Corps de l’article

Introduction

Un nombre inquiétant d’enfants autochtones s’initient à la cigarette, à l’alcool et au cannabis dès l’âge scolaire primaire (Coleman, Charles et Collins, 2001 ; Cotton, 2009 ; Cotton et Laventure, 2013). Or, les études canadiennes soulignent le manque, voire l’absence de ressources adaptées pour les Autochtones dans le domaine des dépendances, particulièrement pour ceux habitant dans une communauté (Dell et Lyons, 2007 ; Grover, 2010). En effet, dans certaines communautés, la sélection des programmes de prévention en dépendance serait davantage dictée par les urgences, le manque d’infrastructures et de personnel formé (Kinnon, 2002) que par leur validité scientifique. Ainsi, les programmes de prévention offerts dans les communautés autochtones s’avèrent souvent mal adaptés aux réalités culturelles (Grover, 2010).

Selon les données les plus récentes du Secrétariat aux affaires autochtones du gouvernement du Québec, en 2012, près de 68,3 % de l’ensemble des Premières Nations du Québec habitent dans des communautés (59 471 Autochtones), ce qui représente 0,74 % de la population québécoise (Gouvernement du Québec, 2015). Selon cette même source, les Innus, peuple autochtone dont il est question dans la présente étude, constituent la deuxième nation la plus populeuse au Québec, avec un total de 18 820 individus. De ce nombre, on recense 12 152 Innus qui habitent parmi dix communautés du Québec, réparties dans les régions de la Côte-Nord, de la Basse-Côte-Nord et du Lac-Saint-Jean. En 2012, ces communautés comportaient respectivement entre 198 et 3 258 habitants. L’innu est la langue maternelle pour plusieurs de ces communautés, la langue seconde étant principalement le français (Drapeau, 2011). Certaines communautés sont situées dans des milieux un peu plus urbains, alors que d’autres se trouvent dans des milieux ruraux, accessibles seulement par bateau, train ou avion.

Dans les écoles innues de la Côte-Nord et de la Basse-Côte-Nord, alors que 6 % des élèves du primaire (71 élèves) requièrent un cheminement en classe spéciale, une fois au secondaire, c’est 42 % de ces jeunes (256 élèves) qui nécessitent de tels services (Institut Tshakapesh, 2013). Pour certains jeunes autochtones québécois, dont les Innus, le retard et l’abandon scolaire s’avèrent préoccupants (Larose, Bourque, Terrisse et Kurtness, 2001 ; Pronovost, Plourde, Alain, Eveno et Laperrière, 2009).

La science préventive auprès des populations autochtones comporte le défi de bien cibler les facteurs de risque et de protection associés à la consommation de psychotropes pour cette population. Toutes populations confondues, il est reconnu que la consommation d’alcool et de drogues peut être influencée par une multitude de facteurs personnels, familiaux, sociaux et environnementaux (Leyton et Stewart, 2014). Des études démontrent que, chez les Autochtones, la consommation de psychotropes résulterait de l’interaction entre des facteurs individuels, les expériences (exposition à des traumas) ainsi que les contextes sociaux et culturels (Akins, Lanfear, Cline et Mosher, 2013 ; Rumbaugh Whitesell et al., 2012). À titre d’exemple, chez les Autochtones canadiens et québécois, la fréquentation forcée et les mauvais traitements subis dans les pensionnats sont associés aux problèmes de consommation d’alcool et de drogues chez cette population (Ross, 2013). Dans les communautés autochtones américaines, canadiennes et québécoises, il est aussi démontré que la structure sociale et la pauvreté économique sont d’importants facteurs explicatifs de la consommation (Akins, Lanfear, Cline et Mosher, 2013 ; Roy, 2005). Un enjeu de taille réside donc dans la sélection des ingrédients actifs et la mise en place des mécanismes d’action pour que les programmes visant à prévenir la consommation de psychotropes chez les populations autochtones produisent les effets escomptés.

Ainsi, pour les Autochtones, certains auteurs croient qu’il est préférable de développer entièrement le contenu des programmes de prévention tout en consultant des acteurs-clés afin qu’ils soient spécifiquement adaptés à leur culture (Okamoto et al., 2014). Cette façon de faire est toutefois onéreuse en terme de temps et de ressources financières (Okamoto et al., 2014). C’est pourquoi d’autres auteurs militent plutôt en faveur de l’adaptation des programmes universels prometteurs ou probants, en impliquant des acteurs-clés en provenance des milieux autochtones (Holleran Steiker et al., 2008 ; Okamoto, Helm, McClain et Dinson, 2012). Cette dernière approche, lorsque bien orchestrée, permet d’adapter les programmes d’une façon rigoureuse (Chino et DeBruyn, 2006 ; Dell et al., 2012 ; Grover, 2010 ; McKennitt, 2007 ; Raghupathy et Forth, 2012 ; Whitbeck, Walls et Welch, 2012 ; Moodie, 2010 ; Kumpfer, Pinyuchon, de Melo et Henry, 2008).

Bien que les avis demeurent partagés, même si le fait d’adapter un programme à la culture d’une population n’est pas garant des effets prévus pour le programme initial, l’adaptation peut favoriser la qualité de son implantation (Castro, Barrea et Martinez, 2014 ; Halle, Metz et Martinez-Beck, 2013) ainsi que l’engagement et la rétention des participants (Castro et al., 2004 ; Kumpfer, Alvarado, Smith et Bellamy, 2002). En effet, le recrutement des populations autochtones et leur engagement à l’égard d’un programme peuvent s’avérer difficiles (Beals, Manson, Mitchell et Spicer, 2003 ; Kumpfer, Alvarado, Smith et Bellamy, 2002 ; Kumpfer, Pinyuchon, de Melo et Henry, 2008). Or, son adaptation culturelle est une façon de le rendre plus pertinent pour cette population (Resnikow, Soler, Braithwaite, Ahulwalia et Butler, 2000), favorisant par le fait même son implantation et son efficacité (Durlak, 2010 ; 2013 ; Halle, Metz et Martinez-Beck, 2013 ; Meyers, Durlak et Wandersman, 2012).

