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Introduction

Au Québec, 38 % des adultes en traitement pour une dépendance à l’alcool et aux drogues sont parents d’enfants de 17 ans ou moins (Bertrand, Allard, Ménard et Nadeau, 2007). Si les parents ayant une dépendance n’ont pas tous des habiletés parentales lacunaires (Hogan et Higgins, 2001; Lussier, Laventure et Bertrand, 2010), il est néanmoins reconnu que cette problématique interfère avec leur rôle de parent (Hogan et Higgins, 2001; Mayes et Truman, 2002). En effet, le temps et l’énergie consacrés aux activités de consommation chez ces parents limitent leur disponibilité physique et émotionnelle pour répondre aux besoins de leur enfant (Barnard, 2007). Cette consommation constitue un risque pour le développement de leur enfant. Ces derniers présentent, en effet, un taux élevé de problèmes extériorisés (i.e., hyperactivité, troubles de comportement, etc.) et de problèmes intériorisés (i.e. anxiété, dépression, etc.) en plus de vivre des difficultés au plan cognitif et d’accuser des retards scolaires (Barnard et McKeganey, 2004; Vitaro, Assaad et Carbonneau, 2004).

Pour améliorer les compétences des parents de familles vulnérables, de nombreux programmes d’entrainement aux habiletés parentales (PEHP) ont été conçus (Baker, Arnold et Meagher, 2011 Normandeau et Venet, 2003) depuis les 25 dernières années (Sanders, 2008). S’inspirant de la théorie de l’apprentissage social, du conditionnement opérant et de la théorie de coercition de Patterson (Hauth-Charlier et Clément, 2009; Kazdin, 2009; Sanders, 2008;), ces programmes abordent les habiletés parentales, le développement de l’enfant et les facteurs de risque contribuant à l’apparition et au maintien des problèmes de comportement chez l’enfant (Hurlburt, Nguyen, Reid, Webster-Stratton et Zhang, 2013; Kumpfer, Alvarado, Tait et Whiteside, 2007; Petersson, Petersson et Håkansson, 2003). Ces programmes se sont avérés efficaces pour augmenter les connaissances des parents quant à l’exercice de leur rôle parental (Steen, Pithon, Terrisse et Goussé, 2012) et pour améliorer leurs habiletés parentales (Marcynyszyn, Maher et Corwin, 2011; Steen et coll., 2012).

Malgré des résultats encourageants, les études portant sur l’engagement des parents dans des PEHP rapportent des taux d’abandon variant entre 24 % et 72 % (Baker et coll., 2011; Fernandez et Eyberg, 2009; Kennett et Chislett, 2012; Pilette, Letarte, Normandeau et Robaey, 2010). Les parents dépendants à l’alcool ou aux drogues présentent des taux d’abandon particulièrement élevés (Laventure, Charbonneau, Sarrazin et Bertrand, 2013).

Jusqu’à tout récemment, très peu de PEHP existaient spécifiquement pour les familles dont les parents présentent une dépendance. Ces parents devaient alors participer à des PEHP dans les organismes de première ligne et se sentaient en décalage par rapport aux autres familles du groupe. En effet, si 20 % des parents en traitement pour une dépendance à l’alcool et aux drogues manifestent un besoin d’aide en regard de leur rôle de parent (Bertrand et coll., 2007), ils expriment aussi la crainte d’être jugés s’ils participent à un programme familial avec leur enfant (Charbonneau, 2011). Pour pallier cette limite, au Québec, les centres de réadaptation en dépendance (CRD) ont implanté des PEHP spécifiquement développés pour les parents ayant une dépendance et leur enfant (âgé de 6 et 12 ans). Ces programmes se caractérisent par une intervention de groupe éducative et thérapeutique (Turcotte et Lindsay, 2001). Le choix d’offrir une intervention multidimensionnelle qui cible l’ensemble de la famille est fondé sur l’efficacité supérieure de ce type d’approche pour prévenir la consommation et la délinquance chez les enfants de parents dépendants comparativement aux interventions centrées uniquement sur les parents ou sur l’enfant à risque (Akram, Copello et Moore, 2014).

