intéressant de cette histoire est le fait que sa passion envers cette énigme remontait à son jeune âge (dix ans), lorsqu’il commençait à manifester son talent précoce pour les mathématiques : un phénomène assez rare mais pas unique. Cet exemple démontre l’ampleur du talent que peut posséder une personne en mathématiques. On peut trouver bien d’autres exemples de cette précocité surprenante ou de talents dans les écrits, comme celui du jeune Gauss, un autre génie mathématique qui à l’âge de dix ans a trouvé une façon ingénieuse de calculer la somme de cent premiers nombres naturels en moins de dix minutes.

De nos jours, certains élèves montrent plusieurs signes de douance ou de talent en mathématiques très tôt dans leur parcours scolaire, surtout lorsqu’ils rencontrent des défis de taille. Par exemple, Krutetskii (1976) note que même à un jeune âge, certains enfants ont tendance à percevoir des relations entre différents éléments d’un problème, généraliser ces relations à partir de cas particuliers, et démontrer une plus grande flexibilité dans le choix des stratégies de résolution de problème. Selon le chercheur, ces traits sont plutôt des précurseurs des habiletés avancées qui se manifestent généralement plus tard dans le parcours académique des élèves. D’autres exemples d’habiletés sont la capacité de raccourcir les chemins de raisonnement, emmagasiner les connaissances de façon tout aussi « mathématique » que productive et efficace en formant une manière toute particulière, voire abstraite de raisonner mathématiquement. Freiman (2006) a décrit un cas d’un élève âgé de dix ans qui, dans un contexte de résolution du problème de « poignées des mains » a trouvé une formule générale permettant de calculer le nombre de poignées de main pour n’importe quel nombre de personnes, alors que la question initiale était de le calculer pour huit personnes. Ce problème était posé dans le manuel Défi mathématique (Lyons et Lyons, 1981). Pour résoudre ce problème, l’élève a commencé par une étude des cas plus simples du problème avec deux, trois, quatre, cinq et six personnes pour voir, à l’aide de ces camarades de classe, qui lui servaient de « modèles » concrets, comment cela fonctionne « dans la vraie vie ». Ensuite, il a représenté ces cas à l’aide d’un schéma pour finalement découvrir une régularité qu’il a formalisée en émettant une conjecture d’ordre général : pour calculer le nombre de poignées, il suffit d’additionner tous les nombres d’un jusqu’au nombre qui est un de moins que le nombre total de personnes.

Dans de nombreux pays comme le Canada, une vision inclusive de l’enseignement des mathématiques vise à rejoindre tous les élèves, permettant à chacun de progresser à son propre rythme. Quand nous disons « tous les élèves », ceci inclut également ceux qui sont doués et talentueux. Or, les études montrent que la question de ce qui serait un encadrement adéquat pour les élèves doués est encore non résolue. Par exemple, Diezmann et Watters (2002) affirment que dans l’enseignement des mathématiques, l’accent est mis sur le développement des bases de la numératie en visant le « minimum » de la capacité mathématique au lieu de viser le « maximum » du potentiel de chaque élève.

Il a été documenté dans les écrits scientifiques que les élèves doués et talentueux apprennent différemment par rapport aux autres élèves (Rogers, 2002). Toutefois, souvent ces élèves n’ont pas suffisamment d’occasions de développer leur plein potentiel intellectuel et créatif en salle de classe. Deux raisons sont souvent évoquées pour expliquer cette lacune : les programmes scolaires se limitent à un strict minimum d’habiletés et de connaissances alors que les enseignants manquent de formation, de temps, et de ressources pour aller au-delà de ce minimum (Johnson, 2000). Plusieurs questions posées par les chercheurs depuis les deux à trois dernières décennies révèlent des enjeux importants entourant le développement de la douance et du talent. Comment peut-on stimuler les élèves doués dans nos salles de classe pour aider à l’éclosion de leur talent naturel? Comment amener chaque élève à réaliser son plein potentiel?

En revenant sur les travaux de Krutetskii (1976) cités ci-dessus, nous observons que, bien qu’un encadrement approprié ne crée pas explicitement les caractéristiques de la douance chez les élèves, la façon de leur enseigner peut avoir un impact considérable sur le développement de leurs talents. Dans cette optique, nous analyserons dans cet article la problématique d’identification et de développement des élèves doués et talentueux en mathématiques, ainsi que les pratiques pédagogiques pouvant mieux répondre à leurs besoins particuliers en apprentissage.

L’inhabileté d’un système éducatif à développer le plein potentiel de ses élèves les plus doués pourrait avoir plusieurs conséquences négatives, autant pour la société que pour l’individu. Au niveau de l’individu, on risque de perdre son intérêt naturel, sa curiosité, et même sa soif d’apprendre. Les élèves qui sont peu stimulés en salle de classe peuvent devenir non motivés, voire frustrés de ne pas pouvoir avancer dans la matière et éventuellement commencer à perturber la classe et même décrocher complètement. D’autres peuvent se sentir mal à l’aise d’être différents des autres. Les élèves doués peuvent parfois être victimes de préjugés et d’intimidation de la part de leurs pairs. Par conséquent, certains vont essayer de cacher leurs talents.

Ces cas remettent en question non seulement les valeurs de l’équité et la justice d’un système scolaire envers une partie des élèves, mais soulèvent également des enjeux liés à un impact négatif probable sur la société, qui aurait moins de chances de bénéficier des talents de tous ses membres et particulièrement de ceux qui pourraient lui en apporter le plus. Dans le passé, il y avait un moment (lié, entre autres, au lancement de Spoutnik I par les Soviétiques dans les années 50) lorsqu’une attention particulière était bien dirigée vers les élèves doués et talentueux dans les domaines des mathématiques et des sciences autant au Canada que dans d’autres pays occidentaux. Bortwick, Dow, Levesque, et Banks (1980) ont toutefois constaté une courte durée de cette vague d’intérêt. L’éducation des élèves surdoués est donc redevenue un aspect marginal, voire négligé par les systèmes scolaires. Depuis quelques années, on observe de nouveau une attention accrue aux disciplines STGM (science, technologie, génie, mathématiques) dans plusieurs pays occidentaux, dont le Canada. La problématique d’encadrement des élèves doués et talentueux a donc été ramenée au centre des débats éducatifs, parfois, à travers les mêmes « cris d’alarme » que dans le temps de la guerre froide (Subbotnik, Edmiston, et Rayhack, 2007). 

Au-delà de ce sentiment d’urgence qui met de la pression sur le système éducatif, ce dernier ne doit-il pas tenir également compte de la dimension citoyenne afin d’assurer le développement des pleins potentiels socio-affectif et cognitif de chaque élève en leur permettant de découvrir et de réaliser ses talents? Peu importe la position que la société adopte par rapport au phénomène de la douance et du talent, trois aspects doivent être clarifiés dans un contexte scolaire. Ces aspects se rapportent aux trois questions de base, soit le qui, le quoi et le comment : Qui sont les élèves appelés « doués et talentueux »? (qui?); qu’applique-t-on comme critères (indicateurs) de la douance et du talent? (quoi?); et que doit-on faire avec ces élèves? (comment?). Souvent, une quatrième question s’y ajoute : qui doit s’en occuper? (par qui?). Notre article se veut le fruit d’une réflexion sur ces questions dans un contexte d’enseignement de mathématiques dans le secteur scolaire francophone au Nouveau-Brunswick.

Le contexte du Nouveau-Brunswick est particulier au Canada en matière d’éducation des élèves à besoins spéciaux, et englobe autant ceux qui ont des troubles d’apprentissage que ceux identifiés comme doués et talentueux. En fait, la loi de l’inclusion scolaire exige que tous les élèves puissent développer leur plein potentiel. Selon Vienneau (2002), la pédagogie de l’inclusion est un sujet d’actualité en éducation depuis les dernières décennies représentant l’une des formes les plus prometteuses pour rendre justice aux élèves « à besoins spéciaux ». Le concept d’inclusion, déjà bien ancré dans les courants éducatifs du monde occidental (Bowman, 1986, cité dans Vienneau, 2002), est devenu dominant au Canada depuis les années 90. Une nouvelle loi scolaire adoptée au Nouveau-Brunswick en 1986 a mis l’intégration scolaire en avant-scène du système éducatif de la province, qui devenait unique, étant ouvert à tous et répondant aux besoins de chacun. Vienneau (2002) affirme que ce nouveau paradigme visait une école qui s’adapte aux besoins, aux capacités et aux intérêts de chaque enfant.