Les populations autochtones détiennent effectivement des valeurs et des coutumes desquelles il faut tenir compte dans les activités préventives qui leur sont offertes (Grover, 2010). L’adaptation culturelle d’un programme réfère à des modifications dans son contenu et son processus afin qu’il soit sensible à la culture d’une population (Kumpfer, Alvarado, Smith et Bellamy, 2002). Bernal (2006) spécifie que l’adaptation culturelle d’un programme consiste en des modifications afin de considérer la langue, la culture et le contexte, de sorte qu’il soit compatible avec la façon de penser et les valeurs de la population ciblée.

Le principal défi lors de l’adaptation culturelle d’un programme réside dans l’équilibre entre le maintien des « ingrédients » qui assurent son efficacité et le retrait ou l’ajout de nouveaux éléments permettant de l’adapter au groupe culturel ciblé (Kumpfer, Pinyuchon, de Melo et Henry, 2008). Ainsi, en respectant la nature du programme, il faut pouvoir ajouter des éléments qui permettront de rejoindre les particularités de la population ciblée. Deux objectifs s’opposent alors, soit : (a) implanter avec fidélité un programme de prévention reconnu efficace et (b) implanter un programme de prévention qui correspond aux besoins et aux caractéristiques spécifiques d’une population ciblée (Castro, Barrera et Martinez, 2004).

Pour satisfaire ces deux objectifs, les auteurs proposent deux types d’adaptation, c’est-à-dire de « surface » ou en « profondeur » (Castro, Barrera et Martinez, 2004 ; Resnikow, Soler, Braithwait, Ahulwalia et Butler, 2000 ; Ringwalt et Bliss, 2006). L’adaptation de « surface » vise à assurer la congruence générale entre les éléments de base du programme et les caractéristiques de la population ciblée, en ajoutant par exemple des chansons ou des images adaptées aux caractéristiques des participants (Resnikow, Soler, Braithwait, Ahulwalia et Butler, 2000). L’adaptation en « profondeur » implique pour sa part une compréhension plus importante des spécificités et des normes culturelles. Elle peut notamment s’observer par la révision du protocole d’interventions du programme, tel le fait de changer la durée des ateliers, la langue utilisée pour adresser le contenu, ou encore, les exemples fournis aux participants (Resnikow, Soler, Braithwait, Ahulwalia et Butler, 2000, 2000). Qu’il s’agisse de modifications de « surface » ou de « profondeur », l’adaptation d’un programme nécessite un processus rigoureux (Castro, Barrera et Martinez, 2004 ; Kumpfer, Pinyuchon, de Melo et Henry, 2008 ; McKleroy et al., 2006 ; Ringwalt et Bliss, 2006 ; Unger, Soto et Thomas, 2008 ; Wingwood et DiClemente, 2008).

Dans la présente étude, le modèle d’adaptation culturelle de Kumpfer et de ses collègues (2008) est privilégié pour orienter l’implantation et l’adaptation d’un programme de prévention des dépendances dans quatre écoles innues du Québec. L’avantage de ce modèle réside dans l’importance accordée à la sélection de la main-d’oeuvre pour l’animation, la formation au programme ainsi que la supervision de son implantation. Des connaissances et des compétences sont effectivement nécessaires chez les personnes qui adaptent et implantent un programme (Organisation nationale de la santé autochtone, ONSA, 2008 ; Skaff, Chesla, Mycue et Fisher, 2002). D’autant plus que leur formation au programme a un effet sur la qualité de son implantation (Durlak, 2013). Le modèle de Kumpfer et de ses collègues (2008) a également été sélectionné parce qu’il a déjà servi à adapter un programme de prévention des troubles de comportement pour des enfants autochtones et leurs familles (Strengthening Family Program, Kumpfer, Pinyuchon, de Melo et Henry, 2008). Il s’avère ainsi réalisable auprès de cette population spécifique.

Le modèle de Kumpfer et de ses collègues (2008) comprend neuf étapes permettant de procéder à l’adaptation culturelle d’un programme. Ces étapes sont de : (1) recueillir les besoins de la population ciblée, (2) choisir le programme à adapter, (3) mettre en place le matériel initial du programme, (4) sélectionner, former et superviser les animateurs, (5) implanter le programme avec fidélité et qualité, (6) effectuer les adaptations culturelles à l’aide de groupes-pilote, (7) réviser le matériel du programme, (8) assurer l’évaluation habilitative du programme et (9) évaluer l’efficacité de la version adaptée du programme.

Toutes ces étapes impliquent que la démarche repose non pas sur une seule étude, mais plutôt sur une séquence d’études. C’est ce qu’illustre la figure 1, où nous indiquons que les étapes 1 à 6 du modèle de Kumpfer et de ses collègues (2008) ont été réalisées préalablement à la présente étude. Ces étapes sont résumées sommairement ci-dessous.

