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En cinq années, les pôles territoriaux de coopération économique (PTCE) sont passés du statut d’une des soixante propositions pour changer de cap du Labo de l’ESS (Alphandéry et al., 2010) à deux appels à projets ministériels (2013 et 2015) et un article de la loi relative à l’économie sociale et solidaire (ESS) qui en donne la définition suivante : « L’article 9 de la loi du 31 juillet 2014 définit ainsi les pôles territoriaux de coopération économique : “[Ils] sont constitués par le regroupement, sur un même territoire, d’entreprises de l’économie sociale et solidaire […] qui s’associent à des entreprises, en lien avec des collectivités territoriales et leurs groupements, des centres de recherche, des établissements d’enseignement supérieur et de recherche, des organismes de formation ou toute autre personne physique ou morale pour mettre en oeuvre une stratégie commune et continue de mutualisation, de coopération ou de partenariat au service de projets économiques et sociaux innovants, socialement ou technologiquement, et porteurs d’un développement local durable. »

Cette inscription dans le droit d’une notion nouvelle participe d’un processus d’institutionnalisation rapide de pratiques de coopération récentes. Cet article propose de revenir sur la construction de la notion de PTCE en rappelant les étapes clés de son émergence et en identifiant quelques facteurs explicatifs de cette mise à l’agenda politique. Accélérateur de dynamiques territoriales, cette reconnaissance institutionnelle n’en est pas moins porteuse de tensions et de controverses sur les personnes et instances (acteurs, chercheurs, pouvoirs publics) légitimes pour qualifier tel ou tel regroupement coopératif de PTCE. Caractériser les PTCE pour mieux comprendre empiriquement leurs contours et leurs fonctionnements est indispensable afin d’éviter d’enfermer la richesse et la diversité des finalités et apports de ces regroupements coopératifs issus de l’ESS dans une approche trop surplombante et restrictive.

L’institutionnalisation d’un processus ascendant et endogène

Ayant été l’un des acteurs du processus d’émergence des PTCE, il me semble utile de rappeler quelques étapes clés (lire encadré 1) d’une mise à l’agenda politique pour le moins rapide. En effet, la force institutionnelle de la loi et de dispositifs gouvernementaux relayés par les ministères ont parfois tendance à faire oublier que les PTCE sont à l’origine une démarche ascendante de coopération entre chercheurs, réseaux de l’ESS et responsables de regroupements coopératifs territoriaux. Avant d’être une politique publique, la notion de PTCE est initialement le résultat d’une coproduction de connaissances qui ajuste, de manière itérative, proposition conceptuelle et retour sur des pratiques de coopération territoriale. Cette démarche collective s’inscrit dans une longue histoire de production et de diffusion de savoirs en ESS qui ont souvent été le fruit d’initiatives de la société civile et de collaborations acteurs-chercheurs selon des dispositifs divers, parfois créatifs et souvent bricolés. Un des apports réflexifs de la participation des acteurs à la production et l’appropriation des connaissances est que la définition initiale des PTCE (lire encadré 2) se voulait expérimentale et provisoire, de manière à ne pas trop formater des pratiques de coopérations territoriales dont la diversité faisait la richesse.

