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1. Introduction et problématique

Aujourd’hui, l’idée de la réussite de tous, y compris des élèves à besoins éducatifs particuliers, au collège est un objectif essentiel. Elle constitue, aussi, un passage incontournable pour assurer l’égalité des chances. Le chapitre premier; Scolarité, enseignement supérieur et enseignement professionnel, de la Loi sur le handicap du 11 février 2005, réaffirme ce principe de droit et d'égalité pour aborder autrement l'enseignement (Journal officiel de la République française, 2005, Art.19. L. 112-4.). Ainsi, la reconnaissance du droit pour tous à l’éducation en milieu ordinaire prend place parmi les missions prioritaires de l’Éducation nationale.

Dans ce cadre, notre étude prend appui sur des résultats extraits d’une recherche-action menée autour d’un projet d’écriture : Nances d’hier et d’aujourd’hui. L’entreprise est référée au patrimoine local, dont les thématiques choisies recouvrent l’environnement culturel et social du village de Nances, en Savoie. Soutenue et financée par l’Europe, Leader + et les centres départementaux de la région Rhône-Alpes, cette recherche rassemble un public large d’enfants et d’adultes. Précisons que Leader+ est un programme européen destiné à soutenir les territoires ruraux porteurs d'une stratégie de développement organisée autour d'un thème fédérateur, ici le projet d'écriture du livre : Nances d'Hier et d'Aujourd'hui. Dans les sphères de leurs compétences respectives d’éducation pour les élèves ou de formation pour les adultes, elle est fondée sur le principe d'éducation et de formation tout au long de la vie (Le conseil européen de Feira, 2002).

Dans ce contexte général d’accessibilité à l’écriture, notamment autour du conte, cette recherche est menée depuis octobre 2010 à Novalaise, en Savoie. Elle est conduite auprès d’un public scolaire de la maternelle au collège, intégrant des élèves à besoins spécifiques. Le conte a été choisi pour être communiqué à un public plus large que celui des classes ou de l’établissement, notamment dans le cadre du projet d’écriture : Nances d’hier et d’aujourd’hui. Les premiers résultats observés dans les écoles maternelle et primaire de Novalaise ont conforté l’idée que l’exploitation du conte ne sollicite pas seulement les sens. Elle invite également à agir et offre à l’élève des occasions de réflexion et d’expression. Cette activité d’expression apparaissait alors comme un moyen de progression pour tous les élèves (Marsat, 2003).

Dès lors, dans une perspective d’appropriation des pratiques sociales du langage écrit et en référence aux études ayant montré la fécondité du travail en groupe (Marsat, 2003; Meirieu, 1996), la recherche s’ouvre sur des propositions de production de contes en situation d’interaction sociale. Ainsi, dans cet article, l’expérimentation présentée est conduite auprès de quatre-vingt-dix élèves de trois classes de sixième (11 à 12 ans) du collège de Novalaise. Situé en zone rurale près de Nances, cet établissement accueille trois cent soixante élèves de la sixième à la troisième.

Afin de conceptualiser les conditions didactiques d’une réussite de tous, l’étude est menée dans chacune des classes en groupes restreints. Chaque classe comporte un effectif de trente élèves répartis en dyades ou triades, dont certaines intègrent des élèves dyslexiques. L’étude porte sur une situation d’adaptation didactique du conte conduite par deux enseignantes. Elle est menée au cours des second et troisième trimestres scolaires auprès des groupes d’élèves, notamment de quatre groupes comprenant un à deux élèves dyslexiques. L’objet de la recherche consiste à observer plus particulièrement le travail de ces quatre groupes d’élèves constitués, eux aussi, en dyade ou triade, pour produire des textes respectant les caractéristiques du conte. En lien avec les programmes officiels sur l’étude du conte au collège (ministère de l’Éducation nationale, 2009-2012), nous approchons l’organisation interne du conte sous une forme canonique; on observe donc le passage d’un état initial à un état terminal, grâce à plusieurs phases : exposition, complication, résolution, évaluation, morale (Florin, 1999).

Cependant, cette approche du conte en groupes comprenant des élèves dyslexiques interroge les enseignantes et l’expérimentatrice, et nous nous demandons : Dans quelle mesure l’adaptation didactique du conte aux capacités de réception des élèves de sixième, y compris des élèves dyslexiques, peut-elle faciliter leur entrée dans la production écrite et favoriser, par le jeu des interactions sociales, le développement de leurs compétences scripturales et créatives?

Pour ouvrir des perspectives à notre problématique d’adaptation didactique du conte en groupes, les élèves, y compris des élèves dyslexiques, sont invités à développer leurs compétences langagières afin d’améliorer leurs productions écrites. Ainsi, nous nous proposons de montrer l’effet de l’interaction sociale sur certains aspects du développement cognitif et créatif liés à la construction du fonctionnement de la langue écrite et à son adaptation au conte.

Tout d’abord, sous l’éclairage de spécialistes des troubles spécifiques du langage, nous montrerons le rapport difficile au langage écrit qu’entretiennent un bon nombre d’élèves de sixième, et plus particulièrement les élèves dyslexiques. Ensuite, nous présenterons la mise en place et l’organisation du projet d’écriture proposé par l’expérimentatrice et mis en oeuvre par les enseignantes dans les classes de sixième, notamment auprès des quatre groupes d’élèves comprenant des sujets dyslexiques. Puis, avant de conclure sur l’impact des procédures didactiques d’adaptation du conte, nous dévoilerons les effets produits par ce travail en groupe sur les productions communes, en montrant que la conquête de l’écrit dans la rencontre participe au développement cognitif et créatif de la personne.

2. Contexte théorique

La production écrite fait appel à des processus cognitifs et créatifs complexes et son apprentissage est difficilement accessible pour certains élèves scolarisés en classe de sixième, notamment, pour les élèves dyslexiques scolarisés au collège de Novalaise.

2.1 Difficulté d’entrer dans l’écrit

En effet, au cours de nos expérimentations mises en oeuvre autour du conte, auprès de centaines d’écoliers et collégiens de l’agglomération chambérienne, nous avons souvent été témoin de la grande difficulté de certains enfants dyslexiques à entrer dans l’écrit (Marsat, 2003). Générateurs d’échec pour l’élève, les troubles spécifiques du langage mettent en cause l’efficacité des pratiques pédagogiques habituelles pour aborder l’apprentissage du français (CIM-10, 1994 ; DSM-IV, 1996). Dans le cadre de leur enseignement et lors des évaluations diagnostiques, évaluation initiale en début d’année scolaire (ministère de l’Éducation nationale, 2009-2012), les professionnels de l’éducation soulignent les difficultés des élèves dyslexiques, mais aussi leur besoin d’expression et leur appétence au jeu. En effet, lors des séances interclasses dédiées aux jeux pédagogiques et mises en oeuvre en automne au collège de Novalaise, ces élèves montrent des dispositions pour l’activité ludique. Cependant, les enseignantes du collège, peu préparées à l’accueil de ces élèves, déplorent le fait qu’elles manquent d’outils pour les accompagner dans le déploiement de leurs compétences langagières écrites.