Figure 1

Étapes concernées par l’étude

Étapes concernées par l’étude

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Tout d’abord, afin de recueillir les besoins de la population ciblée (première étape du modèle de Kumpfer, Pinyuchon, de Melo et Henry, 2008), une étude portant sur les prévalences d’initiation et de consommation de psychotropes chez les enfants innus (Cotton, 2009 ; Cotton et Laventure, 2013) a été consultée. Les données issues de cette étude ont motivé les premières actions adaptatives du programme Système d original avant même qu’il soit implanté dans les écoles innues. Plus précisément, considérant la forte prévalence d’enfants déjà initiés à la cigarette, à l’alcool ou au cannabis en 6e année, le programme, se voulant préventif, a plutôt été implanté auprès des élèves innus de la 4e et 5e année du primaire. En effet, de type universel, Système d s’adresse initialement à tous les élèves de 6e année du primaire et vise à favoriser leur passage au secondaire. Ainsi, pour les enfants participant à cette étude, Système d vise plutôt à favoriser leur passage de l’enfance à la préadolescence.

Dans un premier temps, le programme de prévention universel des dépendances Système d (Forgues, Godin, Paquin, Paradis et Poulin, 2007) a été choisi comme programme à adapter (seconde étape du modèle de Kumpfer, Pinyuchon, de Melo et Henry, 2008). Ce programme vise à prévenir les dépendances par le biais d’activités de développement des compétences personnelles et sociales. Il a également pour objectif de sensibiliser les parents à l’égard de leurs pratiques parentales. Système d comporte ainsi deux volets, soit un pour les enfants et un pour les parents.

Le volet enfant comporte quatre ateliers animés en classe. En résumé, l’atelier 1 porte sur les influences (60 minutes). Il vise à conscientiser les jeunes à l’égard des sources d’influence et de pression présentes dans leur vie quotidienne. L’atelier 2 porte sur la consommation et les médias (120 minutes). Il permet aux jeunes de développer une distance critique à l’égard de la publicité et de différents produits de consommation, distance qu’ils pourront ensuite appliquer lorsqu’il sera question de produits pouvant causer une dépendance (alcool, tabac, jeux de hasard et d’argent). L’animation de cet atelier est divisée en deux, une portion est assurée par l’animateur habituel alors que l’autre est animée par l’enseignant du groupe-classe. L’atelier 3 aborde la gestion du stress (60 minutes). Les jeunes sont alors amenés à identifier des situations stressantes et des moyens pour gérer leur stress. Enfin, l’atelier 4 concerne l’affirmation de soi et la résolution de problèmes (60 minutes). Il vise à ce que les jeunes développent des techniques pour faire face aux pressions négatives.

En plus des ateliers, un projet de réinvestissement des apprentissages (PRA) est développé avec les élèves tout au long de l’implantation de Système d. Le PRA permet aux jeunes d’approfondir leurs acquis relativement au contenu abordé dans les ateliers du programme, par l’entremise d’une création collective ou individuelle. Les parents et les membres du personnel scolaire sont conviés à la présentation du PRA à la fin du programme.

Concernant le volet parent, l’envoi de six communiqués est prévu par le biais des jeunes participants. Ces communiqués visent à informer les parents sur les ateliers du programme et le PRA, sur des astuces pour favoriser l’adoption de saines habitudes de vie à la maison et sur les ressources disponibles en cas de besoin. Ces communiqués incitent également les parents à dialoguer avec leur enfant à propos des activités de Système d.

Le programme Système d a en partie été retenu pour son protocole d’intervention opérationnel et aisé à mettre en place. De surcroît, il répond aux critères d’efficacité reconnus pour la prévention des dépendances (Gagnon, April et Tessier, 2012 ; Laventure, Boisvert et Besnard, 2010) et repose sur un cadre théorique reconnu (Forgues, Godin, Paquin, Paradis et Poulin, 2007).

Afin de compléter l’étape 2, une consultation sur la pertinence du choix du programme a été réalisée auprès de six intervenants oeuvrant en moyenne depuis 7,3 ans en milieu scolaire innu. Cette consultation visait également à effectuer des adaptations de « surface » au programme, préalablement à son implantation. À la suite de cette consultation, des modifications ont été apportées à l’atelier 2, en modifiant des images et des éléments de vocabulaire afin qu’ils correspondent davantage aux références culturelles des enfants innus. Or, dans le but de respecter les recommandations de Kumpfer et de ses collègues (2008) voulant que le programme sélectionné doit être implanté tel quel outre des adaptations de « surface », le reste de son contenu est demeuré inchangé.

À l’automne 2011, à la suite des adaptations de « surface », quatre écoles primaires innues ont accepté de mettre en place le matériel initial du programme (troisième étape du modèle de Kumpfer, Pinyuchon, de Melo et Henry, 2008). Le processus proposé pour l’implantation du programme a été planifié tel que suggéré par les concepteurs de Système d.

Afin de sélectionner, former et superviser les animateurs du programme (quatrième étape du modèle de Kumpfer, Pinyuchon, de Melo et Henry, 2008), à l’été 2011, six animateurs ont été choisis parmi les étudiants du 1er et du 2e cycle en psychoéducation à l’Université de Sherbrooke à l’aide d’entrevues de sélection. Ces derniers ont reçu une formation sur le programme initial et ont été attitrés à une école parmi les quatre milieux scolaires innus.

Pour implanter le programme avec fidélité et qualité (cinquième étape du modèle de Kumpfer, Pinyuchon, de Melo et Henry, 2008), l’ensemble des animateurs ont bénéficié, dès leur arrivée dans les communautés innues, à l’automne 2011, d’une supervision pour faciliter l’implantation de la version initiale du programme, à raison d’une rencontre d’une heure aux deux semaines via Skype et visioconférence. Un calendrier d’implantation a également été élaboré de façon détaillée.