L’affirmation de la notion de PTCE est d’abord un processus endogène à l’ESS au croisement de plusieurs facteurs. Le premier est l’émergence dans les années 2000 de dynamiques de coopération territoriale issues de l’ESS qui se nomment « pôles » ou « clusters ». Par exemple, Pôle Sud-Archer dans la Drôme, le cluster Initiatives et cité dans la métropole lilloise ou encore Pôle sud aquitain situé dans le sud des Landes sont autant d’appellations antérieures à la reconnaissance et aux soutiens des PTCE par l’Etat. Alors que les entreprises de l’ESS avaient été relativement absentes dans les années 1990 et 2000 de la littérature sur les systèmes productifs locaux, clusters et autres pôles de compétitivité, elles se trouvent depuis quelques années à l’origine de regroupements coopératifs aux multiples parties prenantes. A leur manière, les PTCE réinterrogent la coopération, qui a été souvent valorisée dans les réseaux de l’économie sociale comme une modalité spécifique de gouvernance et de gestion interne à l’entreprise. Dans le cas des PTCE, le principe coopératif ne se réduit pas à un « mode d’entreprendre spécifique ». Il devient potentiellement un vecteur de régulation de l’économie local différente des régulations administrative et concurrentielle (Demoustier, 2013). Second facteur, les PTCE sont une modalité de réponse à la fragmentation des initiatives de l’ESS. Ils favorisent des regroupements d’entreprises de petite et moyenne taille, parfois en concurrence entre elles localement pour la reconnaissance et les ressources. Le troisième facteur endogène tient à l’affirmation des politiques territoriales de l’ESS dans les années 2000. Après une première phase de soutien à l’émergence et à l’innovation, les élus locaux à l’ESS cherchent à soutenir des actions de consolidation et de mutualisation pour permettre aux acteurs de l’ESS de gagner en visibilité dans l’espace public et d’atteindre une taille critique à même de faciliter les partenariats avec les collectivités territoriales, les entreprises et les centres de recherche.

Une rapide mise à l’agenda politique

Reste à expliquer la mise à l’agenda (Hassenteufel, 2010) rapide d’une notion complexe. Si l’analyse sociopolitique du processus en cours d’institutionnalisation des PTCE est à écrire, il est possible d’identifier quelques éléments qui ont contribué à en faire un dispositif de politique publique. Le premier élément est la construction d’une coalition de regroupements de l’ESS (lire encadré 1) qui a participé à l’élaboration de la notion mais surtout à sa diffusion. Cette mobilisation inter-réseaux a permis de relayer l’information et de mettre en débat les PTCE dans le milieu de l’ESS à travers des newsletters, des sites Internet et des portraits d’acteurs, ainsi que l’organisation de débats locaux, de lancement d’études et de présentations dans des instances telles que le Conseil supérieur de l’ESS. Fort d’une visibilité et d’une crédibilité fraîchement acquises, suite au succès des Etats généraux de l’ESS, le Labo de l’ESS a joué un rôle pivot dans l’animation de cette phase initiale. Un second élément tient à ce que les PTCE sont devenus un horizon mobilisateur à même de faire converger une diversité d’attentes. Au-delà de l’implication d’acteurs et de réseaux des différentes sensibilités de l’ESS (de l’économie sociale à l’entrepreneuriat social en passant par l’économie solidaire), les PTCE ont suscité l’intérêt de toute une série d’acteurs et d’instances du développement local (comités de bassin d’emploi, agences de développement, élus et agents des collectivités territoriales, etc.). Le troisième élément de la mise à l’agenda tient à la « fenêtre d’opportunité politique » qu’ont constitué le changement de majorité politique en 2012 et la création d’un ministère de l’Economie sociale et solidaire. L’une des premières interventions publiques de Benoît Hamon se fit lors de la première journée nationale des PTCE en juin 2012. Dans la foulée, le Labo de l’ESS et les réseaux partenaires proposèrent une expérimentation à l’échelle nationale. En outre, les PTCE furent pris en compte dans le processus d’élaboration de la loi ESS. Il y a donc eu la conjonction entre une mobilisation conjointe de ressources de plusieurs réseaux ESS et la capacité à saisir une conjoncture politique favorable. Dernier élément repérable, les PTCE vont s’avérer être un objet de transversalité des politiques publiques. Parce qu’il s’agit de coopérations interorganisations associant potentiellement entreprises de l’ESS, entreprises « classiques », collectivités territoriales et autres acteurs du développement local, ces expérimentations vont susciter l’attention d’autres ministères. Pour un ministère de l’ESS au budget limité, les PTCE ont constitué l’opportunité d’une collaboration interministérielle [1] ouvrant au cofinancement du premier appel à projets. Sans doute des facteurs additionnels sont-ils à prendre en compte pour comprendre comment, en à peine trois ans, on est passé d’un travail prospectif entre acteurs, réseaux et chercheurs à un appel à projet gouvernemental et à un article de loi.

