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Conçu à partir du contenu d’un cours en ligne offert par l’auteur à l’École de service social de l’Université Laval, le livre s’adresse aux personnes s’intéressant aux fondements sociopolitiques du service social. Ajoutons que les étudiants en service social pourraient en être les premiers bénéficiaires, compte tenu qu’il est axé spécifiquement sur le travail social avec un souci pédagogique certain (pour chacun des chapitres, figure une section autoévaluation et réflexions personnelles à partir de questions de l’auteur).

Le but du livre est de « présenter les principaux éléments théoriques de base empruntés à la sociologie et à la science politique qui ont le plus influencé le service social » (p. 2). Selon l’auteur, le manuel ne porte pas directement sur l’intervention en travail social, mais bien sur ce qui la précède comme socle théorique pour mieux l’orienter. Le livre se divise en trois grandes sections. Une première présente le service social, son modèle de base, ses valeurs, le processus d’intervention et les principes de la pensée critique appliqués au service social. Dans cette section, il est rappelé que le service social a longtemps été défini sur la base d’autres disciplines, telles que la sociologie ou la psychologie par exemple, et, qu’avec le temps, un corpus théorique propre au travail social s’est établi. Concernant le modèle de base en service social, il est mentionné que celui-ci s’alimente à deux points de vue : celui de l’interaction existante entre l’individu et son environnement et celui reconnaissant l’importance de miser sur les forces des individus, des groupes et des communautés dans l’intervention.

La deuxième section s’intéresse à l’influence de grands paradigmes sociologiques sur le service social. Préalablement, les concepts d’épistémologie et de paradigme sont abordés dans le contexte de leur application en service social. Dans cette section, sont passées en revues diverses théories sociologiques en lien toujours avec le service social. Les théories retenues sont les suivantes : le fonctionnalisme et, en complément, le pragmatisme; l’approche conflictuelle de Marx (appelée aussi théorie du conflit social) et de ses successeurs, le structuralisme et le culturalisme, la sociologie compréhensive et l’interactionnisme, la théorie générale des systèmes et l’analyse écosystémique, enfin, le constructivisme et le postmodernisme. Pour chacune de ces théories, on retrouve une définition et des explications tenant aux caractéristiques propres du modèle théorique, les principaux auteurs et les liens avec le travail social.

La dernière section intitulée Questions actuelles s’intéresse à un certain nombre de questions contemporaines qui se posent en enjeux pour la pratique du travail social. Elle couvre notamment les pratiques anti-oppressives ou inclusives en service social, des questions liées à la diversité (race et ethnicité, âge, production du handicap, opinions religieuses et politiques). Aussi, des aspects tenant à l’identité, au sexe et au genre ainsi qu’à l’orientation sexuelle sont présentés et discutés. En fin de parcours, le livre aborde le thème de la mondialisation ainsi que celui du changement social. Pour ce dernier thème, l’auteur souligne l’importance que les travailleurs sociaux et les travailleuses sociales soient de réels agents de changement social compte tenu qu’ils sont des témoins de premier plan des injustices sociales existantes dans la société.

À mon avis, cet ouvrage représente une contribution majeure pour le service social. C’est ainsi, en particulier, que les étudiants et les intervenants en travail social trouveront dans ce manuel un point d’appui important à leur réflexion sur les interventions dans un contexte sociétal élargi et selon des modèles théoriques de base. Concernant ces derniers, le livre présente l’avantage de bien en communiquer les fondements, d’en identifier les principaux auteurs et leurs perspectives et d’inscrire un dialogue entre ces modèles et l’intervention sociale.