Enfin, pour permettre d’effectuer les adaptations culturelles à l’aide de groupes-pilotes (sixième étape du modèle de Kumpfer, Pinyuchon, de Melo et Henry, 2008), à l’automne 2011, quatre écoles innues ont implanté la version du programme de prévention des dépendances Système d ayant été adaptée en « surface ».

Dans le cadre de la présente étude, nous complétons le processus d’adaptation culturelle du programme Système d, par la réalisation des étapes sept et huit du modèle de Kumpfer et de ses collègues (2008). Ces deux étapes importantes visent à réviser le matériel du programme et à assurer son évaluation habilitative.

L’Étude

Objectif de l’étude

Cette étude[1] vise à décrire la révision (adaptations en « profondeur ») du programme Système d (septième étape du modèle de Kumpfer, Pinyuchon, de Melo et Henry, 2008) pour des élèves innus.

Méthodologie

La méthodologie de cette étude s’inspire de la huitième étape du modèle de Kumpfer et de ses collègues (2008) servant à assurer l’évaluation habilitative du programme. Ce type d’évaluation vise l’implication des gens du milieu d’implantation pour procéder à l’adaptation culturelle du programme, et ce, dès le début du processus de recherche. En effet, plusieurs répondants scolaires et communautaires ont été sollicités pour l’adaptation de Système d.

Un devis mixte incorporé (embedded design) a été utilisé pour répondre à l’objectif de la présente étude (Plano Clark et Creswell, 2011). Les groupes de discussion ont permis de recueillir les suggestions d’adaptations émises par les différents acteurs à l’égard du programme (étapes 7 et 8). Les journaux de bord ont permis, d’une part, de cibler les activités ayant été réalisées et, d’autre part, de déterminer le degré d’appréciation des animateurs et des enseignants à l’égard des activités ayant été animées. Si les étapes 1 à 6 du modèle de Kumpfer et de ses collègues (2008) ont été réalisées dans quatre écoles innues du Québec, une seule de ces écoles a participé à toutes les étapes du processus d’adaptation de Système d. Dans cet article, il sera question des données recueillies dans cette école.

Différents acteurs, dont les élèves innus, ont participé au processus d’adaptation du programme. Afin de réviser le matériel de la version initiale du programme[2], différents répondants ont été interrogés, soit les animateurs du programme (n=6)[3], les intervenants scolaires (n=2), les enseignants (n=2), la direction de l’école (n=1) et les parents d’élèves ayant participé au programme initial (n=9). À l’automne 2012, 28 élèves de 4e année (n=16) et 5e année (n=12) du primaire ont participé à la version adaptée du programme Système d.

Déroulement de l’étude et collecte de données

Tout d’abord, la collecte de données auprès des différents répondants du milieu (animateurs, intervenants scolaires, enseignants, direction, parents innus) a été effectuée afin de répondre au premier objectif de l’étude et ainsi réaliser la septième étape du modèle de Kumpfer et de ses collègues (2008). Celle-ci visait, dans un premier temps, à recueillir leurs suggestions d’adaptation en « profondeur » de la version initiale du programme Système d ayant été implanté au cours de l’année scolaire. Les données relatives à la satisfaction et aux suggestions d’adaptation ont été collectées par le biais d’entrevues individuelles et de groupes de discussion, effectuées à la fin de l’implantation du programme, ainsi que par la complétion de journaux de bord maison tout au long de son implantation.

Les groupes de discussion ont duré en moyenne 90 minutes. Un premier groupe a été réalisé auprès des animateurs, puis un second auprès des enseignants et des intervenants scolaires. Un groupe de discussion de 30 minutes a également été réalisé auprès des parents innus. Enfin, une entrevue individuelle de 60 minutes a été effectuée auprès de la direction de l’école. L’animation des groupes de discussion et de l’entrevue a été effectuée par la première auteure de cet article et leur enregistrement audio a été assuré. Pour chacun des entretiens, un guide d’entrevue a été développé et les thèmes ont été adaptés selon chaque catégorie de répondants. Des exemples de thèmes discutés sont : la satisfaction générale à l’égard du programme, les caractéristiques du programme les plus et les moins appréciées, la satisfaction à l’égard de l’implantation, les activités les plus et les moins appréciées et la participation des enfants.

Les journaux de bord étaient systématiquement complétés par les animateurs et les enseignants à la suite de l’animation de chacun des ateliers. Ces journaux de bord ont permis de recueillir les informations et les commentaires relativement à l’appréciation ainsi que l’utilité perçue des répondants pour chaque activité ainsi que les explications relatives aux activités n’ayant pas été réalisées. Ces journaux de bord ont été complétés tout au long de l’implantation de la version initiale du programme et comportaient des grilles de cotations pour chaque activité prévue en vue d’adapter le contenu du programme.

Analyse des données

La méthode de l’analyse de contenu thématique a été utilisée pour traiter les données qualitatives en provenance des groupes de discussion, des entrevues individuelles et des journaux de bord (Paillé et Mucchielli, 2003). Cette méthode a permis d’extraire les données de façon systématique, méthodique et objective (Paillé et Mucchielli, 2003). Les verbatims des entretiens ont été codifiés selon les thèmes à l’étude. Pour les données en provenance des journaux de bord, une analyse documentaire a été effectuée, pour ensuite regrouper les données selon les thèmes (Cellard, 1997). Afin de minimiser les biais, l’ensemble de la codification et des analyses a été effectué par deux étudiants gradués et formés au logiciel N’VIVO10 sous la direction de la première auteure.

