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Introduction

Malgré la Loi sur les services en français (1986) de l’Ontario et la Loi constitutionnelle de 1982 du Canada, les populations franco-ontariennes vivent plusieurs difficultés en raison des rapports de pouvoir liés à la langue. Par exemple, elles se heurtent à un processus de minorisation par lequel elles se voient défavorisées, notamment en ce qui a trait à l’accès aux soins de santé et aux services sociaux (Roy, 2006; Bouchard, Beaulieu et Desmeules, 2012). Ce rapport de pouvoir asymétrique lié à la langue entraîne l’invisibilité des communautés francophones, de leurs particularités, de même que de leurs besoins (Zaninetti, 2013; Stebbins, 2004).

Pour les femmes francophones vivant en contexte minoritaire ontarien (appelées ci-après « femmes FCMO »), l’insuffisance des services de santé et des services sociaux francophones et la menace d’assimilation semblent particulièrement problématiques (Brunet, et collab., 1998). La minorisation du français exacerbe souvent les problématiques que les femmes francophones vivent (Côté, Lapierre et Levesque, 2015), et le manque de services de qualité risque de compromettre leur santé (Lapierre, et collab., 2014). C’est pourquoi il nous apparaît pertinent de nous intéresser plus précisément aux expériences des femmes FCMO.

Cet article présente les principaux résultats d’un mémoire de maîtrise portant sur l’expérience de la précarité des femmes francophones en contexte minoritaire ontarien. Il s’intéresse plus spécifiquement aux Franco-Ontariennes de la région d’Ottawa. Le projet de recherche aborde particulièrement les expériences de ces femmes dans une perspective intersectionnelle, à travers le prisme de la violence structurelle. Si quelques études (Lapierre, et collab., 2014; Coderre et Hart, 2003) ont documenté les problèmes d’accès aux services sociaux et de santé de même que les difficultés économiques auxquelles ces femmes sont exposées, peu de recherches ont abordé de façon générale l’expérience de ces femmes sous l’angle de la précarité sociale. Cet article s’intéresse aux violences structurelles avec lesquelles les femmes rencontrées doivent composer et qui contribuent à construire différents contextes de précarité sociale.

Cet article présente d’abord l’état des connaissances concernant les femmes francophones en contexte minoritaire ontarien. Puis, il montre comment l’opérationnalisation de l’intersectionnalité, à travers la grille d’analyse de la violence structurelle proposée par Flynn, et collab. (2014), peut être éclairante pour analyser de façon dynamique la précarité telle qu’elle est vécue et nommée par les femmes. Il revient par la suite sur les principaux repères méthodologiques déployés pour la réalisation de cette étude. Il se termine par la présentation des principaux résultats de l’étude.

La réalité des femmes francophones en contexte minoritaire ontarien — état des connaissances

Les communautés francophones vivent dispersées partout au pays et présentent des profils variés selon les contextes démographiques et socioéconomiques (Bouchard, et collab., 2015). Or, c’est en Ontario qu’on trouve la plus grande population de francophones à l’extérieur du Québec. En 2011, on estimait que la population francophone de l’Ontario se chiffrait à 611 500 personnes, ce qui représente 5 % de la population totale de la province (Commissariat aux services en français, 2014).

En ce qui a trait aux femmes francophones, en 2006, elles constituaient à peu près 52,7 % de la population francophone de la province et 4,8 % de la population totale des femmes de l’Ontario (Cardinal, Plante et Sauvé, 2006). La majorité des femmes franco-ontariennes (53,7 %) ont entre 30 et 64 ans (Cardinal, Plante et Sauvé, 2006). Les femmes francophones constituent 57,4 % de la population franco-ontarienne âgée de 65 ans et plus (Cardinal, Plante et Sauvé, 2006). Par ailleurs, 2,4 % des femmes francophones de l’Ontario déclarent une identité autochtone (Cardinal, Plante et Sauvé, 2006), alors que les femmes francophones issues de l’immigration composent 11,5 % de la population des femmes francophones de la province. Dans la région de l’est de la province, 90,5 % des femmes francophones issues de l’immigration vivent dans la ville d’Ottawa.

La pauvreté demeure un problème fréquemment occulté dans l’histoire des revendications des Franco-Ontariens, puisque la défense des droits des plus pauvres ne faisait pas partie de leurs luttes traditionnelles (Welch, 1995; Coderre et Dubois, 2000). Si, en 2006, le revenu d’emploi médian des francophones de l’Ontario était supérieur de près de 3 500 $ à celui de la population générale, les francophones âgés de 55 ans et plus constituent une exception (Association française des municipalités de l’Ontario, 2009). En d’autres mots, bien que des données récentes (Conseil de planification sociale d’Ottawa, 2010a; Cardinal, Plante et Sauvé, 2006) illustrent que les nouvelles générations issues des communautés francophones se retrouvent dans une situation socioéconomique beaucoup plus favorable que celle de leurs ancêtres, plusieurs francophones ont une situation financière inférieure à la moyenne provinciale.

