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Malgré le consensus en communication politique à savoir que les nouveaux médias sont de plus en plus importants, leur impact relatif par rapport aux médias traditionnels reste encore flou. En utilisant les données de sondages du projet Making Electoral Democracy Work (Blais, 2010), cette recherche compare l’impact de la consommation de différents types de médias sur l’acquisition d’information politique spécifique aux campagnes électorales. D’entrée de jeu, une revue de la littérature présente les aspects sous-étudiés pour ensuite élaborer des questions comblant ces lacunes dans les écrits. Les hypothèses de recherche sont ensuite formulées en présentant les indicateurs mobilisés pour finalement situer le contexte électoral des deux cas choisis : l’élection ontarienne de 2011 et l’élection québécoise de 2012.

Les résultats suggèrent tout d’abord que les Canadiens consomment davantage les médias traditionnels lors de campagnes électorales provinciales. Entre autres choses, la télévision trône loin devant les autres médias. Et ce ne sont pas tous les médias qui ont un impact positif sur l’acquisition d’information. Finalement, cet impact des médias traditionnels sur l’acquisition d’information ressort comme étant plus important que celui des nouveaux médias. Plus précisément, les journaux et la télévision s’avèrent être les plus utiles, suivis d’Internet. Quant à la radio et au réseau social Twitter, leur impact positif sur l’acquisition d’information de campagne disparaît complètement avec l’ajout de variables contrôles. Par ailleurs, des effets médiatiques spécifiques à certaines caractéristiques individuelles (âge, sexe, niveau de scolarité) sont notés, bien qu’aucune tendance systématique ne soit observable. Ces résultats sont robustes et résistent à plusieurs possibilités théoriques et à des spécifications empiriques. Ces résultats sur l’impact des médias traditionnels par rapport aux nouvelles technologies de l’information viennent en outre modérer l’enthousiasme des cyber-optimistes quant à la démocratisation de l’information.

L’information politique. Ce que l’on sait et ce que l’on ne sait pas

Si Markus Prior (2007 : 28) définit l’information politique comme étant du « knowledge of specific political facts and concept as well as knowledge of recent noteworthy political event », l’information politique propre à une campagne électorale, qui est la variable d’intérêt de cette recherche, concerne strictement la deuxième partie de cette définition. Cette contrainte théorique fait en sorte que peu de littérature peut être recensée à cet effet puisqu’elle s’est intéressée plus souvent qu’autrement au niveau d’information politique général (Qui est le premier ministre ? Qui contrôle la chambre basse ? etc.) plutôt qu’à l’information de campagne.

L’information politique générale

D’entrée de jeu, il ressort que la littérature sur les médias traditionnels et l’information politique générale est univoque : il y a une relation positive entre ces deux variables. Entre autres choses, Russell Neuman (1976) fait état de résultats particulièrement importants pour la consommation de la télévision. Le mécanisme d’explication proposé est que l’information à la télévision est généralement exposée d’une manière plus facile à comprendre pour le citoyen (Graber, 2001). Quant à l’ensemble des médias traditionnels (et non seulement la télévision), Richard Fox et Jennifer Ramos (2012) observent dans leurs analyses que la consommation de la télévision, des journaux et de la radio est corrélée à un plus grand niveau d’information politique générale. Plus précisément, il s’avère que les journaux procurent beaucoup d’information politique (selon Lambert et al., 1988 ; ainsi que Jerit et al., 2006[2]), tout particulièrement chez les plus instruits puisque l’information y est présentée de manière plus « sophistiquée » qu’à la télévision. Il faudrait donc mobiliser davantage de ressources cognitives pour réussir à décortiquer l’information présentée. À propos de la radio, considérant que ce médium a invité ses auditeurs, à partir des années 1990, à participer activement à plusieurs émissions (notamment de nouvelles, où l’on demande l’opinion des citoyens) (Lee et Ncappela, 2001), il y a tout lieu de croire que la consommation de ce média accroît l’information politique des citoyens.