Ces PEHP visent à améliorer les relations familiales, les habiletés parentales et diminuer les problèmes de comportement des enfants. De façon plus spécifique, ils visent à permettre au parent ayant une dépendance l’alcool et aux drogues et à son enfant: (1) de mieux comprendre les impacts de la dépendance du parent sur l’enfant et sur le rôle de parent; (2) de réduire les répercussions de la dépendance parentale sur la vie familiale; et (3) d’expérimenter avec l’enfant et le parent différents outils pour mieux se connaitre et mieux communiquer au sein de la famille.

Pour arriver à l’atteinte des objectifs et ainsi produire quelconques effets chez les parents, il va de soi que ces derniers doivent participer au programme. Or, trop souvent les dispensateurs de PEHP sont confrontés à des difficultés importantes de rétention de la clientèle (Avis, Bulman et Leighton, 2007; Dumas, Nissley-Tsiopinis et Moreland, 2007; Dumas, Begle, French et Pearl, 2010).

Le modèle de McCurdy et Daro (2001) suggère que les caractéristiques des programmes, des organisations qui offrent les services et de la communauté permettent de comprendre pourquoi certains parents s’engageront alors que d’autres abandonneront. Certaines dimensions cliniques, l’alliance thérapeutique, la mise en place d’un plan d’intervention et le fait de faciliter l’accès aux services sociaux et psychiatriques lorsque requis sont également des éléments qui permettent d’expliquer la rétention des parents dépendants en traitement (Department of Child Safety, 2007).

Au-delà de ces dimensions organisationnelles et cliniques, différents modèles conceptuels conçus à ce jour en lien avec l’engagement des parents dans des programmes d’intervention (Kazdin, Holland et Crowley, 1997; McCurdy et Daro, 2001; Spoth et Redmond, 1995) considèrent que des caractéristiques personnelles des participants au programmes sont susceptibles d’influencer l’engagement. Ainsi, des caractéristiques propres aux parents, à leur enfant ou à la famille permettent de fournir des pistes explicatives quant à l’engagement des parents. Bien que ces modèles théoriques offrent des pistes intéressantes de réflexion, ils ne sont pas spécifiques aux parents dépendants et à leur persistance dans des programmes de traitement de type PEHP. Identifier les caractéristiques familiales associées à l’engagement dans un PEHP apparait pourtant essentiel pour adapter les interventions aux familles dont les parents sont aux prises avec une dépendance et de mieux répondre à la spécificité de leurs besoins.

Objectifs

La présente étude a pour objectif général de mieux comprendre les enjeux entourant l’engagement dans un PEHP des familles dont les parents sont aux prises avec une dépendance. Plus précisément, l’étude vise à (1) identifier les caractéristiques des familles ayant participé aux PEHP et (2) comparer les caractéristiques des familles ayant abandonné à celles ayant complété le programme.

Méthodologie

La présente étude est basée sur un devis quantitatif, exploratoire et descriptif. Elle a été réalisée dans quatre CRD du Québec. Les analyses présentées s’inscrivent dans un plus large projet d’évaluation d’implantation des PEHP spécifiquement développés pour les parents ayant une dépendance (Laventure et coll., 2013).

Échantillon

Parmi les parents recrutés pour participer aux PEHP, 37,5 % (n = 18) de ceux qui se sont présentés à l’évaluation initiale n’ont pas terminé le programme. Notons que parmi les familles ayant quitté prématurément, 66,6 % (n = 12) l’ont fait avant la troisième rencontre, 16,7 % (n = 3) avant la cinquième rencontre et 16,7 % (n = 3) avant la huitième rencontre. Les parents considérés comme ayant abandonné sont ceux qui ont décidé de ne plus assister aux rencontres du programme, sans que cette recommandation n’ait été émise par l’animateur, et ce, avant que l’ensemble des rencontres ne soit terminé (Kazdin, 2009). Les parents considérés comme ayant complété le programme sont ceux qui étaient présents à la dernière rencontre et qui avaient assisté à plus de 10 séances, minimalement à 75 % du programme.