Par rapport aux femmes FCMO, elles sont proportionnellement plus nombreuses dans les tranches de revenu total de 19 999 $ et moins (51,3 %) que la population francophone en général (41,7 %) (Conseil de planification sociale d’Ottawa, 2010a; Cardinal, Plante et Sauvé, 2006). En effet, les Franco-Ontariennes représentent 64,3 % des francophones ayant un revenu de 19 999 $ et moins (Conseil de planification sociale d’Ottawa, 2010a; Cardinal, Plante et Sauvé, 2006). Il est intéressant de noter que l’écart salarial entre les hommes et les femmes francophones est plus faible que dans la population totale (Conseil de planification sociale d’Ottawa, 2010a; Cardinal, Plante et Sauvé, 2006). En effet, le revenu d’emploi moyen des femmes francophones représente 70,8 % du revenu d’emploi moyen des hommes francophones, alors que ce taux est de 64,5 % dans la population totale (Conseil de planification sociale d’Ottawa, 2010a; Cardinal, Plante et Sauvé, 2006).

En 2006, 151 760 francophones habitaient à Ottawa, soit 18,9 % de la population totale (Conseil de planification sociale d’Ottawa, 2010a). Bien que les francophones d’Ottawa présentent des niveaux de revenu et de pauvreté globaux semblables à ceux de la population générale, certains sous-groupes sont aux prises avec des difficultés économiques plus importantes (Conseil de planification sociale d’Ottawa, 2010b, p. 5). Tout comme dans l’ensemble de la population, le revenu médian des femmes francophones était en 2006 moins élevé que celui des hommes francophones, mais les francophones bilingues avaient généralement des revenus médians supérieurs à ceux des francophones unilingues (Conseil de planification sociale d’Ottawa, 2010b). Enfin, les francophones issus de l’immigration, les francophones ayant un handicap et les aînés francophones étaient tous confrontés à l’exclusion économique (Conseil de planification sociale d’Ottawa, 2010b).

Drolet, Dubouloz et Benoît (2014) affirment que « l’appartenance à un groupe linguistique minoritaire est maintenant de plus en plus reconnue comme un déterminant dans le domaine des services sociaux et de santé, surtout que la communication verbale s’avère tellement à la base de l’intervention à l’intérieur de ces champs de pratique. » Nous proposons ainsi de considérer qu’en situation minoritaire, la langue est une entrave à l’épanouissement économique en raison des facteurs sociaux, des préjugés et de la dévalorisation de la culture et de la langue. À cet effet, plusieurs études (Lapierre, et collab., 2014; Bouchard et Desmeules, 2011; Benoit, et collab., 2012) montrent des disparités importantes entre la santé générale des anglophones et des francophones en Ontario. Ces écarts seraient attribuables aux obstacles structuraux auxquels sont confrontées les populations francophones dans les principaux réseaux d’aide. À cet effet, Bouchard et Desmeules (2011) soutiennent que « le rapport minoritaire/majoritaire semble traduire une inégalité sociale et d’accès aux ressources qui, en s’ajoutant à d’autres déterminants de la santé (statut socioéconomique, éducation et littératie, immigration), contribue de facto aux disparités de santé. »

Dans cette perspective, les rapports de pouvoir liés à la langue se traduisent également par des inégalités sociales et d’accès aux ressources pour les femmes FCMO (Bouchard et Leis, 2008). Bien que le Comité canadien contre la violence faite aux femmes ait conclu en 1993 que le manque de services en français pour les femmes francophones vivant en contexte minoritaire porte atteinte à l’intégrité des femmes, les femmes francophones sont encore confrontées à de multiples difficultés liées à l’accès à des services sociaux et de santé sur une base régulière (Lapierre, et collab., 2014). D’ailleurs, les répercussions néfastes qui découlent du rapport minoritaire lié à la langue française en Ontario peuvent exacerber les problématiques vécues par les femmes francophones (Côté, Lapierre et Levesque, 2015).

Si plusieurs concluent à un manque de services sociaux et de santé accessibles aux francophones en Ontario, il existe toutefois dans la province des réseaux d’aide qui sont destinés aux femmes francophones. Notons d’abord la ligne téléphonique FEM’AIDE, qui offre aux femmes FCMO du soutien, des renseignements et de l›aiguillage vers les services appropriés dans leur collectivité 24 heures par jour, sept jours par semaine. Soulignons que la ligne d’écoute n’est disponible que dans trois régions urbaines de la province, soit Toronto, Ottawa et Sudbury. Dans la région d’Ottawa, par exemple, les services en français accessibles aux femmes FCMO incluent le Centre francophone d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel d’Ottawa (CALACS), la Maison d’amitié, le Centre espoir Sophie, le Service familial catholique d’Ottawa ainsi que les centres de ressources communautaires de la Basse-ville, de Vanier et de Cumberland, entre autres.

Bien qu’il existe un réseau d’aide accessible aux femmes francophones, particulièrement dans la région d’Ottawa où habite une assez forte concentration de francophones, les femmes FCMO peuvent se buter à plusieurs obstacles pour accéder à ces services. Faute de financement adéquat, plusieurs organismes peinent à maintenir les services en langue française et ne peuvent pas embaucher autant d’employées francophones qu’ils jugent nécessaires. De plus, les organismes qui s’affichent comme étant bilingues ne peuvent pas toujours offrir leurs services en français et en anglais (Lapierre, et collab., 2014). S’ajoutent à ces difficultés les listes d’attente pour accéder aux services ainsi que les lacunes liées à la promotion et à la visibilité des services en français (Lapierre, et collab., 2014).