D’après les statistiques établies en France par le ministère de l’Éducation nationale, 5 à 8 % des élèves qui entrent en classe de sixième sont en grande difficulté scolaire et ne maîtrisent pas les bases de la lecture et de l’écriture (ministère de l’Éducation nationale, 2001-2002). Parmi eux, un bon nombre d’élèves présentent des troubles spécifiques du langage écrit. Ceux-ci ont été définis grâce à l’avancée des sciences cognitives, de la neuropsychologie et, notamment, des connaissances sur le développement de l’enfant (Chevrie-Muller et Narbona, 1996; Gillet, Hommet et Billard, 2000; Lussier et Plessas, 2001; Grégoire et Piérart, 1995). Ces troubles peuvent prendre plusieurs formes selon le domaine ou la stratégie qu’ils affectent. De façon habituelle, on parle de dyslexie (terme issu du grec dus : difficulté et lexis comme une difficulté d’apprentissage de la lecture, sans déficit sensoriel ou intellectuel, selon Larousse, 1996). Ce trouble du langage écrit inclut non seulement la lecture, mais aussi l'écriture et l'orthographe. La classification établie par le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (American psychiatric association, 1996), proche de celle de l’Organisation mondiale de la santé, précise que les troubles du langage oral et écrit sont des troubles spécifiques du développement de la parole et du langage. On y définit la dyslexie comme un trouble, un déficit durable et significatif du langage écrit qui ne peut s’expliquer par une cause évidente (Organisation mondiale de la santé, 1994). Déjà, en 1968, l'organisme World federation of neurology rappelait que la dyslexie est un trouble de l'apprentissage de la lecture survenant en dépit d'une intelligence normale. Par conséquent, la prise en charge de ces élèves au collège avec un tiers temps supplémentaire à celui donné à leurs camarades tout venants (Ringard, 2000) aboutit généralement à une optimisation de leur intégration dans le milieu éducatif ordinaire.

En prenant en compte le rythme propre de ces enfants, l’éducation inclusive vise à leur donner les mêmes chances d’apprendre que leurs camarades sans difficulté repérée. Toutefois, le problème fondamental pour intégrer des élèves dyslexiques est celui d'inventer des voies différenciées permettant l’accès aux savoirs communs. Aussi, pour aider ces élèves en difficulté, le travail individualisé apparaissait comme nécessaire aux yeux des enseignants du collège de Novalaise. Ce dispositif particulier d’un système de formation permet à l’élève d’apprendre seul, à son rythme et, éventuellement, selon un parcours diversifié, des contenus d’enseignement (Raynal et Rieunier, 1997, p. 174). Cependant, sa mise en oeuvre dans une classe à fort effectif n’est pas aisée, car elle a tendance à marginaliser ces élèves sans leur permettre de se confronter à d’autres points de vue. Par conséquent à Novalaise, ce moyen d’apprentissage ne semblait pas suffisamment approprié pour répondre à leurs besoins langagiers. Vouloir maintenir ces élèves dyslexiques en état de communication et de création, c’est donc approcher différemment l’enseignement de la langue. Il convient alors de déterminer des modalités d’action susceptibles de leur permettre d’accéder au savoir écrit. Pour ce faire, nous avons exploré des pistes de recherche adaptées à tous les élèves dans le champ de l’expression et du ludique, car nous adhérons pleinement à l’idée que le jeu étaye l’expression (Château, 1961, p. 52). En situation d’apprentissage, nous pensons que le jeu est le travail de l’enfant (Claparède, 1972, p.7) et lorsqu’il est mis en oeuvre au sein d’un groupe de pairs, il favorise le développement de leurs compétences langagières (Meirieu, 1996).

2.2 Jeu de cartes, jeu de contes

De ce fait, dans cette étude nous proposons, notamment, un outil didactique novateur : un jeu de cartes, le jeu de contes (Marsat, 2003). Constitué de cartes, figuratives ou non, le jeu de contes invite à produire individuellement ou en groupe une création narrative. Il obéit à un développement chronologique correspondant au déroulement du conte merveilleux. Appelé aussi conte de fées, le conte merveilleux est un type d’organisation de cohésion des énoncés qui garantit la cohérence de sa structure textuelle et séquentielle. Du point de vue morphologique, il correspond au développement partant d’un méfait ou d’un manque et passant par des fonctions intermédiaires pour aboutir au mariage ou à d’autres fonctions utilisées comme dénouement. La fonction terminale peut être la récompense, la prise de l’objet des recherches ou, d’une manière générale, la réparation d’un méfait (Propp, 1965−1970, p. 209). Il participe à la transmission du patrimoine culturel : d’où sa place dans l’éducation des enfants à l’école, au collège. D’ailleurs, l’introduction du conte en classe est légitimée par sa spécificité même, c’est-à-dire son appartenance à la culture orale. Nous pensons que ce mode de transmission favorise la production orale et facilite l’entrée dans l’écrit. En effet, raconter est une mise en mots de la langue où le discours narratif se trouve lié à un processus de compréhension actif. Il fait appel aux clichés verbaux, tels le début et la fin du conte, qui facilitent la réflexion et l’expression orale. Ainsi, l’élève est conduit à structurer sa pensée en s’appropriant et en produisant une structure narrative (Marsat, 2003).

Dans la pratique du jeu de contes, les joueurs se transforment en conteurs en éveillant leur imagination à l’aide d’images qu’ils peuvent interpréter et ordonner à leur guise. De cette manière, les élèves comprennent plus aisément l’organisation interne du récit, ils s’impliquent dans la construction ludo-verbale du conte et s’engagent ainsi dans la production. Les images plastiques des cartes de ce jeu forment un récit de divertissement fictionnel et un type d’organisation des énoncés. Cette lecture dévoile un schéma qui guide la mise en récit et encourage à l’écriture. Les enfants lecteurs du récit imagé sont invités à recréer un autre récit : un conte oral ou écrit et à déployer une production en s’aidant, si nécessaire, d’une fiche guide :

Tableau 1

Cadre référentiel de la structure du conte merveilleux avec le jeu de contes

Cadre référentiel de la structure du conte merveilleux avec le jeu de contes

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Ainsi, les enfants aiment et comprennent les contes, quelles que soient leurs origines et la manière de les aborder. Transmis par voie orale ou écrite, les contes sont des récits de faits où se côtoient le vrai, l’imaginaire et le merveilleux. À leur rencontre, ils découvrent une structure interne identique à tous les contes. Ils perçoivent le caractère universel du conte qui exprime les sentiments, les désirs, les aspirations propres à un individu ou à un groupe.