Retour sur les enjeux de la définition

La définition expérimentale et provisoire de 2010 a été bousculée par la reconnaissance institutionnelle des PTCE en 2013. La reprise rapide par les pouvoirs publics a eu un effet performatif indéniable avec une appropriation cognitive et discursive de la notion. Même si l’article de loi reprend à 80 % l’architecture de la définition initiale du Labo de l’ESS, il opère quelques modifications discutables. Le législateur privilégie les coopérations interentreprises, sous-estimant l’impulsion des regroupements coopératifs territoriaux par des initiatives citoyennes ou des réseaux de l’ESS. Mais surtout, il hiérarchise les parties prenantes en privilégiant la coopération de l’ESS avec les entreprises privées lucratives de toutes tailles aux partenariats avec d’autres parties prenantes (collectivités locales, établissements de recherche et organismes de formation). Le décret d’avril 2015 [2] et le second appel à projets confirmeront la volonté des pouvoirs publics de faire des PTCE un vecteur privilégié de décloisonnement des entreprises de l’ESS et de coopération économique locale avec les entreprises hors ESS. En outre, en statuant qu’un PTCE pouvait être composé de trois organisations (une entreprise de l’ESS, une entreprise hors ESS et une collectivité, un organisme de formation ou de recherche), le décret donne une indication sur le nombre minimal et la densité d’organisations coopérantes pour faire un pôle. L’inconvénient d’une approche institutionnelle trop étroite est une mauvaise prise en compte de la pluralité des trajectoires qui caractérise actuellement le fonctionnement des PTCE. Si les PTCE ont bien une fonction de décloisonnement entre entreprises de l'ESS et hors de l'ESS, ils contribuent aussi à réduire la fragmentation des nombreuses TPE/PME qui constituent l’ESS dans les territoires et à innover en matière d’action publique dans les formes de collaboration avec les collectivités locales.

Si la définition gouvernementale est la plus visible, elle ne saurait éclipser les processus pluriels de qualification des PTCE. La vision du législateur est amenée à composer avec d’autres sources de légitimité. D’abord, le soutien des collectivités locales dont certaines (ancienne région Rhône-Alpes ou région Ile-de-France) n’ont pas attendu la loi ESS pour soutenir les PTCE dans le cadre de leur politique de développement économique. Ensuite, la communauté des PTCE qui émerge suite à la signature d’une charte en septembre 2014 et des échanges de pratiques organisées à diverses occasions. Au regard de ces différents processus de qualification, le nombre de PTCE ne se réduit pas aux trente-sept pôles lauréats des appels à projets du gouvernement (lire annexe n° 1). De fait, la communauté des PTCE, issue du regroupement initial de pôles par le Labo ESS et se matérialisant par la signature de la charte PTCE [3], comptait cinquante et un PTCE à la fin de l’année 2015 (lire annexe n° 2). A cette reconnaissance par les « pairs », il est intéressant de souligner que plusieurs études ou recherches-actions [4] ont intégré dans les échantillons des pôles lauréats et non lauréats, participant de fait à élargir le cercle des regroupements coopératifs pouvant se revendiquer de la démarche PTCE.

Caractériser les contours et la morphologie des PTCE

Face à une réalité émergente et au risque d’un cadrage institutionnel trop restrictif, normatif et descendant, une caractérisation plus fine des PTCE à partir d’enquêtes empiriques s’avère nécessaire pour éviter à la fois un décalage entre les attentes des institutions et des expérimentations de terrain variées et évolutives. Au-delà des visions a priori des PTCE, il s’agit de donner un premier contenu positif et réaliste en répondant à des questions aussi diverses que « Qui compose un PTCE ? », « Quels types d’activités de coopération génèrent ces regroupements coopératifs ? », « Qui décide et comment se gouverne un PTCE ? », « Quelles sont les ressources mobilisées pour son fonctionnement ? ».