En vertu de cette loi, il est donc devenu important d’élaborer et d’implanter des pratiques gagnantes à l’école pour assurer une éducation de qualité pour tous les élèves, en incluant celles et ceux qui sont doués et talentueux. Pourtant, le rapport provincial MacKay (2006) recensant l’état des lieux éducatifs, démontre des lacunes importantes sur le plan de l’inclusion, surtout pour ce qui est du développement de la douance et du talent. Ces enjeux touchent les problématiques de l’identification des élèves doués et talentueux ainsi que celles de la création de programmes éducatifs qui pourraient répondre à leurs besoins. Différentes initiatives développées et mises en pratique depuis la publication de ce rapport nous permettent de mettre en évidence autant les bienfaits que les défis, que nous articulerons dans cet article qui porte sur l’enseignement de mathématiques. Dans la prochaine partie, nous analyserons de façon plus détaillée des problématiques liées à la définition (qui?), l’identification (quoi?) et l’encadrement des élèves doués et talentueux.

1. Douance et talent : concepts difficiles à définir et à mesurer

En étudiant les écrits anglo-saxons sur le concept de la douance et le talent, nous avons remarqué une multitude de termes qui sont utilisés pour définir un élève doué. Ces termes sont : gifted (équivalent de doué), talented (équivalent de talentueux), mais aussi highly able (habiletés supérieures), bright (brillant), advanced (niveau d’habiletés avancé), above average (au-dessus de la moyenne), extraordinary (capacités hors norme), promising (prometteurs), un terme utilisé spécifiquement en mathématiques). Du côté de l’Europe francophone, on trouve les termes « intellectuellement précoce » et « haut potentiel intellectuel ». Bien que différents, ces termes traitent de quelques qualités humaines associées à la douance et au talent, dont l’intelligence (ou l’intellect), l’habileté (ou la capacité), la précocité (se manifeste tôt) et le potentiel (promesse), et souvent aux niveaux plus élevés (supérieur, haut, au-delà de la norme).

Alors qu’un intérêt pour les personnes possédant ces qualités remonte au temps de l’Antiquité, une étude plus systématique du phénomène de douance a pris de l’ampleur au début du XXe siècle avec les études en psychologie. En fait, Binet et Stanford ont proposé une mesure appelée Quotient intellectuel (QI), qui est utilisée dans plusieurs pays, en combinaison avec d’autres outils, jusqu’à nos jours, pour identifier les élèves doués et talentueux (Binet, 1922). Une étude longitudinale portant sur la douance a été commencée en 1921 par Terman (1954). Ce chercheur a identifié 1500 enfants ayant un QI de 140 et plus et les a suivis jusqu’à l’âge adulte. Comme résultat, Terman a noté que ces enfants nommés « termites » avaient obtenu en général, de bons résultats scolaires, possédaient de bonnes habiletés athlétiques et un bon état de santé, tout en atteignant, en proportion plus grande que ceux qui avaient un QI inférieur à 140, un succès considérable dans leurs carrières.

Vers l’âge de 40 ans, ces enfants sont devenus surtout des chercheurs, des professeurs, des avocats, des médecins, ou des gens d’affaires. Ceci ne pouvait cependant pas être généralisé sur l’ensemble de la population à l’étude, car d’autres participants avaient vécu différents types d’obstacles, de revers, d’échecs, y compris ceux liés à la vie quotidienne. Ainsi, selon Leslie (2000), on peut déjà conclure que le fait d’avoir un QI élevé ne garantit pas le succès académique ni dans la vie de tous les jours. D’autres facteurs ont été identifiés, tels que la motivation à entreprendre une certaine tâche et la stimulation par l’environnement (Coleman, 1980).

Au cours de la deuxième moitié du XXe siècle, les débats se sont intensifiés quant à la fiabilité des tests de QI et à la nature même de la douance. Plusieurs questions ont été posées. La douance est-elle innée ou acquise? Peut-on développer une douance? La douance est-elle généralisable (dans tous les domaines) ou spécifique à un domaine? Le rôle de l’environnement ainsi que les façons de stimuler la douance étaient aussi des facteurs étudiés par les chercheurs. Ceci a mené au développement de plusieurs théories des habiletés, de l’intelligence, de la douance et du talent. Celles de Guilford (1967), de Vernon (1971), de Sternberg (1997), de Gardner (1983), de Gagné (1985) et de Renzulli (1986) ont gagné une certaine popularité chez les chercheurs et les praticiens en milieu scolaire.

Ces modèles reflètent bien la complexité de la problématique de la douance et du talent en mettant l’accent sur des traits de personnalités différentes et variées. Renzulli voit la douance à l’intersection des trois éléments clés, soit l’habileté supérieure (souvent innée) à la moyenne, la créativité (développée) et l’engagement dans une tâche (persévérance). Gagné fait une distinction explicite entre la douance (don, inné, aisance, facilité) et le talent (acquis, développé jusqu’au niveau d’expert, fruit d’un effort, des exercices). Alors que le fait de posséder la douance peut aider au développement d’un talent (associé dans son modèle à un niveau de compétence élevé), la création d’un environnement favorable agit comme catalyseur dans ce processus de développement; le hasard pourrait aussi être un autre facteur y contribuant (Gagné, 1985).

Les théories de Sternberg et de Gardner, qui mettent l’accent sur l’intelligence, présentent des visions différentes du modèle du QI. Sternberg, par exemple, accorde une grande place à l’expérience de la personne, en définissant trois formes d’intelligence : analytique, utilisée dans l’analyse de problèmes abstraits; pratique, qui permet de résoudre des problèmes de la vie quotidienne en utilisant ses capacités d’adaptation, de sélection et de transformation; et créative, qui permet de faire face à des situations nouvelles en adoptant des solutions originales. Gardner se concentre sur différents types d’intelligence relativement à des domaines spécifiques tels que logico-mathématique et visuo-spatial du côté plus « académique » du spectre, et inter- et intra-personnels, du côté « socio-affectif ». Critiquée par plusieurs auteurs remettant en question sa base psychométrique, cette théorie trouve son utilité dans la détermination des types les plus développés chez l’individu, permettant ainsi d’adapter l’approche d’enseignement, plus individualisée, visant un talent particulier.

Alors que ces théories présentent un point de vue plutôt général de la douance, en mathématiques, on trouve des études faisant ressortir des caractéristiques plus spécifiques à un domaine particulier. Déjà à la fin du XIXe siècle, Calkins (1894) a identifié quelques traits particuliers chez les personnes qui aiment les mathématiques par rapport à celles qui ne les aiment pas. Il a trouvé que les gens qui aiment les mathématiques étaient plus aptes à faire des calculs longs et complexes dans leur tête, à capter les similitudes et les différences ou les relations entre les objets, ainsi qu’à classifier et à utiliser leur raisonnement. L’habileté à penser mathématiquement et celle de voir le monde avec les yeux mathématiques ont été documentées par Krutetskii (1976) dans son étude longitudinale sur les habiletés mathématiques chez les jeunes élèves. Il a défini la douance comme une combinaison unique d’habiletés mathématiques supérieures et la capacité de maitriser la matière de façon créative, en plus de démontrer d’autres qualités permettant à l’élève d’être plus rapide, d’avoir une plus grande facilité et de démontrer une plus grande profondeur dans les apprentissages mathématiques. En lien avec les idées de Krutetskii, Greenes (1981) a indiqué plusieurs éléments de douance mathématique, dont la formulation spontanée des problèmes, la flexibilité avec les données, l’habilité à organiser les données, l’agilité mentale ou la fluence des idées, l’originalité d’interprétation et l’habileté à transférer les idées et à généraliser.