Le jeu de contes invite aussi à s’engager dans le conte sous une forme imaginaire et symbolique. De cette façon, l’enfant en difficulté s’approprie un langage spécifique, à travers le langage merveilleux du jeu et du conte réunis (Bettelheim, 1976). Dans la situation qui nous intéresse, le merveilleux du conte permet à l’enfant dyslexique d’échapper à la réalité qui pèse sur lui. Il peut ainsi affronter ces problèmes langagiers dans leur forme essentielle en délivrant son imaginaire et en libérant son potentiel créatif.

Ainsi, pratiquer le jeu de contes au collège, c’est solliciter la créativité et convier les élèves à imaginer sur le mode du jeu, de l’expression et de la production. C’est aussi porter leur attention sur la construction de la langue et son adaptation didactique au conte en situation d’interaction sociale.

2.3 La notion d’interaction sociale

Dans cette optique, nous nous référons aux modèles constructivistes et interactionnistes qui visent à donner une substance à la notion d’interaction sociale. En effet, à l’instar des travaux du psychologue russe Vygotski, nous considérons que dans cette situation ludo-pédagogique, le jeu des interactions sociales favorise le lien entre les compétences langagières que peut avoir un élève et celles qu’il va acquérir. De cette façon, la démarche d’étayage paritaire lui permet d’ouvrir un espace de transformation progressive de ses compétences appelé zone proximale de développement (Vygotski, 1985). Aussi, retenons-nous l’idée que le langage est un fait social et que la participation des élèves à des interactions sociales provoque chez eux un progrès cognitif (Doise et Mugny, 1997). Dans leurs travaux auprès de sujets non conservants, (c'est-à-dire qui n'arrivent pas à produire un message oral ou écrit de manière structurée), ces chercheurs ont mis en évidence que des rapports sociaux hiérarchiques/asymétriques ou symétriques induisent des effets positifs dans une situation de raisonnement et de production. En milieu scolaire, le savoir langagier en acte a besoin d’un savoir savant qui lui assure une légitimité épistémologique et culturelle (Chevallard, 1991). Le savoir de référence est, en effet, légitimé par l’institution, mais est-ce suffisant pour être efficace par rapport à la tâche et à l’ensemble des élèves concernés? Nous soutenons que la coordination interindividuelle susciterait, chez les élèves dyslexiques qui en bénéficieraient, des progrès dont ils n’auraient pas été capables seuls. Tout en améliorant les performances de tous, il serait alors possible de réduire les différences entre les performances langagières d’élèves dyslexiques et celles de leurs camarades tout venants s’ils produisaient ensemble un conte écrit.

2.4 Méthode clinique et méthode expérimentale

En nous appuyant sur les connaissances élaborées par la psychologie sociale, nous préconisons une méthode clinique et expérimentale. Nous recourons, donc, aux procédures qui ont permis d’observer si et comment les élèves s’engagent dans la lecture de contes pour entrer dans l’écrit, pour s’exprimer et communiquer par l’écriture afin de produire ensemble un texte complet. L’observation relève de la méthode clinique telle qu’elle a été élaborée par Piaget et ses collaborateurs (Piaget, 1924-1978). Pour être susceptible d’être validé, le processus nécessite une série d’inférences à partir de l’observation et de l’écoute des sujets participant à la recherche. Il s’agit pour les élèves dyslexiques de produire, avec des camarades tout venants, un conte cohérent en rapport avec le village de Nances et de s’impliquer dans l’amélioration de leurs écrits. Cependant, pour étudier le rôle des différentes modalités d’interactions sur le développement, il nous faut procéder par comparaisons et, donc, recourir à une méthode expérimentale. Cette double approche nous semble indispensable pour valider nos hypothèses imputant à des situations d’interactions sociales un rôle dans les changements observés. Nous optons donc pour une étude qualitative avec une population restreinte, afin de privilégier la compréhension des interactions sociales vécues par des groupes d’élèves comprenant des élèves dyslexiques. Pour la mise en oeuvre d’une étude de qualité sur le conte et les productions langagières, nous nous sommes également dotés de moyens issus des programmes officiels actuels (ministère de l'Éducation nationale, 2009-2012) et des travaux de spécialistes du langage à l’école (Lentin. 1998).

Ainsi, dans cet article, nous nous efforcerons de montrer que l’interaction sociale est un lieu où le développement cognitif et créatif trouve son dynamisme dans le rapport transmission/adaptation didactique, au travers d’une situation de production écrite de contes.

3. Méthodologie

3.1 Sujets

Parmi les sujets participants à l’étude, un certain nombre d’entre eux ont été diagnostiqués dyslexiques. En effet, dans les quatre groupes d’élèves comprenant des sujets dyslexiques, cinq sujets présentent des difficultés importantes à l’écrit. Ces élèves sont indemnes de toute déficience intellectuelle, visuelle, auditive ou d’autres anomalies sévères. C’est ainsi que parmi les trois classes de sixième, neuf élèves, dont sept filles et deux garçons, ont été répartis sur quatre groupes. Rappelons que chacun des groupes est organisé en dyade ou triade et comprend un ou deux sujets dyslexiques. De fait, un premier groupe est constitué de deux garçons de la classe de 6 A : Armand et Albert, un second groupe, de trois filles de la classe de 6 B : Béatrice, Bruna et Betty et toujours en 6 B, un groupe de deux filles : Berthe et Bérangère; enfin en 6 C, un groupe de deux filles; Carole et Clémence. Tous se familiariseront avec le jeu de contes. Cet outil constitue une expérience novatrice de la collaboration qui peut dynamiser les échanges entre les élèves dyslexiques et leurs camarades tout venants.

Maintenant, apportons quelques précisions sur le profil de ces jeunes collégiens. Albert est un élève moyen, très sociable, et Armand, lui, est un élève dyslexique avec beaucoup de difficultés à l’écrit, mais aussi au niveau de l’organisation de son travail. Au cours de sa scolarité, il a été maintenu en cours élémentaire première année-CE1 (deuxième année primaire au Québec), sans prise en charge spécifique. Au collège, il bénéficie de l’aide individualisée et des heures d’étude surveillée le soir, mais il n’est pas suivi à l’extérieur. Très timide, il peine à formuler ses idées à l’oral lorsqu’il doit commencer seul le conte.