L’échantillon est composé de 47 familles, soit 56 parents et 68 enfants. Plus spécifiquement, chez les parents 77,1 % (n = 43) sont des mères biologiques, 18,8 % (n = 11) des pères biologiques, 2,1 % (n = 1) est une mère adoptive et 2,1 % (n = 1) une grand-mère. Les parents sont âgés en moyenne de 37,7 ans (é.t. 9,1). Au total, 81,3 % des parents participant au PEHP présentent une dépendance aux psychotropes et 18,8 % sont des conjoints de parents dépendants ou un parent d’une mère dépendante. Chez les enfants, 37 sont des garçons âgés en moyenne de 8,8 ans (é.t. 2,1) et 31 sont des filles âgées en moyenne de 8,9 ans (é.t. 1,8).

Déroulement de l’étude

Une fois l’autorisation éthique confirmée par le Comité d’éthique de la recherche en toxicomanie, en janvier 2011, lors de l’inscription de la clientèle au PEHP, les familles étaient sollicitées en vue de participer au présent projet de recherche. Les familles invitées à participer aux PEHP et à l’étude ont été identifiées par les intervenants des CRD. Pour participer, l’adulte sollicité devait (1) être parent et avoir une dépendance et/ou aux drogues ou être le membre de l’entourage d’un parent ayant une telle problématique et (2) avoir au moins un enfant âgé entre 6 et 12 ans.

Avant que les rencontres de groupe ne soient amorcées, les familles ont été invitées à participer à une évaluation initiale visant à documenter leurs caractéristiques. Cette évaluation étant une composante déjà prévue dans l’implantation des programmes, les familles ayant accepté de participer à l’étude devaient également accepter que les résultats de leur évaluation initiale, consignés dans leur dossier clinique, soient accessibles aux chercheurs.

Mesures et instruments

Les caractéristiques des familles ont été évaluées à l’entrée dans le programme à l’aide de questionnaires inclus dans le Protocole d’Évaluation Multidimensionnel pour Enfants (PEME). Ce protocole d’évaluation, développé spécifiquement pour les parents d’enfants de 6-12 ans par le Groupe de Recherche sur les Inadaptations Sociales de l’Enfance, a permis d’établir le portrait clinique des familles entrant dans les PEHP selon la perception des parents participant aux programmes. Les instruments de mesure utilisés sont présentés ci-dessous.

Données socioéconomiques. Inspiré du questionnaire utilisé dans l’Enquête sur la santé mentale des jeunes de 6-14 ans (Breton, Valla et Bergeron, 1992), le présent questionnaire auto-rapporté par le parent permet de documenter différentes variables liées à la composition de la maisonnée et à la stabilité du milieu familial (nombre de recompositions familiales, de changements d’école et de déménagements).

Problèmes de comportement de l’enfant. La traduction du Child Behavior Checklist (Achenbach, 1991) est un outil évaluant le portrait comportemental des jeunes âgés de 6 à 18 ans au cours des six derniers mois. Complété par le parent, ce questionnaire est composé de 115 items de type Likert en trois points allant de « ne s’applique pas » à « toujours ou souvent vrai ». Cet instrument permet d’évaluer sept échelles comportementales (bris de règles, comportements agressifs, anxiété/dépression, retrait/dépression, somatisation, problèmes sociaux) et six échelles d’orientation en lien avec le DSM-IV (problèmes des conduites, problèmes oppositionnels, problèmes affectifs, problèmes anxieux, problèmes somatiques). En plus de ces échelles, il est possible de calculer des scores pour les problèmes intériorisés et extériorisés. Pour chacune des échelles, des seuils cliniques correspondants au sexe et à l’âge des enfants permettent d’établir la présence/absence d’un problème chez le jeune.