En ce qui concerne les nouveaux médias, la littérature est moins tranchée. Il convient néanmoins de mentionner que ces nouveaux médias font référence à Internet en général, allant des chaînes de courriels à d’autres types de médias qualifiés de « réseau social » tels que Facebook ou encore Twitter. Ici, on peut regrouper deux types de chercheurs : les cyber-optimistes et les cyber-pessimistes. Sur le plan théorique, les premiers estiment qu’Internet a un effet positif sur l’information pour les raisons suivantes : ce médium procure une diversité d’opportunités d’engagement politique (et, par voie de conséquence, d’acquisition d’information), réduit le coût de cette participation et ouvre un espace d’interactivité entre les citoyens et les acteurs politiques (Dimitrova et al., 2014 : 97). En opposition, les cyber-pessimistes sont sceptiques et estiment que les médias traditionnels restent centraux et que les nouveaux médias n’ont qu’une importance complémentaire, voire secondaire (Lalancette, 2013). Plus précisément, on pourrait croire que les nouveaux médias (et certains médias plus que d’autres) renforceront l’homogénéisation de l’information perçue par un individu en raison d’un biais de sélection (Brundidge et Rice, 2010). Ce biais serait plus important dans un environnement médiatique que le sujet construit lui-même et se voit renforcé par des algorithmes sur Internet par rapport aux téléjournaux nationaux ou encore aux bulletins de nouvelles radiophoniques.

Plusieurs études empiriques supportent les deux idées. D’emblée, même si Pippa Norris (2000) remarque qu’il y a une relation positive entre les médias traditionnels et l’information politique, elle trouve également ce type de relation avec la consommation d’Internet. Autrement dit, plus le citoyen consomme, peu importe le média, plus il possède un niveau élevé d’information politique. D’autres auteurs sont également arrivés aux mêmes constats, dont Paul Hendriks Vettehen, Mats Hegeman et Carlo Spippenburg (2004), Kajsa Dalrymple et Dietram Scheufele (2007), Karen Mossberger, Caroline Tolbert et Ramona McNeal (2008) et Daniela Dimitrova, Adam Shehata, Jesper Strömback et Lars Nord (2014), qui ont mené le même genre d’analyse en contexte européen. Au-delà de ces deux camps, Markus Prior (2005) avance l’idée que peu importe les types de médias consommés, leur effectivité dépend de la préférence télévisuelle du citoyen (en termes de préférence pour des émissions de nouvelles ou de divertissement), qui agirait comme variable modératrice. Un ouvrage récent de ce même auteur confirme au passage ce propos (Prior, 2007).

L’information politique spécifique de campagne

La plupart des typologies de l’information politique reconnaissent la nécessité de distinguer l’information politique générale de ce qui est propre à une campagne. La plupart du temps, l’information spécifique est mesurée par la capacité des répondants à identifier quel parti a fait quelle promesse particulière durant la campagne (Zaller, 1991 ; Kwak, 1999). Deux exceptions retiennent toutefois l’attention. Premièrement, une étude américaine menée par Karen Mossberger, Caroline Tolbert et Ramona McNeal (2008) démontre que lors de trois campagnes américaines (2000, 2002 et 2004), ceux qui consomment davantage l’actualité politique en ligne ont un meilleur niveau de connaissance politique de campagne. Ces auteurs notent néanmoins qu’il existe des inégalités, notamment parce que certaines minorités ethniques, dont les Afro-Américains, sont moins informées (et ont moins accès à Internet). Deuxièmement, Richard Nadeau, Neil Nevitte, Elisabeth Gidengil et André Blais (2008 : 243) observent que l’exposition aux médias va de pair avec l’acquisition d’information politique de campagne, mais qu’elle est différenciée en fonction de certaines caractéristiques individuelles, notamment l’attention portée à la campagne. La campagne crée donc un écart encore plus important entre les moins informés et les plus informés. Somme toute, il existe peu de recherches sur l’information politique de campagne et la présente recherche permettra entre autres de combler cette lacune, en plus d’analyser les liens avec différents types de médias.