Une formalisation de dynamiques anciennes

La synthèse des premières études sur les PTCE (Fraisse, 2014) montrait que les PTCE les plus matures viennent formaliser des dynamiques de coopérations anciennes entre acteurs et entreprises déjà existantes. Autrement dit, une histoire de la coopération souvent informelle est repérable. A l’origine d’Initiatives et cité, PTCE comprenant aujourd’hui dix-neuf entreprises du développement local durable autour des métiers du conseil, de la formation et de la communication, il y a un réseau historique d’une dizaine de dirigeants qui ont collaboré régulièrement sur des projets de création d’activités. Accompagnement et conseil, échange et mise à disposition de compétences, création d’entreprise, apport en capitaux et participation croisée aux conseils d’administration, réponses mutuelles à des appels d’offres et interventions conjointes, etc., ces relations bilatérales ont tissé tout au long des années 2000 un réseau professionnel formalisé d’abord en cluster en 2010, puis en PTCE en 2014.

Le rôle essentiel de la confiance accumulée au sein d’un cercle historique de responsables ayant coconstruit des projets, l’importance de valeurs partagées au-delà des simples opportunités économiques d’un regroupement d’entreprises, l’investissement informel et l’engagement bénévole des fondateurs, l’existence de moments partagés et conviviaux sont des facteurs essentiels pour comprendre les processus de décisions collectifs au-delà des règles statutaires. La présence fréquente d’une figure emblématique, leader coopératif, ou d’un noyau historique de responsables, à même d’avoir une vision partagée et stratégique du territoire, de saisir des opportunités, d’associer différents milieux et de mobiliser une pluralité de ressources est soulignée de manière récurrente. La genèse de Pôle sud aquitain, PTCE de dix-neuf entreprises, est issue d’une dynamique de création d’activités et d’entreprises (groupements d’employeurs pour l’insertion et la qualification, coopératives d’activités et d’emploi, entreprises d’insertion, couveuse d’activités, société de capital-risque solidaire, etc.). Il est le fruit de coopérations largement impulsées, depuis le début des années 2000, par le responsable du comité de bassin d’emploi de Seignanx et le responsable d’un foyer de jeunes travailleurs. Tenir compte des contextes et des conditions de réussite de ces processus est important pour faire en sorte que les dispositifs publics visant à inciter aux coopérations et aux mutualisations ne se transforment pas en une injonction à coopérer qui engendre plus de coûts de coordination qu’ils ne suscitent d’innovations.

Deux cercles imbriqués de coopération

Qui sont les membres d’un PTCE ? La désignation des entreprises et organisations qui coopèrent au sein ou par l’intermédiaire des PTCE n’est pas toujours aisée. Les PTCE articulent différentes modalités de participation et de coopération qui font émerger des cercles d’appartenance imbriqués renvoyant à une intégration organisationnelle variable. Autrement dit, il y a rarement une frontière étanche entre un dedans et un dehors, entre des membres et des non-membres clairement distincts. Parce que les projets de coopération ne mobilisent pas toujours les mêmes entreprises et partenaires, parce qu’il n’est pas toujours évident pour une organisation extérieure d’intégrer un regroupement d’entreprises qui partagent une histoire commune, parce que les entreprises parties prenantes ne souhaitent pas s’impliquer selon la même intensité dans les activités de coopération, le périmètre d’un PTCE renvoie à une pluralité de modalités et degrés de « faire ensemble » permettant des formes d’intégration progressive. Pour autant, il est possible d’identifier un premier cercle comptant entre dix et vingt-deux organisations membres sachant que les activités de coopération initiées par un PTCE peuvent impliquer un second cercle de vingt à cinquante autres parties prenantes (entreprises, collectivités, chercheurs, réseaux…). Par exemple, pour Lille MétroPôle Solidaire, le premier cercle correspond aux entreprises du cluster Initiatives et cité (aujourd’hui structuré sous forme d’une union d’économie sociale), alors que le second cercle est composé des membres du comité de pilotage du PTCE comprenant notamment la Métropole européenne de Lille, qui copréside cette instance. Autre situation, les entreprises parties prenantes du premier cercle du PTCE Pays de Bray sont celles présentes dans la Maison de l’économie solidaire (MES), auxquelles il convient d’ajouter les organisations sociétaires de la Scic (collège des partenaires) impliquées dans les projets de coopération. Plus classiquement, les organisations siégeant au conseil d’administration du Périscope constituent à une ou deux exceptions près le premier cercle du PTCE, le second renvoyant à l’ensemble des adhérents de l’association. Si la formalisation des contours des PTCE est en voie de structuration, il est intéressant de signaler que la plupart des PTCE étudiés ont connu une augmentation du nombre de leurs membres (premier cercle) entre 2013 et 2015.