Pratiques éducatives. Traduit de l’Alabama Parenting Questionnaire (Frick, 1991), le questionnaire utilisé permet d’identifier les pratiques éducatives du parent à l’égard de son enfant. Composé de 42 items de type Likert en cinq points allant de « jamais » à « toujours », ce questionnaire permet de mesurer cinq dimensions distinctes. Pour la présente étude, quatre échelles ont été retenues, soit l’engagement parental, les comportements éducatifs positifs, la supervision et l’incohérence de la discipline. Le score de chacune des échelles est obtenu par la moyenne de tous les items d’une même échelle.

Fonctionnement familial. La traduction du Family Assessment Device (Epstein, Baldwin et Bishop, 1983) vise à évaluer sept aspects du fonctionnement de la famille : la résolution de problème, la communication, les rôles, l’investissement affectif, l’expression affective, le contrôle des comportements et le fonctionnement familial général. Ce questionnaire comporte 60 énoncés et une échelle Likert en quatre points variant de « je suis fortement d’accord » à « je suis fortement en désaccord ».

Ressources personnelles du parent. Quatre échelles de la traduction du Perceived Adequacy of Ressources Scale (Rowland, Richard, Dodder et Nichols, 1985) ont été utilisées, soit l’environnement physique, le temps, les ressources financières, les ressources interpersonnelles. Composées de quatre items chacune, ces échelles permettent de mesurer la perception qu’a le parent des ressources dont il dispose. L’échelle de type Likert comporte quatre points allant de « fortement en désaccord » à « fortement en accord ».

Stress familiaux. Une adaptation du Family Inventory of Life Events and Changes (McCubbin et Patterson, 1991) est utilisée pour évaluer les évènements normatifs et non normatifs de la vie familiale, les transitions et les contraintes qu’a pu connaitre une famille au cours de la dernière année. Composé de 38 évènements différents, le questionnaire permet d’identifier les évènements vécus et le niveau de stress associé sur une échelle Likert en cinq points variant de « aucunement stressant » à « extrêmement stressant ».

Analyses

Des analyses descriptives et comparatives non paramétriques (le khi-carré et le Wilcoxom-Mann Whitney) ont été menées à l’aide du logiciel SPSS. Des analyses non paramétriques ont été priorisées et réalisées considérant la faible taille de l’échantillon à l’étude. En effet, les tests non paramétriques ne font aucune hypothèse sur la distribution sous-jacente des données. On les qualifie souvent de tests à « distribution free ». L’étape préalable consistant à estimer les paramètres des distributions avant de procéder au test d’hypothèse proprement dit n’est, alors, plus nécessaire.

Résultats

Les résultats obtenus permettent de tracer non seulement le portrait clinique des familles qui s’engagent à un PEHP, mais principalement celui des familles qui abandonnent avant la fin. En effet, malgré la présence de motivations initiales, toutes les familles qui ont commencé le programme ne l’ont pas complété. Ainsi, les résultats obtenus à l’évaluation initiale ont permis de tracer et de comparer le portrait clinique des familles ayant complété un PEHP et celles ne l’ayant pas complété.

Données sociodémographiques

Sur le plan socioéconomique, la structure familiale, la stabilité familiale, le placement en milieu substitut du parent et/ou de l’enfant, la scolarité et l’occupation principale des parents participants à un PEHP sont documentées (voir tableau 1).

Tableau 1

Conditions socioéconomiques des familles

Conditions socioéconomiques des familles

† = 0,07

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Parmi l’ensemble des familles inscrites à un PEHP, une famille sur trois est intacte, c’est-à-dire que les deux parents biologiques vivent toujours ensemble. Plus d’une famille sur dix est recomposée, alors qu’une famille sur trois est monoparentale (les familles monoparentales maternelles sont plus nombreuses que celles paternelles). Les autres enfants de l’échantillon ne vivent plus dans leur milieu familial; ils ont été placés en famille d’accueil ou chez un membre de la famille. La structure familiale ne permet pas de différencier les familles qui ont terminé ou non le PEHP [X2=7,53, dl = 6, n.s.].