Enjeux et questions de recherche

À partir de la recension des écrits ci-dessus, certains aspects liés à l’information politique lors de campagnes électorales apparaissent peu éclairés. La présente analyse cherche à combler ces lacunes en s’attardant à trois enjeux. Dans un premier temps descriptive, elle a pour but d’examiner la consommation médiatique des Canadiens lors d’élections provinciales. Cette évaluation se décline plus précisément en cinq types de médias : la télévision, les journaux, la radio, Internet et Twitter, et ce, tant pour l’élection provinciale ontarienne de 2011 que l’élection québécoise de 2012. D’une part, il fallait inclure Internet « en général » afin d’appréhender sa consommation générale, qui inclut par exemple Facebook aussi bien que des sites de nouvelles. D’autre part, la séparation de Twitter et d’Internet en général vient du fait que ce média est celui qui procure le plus d’incitatifs à se construire un biais de sélection. En effet, Twitter est très opportun pour le marketing politique (Sullivan et Bélanger, 2016) et amène les individus à se construire un réseau qui leur est très similaire en reflétant leurs préférences. Cela est moins le cas (bien qu’il existe néanmoins un biais de sélection) pour l’Internet en général.

Cet exposé commencera donc par la présentation des statistiques descriptives de la consommation des cinq types de médias, pour ensuite, dans un deuxième temps, évaluer leur impact relatif sur l’acquisition d’information politique liée à la campagne électorale, à l’aide de modèles statistiques. Ceux-ci permettront de démontrer, dans un troisième temps, certains effets d’interaction chez des groupes particuliers et de dresser le détail de l’impact différencié de certains médias en fonction de caractéristiques individuelles (scolarité, âge et genre).

Cet article répond donc à trois questions de recherche : 1) Quels types de médias sont le plus consommés lors de campagnes électorales ? 2) Quels types de médias sont les plus utiles pour permettre aux électeurs d’acquérir de l’information politique liée à une campagne électorale ? 3) Quels groupes sont plus (ou moins) affectés par quels médias ? Avant d’y répondre, il y a tout lieu d’établir une mise en contexte des deux élections analysées.

Mise en contexte des deux élections étudiées

L’élection provinciale ontarienne de 2011 s’est déroulée dans un contexte où le gouvernement sortant élu en 2007 était libéral et majoritaire, avec Dalton McGuinty à sa tête, qui reformera le gouvernement en 2011. Mais avec seulement 37,6 % des suffrages et 53 des 107 sièges, ce gouvernement sera minoritaire. Le système de partis ontarien étant, comme celui du Québec, un système à « deux partis et demi », il y a donc deux opposants principaux aux libéraux : le Parti progressiste-conservateur (PPC) et le Nouveau Parti démocratique (NPD). Le PPC, dirigé par Tim Hudak, a remporté 37 sièges avec 35,4 % du vote, tandis que le 22,7 % obtenu par le NPD, avec Andrea Horwath à sa tête, en a remporté 17. Le taux de participation de l’élection a été de 49,2 % et les thèmes principaux de la campagne ont concerné l’économie, mais également la question du français en Ontario avec notamment un premier débat des chefs télévisé dans cette langue (Cross et al., 2015).

Dans le cas du Québec, le premier ministre libéral Jean Charest, au pouvoir depuis neuf ans, a déclenché des élections durant l’été 2012 en plein contexte de mobilisation sociale qui avait débuté par une crise étudiante portant sur l’augmentation des frais de scolarité. Cette crise a fait partie des thèmes principaux de la campagne, accompagnée principalement par l’économie, la souveraineté et la corruption (Lawlor et Bastien, 2013). Au final, avec un taux de participation de 74,6 % des Québécois, le Parti libéral du Québec (PLQ) a été défait par le Parti québécois (PQ), qui a formé un gouvernement minoritaire. Avec seulement moins de un point de plus que le PLQ, le PQ (31,92 % du suffrage) a remporté 54 sièges, soit 4 de plus que son principal opposant. La Coalition Avenir Québec, tiers parti important, a remporté 19 sièges avec 27 % d’appuis. En somme, le contexte québécois s’avère beaucoup plus « extraordinaire » qu’à l’habitude (Bastien et al., 2013), en comparaison avec l’Ontario où l’élection de 2011 correspond davantage à une élection « normale ».