Les chercheurs ont reconnu que l’identification de ces traits chez les élèves repose souvent sur les observations des enseignants en salle de classe et plus spécifiquement dans un contexte de résolution de problèmes complexes. Toutefois, Singer, Sheffield, Freiman, et Brandl (sous presse) ont insisté sur le fait que ce processus n’est pas algorithmique. Ce n’est pas tout élève potentiellement doué qui va manifester ses talents dans toutes les situations. Il revient donc à l’enseignant d’utiliser son bon jugement et son expertise pour déterminer les signes de douance chez l’élève et ainsi comprendre ses besoins particuliers. Alors que les tests psychologiques, souvent basés sur le QI, tentent de délimiter la douance par un pourcentage très petit de réussite (en général, on inclut dans le groupe de doués entre 3 % et 5 % d’élèves, se référant à une distribution statistique normale), les approches plus pédagogiques peuvent nuancer cette approche et élargir le concept de douance de sorte que ce dernier inclut un plus grand nombre d’élèves, soit de 20 à 25 %, tout comme l’a fait le Groupe spécial Task Forcedu National Council of Teachers of Mathematics dans son document intitulé Cadre sur les élèves prometteurs en mathématiques (mathematically promising students) (NCTM, 1995). Visant à maximiser les variables telles que les habiletés, la motivation, les croyances, les expériences ou les occasions chez les élèves prometteurs, les chercheurs du groupe Task Force mettaient l’accent sur le processus de développement d’habiletés mathématiques supérieures au lieu de se limiter à une mesure de leur expertise mathématique et de leur intérêt préalable (Sheffield, 1999). C’est donc dans cette perspective que la notion de douance devient plus inclusive avec un rôle clé d’un environnement stimulant et des pratiques enseignantes mieux adaptées pour répondre aux besoins de chaque élève, incluant ceux qui sont doués.

Si on arrive à identifier les élèves doués et talentueux, ce qui est déjà une tâche difficile à la suite de cette variété des théories et des approches, comment peut-on faire et que doit-on faire dans un contexte scolaire ou parascolaire pour les encadrer? À ce niveau, la variété d’options diminue de façon remarquable. En fait, les débats tournent autour de quatre axes principaux : le lieu où des initiatives sont instaurées (l’école ou à l’extérieur de l’école, les clubs, concours, jeux, etc.); le type de groupe créé entre hétérogène (les élèves de tout le spectre d’habiletés se trouvant ensemble) et homogène (on regroupe les élèves selon leur niveau d’habileté ou d’intérêt); les programmes d’études à offrir (régulier, enrichi, approfondi ou accéléré); et l’approche d’enseignement à utiliser (uniforme ou individualisée, rigide ou flexible, axée sur la performance ou sur le développement de l’intérêt, entre autres). Dans tous les choix, ce qui ressort le plus souvent dans les travaux des chercheurs est le besoin d’adapter l’enseignement au niveau de l’élève en lui proposant un défi lui permettant d’aller plus loin dans ses apprentissages, d’assurer un niveau de complexité des tâches plus élevé, d’éviter la redondance et les exercices de routine (particulièrement dans le cas où l’élève connait déjà le contenu).

2. Un aperçu de l’éducation des élèves doués au Canada

Au Canada, l’éducation est gérée de manière autonome par les provinces. Par conséquent, des différences considérables peuvent être observées en matière de politiques et de législations relatives à l’éducation en général ainsi qu’à l’éducation des élèves doués en particulier. Comme résultat, les services éducatifs offerts à l’ensemble de la population et à des groupes particuliers dont les élèves doués et talentueux font partie peuvent varier considérablement.

Au niveau des lois et des politiques provinciales, Goguen (1989) a indiqué que l’Ontario et la Saskatchewan étaient les seules provinces dotées de lois spéciales concernant l’éducation des doués. Cinq autres provinces la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick, le Québec, l’Alberta, la Colombie-Britannique et les Territoires du Nord-Ouest possédaient des politiques ministérielles permettant d’offrir les services aux élèves doués. Il a aussi constaté que les disparités existaient encore entre les trois provinces n’ayant aucune politique précise sur l’éducation des élèves doués : la Terre-Neuve, l’Île-du-Prince-Édouard, le Manitoba et le Yukon (Goguen, 1989).

Ces disparités dans l’éducation des élèves doués se reflètent également dans la diversité des approches d’identification et par conséquent d’encadrement des élèves doués, de sorte qu’il est possible qu’un individu soit identifié comme étant doué dans une province, mais ne le sont pas dans une autre; les différences pourraient également être observables à l’intérieur d’un même système éducatif, par exemple, au sein d’un district scolaire (Lupart, Pyryt, Watson, et Pierce, 2005) et ou même d’une école.

Au début de l’article, nous avons mentionné que le Nouveau-Brunswick a un système scolaire unique en raison de la livraison de services éducatifs distincts dans chacune des deux langues officielles (le français et l’anglais), ce qui ajoute plus de complexité dans le dossier de la douance en raison de différences importantes dans la culture de l’école, sa structure et le fonctionnement des deux, et aussi sur le plan des programmes d’études et des approches à l’enseignement et l’apprentissage. Concernant les élèves doués, l’analyse de Goguen (1989) a repéré une importante évolution dans les années 80, en lien avec le mouvement d’excellence en éducation, ce qui a mené à l’élaboration de nouvelles politiques en matière de douance, par exemple, une possibilité d’offrir un programme enrichi au niveau de l’école secondaire.

Dans son rapport sur l’inclusion, MacKay (2006) a noté que le secteur francophone est plus préoccupé par la question des élèves doués. Par contre, un article de Bajard (2009), qui porte spécifiquement sur la douance en milieu francophone minoritaire, a avancé que les élèves doués étaient moins motivés n’étant pas suffisamment stimulés intellectuellement, ni à l’école ni à la maison. L’auteure relève également plusieurs lacunes sur le plan de l’encadrement des élèves doués, jumelées avec l’absence de programmes d’études adaptés à leurs besoins, ainsi que d’approches pédagogiques efficaces. Un manque de ressources (matérielles et humaines) adéquates qui permettraient de répondre à leurs besoins d’apprentissage serait un autre défi de taille. Par conséquent, selon Bajard (2009), ces facteurs nuisent à l’épanouissement des talents dans ce contexte.

À la suite des recommandations du rapport Mackay (2006), le gouvernement du Nouveau-Brunswick a tout de même lancé une initiative intitulée « Les enfants au premier plan » (MENB, 2007). Le texte du document contient six fois une référence au terme « doué ». Le document a bien articulé la préoccupation du ministère qu’un enfant qui perd son intérêt naturel et sa curiosité vers la troisième année conserve cette attitude pour le reste de son parcours scolaire. Par conséquent, le plan encourageait plusieurs mesures qui pourraient appuyer l’encadrement précoce des élèves doués, ainsi que la création de partenariats entre l’école et l’université pour maintenir leurs intérêts de la sixième à la douzième année. Ceci incluait aussi la possibilité pour des élèves de suivre des cours universitaires. De plus, des fonds d’innovation en apprentissage (FIA) d’un montant de 2 000 000 $ ont été créés afin d’offrir un soutien financier aux enseignants qui voulaient organiser des activités innovantes qui tenaient compte des besoins, entre autres, des élèves doués.

Toujours selon MENB (2007), des services spéciaux devaient être fournis pour soutenir les environnements scolaires inclusifs mieux adaptés à tous les élèves ayant des besoins spéciaux, y compris ceux qui sont doués. Les enseignants étaient également encouragés à utiliser des méthodes d’enseignement novatrices et des activités parascolaires pour dynamiser l’encadrement des élèves doués. Enfin, le document envisageait une approche évolutive pour apporter graduellement les changements nécessaires axés sur les modèles et les pratiques enseignantes gagnantes qui ont déjà été expérimentées avec les élèves doués. Qu’est-ce que ce développement signifie pour les élèves doués en mathématiques? Dans la section suivante, nous allons analyser des exemples de nouvelles initiatives qui ont émergé dans ce contexte de pratiques innovantes en enseignement de mathématiques aux rangs scolaire et parascolaire.