Le rôle pilote des organisations de l’ESS

Autre résultat confirmé par l’étude, les organisations de l’ESS au sens de la loi de juillet 2014 sont au coeur de la genèse et du pilotage des PTCE. D’un point de vue statutaire, les associations constituent le principal contingent des organisations membres des PTCE, suivi d’un nombre significatif de sociétés coopératives d’intérêt collectif (Scic), sociétés coopératives de production (Scop) et de structures d’insertion par l’activité économique (SIAE). S’il est possible de distinguer des PTCE à dominante associative (par exemple les « PTCE culture ») de PTCE où les Scop, Scic et SIAE sont fortement présentes (Lille MétroPôle Solidaire, Pôle sud aquitain, Les Imaginations fertiles), le principal enseignement est qu’il s’agit bien de dynamiques de coopération territoriale issues de l’ESS. En effet, les entreprises hors ESS, les collectivités locales et les organismes de recherche sont bien présentes dans les PTCE mais davantage comme partie prenante de coopérations économiques territoriales que comme acteurs pivots de l’animation et de la gouvernance.

Les entreprises hors ESS représentent en moyenne 18 % des organisations membres des PTCE et elles sont encore plus nombreuses dans le second cercle d’appartenance. A quelques exceptions près, les entreprises hors ESS sont des PME, voire des TPE. Comme l’ont montré les études RTES (2014, 2016), l’implication des collectivités locales va souvent au-delà d’un simple soutien financier. Si elles ont parfois un rôle de facilitateur ou de catalyseur dans l’émergence et le développement des PTCE, elles apparaissent plus souvent comme partenaires des PTCE étudiés. Lorsque les collectivités locales sont des membres actifs, c’est au titre d’organisation fondatrice du PTCE (le Sicoval pour Périscope), d’acteur de sa réorientation (la MEL pour Lille MétroPôle Solidaire), ou encore de propriétaire du lieu mutualisé (Toulouse Métropole pour Les Imaginations fertiles). Reste que la question de leur juste place dans la gouvernance des PTCE demeure un enjeu. Les organismes de recherche et les universités sont rarement des membres permanents et actifs des PTCE. Pour autant, il est intéressant de pointer une structuration progressive de la fonction recherche et développement dans certains PTCE sous forme de participation à des recherches-actions, de l’embauche de doctorants en contrat Cifre, de la mise en place d’une démarche d’évaluation pluriannuelle.

Des secteurs d’activité représentés de façon différenciée

Les principaux secteurs d’activités repérés sont la production et diffusion d’oeuvres artistiques et culturelles (édition et distribution de livres, musiques actuelles) ; les éco-activités (recyclage, réemploi, valorisation et vente de déchets, entretien et aménagement d’espaces verts, jardin partagé, énergies renouvelables, covoiturage…) ; la restauration (collective et sociale, cuisine multiculturelle, traiteur…) et la distribution alimentaire (commerce équitable, produits et paniers bio, épicerie solidaire, circuits courts) ; le bâtiment ; la filière bois et l’écoconstruction ; les services à la personne ; les activités créatives (mode, design) et numérique ; etc. Les activités des quatorze PTCE lauréats du second appel à projets gouvernemental (2015) n’apportent pas vraiment de diversification sectorielle [5] par rapport au premier appel, sinon sur la mobilité [6]. Beaucoup de membres PTCE développent des fonctions transverses relevant du développement local, du développement durable, de l’ingénierie, de l’accompagnement et l’incubation d’activités, de la formation professionnelle, de la sécurisation des parcours professionnels et de l’insertion. Cinq PTCE (Pays de Bray, Domb’Innov, Pôle sud aquitain, Phares, Resto Passerelle) ont une composante historique et structurante de leurs membres issus de l’insertion. Il est intéressant de noter le peu d’initiatives et d’entreprises de certains secteurs où l’ESS est traditionnellement bien représentée comme l’action sociale, la santé, l’éducation, le sport ou les activités bancaires et d’assurance. Par ailleurs, la composante industrielle des PTCE étudiés est relativement faible. Si quelques PTCE s’organisent autour de métiers proches ou complémentaires au sein d’un même secteur (Coursive Boutaric ou Culture et coopération dans les arts et la culture ; Resto Passerelles sur la restauration collective, les services aux habitants et à la personne dans les PTCE Domb’Innov et Pays de Bray), beaucoup sont multisectoriels avec une tendance à la diversification de leur activité. Cette configuration distingue les PTCE des processus de fusion ou absorption entre établissements de même type qui ont pu avoir lieu ces dernières années, notamment dans le secteur médico-social ou mutualiste.