Méthodologie

Les données de sondages utilisées proviennent du projet Making Electoral Democracy Work, qui étudie près de 25 élections dans cinq pays différents (Blais, 2010). Dans le cas de l’Ontario en 2011 et du Québec en 2012, les devis sont exactement les mêmes : il s’agit de sondages panels menés par la firme Harris International sur le Web, en deux vagues. La première vague s’est déroulée durant les deux semaines qui ont précédé la journée du scrutin et la deuxième, post-électorale, a rejoint les répondants pendant les deux semaines suivant le jour J. Ces répondants sont au nombre de 1250 pour l’Ontario et de 990 pour le Québec et, dans chacun des cas, le taux de réponse à la deuxième vague a été de 75 %. Pour remédier aux désavantages des sondages Web et à cette attrition, les données pour toutes les analyses sont pondérées en fonction du dernier recensement pour les variables suivantes : âge, niveau de scolarité, région, langue parlée à la maison et probabilité d’aller voter.

Pour ce qui est des indicateurs, la variable dépendante (l’information politique de campagne) est d’abord expliquée pour ensuite aborder les cinq variables indépendantes d’intérêt (les différents types de médias) et finalement mentionner les diverses variables contrôles nécessaires à intégrer aux modèles pour bien cerner les effets indépendants des types de médias.

L’information politique liée à la campagne électorale est mesurée par la connaissance des slogans de campagne adoptés par les principaux partis politiques et par les promesses faites par ces derniers (Zaller, 1991 ; Kwak, 1999 ; Daoust, 2015). Cette mesure est idéale car elle cible l’information propre à une campagne – un individu politisé, même s’il possède une bonne connaissance politique générale, ne pourra pas répondre correctement à ces questions s’il n’a pas été attentif lors de la campagne. Dans le cas de l’Ontario, cet indicateur va de 0 à 6, tandis qu’au Québec, puisqu’il y a davantage de partis majeurs, il s’étend de 0 à 9[3]. Cet indicateur a été standardisé de 0 à 1. L’alpha de Cronbach confirme la cohérence interne de ces indicateurs, alors que α = 0,76 pour l’Ontario et α = 0,78 pour le Québec[4]. Reflétant le niveau d’information politique assez faible des citoyens, les moyennes sont de 0,27 et 0,22 pour les slogans et les promesses électorales, avec des écarts-types respectifs de 0,31 et 0,28.

En ce qui a trait aux variables indépendantes principales, la consommation de chacun des types de médias est mesurée de la même façon. En effet, la question posée est la suivante : « Sur une échelle de 0 à 10, où 0 signifie ‘aucune attention’ et 10 signifie ‘beaucoup d’attention’, à quel point avez-vous été attentif aux nouvelles concernant l’élection [à la télévision] [dans les journaux] [à la radio] [sur Internet] [sur Twitter] ? ». On notera au passage que la question mentionne explicitement le fait d’être attentif aux nouvelles concernant l’élection (et non en général). Les statistiques descriptives pour ces variables seront abordées dans une section ultérieure, mais d’entrée de jeu, il faut dire qu’il n’y a pas de multicolinéarité entre ces cinq variables, puisqu’elles sont généralement de 0,35 entre elles, avec un maximum de 0,45 (dans le cas de la relation entre l’attention aux journaux et la radio). Une dernière constatation est nécessaire : certains lisent désormais leur « journal » en version Web. Dans un tel cas, il n’y a aucun problème à ce que le répondant indique qu’il porte une attention à Internet plutôt qu’aux journaux : même s’il lit un « journal » en ligne comme La Presse ou encore le Ottawa Citizen, il faut considérer que le format est bel et bien Web et donc qu’il est même souhaitable que le répondant indique qu’il utilise Internet.

Finalement, l’ajout de variables contrôles s’avère nécessaire pour isoler l’impact indépendant des médias sur les deux variables dépendantes. Entre autres choses, l’âge, le sexe, l’intérêt politique et la partisanerie[5] doivent être inclus puisqu’ils ont généralement un impact significatif sur l’information politique et la participation (Bennet, 1989 ; Neuman et al., 1992 ; Brady et al., 1995). Ces indicateurs permettent de tester empiriquement plusieurs propositions, qu’il y a tout lieu de considérer.