La force du livre réside dans la qualité de la documentation, la diversité des modèles exposés, leur pertinence pour le service social et l’accessibilité du texte à des fins pédagogiques. L’intention est presque démesurée : rendre compte de la diversité des écoles et des points de vue théoriques servant de genèse aux fondements sociopolitiques du service social. L’auteur s’en acquitte remarquablement en nous faisant partager sa longue expérience et une maturation certaine de sa réflexion nuancée sur les différents modèles théoriques ainsi que sur certains enjeux sociétaux concernant le service social. Un exemple concret : la réflexion faite sur les limites de l’éloge de la diversité. L’auteur souligne avec justesse le fait qu’en plaçant trop la lentille sur les différences existantes entre les groupes spécifiques d’individus, on risque d’occulter les nombreuses ressemblances qu’ils ont. Comme illustration, il réfère au dossier comparé de la santé des hommes et de celles des femmes en soulignant qu’à ce chapitre, il existe moins de différences globalement selon le sexe qu’entre des groupes d’hommes spécifiques.

Dans la perspective d’une deuxième édition éventuellement – car, le livre risque de bien se vendre, surtout s’il est utilisé comme manuel scolaire – quelques points mériteraient, selon moi, une attention. Ces points sont de portée inégale. D’entrée de jeu, pour le lecteur moins familier avec la profession, il serait peut-être bon de préciser que les expressions « service social » et « travail social » sont synonymes afin d’éviter qu’on se pose la question. Plus important, il me semble, est la définition que donne l’auteur de la sociologie en se référant à Rocher (1992). Oui, il est vrai que cette discipline porte, entre autres, sur « l’analyse des faits sociaux » et qu’elle « étudie la société comme produit de l’activité humaine ». Dans la réponse qu’il donne à la fin du livre dans les « autoévaluations », l’auteur mentionne que l’objet de la sociologie est « la société, ou les faits sociaux » (p. 341). À la lecture de cette définition, Weber pourrait se retourner dans sa tombe. En effet, dans la définition classique de la sociologie, on réfère régulièrement (sinon toujours) aux deux grandes traditions que sont « comprendre » (subjectivité des individus dans leur rapport entre eux et avec la société) et « expliquer » la réalité sociale (analyse des faits sociaux au sens de Durkheim). Rocher, lui-même cité par l’auteur, sert une mise en garde en précisant qu’« une des règles les plus fondamentales de l’analyse sociologique (…) veut que l’on cherche à comprendre et à expliquer tout phénomène étudié en le reportant à son contexte le plus global » (Rocher, 1969, p. 10). Aussi, dans la même section Réponses aux autoévaluations, l’auteur mentionne que l’objet de la psychologie est la psyché humaine ou, encore, l’individu. Est-ce prudent de le définir ainsi selon une perspective essentiellement intrapsychique? L’étude du comportement ne serait-elle pas un des objets premiers de la psychologie?

Autre question : dans l’introduction, il est mentionné qu’on retrouve dans le livre une synthèse de concepts relevant de la sociologie, de la philosophie et des sciences politiques. À la page suivante (buts et objectifs), il est souligné que le livre va référer à des éléments théoriques de base issus de la sociologie et de la science politique (au singulier). Enfin, la section 2, qui est le corpus théorique du livre, porte sur l’influence des grands paradigmes sociologiques. Il est vrai que, dans l’ensemble du livre, la philosophie et la science politique occupent une place quasi inexistante comparativement à la sociologie. Ne serait-il pas indiqué d’ajuster la présentation en conséquence?

Enfin, en référant au modèle de base du travail social, l’auteur aborde le point de vue de l’intervention s’appuyant sur les forces des individus, des groupes et des communautés. C’est très pertinent. Cependant, lorsqu’il précise que, dans ce type d’intervention, la personne en demande d’aide est « celle qui détermine le sens et la direction des actes professionnels posés » (p. 12). Je ne suis pas certain qu’il n’y a pas un dialogue entre la personne et l’intervenant-e qui conduise à donner un sens et une direction aux interventions, que le processus n’est pas linéaire, mais le produit d’une dyade.

Voilà quelques commentaires et questions à l’auteur dans le contexte d’une révision éventuelle. Ils ne remettent nullement en cause l’importance de l’ouvrage, sa pertinence et la qualité de la documentation. Bonne lecture à toutes et à tous.