Regroupements de TPE-PME et impact sur l’emploi

Les PTCE regroupent généralement des entreprises de taille modeste. En effet, les entreprises de moins de dix salariés représentent les deux tiers, voire les trois quarts des membres des PTCE étudiés. Quelques pôles comptent une à deux PME dont certaines ont parfois joué un rôle structurant. Par exemple, Halage, une association agréée comme structure d’insertion par l’activité économique de trente-deux équivalents temps plein (ETP) pour un budget annuel de 3 millions d’euros, a joué un rôle clé dans la structuration du PTCE Le Phares. Val Horizon, une association de 115 ETP est à l’origine de onze entreprises sociales qui sont au coeur du PTCE Domb’Innov. La petite taille des entreprises membres tend à conforter l’hypothèse que les PTCE constituent « des réponses appropriées au problème identifié de l’émiettement des petites structures » (Demoustier, op. cit.) dans l’ESS. Le regroupement ouvre à des opportunités de développement territorial, à un réseau de compétences et à des fonctions support auxquelles chacune des entreprises constitutives n’aurait pas accès individuellement. Par ailleurs, cette configuration confirme le rôle singulier d’incubateur d’entreprises assumé par certains PTCE comme Domb’Innov, Pôle sud aquitain, PTCE Pays de Bray. Plutôt que de voler de leurs propres ailes une fois créées, les activités et entreprises restent membres du groupement au-delà de la phase d’émergence.

L’évaluation des emplois générés par les PTCE est délicate. Affirmer que les PTCE étudiés totalisent entre 60 et 162 ETP ne permet pas d’appréhender correctement les impacts des PTCE en termes d’emplois. Il est difficile d’isoler l’effet emplois créés ou consolidés lié aux activités de coopération du PTCE de celui lié au développement de l’activité propre à chaque membre. Outre les emplois propres ou partagés au sein du PTCE, ainsi que ceux créés ou consolidés pour chacune des structures membres du fait des interactions, il y a des effets emplois induits par les  activités des PTCE. Aux ETP cumulés des membres du PTCE, il convient d’ajouter l’ensemble des postes d’insertion des SIAE, des contrats de professionnalisation des GEIQ ou des entrepreneurs-salariés des CAE. Au-delà des postes d’insertion et des contrats de professionnalisation, nombre de PTCE comptent des résidents qui créent leur propre emploi. Coworking, fab lab, pépinière sont autant d’espaces animés et accueillis au sein de plusieurs PTCE qui hébergent des créateurs, des entrepreneurs ou des artisans dont les projets bénéficient des opportunités de coopération et de mutualisation proposées.

De cette description morphologique des PTCE, deux enseignements principaux peuvent être avancés. La première concerne la distinction avec les pôles de compétitivité. Les acteurs et entreprises fondatrices des PTCE, mais plus largement la majorité de ses membres actifs sont issus de l’ESS ou en partagent les valeurs. Un autre trait distinctif des PTCE tient à la prédominance de nombreuses PME, voire TPE, là où les grandes entreprises ont souvent un rôle structurant dans les pôles de compétitivité. Alors que ces derniers ciblent principalement l’innovation technologique, les filières industrielles à haute valeur ajoutée, les PTCE ouvrent à des domaines d’activités plus divers relevant de services au tissu économique local ou aux populations. Enfin, les PTCE s’inscrivent dans une logique de développement local durable qui ne se réduit pas à l’impératif de compétitivité et de conquête de nouveaux marchés internationaux. Le deuxième enseignement renvoie au risque déjà repéré de décalage entre la morphologie réelle des PTCE historiques et la définition du législateur. La composition des PTCE tend à montrer que ces regroupements recouvrent des coopérations territoriales entre différentes entreprises de l’ESS. Si elle permet de renforcer les partenariats avec le tissu économique local, notamment des TPE-PME, ce n’est qu’une des modalités possibles qui n’est ni exclusive ni prédominante sur d’autres collaborations, notamment avec les collectivités territoriales et autres instances de développement local.