Résultats

Les résultats colligés relativement à l’objectif 1 visant à réviser le matériel du programme (septième étape du modèle de Kumpfer, Pinyuchon, de Melo et Henry, 2008) sont présentés sous forme de constats et d’adaptations réalisées. Le tableau 1 permet d’illustrer les adaptations générales effectuées au programme Système d, à partir du matériel qualitatif recueilli. Afin d’alléger le texte, seules les adaptations apportées aux ateliers 2 et 4 du volet enfant ainsi qu’au volet parent et au PRA sont présentées de manière plus exhaustive.

Tableau 1

Adaptations effectuées au programme Système d

Adaptations effectuées au programme Système d

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Constats généraux et adaptations réalisées

Durée des ateliers. Le manque de temps ou la mauvaise répartition du temps entre les différentes activités à animer dans les ateliers est relevé par les enseignants et les animateurs, et ce, pour l’ensemble du programme. Considérant une baisse notable de l’attention des enfants après 45 minutes d’animation, une majorité d’enseignants et d’intervenants scolaires soulignent que les ateliers devraient être moins longs, mais plus fréquents.

« Ça a bien marché, mais c’était quand même long les exercices... Des fois, on voyait que les jeunes étaient tannés un peu là... »

animateur

Pour répondre à ces obstacles rencontrés, des adaptations en « profondeur » ont été apportées au protocole d’intervention du programme. En effet, la durée de chacun des ateliers a été écourtée de 15 minutes. Pour ce faire, certains contenus jugés inutiles par les répondants (majoritairement les activités d’approfondissement) ont été retirés alors que d’autres ont été réorganisés (ateliers 4 et 5). Un cinquième atelier a effectivement été créé afin de réorganiser et couvrir l’ensemble du contenu gardé.

Contenu des ateliers. Tous les enseignants et les animateurs s’entendent pour dire que, malgré les adaptations de « surface » apportées au programme, plusieurs concepts s’avèrent trop complexes pour les enfants innus et difficiles à transmettre. À titre d’exemple, dans l’atelier 1, les animateurs ont eu de la difficulté à expliquer les influences et l’équilibre de vie aux enfants. Dans l’atelier 3, les notions entourant le stress ont également été difficiles à transmettre aux enfants innus qui n’utilisent pas ce terme au quotidien comme l’illustre la citation suivante :

« Ils ne savaient pas c’était quoi le stress. (…) Ils connaissaient les symptômes ouais, mais pas le mot. »

animateur

Des enseignants et des intervenants scolaires indiquent que le contenu du programme devrait être traduit en innu, alors que la direction et les animateurs croient le contraire. Enfin, les parents mentionnent que tous les niveaux scolaires devraient être visés par Système d. Cette suggestion a été considérée dans la portion du PRA qui sera discutée ultérieurement.

Pour pallier ces constats, des adaptations de « surface » ont été apportées au programme, tel que l’ajout de synonymes en français ou en innu pour expliquer les concepts plus complexes aux enfants. Puisque les répondants ne s’entendaient pas sur l’utilité de traduire le contenu du programme, celui-ci est demeuré en français. Or, en cas de besoin et tel que suggéré par l’ensemble des répondants, la présence d’un traducteur innu est maintenant suggérée pour aider au besoin, lors de l’animation des ateliers. Si les objectifs de chacun des ateliers sont demeurés les mêmes, comme il sera explicité dans la section suivante, certaines activités ont été retirées (sensibilisation relativement à la surexposition du corps), alors que des exemples plus spécifiques au quotidien et à la culture des enfants innus ont été ajoutés (mise en situation où un enfant est invité à faire de la motoneige). En lien avec la complexité de certains concepts, des stratégies pédagogiques permettant d’illustrer le contenu à l’aide d’exemples du quotidien des jeunes et d’illustrations sont suggérées.

Animation des ateliers. L’animation du contenu de certains ateliers, plus spécifiquement celui de l’atelier 3, a nécessité plus de gestion de classe de la part des animateurs et des enseignants. Ces répondants soulèvent le besoin de bouger des enfants ainsi que leurs difficultés d’attention et de compréhension par rapport au contenu. Les répondants rapportent également que certains élèves s’investissaient moins lorsqu’il était question de sujets plus intimes, tels que les événements de vie stressants. D’une part, les animateurs auraient aimé recevoir plus d’aide de la part des enseignants à titre de coanimateurs. D’autre part, les enseignants trouvent que ce sont plutôt les intervenants scolaires (ex. : éducateur spécialisé) qui devraient coanimer les ateliers avec les animateurs. La citation suivante illustre bien cette ambiguïté relativement à l’animation des ateliers :

« Ben on en avait parlé avec la prof de 5e année, mais elle a préféré que ça soit nous qui animons pour l’atelier 1... qu’on prenne le devant pour cet atelier-là. Puis, elle n’a jamais vraiment voulu animer finalement... Elle était plus en support après. »

animateur

Afin d’animer le contenu s’avérant plus sensible pour les participants, tels que les événements de vie stressants, des adaptations de « surface » ont été apportées au programme. Des exemples s’apparentant à la réalité des enfants innus, sans pour autant être trop personnalisés, ont effectivement été ajoutés. Des mises en situation propres aux animateurs sont également présentées aux enfants. De plus, des méthodes d’animation plus interactives et des pauses sont suggérées pour maximiser l’attention des enfants. Enfin, la coanimation d’un animateur et de l’enseignant des groupes-classe a été officialisée dans la version adaptée du programme, et ce, pour l’ensemble du contenu du programme, plutôt que pour certaines parties uniquement.