En 6 B, le groupe de Béatrice, Bruna et Betty, comprend deux élèves dyslexiques et plutôt lentes, et une élève sans difficulté. Les deux élèves dyslexiques, Béatrice et Bruna, ont été signalées par leurs parents qui suivent leur travail, mais elles ne voient plus d’orthophoniste depuis la rentrée en sixième, au secondaire, et ne participent pas à l’aide individualisée. Ces trois élèves sont sérieuses et motivées.

Dans la même classe, se trouve le groupe de Berthe et Bérangère. Berthe est dyslexique, assez lente et très anxieuse, car très consciente de ses difficultés. Elle est bien suivie à la maison, mais plus chez l’orthophoniste. Sa camarade Bérangère ne présente aucune difficulté; elle est intellectuellement précoce mais travaille souvent trop vite. Toutes les deux sont très volontaires et intéressées.

Enfin, en 6 C, le groupe de Carole et Clémence présente une élève dyslexique, très désorganisée, avec de gros problèmes de concentration. Son écriture est très difficile à déchiffrer, mais Carole est très vive à l’oral et déborde d’idées, même si celles-ci manquent parfois de cohérence. Elle a été signalée très tôt par ses parents et bénéficie de l’aide individualisée au collège. Clémence ne présente aucune difficulté.

Malgré l’hétérogénéité des élèves, il s’agit, pour le collège, de conduire chacun, au terme de l’année de sixième, à un ensemble de connaissances et de compétences (ministère de l'Éducation nationale, 2009) qui donnent sens au savoir enseigné. À cette fin, en français, chaque classe dispose d’une heure hebdomadaire en barrette français/centre de documentation et de l’information-CDI. Soulignons que le terme barrette désigne l’organisation des groupes d’élèves des trois classes en groupes de compétences. Les sujets participant à notre étude vont donc travailler sur l’écriture du conte en classe uniquement pendant ce même horaire et en petits groupes (Raynal et Rieunier, 1997), sous la conduite de leur professeur de français et de la documentaliste.

3.2 Instrumentation

Le dispositif de recherche comprend d’abord des entretiens individuels semi-dirigés effectués au début de l’intervention, notamment, avec les élèves dyslexiques. Ceux-ci ont été menés par l’expérimentatrice−la chercheuse−afin de comprendre les réactions des élèves dans une situation d’interaction sociale. Les entretiens de huit à dix minutes contenaient essentiellement des questions ouvertes du type : As-tu déjà travaillé en groupe? Comment cela s’est passé dans votre groupe? Quand tu dis que tu as fait des erreurs, c’étaient des erreurs par rapport à quoi? Une production écrite, cela veut dire quoi, pour toi? (Perraudeau, 1998; Marsat, 2003). Ces entretiens constituent un outil au service des enseignants pour comprendre le fonctionnement cognitif de l’élève et les difficultés qui surgissent au cours des apprentissages. Ils servent aussi à l’élève qui peut identifier ses problèmes et s’impliquer dans leur régulation. Bien plus qu’une technique de verbalisation, ils instaurent une démarche de construction, ils sont dirigés individuellement mais n’excluent pas les situations de groupe.

Puis, avec tous les élèves, une séance de familiarisation au jeu de contes en groupe d’environ une heure est proposée pour qu’ils s’accoutument au travail collaboratif et s’approprient les éléments du conte sous une forme ludo-verbale. Une heure supplémentaire est prévue au centre de documentation et de l’information pour les élèves qui souhaitent poursuivre cette activité ou la mener à son terme.

Ensuite, trois séquences d’environ trois heures à partir des lectures de récits populaires sont observées. Chacune des séquences est composée de trois séances longues réalisées durant le second semestre scolaire avec tous les groupes d’élèves. La constitution d’un groupe d’apprentissage pour inventer une histoire vise à conférer toute son ampleur à la parole de chacun des membres du groupe. La phase d’appropriation des modèles syntaxiques et lexicaux, d’environ trois heures, vise à accéder à la compréhension du conte merveilleux, du schéma narratif, du rôle des personnages et au temps du conte. Ensuite, la phase de construction écrite, d’environ trois heures, correspond à son terme à l’évaluation du savoir conter où le groupe d’élèves est invité à produire un conte écrit. Enfin, l’outil informatique sert à réaliser la production terminale de trois heures. Pour les trois séquences, un temps supplémentaire de deux à cinq heures est prévu pour répondre au rythme propre des groupes comprenant les élèves dyslexiques.

3.3 Déroulement

Avant d’entrer dans l’écriture, le projet est présenté par la chercheuse, en face à face, aux élèves des classes de sixième. Le rôle de la chercheuse et toutes les conditions de réalisation du projet sont exposés : objectif, procédures, entretiens, etc. Le rôle de la professeure de français et de la documentaliste est également précisé. Il s’agit d’un rôle d’observatrices participantes : le choix de la non-directivité est très éloigné du laisser-faire, puisqu’elles régulent la dynamique du travail et restent disponibles pour chacun des apprenants. Les élèves participeront à une séquence d’écriture longue dont l’objectif est de produire un conte dans chaque groupe en rapport avec l’histoire de la ville de Nances : ses lavoirs, son fleurissement, le château de l’Épine, la grotte au loup, son église, ses fontaines, etc.

Rappelons qu’en début d’année scolaire, les élèves ont été évalués individuellement en situation de classe par leur professeur, notamment sur le texte narratif, le repérage des moments du conte et la production de la fin d’un récit. L’analyse de l’évaluation initiale de début d’année a montré, chez les élèves dyslexiques, des difficultés importantes dans leurs différents apprentissages, notamment dans la maîtrise de la langue écrite (ministère de l'Éducation nationale, 2005). À l’opposé, leurs camarades tout venants se montraient pour la plupart à l’aise dans le maniement de la langue, même si certains d’entre eux présentaient des lacunes au niveau lexical ou syntaxique. En fin d’année scolaire, lors de la séquence de réinvestissement, ces mêmes évaluations individuelles ont été proposées. Cette évaluation finale de la production écrite d’un conte a alors été appréciée selon les éléments de connaissance établis dans le tableau 2  ci-dessous :

Tableau 2

Fiche-guide : Présentation de la mise en page du conte

Fiche-guide : Présentation de la mise en page du conte

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Ainsi, ces évaluations initiale et finale s’appuient sur un recueil d’informations, constitué de plusieurs épreuves, notamment autour du texte narratif. Les données collectées par des prises de notes visent à évaluer les acquis langagiers des élèves en lien avec la progression syntaxique (Lentin, 1998).