Si plusieurs études se sont penchées sur l’accessibilité des ressources sociales et de santé pour les femmes FCMO, il en reste encore beaucoup à comprendre sur les différents défis auxquels elles font face quotidiennement. Peu de données empiriques présentent un portrait détaillé de cette population et décrivent les liens que ces femmes entretiennent avec le milieu scolaire et le marché de l’emploi, par exemple. L’état des connaissances présenté dans cette section montre que plusieurs femmes FCMO vivent en situation de pauvreté et qu’elles sont confron……tées à différents obstacles lorsqu’elles tentent d’obtenir de l’aide. Il apparaît donc pertinent de s’attarder à la précarité sociale des femmes FCMO dans une perspective intersectionnelle afin de mieux comprendre les processus sociaux qui contribuent à engendrer des conditions de vie difficiles pour ces femmes et d’identifier les stratégies qu’elles déploient pour les surmonter.

Les femmes FCMO et la précarité sociale

Compte tenu de l’organisation sociale actuelle, de plus en plus de groupes sociaux aux franges de la société vivent un processus d’exclusion (Paugam, 1996a). La précarité vécue par ces populations est un produit de cette exclusion. Dans cette perspective, dans son rapport présenté à l’État français et intitulé Grande pauvreté et précarité économique et sociale, Wresinski montre que :

La précarité est l’absence d’une ou plusieurs des sécurités permettant aux personnes et familles d’assumer leurs responsabilités élémentaires et de jouir de leurs droits fondamentaux. L’insécurité qui en résulte peut être plus ou moins étendue et avoir des conséquences plus ou moins graves et définitives. Elle conduit le plus souvent à la grande pauvreté quand elle affecte plusieurs domaines de l’existence, qu’elle tend à se prolonger dans le temps et devient persistante, qu’elle compromet gravement les chances de reconquérir ses droits et de réassumer ses responsabilités par soi-même dans un avenir prévisible.

Wresinski, 1987, p. 25

Plusieurs problématiques découlent de cette insécurité. En raison des enjeux de pouvoir liés à la langue, les femmes FCMO exclues de certains domaines de la vie sociale sont à risque d’être précarisées en vivant des incertitudes financières, sociales, alimentaires et matérielles. En vue de repositionner cette précarité comme étant le produit de différents processus sociaux, il apparaît important de s’y intéresser sous l’angle de la violence structurelle et d’identifier différentes pistes d’intervention sociale afin de la prévenir et de la surmonter. La violence structurelle est définie comme étant le processus à la racine des inégalités sociales qui engendre de la souffrance et de la difficulté à combler ses besoins et porte atteinte aux droits de la personne (Farmer, 2004; Ho, 2007; Scheper-Hughes et Bourgois, 2004). Sachant que l’état des connaissances montre l’exclusion des femmes FCMO des sphères du travail et des sphères sociales et que l’exclusion peut être repositionnée comme un processus de violence structurelle contribuant à précariser les conditions de vie des femmes marginalisées, il nous apparaît pertinent d’analyser la précarité des femmes FCMO selon cette grille d’analyse. Néanmoins, si la violence structurelle permet d’analyser les dimensions microsociales et macrosociales de l’expérience des femmes, il importe d’y ajouter une analyse qui tient compte des différents positionnements illustrant les rapports de pouvoir qui contribuent à la produire (Flynn, et collab., 2014) au-delà de ceux liés à la langue. C’est ici que l’intersectionnalité apparaît éclairante.

Le paradigme de l’intersectionnalité

L’émergence de l’intersectionnalité découle de la théorisation du black feminism (féminisme noir) et de la mise en évidence des rapports entre le sexisme, le racisme et d’autres axes d’oppression et de domination dans la vie des femmes marginalisées (Lamboley, et collab., 2014). Dès ses premiers balbutiements, la race a été un axe d’oppression abordé d’abord par Cooper (1892) et ensuite par Du Bois (1903) dans leurs écrits. Les auteurs critiquaient le mouvement des suffragettes puisqu’il négligeait les réalités et les particularités des femmes afro-américaines au sein de leurs luttes. Toutefois, la pensée intersectionnelle telle qu’on la connaît aujourd’hui trouve ses racines dans « les critiques de féministes noires-américaines à l’endroit du féminisme blanc » (Harper, et collab., 2012, p. 5).

Pendant les années 1970 jusqu’au milieu des années 1990, des auteures telles que bell hooks (1984), Crenshaw (1991) et Collins (1993) remettent en question le féminisme américain de la deuxième vague, qui semble minimiser la racisation des femmes afro-américaines dans son analyse radicale des inégalités sociales, en ne tenant pas compte des conséquences de l’esclavage et du colonialisme (Harper, et collab., 2012). Justement, les féministes activistes afro-américaines, hispano-américaines et indiennes cherchent à susciter un questionnement sur la capacité de ce féminisme blanc et bourgeois à prendre en compte l’hétérogénéité des statuts sociaux et des identités et la multiplicité des expériences des femmes (Harper, et collab., 2012; Bilge, 2010; Corbeil et Marchand, 2006). À cet effet, l’identité francophone des femmes FCMO est toujours mise de l’avant au détriment de l’identité féminine, alors que les deux conditions s’opèrent simultanément. Dans son article intitulé Mapping the Margins: Intersectionality, Identity Politics and Violence against Women of Color (1991), Crenshaw introduit le terme de l’intersectionnalité. Son objectif était de développer un modèle concret pour l’examen des oppressions vécues par les femmes des communautés noires afin d’élaborer une stratégie politique revendicatrice visant à contester et à transformer les rapports sociaux fondés sur l’inégalité (ibid.).