Adaptations spécifiques aux ateliers – exemple de l’atelier 2

Les adaptations spécifiques à l’atelier 2 sont présentées afin d’illustrer plus en détail le travail réalisé. Cet atelier a été choisi parce qu’il représente bien les enjeux relativement aux particularités culturelles du milieu d’implantation. Les principales difficultés relevées pour l’atelier 2 sont le manque de temps, la complexité des concepts à animer, la nature des exemples donnés et les effets iatrogènes ayant été observés à la suite de son animation. Les enseignants et des animateurs soulignent d’abord une difficulté de compréhension plus marquée chez les enfants de 4e  nnée comparativement à ceux de 5e année. L’activité sur la consommation et les médias a également été perçue comme étant trop longue pour le niveau d’attention des enfants innus. Enfin, les animateurs rapportent que le contenu de cet atelier semble avoir créé des effets iatrogènes. En effet, alors qu’il visait à développer un sens critique chez les enfants face à l’industrie médiatique, certains d’entre eux ont commencé à porter des vêtements griffés à la suite de son animation.

« On n’avait pas réalisé à quel point on avait parlé de Puma dans cet atelier-là. En 4e année, les jeunes ont vraiment, vraiment accroché là-dessus. (...) Deux semaines après, ils revenaient de Sept-Îles, puis ils avaient tous une casquette ou un chandail Puma ! Après cet atelier-là, il y a comme eu une vague de Puma dans l’école. »

animateur

Par ailleurs, selon eux, certains contenus correspondaient peu aux caractéristiques développementales ou culturelles des enfants. À titre d’exemple, les répondants jugeaient que la suggestion d’analyser les messages véhiculés dans les publicités d’alcool comportait un risque d’effets iatrogènes, surtout chez les participants de 4e année étant donné leur bas âge. Un autre exemple concerne le contenu sur la sensibilisation relativement à la surexposition du corps que les répondants suggèrent de retirer. En effet, ils expliquent qu’au quotidien, ils doivent plutôt encourager les élèves à retirer leurs habits de neige pour se présenter en classe. D’autant plus que les vêtements jugés sexy ne constituent pas un enjeu dans l’école concernée.

Dans la version adaptée, comme présentée dans le tableau 2, le contenu de cet atelier est désormais animé de façon plus dirigée lorsque vient le temps d’aborder les contenus jugés à risque d’effets iatrogènes, tel que les thèmes portant sur la publicité. En effet, moins de temps est prévu pour poser certaines questions aux enfants, permettant ainsi aux animateurs de nuancer le contenu davantage, notamment lors de la présentation PowerPoint portant sur la consommation et les médias où des produits de consommation sont présentés. Pour le reste du contenu, l’animation est plus interactive et visuelle, en faisant bouger les enfants de différentes façons lors de l’atelier (utilisation de cartons de votes et de dominos pour expliquer les influences aux enfants, faire écrire les enfants au tableau, prendre une pause). Des exemples plus spécifiques à la réalité culturelle des enfants sont également fournis. À titre d’exemple, lorsque les produits de consommation sont discutés avec les enfants, les marques de vêtements ont été adaptées en fonction de leur réalité et des marques de motoneiges ont remplacé les marques d’automobiles. De plus, les billets de bingo disponibles dans les dépanneurs sont ajoutés aux exemples donnés pour démontrer aux enfants que ce produit de consommation est relativement accessible dans leur quotidien.

Tableau 2

Adaptation de l’atelier 2

Adaptation de l’atelier 2

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Adaptations spécifiques aux ateliers – exemple de l’atelier 4

L’atelier 4 a été, comme tous les autres ateliers, ponctué par le manque de temps et la complexité de certains concepts abordés. Cet atelier est également critiqué pour la surcharge des concepts théoriques devant être abordés considérant la durée prévue. Une autre particularité associée à cet atelier concerne le manque d’assurance ressenti chez certains animateurs pour aborder la résolution de problèmes. À l’unanimité, les animateurs rapportent que ce concept était difficile à transmettre considérant le temps restreint pour ce faire, la capacité d’attention des enfants et leur réalité culturelle.

Pour couvrir l’ensemble des activités, plus de temps est prévu dans la version adaptée. Comme présenté dans le tableau 3, le contenu de l’atelier 4 a été découpé en deux ateliers de 45 minutes, créant ainsi un cinquième atelier au programme Système d adapté en « profondeur ». Pour faciliter la transmission du contenu lié à la résolution de problème, l’accent est mis davantage sur les techniques de résistance aux pressions négatives. Des exemples ont également été adaptés à la réalité des enfants innus. À titre d’exemple, une mise en situation relative à l’affirmation de soi illustre un jeune qui offre à un autre de l’accompagner sur le lac gelé alors que cela constitue un danger potentiel.

Tableau 3

Adaptation de l’atelier 4

Adaptation de l’atelier 4

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Adaptations du volet parent

Unanimement, les répondants mentionnent que les communiqués acheminés aux parents par le biais des enfants ne se rendaient généralement pas à la maison.

« (...) ils la mettaient sur la tablette, puis ils partaient sans. Ça restait là deux semaines... Les concierges finissaient par la ramasser. »

animateur

Un animateur précise également qu’il arrivait que l’enseignant oublie de remettre les communiqués aux enfants avant qu’ils quittent la classe. Les répondants, dont la direction de l’école, indiquent également que certains parents ne parlent pas et ne lisent pas le français. Les animateurs, les enseignants et les intervenants scolaires croient par ailleurs que trop d’informations sont présentes dans les communiqués. Quelques enseignants et intervenants scolaires proposent de traduire les communiqués en innu, alors que la direction croit qu’il est préférable de le maintenir en français.