Modalités de coopération et structuration de la gouvernance

Les PTCE sont souvent présentés comme un espace de coopération interentreprises. Mais les échanges interorganisations reposent largement sur un réseau de personnes qui nouent des relations de confiance fondées sur une histoire de coopération partagée. La coopération au sein des PTCE articule proximité relationnelle et proximité organisationnelle (Bouba-Olga et Grossetti, 2008).

Trois modalités de coopération ont été caractérisées. La première renvoie à la mutualisation de ressources, de lieux communs et de fonctions supports (veille commerciale et réglementaire, communication, emplois partagés et formation commune, achats groupés, gestion administrative). Une seconde modalité correspond à des coopérations économiques sur des projets communs. Elles peuvent prendre la forme de coopérations bilatérales et de participations croisées entre membres, de la création d’activités et d’entreprises ou encore d’une offre commune mixant les compétences des parties prenantes. La dernière modalité est celle d’une coopération stratégique, plus immatérielle autour d’une vision partagée et prospective du territoire et d’un processus de recherche et développement ou d’innovation.

Le terme de gouvernance semble approprié pour analyser les modes de prise de décision et d’animation des PTCE, parce qu’il s’agit de comprendre le pilotage au sein d’un réseau d’organisations qui ne sont pas toutes de même nature. Deux configurations de prise de décision sont identifiables. Dans la première, elle prend classiquement appui sur un bureau et un conseil d’administration d’une association ou d’une Scic (Culture et coopération, Le Périscope, PTCE Pays de Bray, Coursive Boutaric, Le Phares). La seconde configuration est celle d’une gouvernance déléguée à une organisation fondatrice ou structure motrice. Comme le CBE Seignanx pour Pôle sud aquitain, Val Horizon pour Domb’Innov, Initiative et Cité pour Lille MétroPôle Solidaire, Appui pour Resto Passerelles. La structuration de la gouvernance des PTCE se caractérise par une autonomisation progressive d’une cellule d’animation qui s’est traduite, ces dernières années, par la création d’un ou deux emplois ETP en moyenne.

Un fonctionnement économique à stabiliser

L’économie des PTCE est complexe et devrait être appréhendée à au moins quatre niveaux. Le premier concerne le financement de la cellule d’animation et des fonctions supports. Le second niveau tient compte de l’effet des activités de coopération sur l’accès aux ressources et le chiffre d’affaires des organisations membres. Le troisième niveau concerne la capacité du PTCE à produire une offre de biens et services à même de générer des ressources propres. Le dernier niveau renvoie plus classiquement aux impacts du PTCE sur le territoire ou une filière.

Les budgets annuels récoltés pour la période 2014 varient de 35 000 euros à 748 000 euros avec un budget moyen de 245 000 euros. Comment expliquer de telles variations ? Si certaines s’expliquent par des niveaux différents de maturité et sont dues à une capacité à diversifier les ressources, d’autres tiennent à des modes de comptabilisation. Certains PTCE intègrent dans les produits les locations ou redevances liées à la gestion d’un lieu mutualisé, lorsque ces revenus peuvent être rattachés aux comptes de la structure animatrice dans d’autres PTCE [7]. De même, isoler dans le budget des PTCE ce qui relève de l’animation et de la coordination génère une variation de 35 000 euros à 200 000 euros selon que les PTCE comptabilisent uniquement le poste de coordinateur, intègrent ou non le pourcentage de temps passé par d’autres salariés sur des fonctions supports, valorisent ou non le temps de mise à disposition du responsable du PTCE lorsque celui-ci est salarié par une autre structure. Ces exemples montrent qu’un travail comparatif et d’agrégation des informations économiques dans la durée entre PTCE nécessite une harmonisation préalable des données comptables et financières.