Certains enfants ont connu des changements familiaux, scolaires et domiciliaires. En moyenne, les enfants de notre échantillon, âgés de 6 à 12 ans, ont vécu, au cours de leur vie, 5,56 recompositions familiales, 1,55 changement d’école et 3,64 déménagements. Certains enfants ont connu davantage d’instabilité depuis leur naissance, le nombre de recompositions familiales variant de 0 à 17, le nombre de changements d’école variant entre 0 et 6 et le nombre de déménagements de 0 à 9. Or, qu’il s’agisse du nombre de recompositions familiales [U = 197,5, n.s.], du nombre de changement d’école [U = 207,0, n.s.] et du nombre de déménagements [U = 207,5, n.s.], l’instabilité familiale ne permet pas de différencier les familles qui ont complété le PEHP de celles ayant abandonné le programme.

Si au cours de leur propre enfance, 30,2 % des parents ont été placés en milieu substitut, chez les enfants de notre échantillon 21,3 % ont été placés avant l’âge de 12 ans. Ni le placement du parent [X2=0,11, dl = 1, n.s.], ni celui de l’enfant [X2=0,09, dl = 1, n.s.] ne permettent de différencier les familles qui ont terminé le PEHP de celles qui ont abandonné avant la fin.

Près de la moitié des parents participants à un PEHP ont minimalement un diplôme d’études secondaire (incluant un diplôme professionnel), un peu plus d’un parent sur dix a obtenu un diplôme d’études collégiales et un parent sur dix a un diplôme universitaire. De plus, 43,2 % des parents ont un travail rémunéré, les autres parents ne travaillant pas à l’extérieur de la maison (bénéficient de l’aide sociale, tiennent maison ou ne travaillent pas). Si le niveau de scolarité des parents ne permet pas de différencier les familles ayant complété le PEHP de celles ayant abandonné en cours de programme [X2=3,91, dl = 5, n.s.], leur occupation principale tend à les distinguer [X2=8,65, dl = 5, p = 0,07]. Les parents qui n’ont pas complété le programme sont moins nombreux à avoir un travail rémunéré que les parents qui ont complété le programme.

Caractéristiques des enfants

Les familles ayant complété le PEHP et celles ayant abandonné ont par la suite été comparées sur la présence de problèmes intériorisés et/ou extériorisés chez l’enfant (voir tableau 2).

Tableau 2

Caractéristiques personnelles des enfants

Caractéristiques personnelles des enfants

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À leur entrée dans le programme, près d’un jeune sur deux présente des problèmes intériorisés et plus d’un jeune sur deux présente des problèmes extériorisés. Bien que les enfants des familles qui n’ont pas complété le programme soient plus nombreux à présenter des problèmes sociaux, d’anxiété et d’agressivité les caractéristiques personnelles des enfants ne permettent pas de distinguer de manière significative les familles qui ont complété le PEHP de celles qui ne l’ont pas complété.

Caractéristiques familiales

Les caractéristiques familiales incluant les pratiques éducatives, le fonctionnement de la famille et les stress vécus par la famille (voir tableau 3) ont également été évaluées à l’entrée dans le programme.

Sur le plan des pratiques éducatives, la difficulté rapportée par plus de la moitié des parents est la présence de discipline inconstante. Un peu plus d’un parent sur dix rapporte un manque d’engagement et de supervision parentale. Sur le plan du fonctionnement familial, deux familles sur trois identifient que le partage des rôles est un problème. Une famille sur trois rapporte des difficultés liées à la résolution de problème. Près d’une famille sur deux rapporte un manque de communication familiale et un faible investissement affectif entre les membres de la famille. Au cumul de ces difficultés, une famille sur trois participant à un PEHP rapporte des problèmes importants de fonctionnement familial.