Tous les parents innus affirment que les communiqués sont importants et, contrairement aux autres répondants, ils préfèrent avoir plus d’informations que moins. Ils affirment également vouloir être davantage informés sur le programme. Toutefois, seul le tiers d’entre eux confirme avoir lu les communiqués en entier, d’autant plus que presque la moitié d’entre eux mentionne ne jamais avoir reçu de communiqués à la maison tout au long de l’implantation du programme.

Tous les répondants, incluant les parents innus, recommandent d’utiliser la radio communautaire afin de transmettre les informations sur les ateliers du programme. Les animateurs suggèrent aussi de mettre en place quelques rencontres avec les parents au cours de son implantation. Enfin, les parents innus recommandent de les convier à des rencontres concernant le programme et de créer un groupe Facebook pour leur transmettre les principales informations.

Les modifications apportées au volet parent concernent principalement l’adaptation ou l’ajout de médiums pour les rejoindre. Tout d’abord, en ce qui concerne les communiqués écrits, leur contenu est demeuré en français. Leur apparence a toutefois été revue afin qu’ils soient plus invitants à lire (images et couleurs). De plus, cinq communiqués radiophoniques ont été ajoutés, afin de présenter le contenu de chaque atelier oralement aux membres de la communauté, en plus de les convier au PRA. Un atelier pratique parent-enfant est également prévu à l’école concernant les techniques de relaxation relatives à l’atelier 3. Un groupe Facebook a également été créé. En somme, l’objectif général du volet parent étant d’informer les parents quant au programme s’est élargi à celui d’informer les parents, mais aussi les autres membres de la communauté.

Adaptations du PRA

En ce qui concerne les PRA présentés à la fin du programme, la majorité des animateurs, des enseignants et des intervenants scolaires mentionnent qu’ils n’ont pas eu lieu à un moment opportun dans le calendrier scolaire (pendant les examens du Ministère, lors de la semaine de relâche). Ceci aurait nui à l’élaboration des projets ainsi qu’à la présence des parents pour la présentation finale des enfants. Des difficultés ont également été relevées relativement à l’utilisation du téléphone pour convier les parents au PRA. La direction précise effectivement que certains parents n’ont pas de téléphone à la maison. Les animateurs croient que le fait d’impliquer d’autres membres de l’école ou de la communauté dans les PRA serait facilitant. En effet, comme le raconte un animateur, le manque de prise en charge du PRA par des enseignants aurait limité la qualité de certains projets :

« Moi j’ai eu de la pression vraiment là... J’ai dit à des professeurs que « oui, je vais vous aider ». Il y en a deux [avec qui] que j’ai fait un bon bout avec eux autres là, dont une [situation où j’ai] tout dû faire [par moi-même] finalement. »

animateur

Dans les modifications apportées, compte tenu de l’implication d’enseignants en provenance d’autres niveaux scolaires, le PRA est devenu un projet d’école davantage qu’un projet de classe. Une autre modification concerne les médiums choisis pour informer et convier les parents au PRA. En effet, les communiqués radiophoniques et le groupe Facebook ayant été ajoutés au volet parent seront également utilisés pour convier les parents au PRA.

Discussion

Cette étude visait à décrire le processus d’adaptation en « profondeur » du programme Système d pour des élèves innus. Les modifications ont permis d’adapter la durée des ateliers aux capacités d’attention des enfants autochtones, de favoriser une meilleure compréhension des concepts de la part des enfants de la 4e et la 5e année ciblés, d’introduire des exemples significatifs à la culture autochtone et de diversifier les méthodes didactiques en introduisant davantage d’activités interactives afin d’augmenter la participation des enfants.

Différentes raisons justifiaient ces modifications. D’abord, il semble que le stade développemental des enfants ait pu affecter leur participation au programme Système d. En effet, des difficultés de compréhension ont été observées chez des élèves lors de l’animation de certains contenus du programme, et ce, plus particulièrement chez les élèves de la 4e année. Des effets iatrogènes ont d’ailleurs été observés à la suite de l’atelier 2. Bien que d’autres effets iatrogènes n’ont pas été observés à la suite de l’animation du programme, ce constat mérite d’être considéré.

Il importe de rappeler que le programme Système d a initialement été conçu pour les élèves de la 6e année. Le développement de l’enfant étant important avant la puberté, il est possible que, non seulement les élèves de la 4e année et de la 5e année se distinguent entre eux concernant leurs capacités sociales, affectives et cognitives, mais qu’ils se distinguent également des élèves de la 6e année (DeHart, Sroufe et Cooper, 2004).

Une autre explication de ces difficultés d’attention et de compréhension observées chez les participants pourrait être associée au style d’apprentissage des jeunes innus pouvant différer de celui de leurs pairs québécois (Institut Tshakapesh, 2009 ; Roy, 2006 ; 2007) pour qui le programme Système d a été développé initialement. De façon générale, les apprenants innus peuvent effectivement détenir des compétences qui soient plus visuelles et kinesthésiques que verbales et logico-mathématiques (Institut Tshakapesh, 2009 ; Roy, 2006 ; 2007). De plus, la transmission des connaissances chez les Autochtones est généralement effectuée de façon holistique par l’entremise d’enseignements traditionnels (Castellano, 2000), contrairement aux connaissances occidentales qui découlent majoritairement de méthodes positivistes privilégiant la hiérarchie et les évidences, transmises de façon linéraire (Fornssler, McKenzie, Dell, Laliberte et Hopkins, 2014 ; Rowan et al., 2015). Ainsi, la façon d’apprendre des enfants innus est plutôt sensorielle et simultanée, contrairement à leurs pairs québécois qui, de façon générale, réussissent mieux à l’aide d’un apprentissage séquentiel (Institut Tshakapesh, 2009 ; Roy, 2006 ; 2007). Cette différence s’observe notamment par le besoin des enfants innus de percevoir l’ensemble d’un concept d’abord pour l’intégrer, en étant en action par exemple, plutôt que de procéder par étapes. L’utilisation de démonstrations et d’illustrations pour comprendre peut être favorable en ce sens. Rappelons également que la langue utilisée pour animer le programme Système d est le français, ce qui constitue la langue seconde des élèves innus (Drapeau, 2011). Il est ainsi probable que cet élément ait affecté considérablement la compréhension des élèves à l’égard des contenus animés.