3. Encadrer les élèves doués en mathématiques : quelles pratiques privilégier?

Au niveau international, une étude approfondie de pratiques prometteuses pour les élèves doués en mathématiques se déroule, entre autres, au sein des congrès de la Commission internationale sur l’enseignement des mathématiques. Par exemple, un groupe d’étude portant sur les activités et les programmes pour les élèves doués, organisé en 2008, lors du 11e Congrès international, a recensé plusieurs exemples de pratiques en salle de classe et au-delà, présentées par les chercheurs provenant, entre autres, de l’Australie, de la Bulgarie, du Danemark, des États-Unis, de l’Iran, de l’Israël, de Nouvelle-Zélande, de la Russie et du Canada (http://tsg.icme11.org/tsg/show/7). Un numéro spécial de la revue The Montana Mathematics Enthusiast a rassemblé quelques articles provenant de ce travail d’analyse, de réflexion et de partage collectif (Freiman et Rejali, 2011).

Plus récemment, en prévision du prochain congrès, Singer et al. (sous presse) ont fait un état de la recherche dans le domaine. Concernant les pratiques qui s’adressent à tous les élèves, les auteurs mettent en évidence le besoin de proposer aux élèves des activités leur permettant de saisir le sens de problèmes mathématiques et de persévérer pour pouvoir les résoudre, de raisonner de façon abstraite et quantitative, de construire des arguments mathématiques plausibles et d’analyser de façon critique les arguments des autres. Sans s’adresser particulièrement aux élèves doués, ces aspects font partie de nouveaux standards communs aux États-Unis (Common Core State Standards for Mathematics, NGA/CCSSO, 2010). Ils soulignent également l’importance de savoir modéliser, d’être précis, de chercher et d’utiliser diverses structures mathématiques, tout en essayant de les généraliser.

En plus de ces aspects généraux, les trois groupes d’influence, soit la NCTM, the National Association for Gifted Children (NAGC), et le National Council of Supervisors of Mathematics (NCSM) ont suggéré un ajout important aux Standards, ciblant plus spécifiquement les besoins des élèves doués, talentueux, prometteurs et ayant un niveau de performance académique supérieur. Ainsi, un nouveau standard a été ajouté, centré sur la créativité mathématique et l’innovation, ce qui comprend, entre autres, les habiletés à résoudre des problèmes de façon originale et à poser de nouvelles questions mathématiques intéressantes à investiguer. De cette manière, les élèves seront motivés à prendre des risques, à relever des défis, à résoudre des problèmes de diverses façons, à en poser de nouveaux, tout étant passionnés par un processus d’enquête. (Johnsen et Sheffield, 2012, cité dans Singer et al., sous presse).

Au Nouveau-Brunswick, à la suite du rapport Mackay (2006), en lien avec le document ministériel Les enfants au premier plan du ministère de l’Éducation (MENB, 2007), plusieurs projets ont été réalisés afin d’enrichir l’expérience d’apprentissage des élèves doués et talentueux en mathématiques. Ces initiatives étaient dans certains cas entreprises dans la salle de classe, soit de façon inclusive ou avec des groupes d’élèves choisis, tandis que d’autres étaient réalisées en contexte parascolaire. Dans la prochaine section, nous présenterons quelques résultats des études faites dans le cadre de ces projets, ainsi que notre réflexion par rapport à un impact probable de ces initiatives.

4. Projet CAMI : une ressource virtuelle de résolution de problèmes mathématiques en ligne

En ce qui concerne des activités mathématiques pour encadrer les élèves doués et talentueux, il semble qu’on mette en valeur celles qui leur proposent de résoudre et de poser des problèmes, en plus de créer des occasions de construire un explicatif et de susciter un questionnement (Singer et al., sous presse). Les ressources en lignes peuvent élargir les options d’enrichissement en mathématiques comme le démontrent les projets sur l’Internet mis en place depuis les années 1990, tels que NRICH (Jones wr Simon, 1999) et Math Forum (Renninger et Shumar, 2002). Au Nouveau-Brunswick, un bon exemple des initiatives qui ont émergé dans le cadre d’implantation de nouveaux programmes en mathématiques entre 2000 et 2010, est le projet CAMI (Communauté d’apprentissages multidisciplinaires interactifs).

Le projet CAMI consistait à créer une communauté virtuelle interactive axée sur la résolution de problèmes en mathématiques, sciences, sciences humaines, littératie et au jeu d’échecs (www.umoncton.ca/cami). Cette communauté virtuelle a été conçue par une équipe de chercheurs de l’Université de Moncton (les auteurs faisaient partie de cette équipe), dans le cadre du Centre de recherche sur l’enseignement et l’apprentissage des sciences (CREAS), axé sur l’apprentissage informel au niveau des provinces de l’Atlantique et subventionné par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie (CRSNG) (Sullenger, et Freiman, 2011; Peltzer, et Freiman, 2015). D’autres organismes tels que la Fondation Inukshuk, la compagnie Aliant, la Fondation de l’Innovation du Nouveau-Brunswick et le ministère de l’Éducation du Nouveau-Brunswick ont également contribué financièrement au projet.

Nos publications antérieures par rapport au projet CAMI suggèrent que cette ressource en ligne permet d’offrir à tous les élèves des défis de taille en mathématiques (Freiman, Kadijevich, Kuntz, Pozdnyakov, et Stedoy, 2009). Il peut également servir de ressource d’enrichissement (Freiman, Manuel, et Lirette-Pitre, 2007; Freiman, 2009), ainsi que stimuler le développement de la créativité mathématique (Manuel, 2009, 2010; Manuel, Freiman, et Bourque, 2012). Nous avons aussi interrogé des élèves et des enseignants dans trois écoles francophones du Nouveau-Brunswick au sujet de leurs perceptions concernant la communauté virtuelle d’apprentissage CAMI. Ces élèves utilisaient régulièrement la ressource. Quelques principaux thèmes qui se sont dégagés de nos analyses sont souvent mentionnés dans les écrits portant sur la douance mathématique. Il semble que le site CAMI :

  • permet aux élèves d’être plus autonomes et débrouillards;

  • motive les élèves à affronter des défis intellectuels;

  • donne l’occasion aux élèves de recevoir des évaluations formatives de leur progrès et d’interagir autrement avec les autres membres du site;

  • donne l’occasion aux élèves de partager et de collaborer entre eux;

  • leur permettent de différencier les apprentissages;

  • ouvre la porte aux différentes stratégies et solutions aux problèmes;

  • offre une satisfaction personnelle et de la confiance aux élèves par rapport à la résolution de problèmes (Freiman, et Manuel, 2013).

Quoique les résultats par rapport à l’utilisation du site CAMI comme ressource pour répondre aux besoins des élèves doués en mathématiques soient favorables, l’accès à cette ressource dépend toujours de la présence des outils technologiques et de la façon dont l’enseignant en fait l’usage en salle de classe et de l’intérêt des élèves d’utiliser le site à l’extérieur de l’école.

Étant donné que les résultats de nos premières études sur l’impact du site CAMI semblaient indiquer son potentiel pour présenter des défis aux élèves doués et talentueux en mathématiques, nous avons entrepris un projet particulier avec des élèves de la 6e à la 8e année dans deux écoles francophones du Nouveau-Brunswick. Ce projet, qui faisait partie du programme Fonds d’innovation en apprentissage (FIA) du Nouveau-Brunswick, nous a permis de collaborer avec deux enseignantes de deux écoles francophones de la région du Sud-Est en proposant de l’enrichissement aux élèves doués et talentueux qui voulaient y prendre part. Les fonds FIA ont permis aux enseignantes d’avoir un ordinateur portatif pour chaque élève. Il est à noter que les élèves ont été choisis par leurs enseignantes de mathématiques en fonction de leurs comportements, de leurs résultats scolaires et de leurs intérêts pour les mathématiques.

Suivant le modèle d’enrichissement de type 2 (Renzulli, 1985), durant une année scolaire les élèves participant au projet ont été jumelés à leurs pairs ayant des habiletés et des intérêts semblables (groupe homogène), pendant une période d’une heure par semaine, pour participer à des activités d’enrichissement organisées par les membres de l’équipe CAMI. Entre autres, les élèves ont été invités à prendre part à une activité d’enrichissement en travaillant avec de futurs enseignants dans un cours de didactique des mathématiques à l’Université. Ils ont aussi participé à un atelier donné par le groupe international MACAS (Mathematics and Its Connections with the Arts and Sciences, Beckmann, Freiman, et Michelsen, 2016). Les chercheurs de l’Allemagne, des États-Unis et du Canada ont aidé les élèves à résoudre des problèmes complexes leur permettant d’explorer en profondeur le Nombre d’Or (Manuel, Freiman, Reilly, Pelczer, Vinogradova, Sriraman, et Beckmann, 2011).