Les premières études permettent d’identifier des tendances du côté des principales ressources mobilisées. Pour la plupart des PTCE, les subventions constituent un financement incontournable à leur fonctionnement et développement. Cela devient d’autant plus décisif lorsque l’on considère la pérennité de la fonction d’animation et de coordination. Il reste que les PTCE cherchent à diversifier leurs ressources, parmi lesquelles la principale provient de produits liés aux services mutualisés mis à la disposition de leurs membres. Pour les PTCE gestionnaires d’un lieu commun, les revenus issus de loyers ou redevances des structures hébergées constituent un poste budgétaire non négligeable. Une autre ressource est liée à la mutualisation, la refacturation par le PTCE aux entreprises membres de services tels que l’accueil et la logistique, l’achat groupé de fourniture, la communication, la paie et la comptabilité. Les financements venant des membres du PTCE sont modestes, à quelques exceptions près. Les cotisations représentent souvent moins de 10 % du total des produits. L’adhésion au PTCE a plus une valeur symbolique d’appartenance qu’une valeur économique. Les apports en capitaux pour augmenter les fonds propres ou le prélèvement sur les coopérations bilatérales entre membres concernent peu de pôles. Plus fréquente est la diversification des financements par la construction d’une offre de biens et services du PTCE mobilisant les compétences des organisations membres pour répondre à un marché public ou proposer une prestation externe. Enfin, quasiment tous les PTCE étudiés mentionnent des contributions bénévoles de leurs membres bien qu’elles fassent rarement l’objet de valorisation monétaire.

Conclusion

La réalité de ces constats varie d’un pôle à l’autre et mérite évidemment d’être confirmée sur un échantillon plus large d’une communauté grandissante des PTCE. Les PTCE sont des regroupements coopératifs territoriaux en émergence, dont la réalité, à la fois mouvante et en forte évolution, appelle à des analyses de processus permettant une mise à distance d’approches qui en fixeraient de manière descendante et rigide la composition, les modalités de coopération et de gouvernance ou encore les perspectives de pérennisation économique. Le soutien rapide des pouvoirs publics au niveau national comme local a été un atout incontestable et explique une partie de l’attention portée à un nombre croissant de coopérations économiques territoriales issues de l’ESS. Les attentes sont d’autant plus fortes qu’il s’agit de l’une des rares mesures de la loi ESS à avoir bénéficié d’un dispositif national spécifique dans un contexte de contraintes budgétaires fortes.

Les premières investigations montrent à la fois tout l’intérêt des coopérations économiques territoriales que sont les PTCE tout en restant modestes et prudents sur les résultats et les impacts au regard de connaissances à approfondir. Le premier intérêt est que les PTCE sont une des réponses à la fragmentation du tissu local de l’ESS souvent composé de PME, voire de TPE. Faire de la coopération dans un contexte d’austérité et de progression de la commande publique est un pari courageux, mais aussi gagnant face aux stratégies de concurrence et de repli sur soi. Les PTCE permettent la consolidation, voire le développement, d’entreprises de taille modeste et d’emplois en offrant un cadre de travail souvent convivial, une vision partagée du territoire, des espaces d’expérimentations, des opportunités d’affaires, des mutualisations de compétences, de services et de locaux. Se situant à mi-chemin entre le réseau d’entreprises et une intégration verticale par fusion ou acquisition, la forme organisationnelle type pôle ouvre une voie médiane pour envisager un changement d’échelle préservant l’autonomie de chaque organisation membre. Combinant coopérations économiques bilatérales et construction collective d’une offre de services, elle constitue un milieu favorable à l’expérimentation qui permet de développer de nouveaux projets et de partager la prise de risque de la recherche-développement. Une des innovations à regarder de plus près est la capacité de plusieurs PTCE à combiner des espaces coopératifs entre entreprises membres avec des espaces collaboratifs (tiers lieux, coworking, fab labs, pépinières). Enfin, les PTCE proposent une taille critique favorable aux partenariats avec les entreprises locales et les collectivités locales.