Sur le plan des ressources familiales, en ordre d’importance, les familles rapportent un manque de ressources au niveau des revenus, des relations interpersonnelles, de leur environnement physique et du temps. En lien avec les stress vécus au cours de la dernière année, les familles qui participent à un PEHP rapportent principalement vivre des stress associés aux conflits familiaux (conflits entre les parents, entres les enfants, entre les parents et les enfants), aux troubles de comportement importants chez l’enfant (délinquance, fugue) et à une surcharge au travail pour les parents.

De toutes les caractéristiques familiales évaluées, quatre permettent de différencier les familles qui ont complété le programme de celles qui ont abandonné avant la fin, soit le manque de supervision parentale, les difficultés de communication familiale, le dysfonctionnement familial et la présence de stress. En ce sens, dans les familles ayant abandonné le programme, les parents sont plus nombreux à avoir une supervision lacunaire [X2 = 5,06, dl = 1, p = 0,04], à avoir des difficulté de communication avec leur enfant [X2 = 5,12, dl = 1, p = 0,03], et à présenter plus de dysfonctionnement familial [X2 = 7,26, dl = 1, p = 0,01]. Enfin, comparées aux familles qui ont complété le programme, celles qui ont abandonné ont connu, au cours de la dernière année, un nombre plus élevé de stress (absence du parent, conflits familiaux, fugue de l’enfant) [U = 183,5, p = 0,05].

Tableau 3

Caractéristiques familiales

Caractéristiques familiales

*p ≤ 0,05 **p ≤ 0,01

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Conclusion

Dans le but d’améliorer la rétention des parents dépendants à l’alcool et aux drogues dans un PEHP et malgré un échantillon limité, la présente étude permet tout de même certaines conclusions. En effet, par l’intérêt porté aux caractéristiques de la clientèle ayant complété le programme et celles des familles ayant abandonné, cette étude permet d’identifier certaines caractéristiques susceptibles de faire obstacle au traitement une fois les familles engagées dans le processus d’intervention.

Bien que les PEHP soient reconnus comme efficaces, ils ne réussissent pas toujours à retenir les familles vulnérables qui pourraient en bénéficier (Gainey, Catalano, Haggerty et Hoppe, 1995; Kennett et Chislett, 2012; McWey, Holtrop, Wojciak et Claridge, 2014). Pour expliquer cette inadéquation, Kazdin et coll. (1997) indiquent que les familles qui sont confrontées à une multitude d’obstacles sont plus à risque d’abandonner le programme d’intervention. Les résultats de la présente étude confirment, en partie, cette affirmation. En effet, comparées aux familles qui ont complété le programme, des caractéristiques familiales différencient les familles qui ont abandonné avant la fin du PEHP. Une moins bonne situation professionnelle des parents, un manque de supervision parentale, une faible communication familiale, un dysfonctionnement familial et la présence d’un nombre plus important de stress au cours de la dernière année sont les caractéristiques associées à l’abandon d’un PEHP chez les familles dont les parents présentent une dépendance.

Sans prétendre d’un lien de cause à effet, à la lumière de ces résultats, certaines hypothèses sont possibles. D’abord, améliorer les habiletés parentales ou les comportements de l’enfant pourraient apparaitre comme peu prioritaires pour les familles qui doivent déjà composer avec de multiples stress (Schnirer et Stack-Cutler, 2012). Les parents qui abandonnent percevraient alors la participation à un PEHP, non pas comme une aide à leurs difficultés, mais comme un stress supplémentaire à leur quotidien (Friars et Mellor, 2009). Il est également possible de croire que les parents qui présentent plus de complications relationnelles avec leur enfant évaluent plus difficilement les avantages à court terme d’un PEHP. En effet, il est reconnu dans le modèle motivationnel de Prochaska, DiClemente et Norcross (1992) que pour entreprendre une démarche et y persister, une personne doit percevoir plus d’avantages à changer sa situation qu’à demeurer dans sa position actuelle. De même, le niveau de confiance en sa capacité d’effectuer un changement est essentiel à la motivation, comme Miller et Rollnick (2006) le soulignent. Or, la motivation initiale n’est pas infaillible et la présence de stress familiaux peut la modifier, notamment en accentuant le sentiment d’impuissance de ces familles en situation de vulnérabilité. Les familles qui n’ont pas complété le programme pouvaient donc avoir initialement une motivation à entreprendre une telle démarche, mais le cumul de difficultés familiales et relationnelles et l’absence de résultats immédiats auront eu raison de leur motivation. Les résultats de l’étude appuieraient donc ceux de Corso, Fang, Begle et Dumas (2010) qui indiquent que les bénéfices et les coûts perçus à la participation sont des éléments qui influencent la présence aux rencontres.