Vers la fin de l’année scolaire, ces élèves ont travaillé au sein de l’équipe CAMI. Ils ont tout d’abord participé à trois ateliers sur le Campus de l’Université de Moncton pour apprendre (1) comment le site CAMI a été programmé; (2) comment créer de bons problèmes mathématiques; et (3) comment évaluer de façon formative les solutions aux problèmes soumises par les membres du site. Par la suite, ils ont travaillé en petits groupes de trois ou de quatre élèves ayant comme tâche de créer leurs propres problèmes mathématiques (trois problèmes au total). Le premier problème était sous la forme textuelle seulement. Cependant, pour le deuxième problème, les élèves ont intégré un clip audio dans lequel le texte du problème était lu à voix haute. Les élèves ont intégré un clip vidéo pour le troisième problème, pour accompagner le texte du problème. Le but de l’utilisation de ces outils multimédias était d’aider les autres membres à mieux comprendre le texte par l’écoute ou la visualisation. L’ajout des outils multimédias était une nouvelle activité ajoutée au site CAMI, qui donnait, en même temps, un exemple de mise en valeur commune de talents mathématiques au profit d’autres membres de cette communauté d’apprentissage.

Les problèmes créés par les élèves ont été affichés sur le site CAMI et les membres de la communauté virtuelle ont tenté de les résoudre. Lorsque la période d’affichage de ces problèmes était terminée, nous avons invité les élèves à écrire une rétroaction formative aux membres qui ont résolu leurs problèmes.

Nous avons analysé la richesse des 23 problèmes créés par les élèves en utilisant le cadre proposé par Manuel (2010). Cet auteur a défini un problème comme étant « riche » s’il respecte le plus grand nombre de critères parmi les suivants :

  • il contient plusieurs réponses correctes possibles;

  • il peut se résoudre en utilisant différentes stratégies appropriées;

  • l’élève doit passer par plusieurs étapes/opérations différentes pour le résoudre;

  • l’élève est amené à définir des régularités, généraliser des résultats ou prouver des résultats;

  • l’élève doit faire des choix et les justifier;

  • il incite l’élève à formuler d’autres questions et tenter d’y répondre;

  • il est mal défini, c’est-à-dire que certaines données ne sont pas présentées dans le texte du problème, mais sont utiles pour le résoudre. L’élève doit donc chercher ou définir ces données;

  • il est contextualisé, en d’autres mots, les mathématiques sont imbriquées dans un contexte réel ou fictif.

Un point était attribué pour chaque critère respecté dans le texte du problème. La richesse était donc la somme des critères respectés.

Les résultats ont démontré que le score de la richesse des problèmes créés par les élèves doués et talentueux variait entre 1 et 6. En effet, 4,3 % des problèmes avaient une richesse de 1; 26,1 % des problèmes avaient une richesse de 2 avec autant de problèmes de niveau 3 sur l’échelle de richesse; 21,7 % des problèmes avaient une richesse de 4; 17,4 % des problèmes avaient une richesse de 5; et 4,6 % des problèmes avaient une richesse de 6. Cette distribution démontre que les problèmes inventés par les élèves étaient moyennement riches.

Nos analyses démontrent également les trois critères de richesse (Manuel, 2010) les plus fréquemment respectés par les élèves : les problèmes contextuels (95,7 %); ceux qui peuvent se résoudre en utilisant différentes stratégies appropriées (82,6 %); et ceux qui nécessitent plusieurs étapes pour les résoudre (82,6 %). De plus, il est à noter que tous les groupes d’élèves ont créé des problèmes qui demandaient plusieurs étapes pour arriver à une solution. Cependant, pour certains (17,4 %), ces étapes consistaient toujours à utiliser la même opération mathématique. Par conséquent, nous n’avons pas considéré ces problèmes comme étant des problèmes qui nécessitent plusieurs étapes pour les résoudre. Un problème proposait une situation dans laquelle un élève devait résoudre un problème de mathématiques dans son manuel scolaire et demandait de l’aide. Ce genre de situation n’est pas considéré comme étant contextuelle puisqu’elle reproduit plutôt une activité courante tirée d’un manuel scolaire. Ces résultats ne nous ont pas tellement surpris, car plusieurs problèmes composés par les élèves étaient assez similaires à ceux que les élèves pratiquent en salle de classe ou qu’ils résolvent durant les évaluations (par exemple, les examens provinciaux).

Il est toutefois intéressant de constater que près d’un tiers (30,4 %) des problèmes créés par les élèves étaient mal définis. Par exemple, un groupe a créé un problème qui demandait de calculer le nombre de jours qu’ont duré les deux guerres mondiales. Les dates de début et de fin des guerres étaient données dans le problème. Par contre, les années qui étaient bissextiles n’étaient pas spécifiées, ce qui rendait le problème quand même mal défini. De plus, 8,7 % des problèmes demandaient de faire des choix et de les justifier. Par exemple, dans un problème, les membres devaient choisir le « meilleur » type de tapisserie pour un local dans une maison. Finalement, un problème créé par les élèves demandait de trouver une régularité d’une suite dans un jeu inventé sur un échiquier.

L’exemple suivant est le problème le plus riche créé par les élèves :

Figure 1

Exemple d’un problème riche créé par un groupe d’élèves de 7e année

Exemple d’un problème riche créé par un groupe d’élèves de 7e année

-> Voir la liste des figures

La deuxième question du problème rend le problème riche, car il peut être interprété de différentes façons. Par exemple, le groupe le plus populaire est celui qui vend le plus de billets pour un concert. Il y a donc plusieurs possibilités de réponses et de stratégies pour le résoudre.

Nous avons aussi interrogé les élèves lors des entrevues semi-dirigées afin de connaître davantage leurs perceptions et expériences du projet. De façon générale, les participants ont apprécié les activités proposées lors des ateliers d’enrichissement ainsi que les visites à l’Université de Moncton. Ces activités étaient perçues comme étant à la fois frustrantes, car les élèves ne pouvaient pas résoudre les problèmes immédiatement, et amusantes, car ils avaient du plaisir à discuter des problèmes et à réfléchir davantage. Un élève a résumé son expérience en raisonnant comme suit :

Oui ce projet a influencé mon attitude. Avant, que j’ai venu, je pensais que les maths, c’était « boring » parce que je n’apprenais jamais de quoi de neuf ou de quoi qui m’impressionnait. C’était toujours des choses que je savais déjà ou juste de la logique. Mais, avec ce projet, on apprend des nouvelles choses et je suis juste comme WOW! Je ne savais pas que ça existait. Et ça me fait aimer les maths encore plus.

Toutefois, lorsque les élèves ont été interrogés sur leur expérience à créer des problèmes, les opinions divergeaient beaucoup plus. Certains élèves préféraient résoudre des problèmes, tandis que d’autres appréciaient le défi d’en créer. Par exemple, un élève a mentionné « je veux être challengé tout de suite, donc j’aimer mieux résoudre des problèmes ». De l’autre côté, une élève a associé la composition de problème comme une occasion pour écrire. « J’aime écrire, créer et imaginer. Et je pouvais choisir si je voulais faire le problème vraiment difficile ou si je voulais mettre un truc dedans ». Il est possible que cette disparité d’opinions reflète un manque d’expérience de ce type en création de problèmes : pour plusieurs, c’était leur première en mathématiques. Finalement, tous ont recommandé que le projet continue durant les prochaines années.