Selon les résultats de ces évaluations d’entrée en sixième, les élèves ont été répartis en groupes en fonction des deux conditions expérimentales suivantes : l’une comprenant les quatre-vingt-un élèves tout venants répartis en dyades ou triades; l’autre, avec des groupes d’élèves ordinaires comprenant un ou deux élèves dyslexiques. Tous les groupes ont été mis dans les mêmes conditions pour produire un conte écrit, selon les critères canoniques du genre. Ainsi, les mêmes outils ont été mis à la disposition des groupes et, pour ne pas pénaliser les groupes comprenant des élèves dyslexiques ayant les mêmes compétences, le temps imparti de cinquante-cinq minutes par séance a été maintenu durant un semestre.

Ainsi, pour produire le conte final, les groupes comprenant des élèves dyslexiques disposaient d’une période couvrant les second et troisième trimestres scolaires. Les séances d’appropriation-construction du conte couvraient un volet horaire de dix heures, dont une heure de familiarisation au jeu de contes en groupe. Pour le travail de réécriture, le temps nécessaire était variable selon les besoins du groupe, notamment ceux comprenant des élèves dyslexiques; il pouvait recouvrir de deux à cinq heures supplémentaires. Avant chaque séance d’apprentissage, cinq minutes étaient systématiquement réservées pour l’installation des groupes d’élèves dans la classe et le rappel de l’objectif de travail. Outre un temps supplémentaire prévu pour les élèves dyslexiques, les tâches observées dans les deux groupes expérimentaux sont donc comparables.

Ainsi, une première séquence est proposée : lire des contes (Combault, Santini et Trottier, 2005) en trois séances. Les objectifs sont de connaître et de comprendre les caractéristiques du conte merveilleux (Propp, 1965-1970) et d’utiliser le rôle des personnages et le schéma narratif à partir de trois contes : Fleur d’épine (Cerquud, 1999), J’avale le bébé du voisin (Khemir, 2000), Les fées (Perrault, 1697). Cette situation de lecture permet de repérer les éléments constitutifs du conte et de vérifier une structure narrative identique à tous les contes.

Une seconde séquence, Contes à l’envers, est composée de trois séances dont les objectifs sont de lire un recueil intégral de contes (Dumas et Moissard, 1977) et de découvrir la réécriture et la parodie en étudiant le rapport avec les contes traditionnels suivants : Le Don de la fée Mirobola reprend Les Fées de Perrault; d’autres titres sont encore plus explicites : Le Petit chaperon bleu marine; La Belle histoire de Blanche-Neige; La Belle au doigt bruyant. Cette situation d’apprentissage autour des contes lus dévoile une structure narrative reproductible d’un conte à l’autre.

De façon à assurer la lisibilité des textes et pour aider à la mise en page du conte, une fiche guide (tableau 2) indiquant la présentation à suivre a été établie par l’expérimentatrice. Cette manière d’aborder la production d’écrit est en complète adéquation avec les objectifs des instructions officielles pour la classe de sixième (ministère de l'Éducation nationale, 2009).

L’activité de production comporte différentes phases d’écriture : tout d’abord, la phase introductive, où les groupes se constituent et revoient les schémas narratif et actantiel développés par le courant structuraliste de Propp (1970) et Greimas (1966, p. 174-185 et 192−212). Ces schémas revisités peuvent utilement guider les élèves dans leur écriture, les aider à trouver des pistes pour créer un conte et leur permettre de produire un texte complet cohérent et de s’initier à la description.

Ensuite, la phase de recherche convie à entrer dans l’écrit, où on demande aux élèves de penser au projet. Ainsi, pendant les vacances de printemps, les élèves doivent chercher des idées de personnages, de structure narrative, et, éventuellement, interroger des parents ou amis sur Nances et son histoire, aller se promener sur place, quérir de la documentation. Il s’agit de mettre en route la créativité des élèves en leur laissant une grande part de liberté.

Au retour des vacances, les élèves reformulent à l’oral le projet, font part de leurs recherches ou idées, posent des questions; certains, notamment les élèves en difficulté, apportent des documents. Un classeur documentaire sur Nances a été créé avec la documentaliste, reprenant des thèmes sur l’histoire de la ville. Les enseignantes ont alors pu établir avec les élèves les critères d’évaluation (tableau 3). Signalons que les productions finales sont destinées à être lues par d’autres que leur professeur de français.

Tableau 3

Les critères d’évaluation

Les critères d’évaluation

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Après la phase interactive d’écriture, les groupes travaillent sur trois séances en moyenne pour écrire un brouillon, le retravailler et le mettre au propre. Ce travail en groupe représente le lieu d’un réel conflit sociocognitif entre les élèves. La dimension conflictuelle des interactions sociales est source d’apprentissage, car elle permet à chacun d’élaborer avec autrui et de coordonner ses actions et son point de vue initialement différents (Perret-Clermont, 1996, p. 201-206).

Enfin, en prolongement, une troisième séquence constitue la phase interactive de réécriture. Les élèves s’engagent pour améliorer leur texte. Là, encore, trois séances en moyenne sont nécessaires pour atteindre l’objectif fixé. Lors de cette phase, les enseignantes interviennent plus fréquemment pour expliciter les annotations de la première copie, guider la correction ou simplement revoir comment utiliser un dictionnaire ou un manuel de conjugaison afin d’aboutir à la production finale.

Afin de finaliser ce travail pour le communiquer à d’autres, les élèves écrivent leur conte à l’aide du traitement de texte. Certains groupes en profitent pour améliorer encore leur production. Les enseignantes, à ce stade de la séquence, veillent à la correction de la langue, à l’orthographe et à la mise en page. Pour finir, les élèves illustrent librement leur conte. Ce mode expressif est considéré comme une contribution à l’élaboration de la pensée et à la construction du langage écrit. Par conséquent, il est important de valoriser aussi les dessins, car ils servent aussi à la culture intellectuelle. Trois séances sont nécessaires pour achever ce travail de production.

Dans un espace interactif, le travail à l’aide de l’outil informatique apparaît comme une clé du développement de l’expression créatrice et un moyen accessible pour l’enfant dyslexique. Moyen comme un autre, pensera-t-on, mais moyen que nous pensons utile pour sortir du cycle infernal de l’étiquetage, de l’échec, de la résignation, de l’exclusion (Marsat, 2003).