Hypothèses

La littérature sur le sujet fait ressortir que la plupart des attentes théoriques ne sont pas univoques. Toutefois en se basant sur les travaux de Dimitrova et ses collègues (2014), Lars Nord (2011) et plusieurs parmi les auteurs cités précédemment, il est possible de formuler une première hypothèse générale :

  • Hypothèse 1 : Une plus grande consommation de n’importe quel type de média augmente le niveau d’information politique spécifique à la campagne que possède un électeur.

Le raisonnement derrière cette hypothèse intuitive est que peu importe le type de média consommé, l’électeur risque fort probablement d’y trouver de l’information politique de campagne et de l’intérioriser. Toutefois, certains travaux récents (tous ceux des cyber-pessimistes mentionnés ci-dessus) laissent entendre que les médias traditionnels auraient un impact plus important et, en ce sens, la sous-hypothèse suivante est formulée :

  • Hypothèse 2 : Les médias traditionnels ont un effet positif relatif plus important sur l’acquisition de l’information de campagne que les nouveaux médias.

Autrement dit, les technologies de l’information associées à Internet ne seraient, au mieux, que complémentaires dans l’acquisition de l’information politique lors des élections ou, au pire, iraient même jusqu’à freiner l’acquisition d’information. Finalement, il y a tout lieu de croire qu’il y a des effets différenciés de certains médias qui interagissent avec certaines caractéristiques individuelles, bien qu’il n’y ait aucune anticipation formelle.

Résultats descriptifs : quels types de médias sont consommés ?

Le premier enjeu de l’analyse consiste à examiner quels types de médias les Canadiens consomment lors d’élections provinciales. Voici les résultats pour l’Ontario et le Québec, qui correspondent également aux distributions des cinq variables indépendantes.

Tableau 1

La consommation des différents types de médias en Ontario (2011) et au Québec (2012)

La consommation des différents types de médias en Ontario (2011) et au Québec (2012)

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Dans l’ensemble, on observe que la télévision domine à la fois en utilisant la moyenne et la médiane comme mesure de tendance centrale et que l’attention aux journaux vient en deuxième position. Le troisième média en importance est Internet, suivi de la radio et finalement de Twitter. Il est donc possible de conclure sans équivoque que les médias traditionnels (par rapport aux nouvelles technologies liées à l’utilisation d’Internet) sont davantage consommés par les Ontariens et les Québécois lors d’élections provinciales. Du côté des nouveaux médias, Internet est utilisé de manière assez importante par les citoyens, mais Twitter seul ne constitue pas une plateforme de choix pour ces derniers lorsque vient le temps de porter attention à la campagne.

On notera également que, dans l’ensemble, la consommation est plus importante au Québec, et ce, pour tous les types de médias, ce qui est vraisemblablement lié au contexte « extraordinaire » (Bastien et al., 2013) de l’élection de 2012 abordé précédemment dans la mise en contexte électorale. Les tests t révèlent que les différences sont significativement différentes à p < 0,01 dans chaque cas. Maintenant que les distributions des variables indépendantes ont été expliquées et que quelques constats s’en dégagent, leur impact sur l’apprentissage de l’information politique de campagne reste à déterminer.

Impact des médias sur l’information politique

Cette section vérifie l’hypothèse 1 voulant qu’une augmentation de la consommation médiatique aille de pair avec un niveau d’information politique de campagne plus important, peu importe la nature du média.

Les modèles suivants (OLS / régression linéaire des moindres carrés) présentent les résultats de l’analyse pour l’élection ontarienne.

Tableau 2

Les déterminants de l’information politique de campagne – Ontario 2011

Les déterminants de l’information politique de campagne – Ontario 2011

Notes : OLS avec le niveau d’information politique de campagne comme variable dépendante.

Les coefficients sont donnés et les erreurs standards sont entre parenthèses.