Tandis que l’intersectionnalité est largement associée au féminisme afro-américain, il y a des féministes européennes qui ont également contribué au développement de ce paradigme (Harper, et collab., 2012). En effet, des auteures telles qu’Anthias (2005), Knudsen (2006), Prins (2006) et Yuval-Davis (2006) auraient davantage examiné la complexité des rapports sociaux et de pouvoir, ainsi que le pouvoir d’agir des acteurs. Il va de soi que le contexte historique et social dans lequel a émergé l’intersectionnalité nous permet de mieux saisir ses origines, son évolution et les débats qui l’entourent présentement (Harper, et collab., 2012).

Depuis, l’intersectionnalité suscite un intérêt académique important puisqu’elle apparaît comme une piste d’interprétation à envisager afin de prendre en compte l’expérience des populations de femmes des différents niveaux et des divers axes de subordination (Flynn, et collab., 2016). Pour Corbeil et Marchand (2006), « le concept d’intersectionnalité apparaît comme un outil d’analyse pertinente, d’une part, pour comprendre et répondre aux multiples façons dont les rapports de sexe entrent en interrelation avec d’autres aspects de l’identité sociale et, d’autre part, pour voir comment ces intersections mettent en place des expériences particulières …d’oppression et de privilège. » Diverses identités sociales et conditions peuvent complexifier les expériences d’oppression. Un parcours d’immigration, la racisation, le statut socioéconomique, entre autres, sont des facteurs qui influencent la construction subjective de l’expérience.

Le paradigme de l’intersectionnalité apparaît prometteur pour explorer les réalités et les expériences de la précarité des femmes francophones vivant en contexte minoritaire. Or, il y a certaines limites à considérer. Dans un premier temps, l’intersectionnalité porte à confusion en raison de sa nature ambiguë et floue. Pour certaines auteures, l’intersectionnalité est une théorie, pour d’autres, un concept. D’autres encore saisissent l’intersectionnalité comme une stratégie de lecture des analyses féministes. Dans un deuxième temps, la mise en oeuvre d’un tel cadre d’analyse et d’intervention comporte des défis puisque son opérationnalisation demeure complexe et ambitieuse (Corbeil et Marchand, 2006). Néanmoins, l’analyse intersectionnelle propose plusieurs outils théoriques pour engager un changement social important et apporter une meilleure compréhension des réalités et des oppressions des femmes FCMO, dont l’analyse proposée par Flynn, et collab. (2014) à partir de la grille d’analyse de la violence structurelle.

Opérationnaliser le féminisme intersectionnel en termes de violence structurelle

Compte tenu des positionnements complexes des femmes FCMO et des différents rapports de pouvoir susceptibles de construire leur précarité, il apparaît qu’une analyse intersectionnelle à partir de la grille d’analyse de la violence structurelle est pertinente. Si les principaux auteurs du concept de la violence structurelle sont critiqués pour leur vision déterministe, Flynn, et collab. (2014) proposent une grille d’analyse plus dynamique (présentée à la figure 1), inspirée par les écrits sur l’intersectionnalité. Dans le présent article, nous examinons d’abord les facteurs structuraux qui créent des conditions par lesquelles les femmes FCMO sont exclues et peuvent vivre la précarité sociale. Nous nous attardons ensuite aux expériences intersubjectives de ces femmes à travers les dimensions symbolique, institutionnelle, quotidienne et intersubjective.

Figure 1

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La grille repose sur les travaux de différents auteurs qui tracent les liens entre les principes de l’intersectionnalité et le concept de la violence structurelle (hooks, 1984; Crenshaw, 1991). L’étude de la violence structurelle passe par l’analyse de la domination symbolique et des violences institutionnelle et quotidienne (Scheper-Hughes et Bourgois, 2004). Les personnes marginalisées font l’expérience d’inégalités complexes et multiples (Flynn, et collab., 2014) puisque l’expérience de la domination ne peut se réduire essentiellement à un seul axe de subordination. La violence institutionnelle réfère ainsi à « la violence perpétrée par l’État et les différentes institutions comme les établissements de santé et de services sociaux » (Foucault, 1975). Ensuite, le caractère flou de la violence structurelle participe à maintenir dissimulés les liens avec la domination symbolique et la violence quotidienne.

Dans la mesure où l’on s’intéresse à l’expérience de la précarité des femmes FCMO, il est nécessaire de considérer les rapports sociaux contribuant à engendrer la précarité comme un ensemble de facteurs insécable (Flynn, et collab., 2014). L’intersubjectivité permet de donner la parole aux femmes afin qu’elles puissent s’exprimer et se positionner par rapport aux violences vécues (Flynn, et collab., 2014). C’est ainsi que la grille d’analyse permet une analyse plus transversale où se révèlent les rapports de pouvoir qui construisent les expériences de la précarité des femmes francophones en contexte minoritaire ontarien. Dans cette perspective, les femmes FCMO articulent leurs récits autour des positionnements et des rapports de pouvoir qui prédominent dans leurs vies.

Pour mieux comprendre la complexité des problématiques vécues par les communautés francophones

Les femmes FCMO font face à plusieurs difficultés qui exacerbent les problématiques qu’elles vivent. Ces processus sont traversés par divers rapports de pouvoir liés notamment à la langue, au genre, à la race et à la classe. Pour permettre de mieux comprendre la complexité de la précarité vécue par les femmes FCMO, l’opérationnalisation de l’intersectionnalité à travers le prisme de la violence structurelle nous semble éclairante.