En ce sens, les PEHP doivent prendre en compte la chronicité de certaines problématiques de dépendance et assurer une continuité entre les épisodes de services souvent nombreux chez cette clientèle (Tremblay, Bertrand, Landry et Ménard, 2010). Dès le début du programme, il serait important de mettre l’emphase sur la notion de choix et de s’assurer de faciliter le processus de retour dans les services au besoin. Ainsi, si le parent considère qu’il n’est pas prêt à s’investir dans une démarche qui nécessite un engagement important en termes de temps et d’énergie comme c’est le cas en ce qui concerne les PEHP, de par le nombre de rencontres préétabli et le contenu interactif qui demande une participation active du parent (Hauth-Charlier et Clément, 2009), il sentira alors qu’il sera le bienvenu ultérieurement. Afin de retenir au sein des programmes les familles les plus susceptibles de le quitter, le repérage des celles qui présentent de plus grandes difficultés est incontournable. Les contacts fréquents avec les parents en cours de programme apparaissent alors essentiels pour demeurer à l’affût des besoins en constante évolution des familles les plus vulnérables (Prinz et Miller, 1994).

Si les caractéristiques personnelles des participants aux PEHP permettent certaines hypothèses en lien avec l’engagement, il semble qu’à elles seules, elles ne peuvent expliquer pourquoi certains parents s’engageront dans des programmes alors que d’autres non ou abandonneront en cours de processus (McCurdy et Daro, 2001). Malgré que les parents ayant participé à la présente étude ont tous participé à un PEHP, le contexte dans lequel le programme leur a été offert a pu différer en fonction des organisations, des intervenants ou même de la communauté. Les résultats obtenus ne permettent donc pas d’évaluer l’impact des dimensions organisationnelles et communautaires qui ont pu différer d’un site d’implantation à l’autre. Les résultats permettent, toutefois, d’insister sur l’importance de mettre en place des mesures organisationnelles qui répondent aux besoins des familles vulnérables et qui favorisent le maintien de ces familles dans un PEHP.

Enfin, les résultats obtenus doivent être interprétés à la lumière de certaines limites. D’abord, la petite taille de l’échantillon limite les possibilités de généralisation des résultats obtenus. Si cette étude demande à être reproduite avec un plus large échantillon de familles, elle aura néanmoins permis d’explorer de façon préliminaire les caractéristiques des familles qui abandonnent ou qui persistent dans un PEHP. Les résultats permettent de rendre compte uniquement de la réalité vécue par les familles qui étaient intéressées initialement par le programme et qui ont été sollicitées par les intervenants des milieux de collecte de données. Ces familles présentent donc peut-être elles-mêmes des caractéristiques qui les distinguent des autres familles qui ont refusé de participer ou de celles qui n’ont pas été approchées par les intervenants. De plus, outre les caractéristiques qui les distinguent, il serait également intéressant d’avoir le point de vue des familles qui n’ont pas complété le programme pour en connaître les raisons et évaluer leur niveau de motivation initiale afin de les comparer aux familles qui persistent. Cette information permettrait de confirmer, s’il y a effectivement des différences et quelles stratégies de recrutement sont les plus pertinentes.