***p < 0,01 **p < 0,05 *p < 0,10

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Les cinq premiers modèles illustrent l’effet des cinq types de médias à tour de rôle, en incluant l’ensemble des variables contrôles. On constate que la consommation autant de la télévision, des journaux, de la radio que d’Internet a des effets positifs et significatifs sur l’acquisition d’information politique, contrairement à Twitter. On remarque également que plusieurs variables contrôles ont des effets importants dans le sens prévu par la littérature recensée. Toutefois, le niveau de scolarité n’est pas significativement associé à une plus grande connaissance politique, ce qui a de quoi surprendre. Il n’est pas impossible que la variance causée par le niveau de scolarité sur la connaissance politique soit reflétée par la variable d’intérêt politique, qui apparaît comme un important prédicteur.

Tableau 3

Les déterminants de l’information politique de campagne – Québec 2012

Les déterminants de l’information politique de campagne – Québec 2012

Notes : OLS avec le niveau d’information politique de campagne comme variable dépendante.

Les coefficients sont donnés et les erreurs standards sont entre parenthèses.

***p < 0,01 **p < 0,05 *p < 0,10

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En maintenant ces contrôles constants et en y ajoutant les cinq types de médias d’intérêt dans le modèle 5, le portrait change quelque peu. La consommation des différents types de médias étant corrélée entre eux, il convient d’aborder la multicolinéarité du modèle. Premièrement, son effet principal est de complexifier l’obtention de résultats significatifs, ce qui rend les tests plus rigoureux. Deuxièmement, un modèle où tous les types de médias sont regroupés (le modèle 6 des tableaux 2 et 3) est utilisé pour mesurer l’effet indépendant de chacun d’eux, en contrôlant pour la consommation des autres types de médias.

Ce dernier modèle change les résultats de deux façons. D’une part, les coefficients diminuent légèrement, tel qu’attendu en incluant l’ensemble des variables dans le modèle, et, d’autre part, la consommation de la radio et d’Internet n’est plus significative. En somme, le modèle le plus conservateur en termes de tests statistiques indique que seulement deux médias sur cinq ont un effet significatif sur l’acquisition d’information de campagne. En se basant sur ce dernier modèle, l’hypothèse 1 ne trouve qu’un appui partiel puisque ce ne sont pas tous les médias qui ont un impact significatif et positif indépendant, conclusion qui s’applique également au Québec de 2012, élection qui sera maintenant analysée.

Dans l’ensemble, les résultats sont très similaires à ceux présentés pour l’Ontario et pointent dans la même direction en ce qui concerne les variables d’intérêt : quatre médias sur cinq, encore une fois la télévision, les journaux, la radio et Internet, ont un effet positif significatif sur l’acquisition d’information de campagne lorsqu’on n’inclut pas tous les médias dans un même modèle. Le dernier modèle indique toutefois que, contrairement à l’Ontario, ce sont quatre médias sur cinq qui maintiennent un impact indépendant, mais trois sur cinq qui ont un effet positif (puisque Twitter est significatif mais négatif, ce qui est vraisemblablement expliqué par le fait que ses utilisateurs sont des individus particuliers mais dont une explication satisfaisante va au-delà de la portée de l’article). Autrement dit, Internet, un nouveau média, a maintenant un impact sur l’acquisition d’information même en contrôlant pour tous les autres facteurs.

À la lumière des résultats, pour les deux élections, l’hypothèse 1 se trouve donc seulement partiellement confirmée puisque la consommation de la radio, de Twitter et d’Internet (en Ontario) n’a pas systématiquement un effet positif indépendant sur l’acquisition d’information de campagne. Et si ces résultats indiquent que la plupart des médias ont un effet sur l’acquisition d’information politique, ils permettent également d’évaluer lesquels ont le plus d’impact, c’est-à-dire l’ampleur de leur effet, et de tester l’hypothèse 2.

Médias traditionnels versus nouveaux médias : lequel des deux types a le plus grand impact ?