Cette analyse apparaît particulièrement pertinente dans notre discipline d’intérêt, soit le service social, qui adopte une analyse double des problèmes sociaux. D’une part, la discipline préconise une critique des sociétés, des structures et des institutions sociales. D’autre part, les travailleuses et travailleurs sociaux cherchent des pistes d’interventions et de pratiques relativement aux conséquences des problématiques sociales. Ainsi, étudier la violence structurelle par l’entremise de cette grille permet une analyse compréhensive de la double lecture proposée par la discipline (Flynn, et collab., 2014). Cette analyse n’est alors possible qu’à partir de la sollicitation de la parole des femmes.

Méthodologie

Lors des entretiens qualitatifs menés dans le cadre du projet qui fait l’objet du présent article, il est devenu évident que les réalités et les trajectoires de ces femmes FCMO étaient complexes et hétérogènes. À partir d’une approche féministe et d’une méthodologie de recherche qualitative de type exploratoire, nous avons procédé à des entrevues individuelles à questions ouvertes sur la thématique de la vie des femmes en contexte minoritaire ontarien. L’échantillon de l’étude était constitué de six femmes francophones adultes ayant différents âges et ayant connu différents parcours de vie. Ces femmes francophones vivaient en Ontario et fréquentaient une halte d’accueil francophone et féministe au centre-ville d’Ottawa. Les femmes FCMO qui ont participé à l’étude sous leurs pseudonymes (Agathe, Tara, Marie, Jiji, Angélique et Josée) avaient eu un parcours en immigration, étaient mères, étaient monoparentales, pratiquaient des religions variées et s’identifiaient à divers groupes culturels. Les entrevues ont été transcrites en fonction de certains thèmes qui s’articulaient autour des quatre dimensions de la grille d’analyse de la violence structurelle. Par conséquent, nous avons analysé et interprété les données d’après cette grille afin de mieux saisir les expériences complexes de la précarité chez les participantes.

La spirale de la violence structurelle chez les femmes FCMO de la région d’Ottawa

Si les femmes francophones rencontrées vivent en contexte minoritaire ontarien et font chacune l’expérience de la précarité sociale, cette similitude ne se reflète pas forcément dans leurs expériences et dans leur construction intersubjective de leur expérience. La précarité vécue par les participantes de notre étude se manifeste par l’instabilité résidentielle à laquelle elles font face dans leurs vies quotidiennes, par l’inaccessibilité du marché de l’emploi, ainsi que par la dégradation des liens sociaux avec leur entourage. Cette précarité entraîne chez les femmes différents problèmes de santé physique et mentale qui, à leur tour, contribuent à exacerber leurs expériences de la précarité. Dans cette section, nous présentons la spirale de la précarité sociale des participantes et repositionnons celle-ci à travers les différents processus de violence structurelle qui contribuent à la produire. L’utilisation de noms fictifs permet ici d’assurer la confidentialité des participantes.

Comme nous l’avons indiqué précédemment, la grille d’analyse de la violence structurelle comporte quatre dimensions qui s’interpellent les unes les autres (Flynn, et collab., 2014). L’étude de la violence structurelle passe par l’analyse de la domination symbolique et des violences institutionnelle et quotidienne et par l’intersubjectivité. Dans les paragraphes qui suivent, nous explorons les expériences de la précarité des six participantes par l’entremise des dimensions de la grille d’analyse afin de repositionner les expériences individuelles et subjectives des femmes dans un contexte social plus large, d’une façon interreliée.

La dimension de la domination symbolique renvoie ici à la façon dont les femmes FCMO rencontrées sont perçues par leur entourage ainsi qu’aux perceptions sociales à leur égard. Les femmes rencontrées subissent de la domination symbolique car, par exemple, certaines d’entre elles ne sont pas estimées suffisamment performantes pour participer au marché de l’emploi tel qu’il est organisé. Cet étiquetage se traduit par leur exclusion du marché de l’emploi, une violence institutionnelle. Le marché du travail qui s’articule autour d’une organisation sociale capitaliste et néolibérale valorise la performance et l’activité professionnelle. Ainsi, cette impossibilité d’accès pose des problèmes, car ces femmes perdent leurs appuis et leurs protections sociales. Comme l’explique une participante :

« Oui, si ma santé peut supporter ça. J’ai même été au centre communautaire pour aller faire mon CV. Oui, j’ai rencontré quelqu’un et ils m’ont dit : « Bon, si tu n’es pas capable de travailler, pourquoi tu veux aller travailler?   J’ai dit, quand quelqu’un travaille, les gens ont plus de respect pour eux et surtout pour les enfants. Quand tu travailles, quand tu fais demande avec tes enfants, ta maman, ton papa, est-ce qu’ils travaillent? Quand quelqu’un travaille, il a plus de respect pour les enfants. Oui exactement. C’est comme si quand tu ne travailles pas et t’es sur l’aide sociale, c’est comme si tu n’as rien. Comme si tu es rejeté de la société. C’est comme ça que je me sens. »

Angélique

Or, l’exclusion que relatent les femmes rencontrées découle du fait que les employeurs détiennent le pouvoir de choisir de ne pas embaucher certaines d’entre elles, en raison de leurs conditions de santé difficiles, de leur maternité ou de leur parcours migratoire. Cette même femme francophone immigrante nous explique :