Il est donc possible de supposer que c’est avant tout la structure et le contenu du programme, ayant initialement été développé pour des élèves plus vieux et francophones, qui aient affecté la réponse des participants autochtones à celui-ci. Ainsi, indépendamment de la culture, le programme de prévention doit être adapté au stade développemental de la population ciblée, et, autant que possible, à leur langue, en s’attardant par exemple à la durée des ateliers et à l’accessibilité des concepts délivrés (Gagnon, April et Tessier, 2012 ; Laventure, Boisvert et Besnard, 2010 ; Raghupathy et Forth, 2012 ; Renaud, O’Loughlin et Déry, 2003).

Pour maximiser la compréhension de participants en provenance d’une population culturelle spécifique et diminuer les risques d’effets iatrogènes, il importe que le contenu d’un programme ainsi que la façon dont il est animé tiennent compte de leurs caractéristiques (Renaud, O’Loughlin et Déry 2003). La prévention des effets iatrogènes est d’autant plus importante lorsqu’une population s’avère vulnérable à l’égard de la consommation de psychotropes, comme c’est le cas dans cette étude (Valente, et al., 2007). Rappelons que des facteurs spécifiques aux contextes socioculturels des communautés autochtones peuvent contribuer à la consommation de psychotropes chez les Autochtones (Akins, Lanfear, Cline et Mosher, 2013 ; Rumbaugh Whitesell et al., 2012), d’où l’importance de vérifier si les programmes adaptés produisent les effets escomptés (Chen, 2015 ; Kumpfer, Pinyuchon, de Melo et Henry, 2008).

À la suite de l’adaptation en « profondeur » du programme Système d, bien que l’enseignement des compétences soit plus pratique, il demeure que son contenu est, comme la plupart des programmes de prévention, organisé principalement de façon séquentielle, l’atelier 1 étant préalable à l’atelier 2 et ainsi de suite. Le contenu de certains ateliers du programme Système d est également structuré de façon séquentielle, comme c’est le cas pour l’atelier 4 où la résolution de problèmes est enseignée aux enfants par étapes. Il semble donc que Système d pourrait bénéficier d’autres adaptations en « profondeur » afin de correspondre davantage aux modes d’apprentissage et de transmission des connaissances habituellement utilisés par les enfants innus, en abordant les concepts d’une façon qui soit encore plus globale, visuelle et simultanée.

Les commentaires recueillis auprès des différents répondants ont également mené à élargir la visée du programme, afin de le rendre plus accessible aux autres membres de l’école et de la communauté. Ce constat n’est pas surprenant considérant les valeurs d’appartenance communautaire et de responsabilité partagée à l’égard des problèmes vécus dans une communauté chez les Autochtones (Coyhis et Simonelli, 2008 ; Edwards, Seaman, Drews et Edwards, 1995). L’aspect communautaire est effectivement un incontournable pour la réussite des stratégies préventives en dépendance dans les communautés autochtones, que ce soit sur le plan de la planification, de l’implantation ou de l’évaluation de ces stratégies (Edwards, Seaman, Drews et Edwards, 1995 ; Thomas et al., 2009).

Système d pourrait éventuellement bénéficier d’autres adaptations. Or, les modifications apportées ont possiblement permis à ce programme de répondre davantage aux caractéristiques et aux valeurs de l’école et de la communauté innues ciblées, puisqu’elles proviennent des préoccupations de leurs membres. Par ailleurs, l’évaluation habilitative de Système d à l’aide de répondants en provenance du milieu d’implantation pour orienter son adaptation culturelle est une façon de faire qui correspond aux valeurs de coopération et d’interdépendance souvent observées chez les Autochtones (Coyhis et Simonelli, 2008).

Limites de l’étude et recommandations

Bien que cette étude permette l’avancement des connaissances et qu’elle suscite des retombées directes pour les milieux scolaires autochtones, elle comporte certaines limites. Premièrement, en plus des différents répondants ayant été consultés pour procéder à l’adaptation du programme, il aurait été pertinent d’interroger les enfants innus également. Une autre limite concerne le fait qu’une seule école autochtone ait participé à l’ensemble du processus d’adaptation. Or, la grande hétérogénéité culturelle parmi les Nations (Dell et al., 2012) ainsi que la disparité géographique entre les communautés autochtones (Whitbeck, Walls et Welch, 2012), incitent à procéder à plus petite échelle pour adapter les activités préventives (Moran et Reaman, 2002). Une fois l’adaptation de Système d complétée, il serait toutefois intéressant de valider la pertinence culturelle de ce programme au sein d’autres écoles autochtones, mais aussi d’en étudier les effets, tel que suggéré à la neuvième étape du modèle de Kumpfer et de ses collègues (2008).