3.4 Méthode d’analyse des données

Lors du travail d’écriture, les élèves sont d’abord conviés à inventer collectivement une seule histoire et, ainsi, à produire une image littéraire. L’image littéraire, écrit Gaston Bachelard, est un sens à l’état naissant; le mot - le vieux mot - vient y recevoir une signification nouvelle. Mais cela ne suffit pas encore : l’image littéraire doit s’enrichir d’un onirisme nouveau. Signifier autre chose et faire rêver autrement, telle est la double fonction de l’image littéraire (Bachelard, 1943, p. 283).

Avant de créer un recueil de contes, en utilisant l’outil informatique, deux séances ont été proposées pour élaborer des fiches-guides pour la présentation de la mise en page du conte et son évaluation. Dans ce cadre, il est annoncé aux élèves qu’il y aura des évaluations intermédiaires de type formatif (Marsat, 2005). Celles-ci permettront de se corriger et de progresser avant la version finale avec le traitement de texte. Pour ce faire, il convient de distribuer à chacun des groupes des matériaux de travail, des informations, des éléments ou des données nécessaires à l’élaboration du projet, de manière à ce que la réalisation requière en elle-même la participation de chacun (Meirieu, 1996, p. 5). En effet, si l’élève ne sait pas où il va, il ne sait pas comment s’y rendre ni s’il lui reste du chemin à parcourir.

Dès lors, plusieurs données sont collectées auprès des élèves, puis croisées. D’une part, les entretiens transcrits ont pour objet la codification des catégories thématiques telles que la relation entre pairs, l’implication dans le groupe, la perception d’utilité dans le groupe, le changement d’habitude et de façon de procéder. Ces entretiens sont aussi pratiqués avec les élèves tout venants par leurs professeurs principaux qui ont récolté les données dans leur classe respective.

D’autre part, la chercheuse des notes sur ses observations durant les cours de français. Ces notes ont pour but de faciliter la compréhension des comportements des élèves en situation d’interaction. Elles permettent de vérifier s’ils identifient le but à atteindre et s’engagent dans la lecture de contes pour entrer dans l’écriture narrative.

Pour les productions, des critères de qualité d’écriture de contes ont été établis. Ils permettent au chercheur, comme aux enseignants, d’apprécier le niveau de maîtrise de compétences dans la réussite de production de contes. Quant aux élèves, ils étayent leurs stratégies d’écriture pour élaborer une structure narrative complète avec des références locales sur Nances. Dans les productions finales, la réécriture des contes (l’enchaînement des idées ou des événements, l’utilisation de connecteurs, la mise en page et la présentation à l’aide de l’outil informatique) est appréciée par une notation chiffrée.

Au final, le croisement de ces données permet de juger de la fidélité aux caractéristiques du conte et de la qualité des productions en situation d’interaction.

3.5 Considérations éthiques

Pour des raisons éthiques, une fiche personnalisée établie avec les professionnels impliqués, dresse le profil de chaque élève. L’anonymat est préservé en nommant chacun des participants par un prénom commençant par la lettre A, B ou C plutôt qu’un chiffre ou une lettre unique qui retirerait à l’étude son caractère pleinement humain. Notons que les sujets concernés ont volontiers adhéré au projet et accepté de s’engager pour plusieurs mois dans l’année scolaire. Nous avons informé les autorités académiques de ce projet, et réuni ou contacté, avec les enseignants, le conseiller principal d’éducation et le chef d’établissement, ainsi que les parents des élèves participants à la recherche. Nous avons donc mené cette étude au sein d’un collège, avec l’entier soutien de son principal, de l’équipe enseignante et la participation du professeur de français des classes de sixième ainsi que de la documentaliste de l’établissement.

4. Présentation des résultats

Par l’intérêt qu’elle a suscité auprès des groupes d’élèves des trois classes de sixième du collège de Novalaise, l’adaptation didactique du conte a facilité l’élaboration de productions de contes. Elle a favorisé le développement de leurs compétences linguistiques et créatives, mais a aussi permis d’identifier leurs difficultés.

En effet, l’analyse de la transcription des entretiens effectués au début de l’expérimentation a permis de repérer les difficultés des élèves, notamment des élèves dyslexiques, et leurs réactions face à ces difficultés. Ces élèves savent repérer un texte narratif et comprennent la structure brève du conte. Ils préfèrent l’oral à l’écrit qui est trop difficile, mais s’ils peuvent utiliser un ordinateur, c’est mieux : pour écrire, c’est plus facile. Tous ont exprimé le mal qu’ils ont à s’intégrer au groupe classe, mal causé par un manque de confiance en soi et une estime de soi affectée. Toutefois, ils ont accepté volontiers de travailler en petit groupe avec un camarade de classe avec lequel ils avaient des affinités : C’est rassurant; Comme ça, on peut participer comme les autres. Quant aux groupes d’élèves tout venants, les données recueillies montrent que le travail en groupe est perçu de manière positive. Un grand nombre d’élèves préfèrent le travail en groupe au travail individuel, car C’est plus facile de réussir quand on est plusieurs; On comprend mieux; Ça va plus vite.

De même, les résultats de l’évaluation individuelle initiale, réalisée par les enseignantes en début d’année scolaire, ont montré des lacunes ou des difficultés plus ou moins sévères dans la maîtrise de la langue écrite. Le travail individualisé mis en oeuvre au cours du premier trimestre par les enseignantes n’a pas comblé les difficultés tant chez les élèves tout venants que chez leurs camarades dyslexiques. Pour ces derniers, la difficulté majeure était de reproduire le schéma narratif qu’ils avaient, cependant, préalablement compris.

En effet, lors du premier trimestre, l’observation des élèves dyslexiques en situation individuelle pendant les cours de français confirmait leurs réticences à s’engager spontanément dans l’écriture d’un texte. Plusieurs d’entre eux présentaient des difficultés à respecter les consignes d’écriture simples, à conserver le fil de l’activité et à produire des récits cohérents. Malgré une bonne volonté affichée en début d’année, le découragement s’est progressivement installé, entraînant assez vite un décalage avec leurs camarades de classe.

Pourtant, ces élèves ont un avantage sur leurs camarades : leur potentiel de surcompensation est beaucoup plus grand. En effet, entravés par des défauts langagiers, ils développent de nombreuses fonctions à l’aide desquelles ils compensent, harmonisent, suppléent aux défauts (Barisnikow et Petitpierre, 1994, p.104). De fait, il convient de leur procurer un enseignement qui prenne en compte l’organisation spéciale de leurs fonctions et qui décline des objectifs fondamentalement compensateurs. Afin de répondre à cette exigence, nous avons proposé notre dispositif didactique aux enseignantes. Ainsi, au cours des trimestres suivants, elles ont fait travailler leurs élèves en petits groupes, en intégrant les élèves dyslexiques. Entrecroiser le travail des élèves a rendu plus accessible le jeu des interactions sociales. Cette adaptation didactique du conte est apparue comme une voie pédagogique novatrice au bénéfice de tous, y compris des élèves dyslexiques. Ce qui légitime et fonde la présente recherche.