« Pour le parcours humanitaire, c’était très dur. J’ai travaillé depuis… Quand je rentre dans le pays, j’ai commencé à travailler ici. Mais pour l’immigration, les gens ont dit que tu dois travailler très fort pour avoir ton papier; sinon, tu ne vas pas avoir ton papier. J’ai travaillé le jour et soir. Auparavant, j’avais beaucoup de stress. Quand on vit ici et on n’a pas de papier, quand tu rencontres ici, ils disent qu’ils renvoient beaucoup de gens dans ton pays […] J’avais peur. Je me sentais très peur. Mais j’ai dit ça me fait rien. Mais j’ai peur qu’ils étaient pour me renvoyer. »

Angélique

Les récits des participantes rappellent ici que leurs trajectoires liées au marché de l’emploi sont jalonnées de différents rapports de pouvoir liés à certaines de leurs conditions. Si la maternité ou certains problèmes de santé mentale ont contribué à exclure des femmes du marché de l’emploi ou en ont complexifié l’accès, le parcours migratoire a créé une pression supplémentaire pour qu’elles s’y intègrent. L’organisation néolibérale du marché de l’emploi s’est ici imbriquée à ces différents rapports de pouvoir pour identifier symboliquement certaines femmes comme n’étant pas suffisamment productives aux fins d’intégration au marché et les en exclure.

C’est dans cette perspective que la violence institutionnelle est reproduite par l’entremise des rapports sociaux impliqués dans la production de la domination symbolique. À cet égard, la violence structurelle se manifeste dans les expériences des femmes FCMO lors de leurs interactions sociales et de leurs contacts avec des ressources communautaires et des institutions (Yuval-Davis, 2006). Dans cette optique, il existe une ambivalence par rapport aux programmes de soutien financier puisque certains programmes de prestations aident, alors que d’autres sont insuffisants. Selon certaines participantes, les politiques liées aux programmes d’aide financière pour les femmes FCMO qui cherchent à accéder au marché de l’emploi contribuent à exclure et à précariser les femmes, une dimension au coeur de la violence institutionnelle. Par exemple, les expériences des femmes FCMO rencontrées révèlent que celles qui sont mères et qui accèdent au marché du travail voient leurs prestations familiales réduites, et ce, malgré la piètre qualité et l’inconstance des emplois auxquels elles ont accès. Une femme francophone rencontrée nous livre le témoignage suivant :

« Le problème ici, je viens ici et je pense à travailler et je fais mes calculs et je trouve à chaque fois que si mon mari, par exemple, touche […] un peu plus dans son salaire, le gouvernement réduit l’argent des enfants. […] Mon mari travaille les week-ends pour augmenter son salaire, même les week-ends, mais le gouvernement réduit le chèque. C’est quoi? What’s the point? On se fatigue pour rien! Comprends? Si moi je travaille, ou bien que je travaille full-time et que je gagne au moins 2 000 ou plus par mois, comme ça, si le gouvernement retire tout l’argent qui nous aide, de mes enfants, ça fait rien. Mais si je travaille juste pour 800 dollars ou quelque chose comme ça par mois. Non, il me faut au moins 2 000 dollars par mois. »

Jiji

Ainsi, les participantes qui sont mères vivent une exclusion du marché du travail fondée sur leur maternité puisqu’elles ne peuvent accéder à un emploi qui leur permettrait de gagner suffisamment d’argent pour combler les besoins de leurs familles et placer les enfants dans une garderie de jour sans l’assistance des prestations familiales. Conséquemment, plusieurs participantes ont été poussées à quitter le marché de travail à plusieurs reprises parce qu’elles avaient absolument besoin de la somme complète de leurs prestations d’aide financière afin d’être en mesure de combler leurs besoins de base, tels que l’alimentation et le logement.

Comme nous l’avons fait remarquer, la violence institutionnelle est produite par l’État et perpétrée par le biais des programmes, des lois et des politiques et par les institutions telles que les établissements de santé et de services sociaux, le marché de l’emploi et du logement, entre autres (Flynn, et collab., 2014). Cette violence se manifeste dans le quotidien des femmes FCMO rencontrées par les limites institutionnelles et les politiques concernant les logements dans la région d’Ottawa et par l’exclusion du marché du travail des participantes. Les femmes se butent également aux politiques liées à l’aide financière de la province de l’Ontario et aux obstacles pour accéder aux services sociaux et de santé. Ces difficultés constituent des manifestations de la violence institutionnelle qui brime le bien-être de ces femmes. D’après la définition de Foucault (1975), les politiques d’aide financière et l’exclusion du marché de l’emploi des participantes mères sont une violence manifestée par l’État envers les populations vulnérables. À leur tour, Flynn, et collab. (2014) expliquent que la violence structurelle est le processus par lequel les inégalités sociales sont produites et sont ensuite justifiées par la domination symbolique. L’approche du marché du travail à l’égard de ces femmes fait qu’elles sont utilisées en tant que main-d’oeuvre de dernier recours et jetable. C’est dans cette institutionnalisation du statut de main-d’oeuvre jetable que la domination symbolique et les violences institutionnelles apparaissent et que les femmes FCMO rencontrées sont à risque de vivre d’autres formes de violence au quotidien.