5. Enrichissement et accélération en mathématiques : une combinaison gagnante?

Selon les recherches, l’accélération, ou l’apprentissage à rythme accéléré d’une matière, souvent compactée, demeure une pratique populaire, étant jugée comme potentiellement efficace et à couts modérés, qui pourrait aider à effacer l’écart entre les écoles bien nanties (souvent dans un milieu favorisé) et celles moins bien nanties (dans un milieu défavorisé). Elle peut prendre plusieurs formats dont le saut d’un niveau scolaire, programme avancé dans une matière, les programmes combinés de l’école secondaire et de l’université, ou le compactage du curriculum, en sont des exemples (Coangelo, Assouline, et Gros, 2004, cités dans Singer et al., sous presse). Comme conditions du succès, mentionne le choix judicieux d’une matière à étudier, l’engagement et la passion des élèves envers les mathématiques, et les stratégies d’enseignement allant au-delà d’une mémorisation « aveugle » (Singer et al., sous presse).

Un programme d’accélération a été entrepris dans une des écoles qui ont participé au projet FIA. Dans ce programme, certains élèves de 8e année ont eu l’occasion de compléter les programmes d’études de mathématiques de 8e et de 9e année en six mois. L’un des auteurs de cet article (Dominic Manuel) était le responsable de ce programme; il l’a également conçu et mis en pratique. Un test diagnostic a été administré à tous les élèves de 8e année de l’école. Ce test était une version modifiée de problèmes tirés d’un concours de mathématiques provincial annuel (discuté plus bas). Nous avons aussi demandé les recommandations des enseignants. À la fin de ce processus, 12 élèves ont été choisis, mais deux d’entre eux ont quitté le programme au cours de son implantation.

Puisque les programmes d’études de mathématiques de la 8e année et de la 9e année étaient très similaires, il était facile de créer le programme d’accélération. Ainsi, le programme d’accélération a été conçu en combinant les contenus des deux programmes d’études en un seul. Ceci évitait la répétition des concepts mathématiques, ce qui est fortement déconseillé par les chercheurs en douance (Winebrenner, 2008). Les élèves utilisaient le manuel de 9e année ainsi que des exercices préparés par l’enseignant. Les feuilles d’exercices contenaient des défis supplémentaires toujours plus complexes que les problèmes du manuel, ce qui a donné lieu à un enrichissement supplémentaire.

Les élèves du programme se réunissaient pendant sept périodes de 55 minutes par semaine. Étant donné que le programme a eu lieu de janvier à juin et qu’il y avait beaucoup de contenus à voir, l’enseignement se faisait surtout par discussion des concepts mathématiques (définitions, propriétés, applications) entre l’enseignant et les élèves. L’enseignant allait plus loin en amenant les élèves à utiliser le vocabulaire mathématique et à comprendre les preuves des propriétés et des théorèmes étudiés dans le cours. Lorsque le temps le permettait, l’enseignant proposait aussi des activités d’enrichissement qui allaient au-delà du programme d’études. Un exemple d’une telle activité est de lancer le défi aux élèves de trouver une façon de représenter un nombre décimal périodique sous forme d’une fraction ordinaire. Selon le programme d’études, les élèves devaient pouvoir transformer en fraction un nombre décimal avec un nombre fini de chiffres après la virgule seulement. Vers la fin de l’année scolaire, les élèves se sont rendus à l’école secondaire afin d’écrire l’examen final de mathématiques de 9e année. Les élèves qui ont obtenu un résultat supérieur ou égal à 85 % ont été promus dans le cours de mathématiques de 10e année l’année suivante. Il est à noter que, puisque ces élèves étaient toujours en 8e année, ils devaient aussi écrire l’examen provincial de mathématiques.

En général, on sentait l’engagement soutenu des élèves dans les activités du programme malgré les défis supplémentaires que ce projet leur a présentés. Premièrement, les élèves semblaient bien suivre le rythme d’apprentissage. On a organisé le programme de sorte à éviter les répétitions, et aussi, certains concepts ont été introduits avec une plus grande profondeur. Pour ce qui est des exercices, on donnait souvent des feuilles d’exercices avec des problèmes plus complexes, car on trouvait que les problèmes du manuel utilisé étaient trop faciles.

Durant l’enseignement du programme d’accélération, on mettait beaucoup l’accent sur le vocabulaire mathématique ainsi que les définitions et les propriétés des concepts mathématiques. Par exemple, on cherchait à ce que les élèves reconnaissent les propriétés des nombres réels, telles que l’associativité, la commutativité, etc. De plus, nous explorions les preuves de certaines règles mathématiques si c’était possible, par exemple, les lois des exposants. Afin que les élèves réalisent que les mathématiques sont plus qu’une série de procédures à suivre, en lien avec les suggestions de chercheurs par rapport à l’importance du raisonnement mathématique, les élèves développaient une culture de questionnement et de justification des procédures utilisées. Cependant, ceci déséquilibrait un peu les élèves, car ils devaient sortir de la zone de confort que leur procurait le fait d’être « bons en maths », dans laquelle ils n’avaient qu’à appliquer les concepts qu’on leur présentait. L’importance était de faire vivre aux élèves doués des moments autres que ceux leur donnant un succès garanti dans des tâches connues et faciles pour eux. Ils pouvaient finalement trouver les défis dont ils avaient besoin.

Au-delà d’un programme d’études bien chargé (et aussi enseigné de façon accélérée et compactée), il était important de proposer aux élèves quelques activités d’enrichissement, comme, par exemple, l’inverse du théorème de Pythagore; les propriétés des nombres réels; opérations sur les radicaux (seulement les racines carrées étaient exigées pour la 9e année, mais on a introduit les racines n-ièmes); et la transformation de nombres décimaux périodiques en fractions. Pour la plupart des activités d’enrichissement, les élèves étaient amenés à découvrir par eux-mêmes les concepts mathématiques liés à l’activité.

Sur le plan organisationnel, le fait de donner des devoirs à faire à la maison semblait poser des problèmes aux élèves. On sentait que les élèves n’étaient pas habitués à faire des devoirs à la maison, donc ceci était un gros changement pour eux. Il semble que dans une classe régulière, ces élèves plus rapides, comparativement aux autres élèves de leurs classes, terminaient toujours leurs travaux en classe. Au niveau des apprentissages, on n’a pas remarqué beaucoup de difficultés avec les contenus, à l’exception probablement de l’algèbre. La factorisation et la résolution des équations linéaires comprenant des expressions rationnelles sont des concepts qui ont posé des défis à ces élèves. Il a fallu un peu plus de temps et de travail pour qu’ils maitrisent ces concepts.

Non seulement le programme d’accélération a eu un impact sur les apprentissages des élèves, mais il leur a aussi permis de se responsabiliser dans leurs apprentissages. Puisque ces élèves venaient de sept différentes classes, il était impossible d’avoir sept périodes dans la semaine durant lesquelles toutes les classes de huitième année avaient une période de mathématiques. Tous les élèves devaient donc s’absenter de deux à trois périodes d’une autre matière scolaire. Ils devaient donc profiter des périodes durant lesquelles leurs autres camarades de classe faisaient des mathématiques pour se rattraper dans les autres cours manqués. Ils devaient s’organiser et rencontrer leurs enseignants pour connaître les travaux qu’ils avaient à terminer. Toutefois, ils manifestaient un bon niveau de maturité et d’organisation dans des telles circonstances. Aucun enseignant ne s’est plaint sur cet aspect.

Une étude de suivi de ce programme auprès des élèves promus au cours de mathématiques de la 10e année a été menée par Doucet (2012), qui s’est intéressé aux perceptions de ces élèves de leur expérience dans le programme d’accélération. Ses résultats ont démontré que les élèves ont apprécié le rythme des activités en classe, les types de tâches qui étaient proposés, le regroupement homogène d’un petit groupe d’élèves, la pertinence du programme et les possibilités que la participation à ce programme pouvait leur apporter. Ces mêmes élèves se sont également sentis à l’aise de se retrouver dans un groupe hétérogène, mais d’un niveau de programme (quoique régulier) plus élevé. Cependant, les enseignants et les membres de la direction ont indiqué qu’ils ne se sentaient pas prêts à répondre aux besoins des élèves doués et talentueux, et que les ressources pour répondre à ces besoins ne sont pas disponibles. Alors que selon la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants (CTF-FCE, 2009) le compactage du curriculum éliminant les « répétitions » pour l’élève qui a déjà saisi les concepts dans une ou plusieurs matières serait une approche favorable pour les élèves doués dans une salle de classe inclusive en leur donnant des occasions d’approfondir des sujets complexes et de s’engager dans des apprentissages qui répondent individuellement à leurs intérêts, il est encore difficile de la mettre en pratique. Ce dernier constat revient toujours à la problématique identifiée par Bajard (2009), déjà mentionnée dans les sections précédentes.