En évaluant l’ampleur relative des médias traditionnels, il est possible de confirmer ou d’infirmer l’hypothèse 2 de cette recherche, qui stipule que les médias traditionnels ont un effet positif plus important sur l’acquisition de l’information de campagne que les nouveaux médias en s’appuyant sur les conclusions de la littérature des cyber-pessimistes. Il faut toutefois spécifier que les nouveaux médias peuvent être complémentaires et pourraient être davantage bénéfiques lors d’élections subséquentes à celles étudiées ici. L’exercice consiste à évaluer les coefficients des tableaux 2 et 3 et de calculer, puisqu’il s’agit d’une OLS simple, quelle est l’ampleur de l’effet produit par les différents types de médias et ensuite d’illustrer les valeurs prédites par graphique.

Graphique 1

Impact de la consommation des journaux et d’Internet sur le niveau d’information politique – Ontario 2011

Impact de la consommation des journaux et d’Internet sur le niveau d’information politique – Ontario 2011

Notes : N = 835. Les intervalles de confiance ont été calculés avec la commande margin du logiciel Stata. Les intervalles de confiance ne sont pas constants pour toutes les valeurs car le nombre d’observations à certaines valeurs varie parfois.

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Pour l’Ontario, un média traditionnel, à savoir les journaux, est celui qui a le plus grand impact. Un individu ne consommant pas du tout la télévision et qui passerait de 0 à 1 sur l’échelle de consommation d’information durant la campagne augmenterait son niveau d’information de 25 %. Quant à Internet, l’augmentation pour ce même individu (toutes choses égales par ailleurs) serait de 16 %, soit beaucoup moins que le média ayant le plus d’impact, les journaux, de même que la télévision, qui arrive deuxième. Il y a également tout lieu de rappeler que ces effets sont obtenus à partir du modèle statistique le plus conservateur. Pour une meilleure vue d’ensemble des effets des médias, le graphique 1 illustre les valeurs prédites du niveau information politique en fonction du niveau de consommation des journaux et d’Internet, et montre un impact net positif beaucoup plus grand dans le premier cas.

Le constat principal des résultats concernant l’Ontario, à savoir que les médias traditionnels (plutôt que les nouveaux médias) sont plus efficaces dans l’acquisition d’information de campagne électorale par les citoyens, s’applique également au Québec. Toutefois, la télévision a un impact légèrement plus important que les journaux (contrairement au cas ontarien), bien que les deux aient un effet beaucoup plus important que la consommation d’Internet, tel qu’indiqué par les coefficients de l’OLS au tableau 3 (0,14 pour Internet vs 0,23 pour la télévision[6]). Le graphique 2 illustre le contraste entre les effets. En somme, l’effet des médias traditionnels est plus important que celui des nouveaux médias, et ce, tant en Ontario qu’au Québec, confirmant en ce sens l’hypothèse 2.

Graphique 2

Impact de la consommation des journaux et d’Internet sur le niveau d’information politique – Québec 2012

Impact de la consommation des journaux et d’Internet sur le niveau d’information politique – Québec 2012

Notes : N = 654. Les intervalles de confiance ont été calculés avec la commande margin du logiciel Stata. Les intervalles de confiance ne sont pas constants pour toutes les valeurs car le nombre d’observations à certaines valeurs varie parfois.

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Impact différencié chez certains sous-groupes ?

Malgré l’absence d’attentes claires quant à la possibilité que certains médias aient davantage d’impact chez des groupes particuliers plutôt que sur l’ensemble de la population, certains constats exploratoires peuvent être dressés. Plusieurs liens ont été examinés, mais, dans la plupart des cas, il n’y avait pas de schéma systématique d’effets différenciés des médias. Néanmoins, le graphique 2 illustre trois constats intéressants.

