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A l’heure où les auteurs (de sciences économiques, sociales ou politiques) et les acteurs (du monde de l’entreprise, du monde politique) s’interrogent sur les nouveaux modèles de production et de croissance qui nous ramèneraient au plein emploi, voire à un développement durable (économiquement viable, socialement équitable, etc.), l’ouvrage, coproduit par une douzaine d’auteurs-coopérateurs, sous la direction de Jean-François Draperi et Cécile Le Coroller, propose une incursion stimulante dans une dizaine de territoires où des coopératives ont pu jouer, et jouent encore, un rôle innovant et central dans les dynamiques de développement local.

Les auteurs ne se contentent pas de revenir sur les spécificités méritoires du modèle coopératif (doctrine, valeurs, principes). Ils s’attachent à explorer méthodiquement les trajectoires, les traits spécifiques, les facteurs du succès économiques, social et sociétal (faisant société localement) d’une dizaine de coopératives implantées dans des territoires divers et qui sont elles-mêmes diversifiées par leur champ d’activité, leur taille, leur ancienneté et même par leur statut coopératif.

Des analyses approfondies et un tour de France des coopératives

L’ouvrage met en exergue comment les initiatives, les innovations, les comportements et les pratiques professionnelles des coopérateurs ont pu s’ajuster aux potentialités et aux besoins de leur territoire d’implantation, dans le respect des principes coopératifs et du « système de règles » (Socio-économie des organisations coopératives, Vienney Cl., 1982) qui caractérisent le modèle de l’entreprise coopérative. La première coopérative, la Scop Ardelaine (présentée par Béatrice Barras), est une coopérative de développement local qui allie toute la chaîne de production lainière, l’écologie, la muséologie, la restauration, la production alimentaire, l’insertion, etc. La deuxième, Woopa (Julien Henriot), est un immeuble coopératif et écologique conçu et habité par des coopératives dans une friche industrielle de l’agglomération lyonnaise. Le chapitre sur Les Coopératives jurassiennes (artisanales, de production, agricoles ; présentées par Alain Mélo), rappelle la riche histoire des coopératives du Jura qui ont embrassé la production agricole, industrielle et la consommation de proximité. Le focus sur la Scop Acome (Cécile Le Coroller) prouve qu’on peut faire vivre, en ce début de xxie siècle, dans un bourg assez isolé de 2 000 habitants, une entreprise de 1 400 salariés dans un secteur de pointe et hyperconcurrentiel, sans pour autant perdre de vue les valeurs de la coopération. Le chapitre sur Les Fermes de Figeac (Dominique Olivier et Sandrine Fournié) décrit une coopérative agricole remarquable qui, à partir de l’entraide agricole, s’est tournée vers la production énergétique, d’abord solaire, puis à partir du bois et maintenant éolienne. Celui sur Cabestan (Laurence Ducrot et Julien Henriot) présente l’essor d’une coopérative d’activité et d’emploi dans le bâtiment en montrant, en particulier, l’impact de la forme coopérative sur la sécurisation du travail et l’innovation. La présentation de la la Scic Transport Challenger (Marc Boitel) prouve la possibilité de créer des emplois y compris en faveur de ceux qui paraissent les plus éloignés du marché du travail. La coopérative Okhra (Barbara Blin-Barrois) illustre la réussite remarquable d’une Scic qui articule ressources locales, activités artistiques, économiques et muséographiques. Ambiance Bois et les coopératives du plateau de Millevaches (Michel Lulek) soulignent la pertinence d’un développement territorial où la coopération et l’économie sociale et solidaire sont décisives.

Un chapitre, « Le succès des Scic » (Jean-François Draperi et Alix Margado), porte sur le mouvement des Scic, dont la croissance est remarquable. La Scic préfigure-t-elle l’entreprise de demain, qui serait au service de l’intérêt collectif des territoires ? L’ouvrage propose également une cartographie très intéressante de l’organisation de grandes entreprises coopératives et met en évidence le défi que représente le maintien du lien de proximité avec les sociétaires.

Pourquoi s’inspirer des coopératives

L’ancrage territorial des Scop, des Scic, des coopératives agricoles, des coopératives d’artisans, de la SCMO, société coopérative de main-d’oeuvre, fait l’intérêt particulier de cet ouvrage. Ce que souligne notamment Michel Lulek dans le chapitre 11 : « Ambiance Bois, vers un modèle territorial d’économie sociale et solidaire ». Ceci nous renvoie à la question centrale que soulève le titre général de l’ouvrage. Pourquoi « s’inspirer du succès des coopératives » ? Les auteurs-coopérateurs de l’ouvrage ont donné plusieurs explications au fil de leurs exposés respectifs. Toutes s’ancrent a priori dans les qualités spécifiques de ces entreprises coopératives, découlant de leur « système de règles » de leurs principes fondateurs, qui les prédisposent à promouvoir et participer à tout projet de développement territorial durable, dans ses trois dimensions. On retiendra en particulier leur capacité à créer non seulement de la richesse économique, mais encore de l’utilité sociale, du lien social, de la cohésion territoriale en interne et en externe (dans les périphéries de l’entreprise coopérative). Cette capacité est liée aux bonnes pratiques coopératives qui découlent de la double qualité des sociétaires-travailleurs. Ces pratiques coopératives se traduisent concrètement par la création, l’animation et l’extension des réseaux professionnels « d’échanges et de pratiques alternatives et solidaires » (du type Repas, des coopératives jurassiennes, d’Ardelaine ou d’Okhra…) et des réseaux territoriaux plus larges qui associent les acteurs publics et privés des projets de développement local.

Relevons encore ici « le caractère auto-organisé » des Scop et des Scic ou l’auto-organisation du travail en interne découlant de la triple qualité des associés-travailleurs-entrepreneurs. Ce caractère renforcé d’auto-organisation du travail, dans le cas des Scop, a été souligné par les travaux d’Elinor Ostrom (théoricienne de la diversité institutionnelle) portant sur les « common pool ressource » (ou « biens communs »). Il pourrait expliquer l’aptitude particulière des Scop et a fortiori des Scic (du fait de l’institutionnalisation du multisociétariat) à participer à tout projet global de développement local en interaction forte avec les collectivités territoriales, l’Etat et des acteurs privés, pour la coproduction de biens et services d’intérêt général et aussi pour les « communs » naturels (eau, air, terre, énergie, environnement…).

Mais cela suppose aussi que les acteurs publics (élus locaux et administration locale) et les autres acteurs privés (entreprises de droit commun, syndicats, associations…) du territoire adhèrent à deux visions centrales des auteurs. La première : « La coopérative s’apparente à un projet politique collectivement et démocratiquement construit » (p. 3). La seconde : « Les coopératives rendent possible un développement des territoires centré non l’exploitation (sans limites) de leur richesse mais sur la satisfaction des besoins et attentes de leur population. » Ce qui n’est pas toujours gagné dans tous les territoires où les coopératives sont déjà bien implantées.