Ainsi, pour la première séquence, la lecture de contes, tout comme la pratique du jeu de contes en classe, a mobilisé l’attention des élèves, notamment, des élèves dyslexiques. Cette activité leur a permis de repérer la succession des actions et la structure narrative du conte à travers les paragraphes des textes lus. À ce titre, elle a facilité l’appropriation des modèles syntaxiques et lexicaux, et rendu plus aisée la compréhension du conte merveilleux pour l’ensemble des élèves des classes de sixième. L’objectif visé est atteint; il s’agissait, par le biais de ce genre littéraire, de susciter le désir de lire et de comprendre comment fonctionne le conte (Marsat, 2003, p. 165). De cette manière, tous les groupes d’élèves se sont engagés pleinement dans le travail proposé.

En ce qui concerne la seconde séquence, Contes à l’envers, elle avait pour objectifs de lire un recueil intégral de contes, de découvrir la réécriture et la parodie en étudiant le rapport avec les contes traditionnels. Ce travail autour de la lecture de contes a facilité la réécriture et contribué à améliorer les productions des groupes qui ont suivi la mise en page de leur conte en utilisant la fiche-guide (tableau 2). La constitution d’un groupe d’apprentissage pour inventer une histoire a conféré toute son ampleur à la parole de chacun des membres du groupe pour entrer dans l’écriture et produire un conte. Le fait que les productions finales soient destinées à être lues par d’autres que leur professeur de français, a stimulé la motivation des groupes d’élèves et leur souhait de communiquer à d’autres. Il est apparu que la recherche de documents sur Nances, en préalable à l’écriture du conte, a été un bon moyen pour aider les élèves en difficulté à s’organiser, à classer des données et à s’impliquer dans le projet.

Enfin, à l’issue de la première production, une note a été attribuée, et la moyenne est de 11/20 pour l’ensemble des élèves des trois classes, les notes s’échelonnant de 6 à 14/20. La note, ici, ne hiérarchise pas les élèves, il ne s’agit donc ni de sélectionner ni de répondre à la question : Quel est le meilleur de vos élèves? (Jacquard, 1997, p. 116). Cette mesure renseigne sur leur niveau de connaissance et de compétence entre leur première et leur dernière production. Les copies ont été rendues avec des annotations en marge, des commentaires pour chaque critère d’évaluation (tableau 3) et des conseils de correction pour une meilleure maîtrise de la langue. À la suite des nombreuses confusions entre le passé simple et le passé composé, il paraît nécessaire de retravailler les systèmes de temps, mais aussi de rappeler la mise en page d’un texte, la présentation d’un dialogue et de donner quelques conseils pour l’insertion d’une description dans un récit. Cette phase de correction globale prend trois séances et permet aux élèves en difficulté d’être moins anxieux face au travail d’expression. Le travail en groupe restreint ainsi que le temps laissé pour améliorer les premières productions constituent une réponse aux besoins particuliers des élèves et contribuent au plaisir d’écrire.

Ainsi, pour la dernière version, la moyenne des notes des trois classes est de 13/20, soit 2 points de plus, les notes allant de 10 à 16,5. Même si l’évolution est très différente selon les groupes, tous les élèves ont donc amélioré leurs performances et atteint la moyenne. Par conséquent, les mécanismes en jeu lors des interactions confirment que, lorsque les élèves coordonnent leurs actions et leurs jugements avec d’autres, ils aboutissent à des performances cognitives plus structurées que les performances obtenues dans une situation individuelle (Perret-Clermont, 1996, p. 49).

Cependant, certains ont peu ou pas progressé : ce sont des groupes sans difficulté avec des notes initiales de 11, 12 ou 14/20. En revanche, dans chaque classe, un ou deux groupes ont progressé de 4 points; il s’agit notamment des groupes intégrant des élèves dyslexiques ou en difficulté. Ces élèves ont pu et su s’intégrer au cours de cette situation d’écriture. En effet, on observe qu’au sein de ces groupes d’apprentissage chacun cherche à rendre service, à faire progresser l’ensemble et parfois à son insu, progresse beaucoup plus vite (Meirieu, 1989, p. 49). Avant de communiquer à un plus grand public les productions, la dernière version est revisitée; il en est ainsi pour le conte en 6 C avec Carole et Clémence qui n’hésitent pas à reprendre avec soin et attention leur production (voir figure 1).

Figure 1

Production finale - 6e C - destinée à être communiquée au-delà du cadre scolaire

Production finale - 6e C - destinée à être communiquée au-delà du cadre scolaire

-> Voir la liste des figures

En 6 A, bien qu’Albert et Armand aient eu du mal à démarrer l’activité, chacun s’est progressivement investi et a pu tirer bénéfice du dispositif mis en oeuvre. Le jeu des interactions a bien fonctionné entre les deux élèves, dont l’un possédait des compétences plus affermies à l’écrit. La mise en oeuvre des situations de médiation au sein de ce groupe revient à confier le rôle d’expert à Albert, au moins temporairement et pour des tâches bien précises, notamment l’écriture du texte; ce qui a permis à Armand, plus en difficulté, de prendre conscience de ses erreurs et de ses incompréhensions qui l'avaient conduit, à plusieurs reprises, dans une impasse. Il a pu modifier ses représentations et développer des compétences narratives. Dans cette situation, le mode d'entraide a fait l’objet d’une explicitation claire par l’enseignante. Pour l’élève-médiateur, Albert, il s’agissait de transmettre à son camarade comment on fait ou comment on pourrait faire, et non de le faire à sa place. Au fil des séances, on constatait qu’Albert devenait plus efficace, parce qu’il avait lui-même vécu et surmonté les difficultés rencontrées par son camarade. Ensemble, ils ont emprunté le chemin de la co-production et ont progressé.