Suivant l’explication de Khosla (2000), la violence quotidienne est présente dans la réalité journalière des participantes dans la mesure où il y a la présence d’une violence fondée sur les rapports sociaux entre les sexes. La violence quotidienne est manifeste dans les expériences de certaines femmes FCMO rencontrées dans la mesure où elles vivent également de la violence familiale et de la violence de la part d’un partenaire intime. Or, ces violences contribuent à leur tour à produire des contextes de précarité puisque plusieurs femmes qui ont subi de la violence familiale et conjugale ont dû quitter leur domicile familial, exacerbant ainsi leur insécurité financière et résidentielle. Par exemple, une participante explique :

« C’était l’enfer chez mes parents parce qu’un, je voyais mon père à tous les jours. Les souvenirs, les souvenirs commençaient à remonter plus quand j’ai eu 17 ans. Donc, ça revenait. Donc, ça devenait difficile de rester chez moi. Ma soeur est déménagée à Montréal; donc, finalement, je me suis trouvée seule avec mes parents. Donc, ça allait de pire en pire. Je voyais plus de porte de sortie. Je savais plus quoi faire. J’ai fait plusieurs tentatives de suicide juste parce que je savais plus quoi faire. »

Agathe

L’expérience racontée par cette participante est tout à fait représentative de la manière dont la spirale de la violence vécue au quotidien par ces femmes participe à la précarisation de leur vie. La violence structurelle s’exprime donc comme un mouvement d’aller-retour entre les éléments macrosociaux et microsociaux (Scheper-Hughes et Bourgois, 2004) qui renforce la spirale de la précarité sociale.

Si les femmes FCMO rencontrées déploient des stratégies afin de faire face à la précarité, certaines de leurs demandes d’aide informelles et formelles participent à l’aspect cyclique de la précarité. Par exemple, il apparaît que certaines participantes ont recours à des partenaires intimes afin de ne pas se retrouver en situation d’itinérance; cette stratégie replaçait les participantes dans une situation de violence parce que ces partenaires devenaient fréquemment violents ou abusifs financièrement. Justement, une autre participante explique :

« C’est que, vraiment, il a eu deux soirs où que je n’avais pas de place à rester. Je suis restée chez une amie. Puis elle est partie pour la fin de semaine. Il n’y avait pas de nourriture ou rien. Ça faisait deux jours que je n’avais pas mangé. Je marchais. Et j’ai rencontré ce gars-là, et il dit : « Viens rester chez nous. C’est ça. Il m’a abusée. »

Tara

En outre, plusieurs participantes ont déménagé à Ottawa afin d’accéder au réseau de services sociaux et de santé qui sont disponibles dans ce milieu urbain. Pour les femmes FCMO rencontrées, vivre en milieu urbain présente des avantages importants puisqu’elles peuvent mieux faire face à la précarité dans la mesure où elles peuvent accéder à des services tels que des logements subventionnés et le système de transport en commun. Dans cette perspective, une femme explique :

« Au shelter, une amie m’avait apportée là-bas. […] Puis c’est trop loin. Et puis avoir un ticket d’autobus jusque là-bas. Je viens juste aux endroits qui sont proches pour que j’aie pas besoin de ticket d’autobus. »

Angélique

Malgré le coût de la vie élevé, les femmes vivent près du centre-ville afin de pouvoir accéder aux services.

Les expériences des femmes FCMO rencontrées révèlent qu’elles se butent néanmoins à des obstacles liés à l’accès à des services sociaux et de santé, à des logements salubres et abordables, et à un coût de la vie raisonnable, et ce, malgré le fait qu’elles vivent en milieu urbain. Par conséquent, les expériences de la précarité des femmes FCMO rencontrées sont cycliques puisque, malgré leur tentative d’obtenir de l’aide et d’améliorer leurs conditions de vie, elles subissent régulièrement des formes de violence structurelle dès qu’elles cherchent des moyens de mobiliser des ressources. La pénurie de logements salubres, le coût de la vie élevé et l’inaccessibilité d’un réseau de soutien due à la situation géographique des services et au manque de connaissance de ceux-ci maintiennent les participantes en situation de précarité, en dépit des efforts qu’elles déploient pour se rapprocher des centres urbains.

Aussi, il nous apparaît pertinent d’explorer la quatrième dimension de la grille d’analyse pour l’étude de la violence structurelle : l’intersubjectivité (Flynn, et collab., 2016). La dimension intersubjective de la grille d’analyse renvoie à la façon dont les femmes FCMO rencontrées se définissent dans leur quotidien, selon leur appartenance ou leur non-appartenance à une identité ou à un groupe (Yuval-Davis, 2006; Flynn, et collab., 2014), à la lumière de leurs expériences de la précarité sociale. Comme nous l’avons mentionné plus haut, pour Flynn, et collab. (2016), la dimension intersubjective de la grille permet « d’y ajouter une analyse subjective et de donner la parole aux participantes afin d’exprimer leur refus ou leur intégration des différents préjugés dont elles font l’objet et afin de se positionner par rapport à la violence vécue. » Si, par l’entremise de notre présentation des résultats, nous avons brièvement établi des liens entre les expériences de la précarité sociale des participantes et leurs valeurs, leurs parcours et leurs vécus personnels, nous n’avons pas exploré la façon dont les femmes construisent leurs récits concernant la précarité sociale par rapport à leur appartenance ou non aux identités et aux divers groupes sociaux en tant que femmes francophones.