D’abord, tous les modèles ont été établis sur les données de l’Ontario et du Québec mises en commun pour refléter des effets présents dans les deux cas, avec l’inclusion d’un contrôle pour l’Ontario. Cela augmente inévitablement le nombre d’observations. Le modèle 1 fait interagir la scolarité avec la télévision. L’interprétation est la suivante : les moins instruits apprennent davantage que les gens plus instruits lorsqu’ils écoutent la télévision. Cette relation pourrait s’expliquer par le simple fait que la télévision rejoint particulièrement des groupes qui ne seraient pas exposés à de l’information de campagne par le biais des talk shows d’infodivertissement (Baum, 2003). Elle pourrait également s’expliquer par le fait que la télévision est un mode d’accès plus simple à l’information et qu’ainsi la courbe d’apprentissage est plus importante chez les moins instruits. Le modèle 2 fait voir une autre relation intéressante : les plus âgés apprennent moins que les plus jeunes en utilisant Internet. Intuitivement, ce résultat est vraisemblablement lié aux aptitudes techniques des plus jeunes et leur habileté à utiliser de façon optimale Internet comme média d’information. Néanmoins, le coefficient indique que la relation reste modeste. Finalement, Twitter étant un média dominé par les hommes, une interprétation du dernier modèle pourrait être que les femmes, moins habituées à ce média, trouvent plus difficilement l’information politique de campagne et peuvent moins l’intérioriser. Il s’agit d’explications ad hoc et qui nécessitent certainement davantage d’investigations, mais qui, à la base, proviennent de constats qui montrent des effets différenciés de médias chez certains groupes. Toutefois, des schémas systématiques n’ont pas été révélés par les données, ce qui met en garde contre des généralisations à cet effet : il vaut mieux, pour l’instant, s’en tenir à quelques résultats circonscrits, qui sont récapitulés en conclusion.

Tableau 4

Effets différenciés des médias en fonction de l’âge, du genre et du niveau de scolarité

Effets différenciés des médias en fonction de l’âge, du genre et du niveau de scolarité

Notes : OLS avec le niveau d’information politique de campagne comme variable dépendante.

Les coefficients sont donnés et les erreurs standards sont entre parenthèses.

***p < 0,01 **p < 0,05 *p < 0,10

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Conclusion : premier round aux médias traditionnels

En guise de conclusion, il y a lieu de mettre en lumière les mérites et les limites de l’analyse. Tout d’abord, le premier volet descriptif permet d’établir que les médias traditionnels sont encore, au début des années 2010, davantage consommés lors d’élections provinciales. Entre autres choses, c’est la télévision qui trône au sommet, et ce, dans les deux cas. Ensuite, l’hypothèse que tous les types de médias augmenteraient l’information politique de campagne d’un répondant n’a été que partiellement confirmée, puisque ce n’est pas la totalité des médias qui ont l’effet positif significatif attendu. De plus, l’analyse a démontré que parmi les diverses sources de consommation de l’information, les médias traditionnels ont un impact plus important que les nouveaux médias sur la capacité à acquérir de l’information durant une campagne (hypothèse 1). Ces régularités s’observent dans les deux cas (Ontario et Québec) (voir les tableaux 2 et 3). En ce sens, une des conclusions principales de cette recherche consiste à inviter à la prudence lorsque vient le temps de commenter la démocratisation de l’information par rapport aux nouveaux médias.

Par ailleurs, il y a deux éléments importants à noter quant à la robustesse des résultats obtenus. Premièrement, ils résistent à l’ajout de variables contrôles majeures, rendant conservatrices les analyses présentées. Deuxièmement, ces résultats peuvent aisément écarter l’objection de l’endogénéité[7], puisque, contrairement aux études sur l’information politique générale, il est (très) peu probable, voire impossible, que le fait de connaître l’information politique propre à une campagne électorale telle que des slogans ou d’associer correctement des images de leaders aux bons partis affecte la consommation des quatre médias analysés. Cet avantage se distingue par rapport aux études sur l’information générale où l’on peut se demander si c’est le fait d’être plus informé qui mène à une plus grande consommation médiatique, ou l’inverse.

Néanmoins, l’analyse présente une limite importante du fait qu’elle n’intègre que deux élections, soit celles de 2011 en Ontario et de 2012 au Québec, et même si ces deux cas suggèrent des régularités quasi identiques cohérentes, tant dans la consommation des médias que dans l’impact de ces derniers, il y a tout lieu d’être prudent quant à la généralisation de ces résultats aux autres provinces canadiennes. L’article démontre que la prudence est également de mise en matière de généralisation des effets différenciés des médias sur certains groupes, bien que quelques effets d’interaction avec l’âge, le genre et le niveau de scolarité aient été relevés.