6. Les initiatives parascolaires

Même si l’école reste un lieu principal d’identification et de développement des talents en mathématiques, il existe de nombreux exemples d’activités informelles, récréatives et autres, en forme de concours et de compétitions mathématiques. Tandis que le mouvement des Olympiades mathématiques internationales vise les élèves particulièrement doués, on note la présence des concours qui ciblent une plus grande participation et sont ouverts à tous. Par exemple, le Concours international Kangourou a attiré, en 2015, plus de six millions d’élèves de 72 pays du monde (Singer et al., sous presse). En ce qui concerne les mathématiques récréatives, on invite les élèves qui s’intéressent aux mathématiques à se joindre aux clubs ou aux cercles, souvent animés par des étudiants et des professeurs universitaires qui partagent leur passion et leur expertise en mathématiques en proposant aux jeunes des jeux et des activités amusantes, ainsi que de beaux défis intellectuels allant souvent au-delà des contenus des programmes scolaires (Singer et al., sous presse). Les ressources Internet permettent à tous les amateurs de mathématiques de se trouver une activité à leur goût (jeux interactifs, énigmes, vidéos, etc.). Le site Internet de langue française Récréomath en donne un bon exemple (http://www.recreomath.qc.ca/). Certaines initiatives parascolaires ont été lancées au Nouveau-Brunswick, au cours de dernières années. Nous en présentons quelques exemples dans les prochains paragraphes.

6.1. Le Marathon virtuel des mathématiques

Cette initiative offre l’occasion aux élèves de résoudre des problèmes mathématiques qui posent un défi dans leur propre temps. En fait, un nouveau site Internet nommé Le Marathon virtuel des mathématiques (www8.umoncton.ca/umcm-mmv/) a été conçu dans le cadre du programme Promoscience du CRSNG et permet à tous les élèves, incluant ceux qui sont doués et talentueux, d’avoir de plus grands défis en participant à des compétitions qui durent de 10 à 15 semaines (Freiman, et Applebaum, 2009). Quatre problèmes ayant un niveau de difficulté différent sont posés chaque semaine. Les participants doivent résoudre ces problèmes en indiquant leurs stratégies et la réponse finale. Des points sont attribués pour les bonnes réponses et stratégies. Il existe aussi un classement général disponible qui affiche tous les participants du concours avec un nombre de points qu’ils ont accumulés dans le marathon. Ce site est maintenant bilingue et les compétitions sont accessibles à l’échelle internationale. Alors que les écrits scientifiques se préoccupent de la dominance des garçons dans les activités d’enrichissement en mathématiques en salle de classe, le milieu virtuel semble attirer également les filles, ce que confirme l’analyse de la participation au Marathon faite par Applebaum, Kondratieva, et Freiman, 2013. On note toutefois une diminution de la participation à mesure que le marathon progresse. On ignore les raisons de cette diminution, mais il est plausible de suggérer que les jeunes qui vivent les succès en salle de classe peuvent perdre l’intérêt s’ils ne réussissent pas à résoudre les problèmes ou qu’ils jugent minimes les chances de gagner un prix. Une culture de persévérance et de résilience visée par ce type d’activités serait un élément important à développer chez les jeunes.

6.2. Concours des mathématiques provinciales

Il existe également quelques concours de mathématiques offerts annuellement pour l’ensemble des élèves de la province. Ces concours sont un autre moyen de stimuler les élèves doués (Bicknell, 2008) au-delà d’un curriculum scolaire. Un premier concours est le Concours de mathématiques du Nouveau-Brunswick qui est bilingue et est organisé conjointement par l’Université de Moncton pour le secteur francophone et l’University of New Brunswick pour le secteur anglophone. Ce concours est destiné aux élèves de la 7e à la 9e année. Chaque école peut envoyer un élève de plus que le nombre de classes pour le niveau à l’école. Par exemple, si une école a trois classes de septième année, deux classes de huitième année et trois classes de neuvième année, quatre élèves de septième année, trois élèves de huitième année et quatre élèves de neuvième année peuvent représenter leur école lors du concours. Ce concours consiste à répondre à 26 questions à choix multiple. Des prix sont attribués aux élèves qui obtiennent les meilleurs résultats au niveau universitaire et dans chaque district scolaire. Puisque les questions posées dans le concours sont des défis de grande taille, les élèves les plus forts de chaque école sont généralement choisis pour participer à ce concours qui a lieu sur les sites universitaires.

6.3. Concours Poincaré et Opti-Math

Un autre concours de mathématiques intitulé le Concours Poincaré est aussi organisé pour offrir des défis de grande taille aux jeunes adultes. Contrairement au concours provincial, le Concours Poincaré est seulement destiné aux élèves francophones de la province qui suivent le cours de mathématiques avancé de 12e année ou à ceux qui participent au programme du Baccalauréat international qui est offert dans une seule école de la province. De plus, ce concours consiste en six questions à élaboration et les élèves doivent démontrer tout leur travail. Des prix sont attribués pour les meilleurs résultats au concours. Même si ce concours est destiné aux élèves de la fin du secondaire, des élèves qui ne sont pas à ce niveau scolaire peuvent exceptionnellement y participer. Dans les premières éditions du concours, un élève de neuvième année identifié comme étant doué a participé à ce concours et a obtenu le premier prix. Ce concours a lieu dans chaque école à une heure et une date déterminée.

Les élèves francophones peuvent aussi participer à des concours nationaux tels que l’Opti-Math qui est ouvert aux élèves âgés de 12 à 18 ans. Ce concours offre l’occasion à environ 100 000 élèves francophones à travers le Canada de démontrer leurs habiletés en résolution de problèmes de haut niveau cognitif. Ce concours comprend 12 à 15 questions à élaboration, et les points sont accordés pour la qualité du travail. Des prix sont attribués aux élèves obtenant les meilleurs résultats dans chaque région du Canada.

6.4. Nuits, clubs et camps mathématiques

D’autres types d’activités parascolaires qui peuvent attirer les élèves doués peuvent être organisés par les districts scolaires avec de l’aide des parents et d’enseignants enthousiastes. Par exemple, les « nuits mathématiques » permettaient à plus d’une centaine d’élèves de plusieurs écoles de passer une nuit dans une école et de participer à différentes compétitions comme des jeux d’échecs, et aussi faire d’autres activités mathématiques et scientifiques.

Une collaboration avec l’université donne également naissance à différentes activités d’enrichissement. Par exemple, Donald Violette, professeur au Département des mathématiques et de la statistique de l’Université de Moncton, a lancé plusieurs projets visant les élèves doués afin de promouvoir la culture mathématique dans les milieux francophones de la province, dont celui appelé Le camp de mathématiques de l’Acadie, qui représente une suite logique du Concours Poincaré. Ce camp s’adresse aux élèves qui se sont classés parmi les dix premiers au Concours Poincaré. En plus de promouvoir les mathématiques et de favoriser les échanges entre des jeunes francophones qui manifestent un intérêt et un talent pour les mathématiques, ce camp vise à les encourager à poursuivre des études supérieures dans ce domaine. Le professeur Paul Deguire (Université de Moncton) du même département anime, depuis quelques années, un club des mathématiques dans une école francophone de Dieppe, en donnant aux jeunes de troisième à la cinquième année des occasions de faire des mathématiques plus amusantes et différentes du programme scolaire.

7. Discussion et conclusion

Les exemples analysés dans cet article illustrent des possibilités locales novatrices organisées par l’entremise de collaborations entre les institutions postsecondaires et les écoles, qui contribuent à rendre la classe de mathématiques inclusive plus ouverte aux élèves doués. Cependant, un grand nombre de questions liées à l’éducation des élèves doués et talentueux pour les mathématiques ne sont pas résolues. Déjà, le mot « douance » peut être interprété de différentes manières, ce qui peut avoir une influence sur les outils et les critères utilisés pour identifier les élèves pour ces programmes et ces activités. Quels outils doivent être utilisés? Dans quelles circonstances? Devrait-on créer un système d’identification provinciale uniforme? Quels rôles pourraient jouer les parents dans les programmes de soutien pour les élèves doués et talentueux (dans le cas où leurs propres enfants sont identifiés comme doués ou lorsque d’autres enfants dans la classe de leur enfant sont identifiés)?