Dans un premier temps, s’il ressort que les femmes sont capables d’articuler un discours dans lequel le fait de parler français en contexte minoritaire est une assise de la discrimination qu’elles subissent, il est clair qu’elles n’ont cependant pas construit de discours d’appartenance à la communauté franco-ontarienne. Bien que les femmes soulignent l’importance de la langue dans leur quotidien et pour leurs familles, elles n’évoquent pas cette dimension de leurs identités lorsqu’elles expliquent leurs expériences de la précarité sociale. Par exemple, les femmes FCMO rencontrées attestent qu’elles ont accès à une gamme de ressources francophones dans la région urbaine d’Ottawa. À cet effet, une participante explique qu’elle avait accès à des services sociaux et de santé francophones adéquats dans la région d’Ottawa :

« Ma psychologue m’a déjà dit que, comme, le système a bien fonctionné pour moi. J’ai pas eu vraiment besoin d’attendre pour les services. Ou presque pas. Sauf le [le centre] j’ai attendu un an. Mais, il y a un centre où Charlotte, ma travailleuse sociale, je l’ai eu en dedans d’un mois. Vu que je suis entrée à l’urgence, j’ai été hospitalisée; je suis rentrée pas mal vite dans les services. Pis [au centre communautaire]. Je n’ai pas vraiment attendu nulle part. […] Oui ma psychologue. Mais elle était un peu surprise. Elle n’avait jamais vu quelqu’un pour qui le système avait si bien fonctionné. »

Agathe

Dans ce courant d’idées, si les femmes FCMO rencontrées vivent la précarité à partir de leur maternité, de leur parcours migratoire, de leur santé mentale ainsi que de leur statut de femme, entre autres, il est devenu évident que les femmes négocient toutes ces étiquettes qui leur sont attribuées. Comme nous l’avons constaté, les expériences de l’exclusion et de la précarité chez les femmes FCMO rencontrées découlent de leur positionnement social et de leur singularité. En conséquence, des participantes revendiquent certaines identités, alors que d’autres en rejettent certaines parmi celles-ci. Comme l’explique une participante à la recherche :

« En général, pour moi, depuis que je suis partie, c’est un peu un jeu pour moi la précarité. Mais, il y avait une partie, qui était comme honteuse et difficile. J’étais toujours stressée. Mais une autre partie de moi, c’était un jeu. […] De montrer que je suis capable de vivre avec 200 dollars par mois. Me prouver. Trouver tous les petits trucs là. […] C’était comme un défi ou quelque chose. Il y avait une certaine fierté. »

Agathe

Ainsi, certaines participantes nient l’étiquette attribuée, alors que certaines femmes FCMO saisissent cette identité à titre de stratégie de survie.

La discussion

À travers le prisme de la violence structurelle, les femmes FCMO rencontrées vivent la précarité sociale, ainsi que des difficultés liées aux politiques concernant les prestations financières et le logement, les violences au sein des interactions de même que l’influence des idéologies sociales qui renvoient à la violence institutionnelle, à la violence quotidienne et à la domination symbolique. Ces violences créent des contextes dans lesquels existe une spirale de précarité. Or, certaines identités et certains groupes sociaux auxquels s’identifient les femmes FCMO rencontrées peuvent être à risque de vivre plus d’exclusion que d’autres. À l’aune de l’analyse intersectionnelle des expériences des participantes, certaines identités et certains groupes sociaux complexes peuvent constituer des axes de subordination sur lesquels reposent l’oppression et les inégalités sociales (Bilge, 2010). Cette exclusion fait basculer les personnes déjà aux prises avec des difficultés importantes et renforce l’aspect cyclique de la précarité (Conseil de planification sociale d’Ottawa, 2010b, Coderre et Dubois, 2000). Comme nous l’avons remarqué, l’exclusion des participantes du marché de l’emploi pose des problèmes, car ces femmes perdent leurs appuis et leurs protections sociales puisque l’emploi continue d’être le socle sur lequel s’adossent non seulement une grande partie de l’identité sociale, mais également le statut stable et les protections solides des travailleurs (Castel, 2003, p. 20).

La violence structurelle se réaffirme lorsque les femmes déploient des stratégies concernant le logement et les programmes sociaux, par exemple, ici, dans la mesure où les femmes FCMO rencontrées dans le cadre de notre recherche se butent à des obstacles et à des lacunes systémiques qui peuvent participer à les maintenir dans une spirale d’exclusion et de précarité sociales. Ces lacunes reposent principalement sur une imbrication de différents rapports de pouvoir liés à leur position en tant que femme, parfois en tant que mère, à leurs conditions de vie et à leur langue, entre autres.

Conclusion

En somme, les femmes francophones en contexte minoritaire ontarien font face à une multiplicité de difficultés liées à la langue. Or, à l’aune du féminisme intersectionnel, les rapports de pouvoir vécus par ces femmes sont également liés au genre, à la classe sociale et à la race, entre autres. Sous l’angle de la précarité sociale, il nous apparaît ainsi pertinent d’opérationnaliser le féminisme intersectionnel à travers le prisme de la violence structurelle afin de saisir en quoi l’exclusion est une manifestation de cette violence qui crée des contextes de précarité. Bref, cet article a exploré les rapports de pouvoir liés aux expériences de précarité des femmes FCMO et la pertinence de la grille d’analyse pour l’étude de la violence structurelle dans le domaine du service social.