N’ayant pas assez de données de recherche disponibles, il est difficile de dresser un portrait plus complet de la douance mathématique et de juger de l’efficacité des programmes et des activités citées. Comme mentionné par certains auteurs, les salles de classe ne fournissent pas toujours un environnement intellectuellement stimulant pour les élèves doués et talentueux, ce qui peut mener à la situation où non seulement un fort potentiel de doué pour les mathématiques peut rester non découvert et sous-exploré, mais aussi les élèves qui ne s’inscrivent pas dans la routine de l’école peuvent présenter de problèmes de comportement (Maccagnano, 2007; McCoach, et Siegle, 2008).

D’autre part, il existe de nombreux types de douance et de méthodes pour identifier et aider ces élèves; et ils sont parfois contradictoires. Il est très difficile et peut même être impossible de trouver une solution appropriée dans tous les cas présents. Beaucoup repose sur les enseignants, leur professionnalisme, le dévouement et l’enthousiasme. La formation des enseignants est de plus en plus cruciale. Les données d’une enquête rapportées par Bajard (2009) permettent de dessiner un profil des enseignants qui travaillent avec passion pour les élèves doués. D’après cette auteure, ces enseignants sont enthousiastes et montrent une forte volonté de favoriser la croissance intellectuelle de leurs élèves. Ils ont besoin de rechercher l’excellence en eux-mêmes et chez les autres. Ils sont sûrs d’eux et ne se sentent pas menacés par leurs élèves qui apprennent à une vitesse surprenante. Ils ont besoin de faire preuve de souplesse et d’une tolérance dans l’ambiguïté. Ils ont besoin de prendre des risques et de maintenir des rapports intuitifs et émotionnels avec les élèves. Ils ont besoin de croire en l’importance des différences individuelles et de les respecter. Les enseignants dans ces circonstances doivent faciliter et guider plutôt que de dispenser un enseignement direct. Ils sont positifs, bien organisés et méthodiques. Surtout, ils doivent avoir un sens de l’humour (Bajard, 2009).

Comment préparer ces enseignants? Récemment, nous avons réalisé deux études comparant les enseignants et les points de vue des enseignants en formation initiale par rapport aux élèves mathématiquement prometteurs et leurs besoins au Canada et en Israël, ainsi que leur volonté de travailler avec ces élèves dans la salle de classe. Sans généraliser nos résultats, il est intéressant de mentionner que, tandis que les enseignants dans les deux pays constatent qu’ils ont besoin d’en apprendre davantage sur les traits psychologiques des élèves doués en mathématiques, il y a moins d’accord sur le genre de connaissances mathématiques que les enseignants doivent posséder. À savoir, 100 % des participants israéliens étaient d’accord ou fortement d’accord que les enseignants ont besoin d’apprendre comment résoudre les problèmes ouverts par rapport à seulement 60 % de leurs collègues canadiens qui semblent partager ce point de vue au même niveau de l’accord (Applebaum, Freiman, et Leikin, 2011).

Une autre étude avec de futurs enseignants inscrits à des cours d’enseignement de mathématiques au Québec et au Nouveau-Brunswick a examiné leurs perceptions au sujet du projet CAMI et de leur capacité à analyser de multiples stratégies et styles de communication utilisés par les élèves pour résoudre des problèmes complexes, contextualisés et parfois ouverts affichés sur le site Internet. Bien que la majorité des participants aient trouvé utile d’avoir la possibilité de résoudre des problèmes mathématiques complexes en ligne, ainsi que d’analyser les solutions des élèves dans le cadre de leurs cours de didactique, ils ont montré moins de compétences à voir les erreurs dans les solutions et à donner aux élèves les commentaires appropriés (LeBlanc et Freiman, 2011).

Le dernier point à mentionner, mais l’un des premiers par son importance, est lié à la spécificité du contexte de minorité linguistique française dans lequel nous travaillons. Surtout, la pénurie de ressources et l’absence de stimulation peuvent inciter les élèves doués provenant des familles francophones à fréquenter des écoles anglophones qui leur présenteraient plus de défis, selon les résultats rapportés par Bajard (2009). Elle a constaté, entre autres, qu’en l’absence de statistiques précises sur l’identification des dons dans les communautés minoritaires, il y a un danger que les élèves doués dans les communautés francophones en situation minoritaire ne soient tout simplement pas identifiés en raison d’un manque de ressources (Bajard, 2009).

À l’une des réunions du Groupe d’étude canadien de mathématiques, les participants ont examiné différents enjeux et perspectives de la douance (Barbeau, Freiman, et Kondraiteva, 2009). Ils ont convenu que l’identification des élèves doués se heurte à des risques, et ont souligné les avantages de regrouper ces élèves dans des groupes homogènes. Alors qu’il semble plausible de reconnaître que certains élèves possèdent des capacités spéciales en mathématiques, il est difficile de définir des critères appropriés. En outre, est-il possible d’avoir des instruments et des tests que les enseignants peuvent appliquer selon les critères de compétence et de façon équitable? La douance est-elle nécessairement un attribut permanent, ou peut-elle être temporaire? Comment identifier les élèves doués dans une classe ordinaire? Doit-on procéder par leur engagement à certains types d’activités telles que la résolution de puzzles, ou par une formulation de questions? Comment le fait d’être un travailleur acharné interagit-il avec un construit d’être « intelligent »? Quel est l’effet de l’étiquetage sur l’élève? Quelles sont les questions d’équité et de justice sociale qui doivent être prises en considération? (Barbeau, Freiman, et Kondratieva, 2009). Ces questions demeurent actuelles de nos jours et méritent d’être examinées lors de futures recherches et dans les pratiques scolaires.

Dans un système éducatif où tous les élèves suivent le même parcours académique de la maternelle à la 12e année, et où il n’existe aucune régulation interne au-delà des programmes parascolaires pour les élèves doués, il n’est donc pas surprenant que les enseignements offerts aux élèves doués en mathématiques reposent la plupart du temps sur les conditions particulières de l’école (direction de l’école, l’engagement et les qualifications des enseignants, les ressources, les approches d’enseignement) et le soutien à l’extérieur de l’école (la famille, la communauté, le marché du travail, l’université, etc.). En fait, une étude détaillée du système scolaire inclusif au Nouveau-Brunswick a révélé l’absence d’une politique claire et des ressources en ce qui a trait à l’éducation des élèves doués (Mackay, 2006). Ce rapport souligne que les élèves doués sont l’un des groupes les plus souvent négligés parmi les élèves ayant des besoins particuliers. Une des raisons invoquées est que l’étiquetage d’un élève comme doué ne convient pas parce que chaque élève est doué d’une certaine manière. Une autre raison est l’absence de compléments d’enrichissement aux matières dans les programmes scolaires. Malgré la présence de différentes recommandations dans le rapport Mackay, la situation demeure essentiellement la même cinq ans plus tard, comme le soulève une étude subséquente effectuée par AuCoin et Porter, 2012. La construction d’un modèle d’une école inclusive pour tous les élèves doit donc se poursuivre.

Une réflexion continue sur l’expérience du Nouveau-Brunswick dans la livraison des enseignements aux élèves doués en mathématiques, pour répondre à leurs besoins spéciaux, doit être basée sur deux points de vue : (1) la douance dans le système éducatif, en général, et dans les milieux linguistiques minoritaires et (2) la douance dans le curriculum de mathématiques et les activités parascolaires. Plusieurs questions discutées dans cet article par rapport à l’identification et de l’encadrement approprié des élèves doués ne peuvent pas être résolues dans un contexte isolé d’enseignement de mathématiques. Cependant, notre analyse peut être utile pour examiner des perspectives plus larges qui ouvrent des pistes de questionnement et de recherches futures.