En 6 B, pour le groupe de Béatrice, Bruna et Betty, le premier texte est évalué 7/20, car il est très long : 5 pages avec énormément d’erreurs de langue. Il comporte beaucoup de dialogues inutiles avec du langage familier, les personnages sont nombreux et leur rôle difficile à repérer, la description est insuffisante et la mise en page, fantaisiste. À cette étape de la production, les enseignantes leur ont demandé de réduire le texte et d’utiliser le manuel de conjugaison, après les séances de correction globale, avec l’ensemble de la classe. Ce groupe est très lent, mais les élèves ont retravaillé au crayon de papier sur la première version, barrant et corrigeant avant de réécrire le texte, qui, cette fois, est noté 11/20. Ce n’est pas la rapidité qui est importante, mais l’attitude que l’on a. Si l’on est curieux et si l’on s’intéresse à ce que l’on fait, on devient plus intelligent, que l’on soit rapide ou non (Jacquard, 1989, p. 34). Dans ce contexte, les trois élèves n’ont pas hésité à venir au centre de documentation et d’information pour utiliser le traitement de texte et illustrer leur conte. Soulignons, également, que dans ce groupe, chaque élève a écrit, tous les rôles ont été partagés et toutes les trois ont, donc, tiré un bénéfice de l’expérience. En effet, l'occurrence des conflits de communication a favorisé la décentration intellectuelle, et provoqué l’apparition d’un conflit socio-cognitif. Cette situation paritaire, où les élèves ont confronté des points de vue opposés, a permis de modifier leurs représentations. Ainsi, la participation active de chacune des élèves lors de l’écriture et de la réécriture a permis l’essor de leurs compétences scripturales, tant dans l’amélioration du vocabulaire que du registre de langue.

Dans la même classe, pour le groupe de Berthe et Bérangère, le premier texte a été noté 14/20, les principales maladresses étant la conjugaison du passé simple, les répétitions et la mise en page du dialogue. Leur deuxième version a obtenu 15/20 : il reste quelques erreurs de langue : orthographe, conjugaison et accents et de mise en page : (alinéas). Ce groupe est de bon niveau, les progrès sont moins spectaculaires; toutefois, l’interaction a porté ses fruits : l’élève lente a pu prendre confiance en elle, se détacher de l’écrit, tandis que l’élève trop rapide a dû prendre le temps de réfléchir et d’expliquer à l’autre. Cette situation paritaire montre que les coordinations interindividuelles sont à l'origine des coordinations intra-individuelles qu'elles précèdent et génèrent (Perret-Clermont, 1996, p. 39). Ainsi, l’une et l’autre ont compensé leur défaut.

Enfin en 6 C, pour le groupe de Carole et Clémence, le premier texte a été noté 7,5/20, car l’histoire manque de clarté, se répète et comporte beaucoup d’erreurs d’orthographe et de conjugaison. Il n’y a pas non plus de notation descriptive en rapport avec Nances. Ces élèves ont globalement amélioré leur texte en relisant la fiche guide du cadre référentiel du conte. Elles ont revisité la mise en page, adapté le temps au récit et supprimé les répétitions en reprenant chaque paragraphe. Elles ont corrigé les fautes d’orthographe en utilisant le correcteur de l’ordinateur ou le dictionnaire. Elles se sont également référées aux critères d’évaluation et ont tenu compte des remarques de leurs enseignantes : l’histoire est plus cohérente, mieux cadrée et en lien avec Nances. Pour leur seconde production, elles obtiennent 12/20.

L’élève dyslexique a pu bénéficier de l’exemple de l’autre élève dans le soin et la présentation de la copie; elle a réussi à trier et organiser ses idées, à se rendre compte de ce qui était demandé, de ce qui pouvait se faire ou non, s’écrire ou non. L’élève sans difficulté a dû se montrer plus attentive à la langue et à la cohérence du texte. Toutes les deux ont participé avec plaisir à la phase de travail sur ordinateur, l’élève dyslexique étant moins rebutée par cette manière d’écrire. Elles ont, ainsi, réécrit leur conte, La légende de Nances, en améliorant encore son contenu ainsi que sa présentation, et elles ont créé une illustration.

L’activité de coconstruction des contes a soulevé des questions liées à la complexité de la tâche réalisée en groupe et à un changement d’habitude de travail. Cette occasion d’interaction sociale nous a permis de regrouper les résultats selon trois dimensions. La première montre l’interaction sociale comme un changement d’habitude de travail. La seconde soulève les enjeux relationnels entre les pairs. La troisième présente l’interaction sociale comme porteuse de bénéfices pour tous les élèves, y compris les élèves dyslexiques.

En ce qui concerne la contribution des groupes d’élèves ordinaires comparée à celle des groupes d’élèves ordinaires et dyslexiques, nous formulons les trois constats suivants.

  1. La collaboration dans les deux types de groupes a contribué de manière significative à la production des textes écrits. Par contre, l’évolution de la qualité des productions est plus significative dans les groupes comprenant des élèves dyslexiques.

  2. Le changement d’habitude de travail a facilité la production commune de contes et aiguisé le jugement critique des élèves. Le passage du travail par division des tâches à un travail en association avec les autres, a montré que tous les groupes ont produit un texte final conforme à ce genre littéraire. Ce travail en groupe a réclamé une forte implication des pairs et exigé une capacité à vivre les confrontations des points de vue et à les accepter.

  3. L’exigence de réciprocité entre les pairs a généré l’effort et maintenu l’intérêt jusqu’au terme de l’expérience. Les enjeux relationnels entre les pairs ont préservé l’image de soi, renforcé la légitimité de critiquer le travail des pairs et surtout, la perception, par chaque élève, d’être utile dans le groupe et détenteur d’un potentiel d’amélioration.

Travailler en situation d’interaction est une nouvelle façon de travailler pour les élèves. Écrire un texte, destiné à d’autres que son professeur, a introduit de la complexité et a parfois généré de la difficulté à comprendre le travail à faire. Cependant, le caractère public des productions a conduit à l’élaboration de textes de meilleure qualité : textes plus précis, plus élaborés, mieux structurés. La pratique d’échange et de réécriture contraste avec l’habitude de remettre son travail sans véritable relecture. La réaction positive face à la proposition de réécriture des textes indique que cette pratique d’écriture en situation d’interaction sociale pourrait être une habileté à développer dans le cadre d’une pédagogie inclusive avec des élèves présentant d’autres types de déficience.

Au final, la recherche a montré, à des degrés divers, une plus grande maîtrise de la langue écrite des sujets participants et des effets positifs de la coopération sur les productions des élèves des trois classes de sixième du collège de Novalaise. En effet, quels que soient les sujets participants, les élèves en situation de narration engagent le maximum de leur potentiel personnel pour réussir. Toutefois, les progrès d’écriture ont été plus importants chez les groupes comprenant des sujets dyslexiques. De même, l’évaluation finale a montré des progrès significatifs dans les productions individuelles des élèves et, plus particulièrement, des élèves dyslexiques. Le jeu des interactions sociales a bien été bénéfique, ce qui légitime le dispositif didactique mis en oeuvre auprès des groupes d’élèves, notamment, des quatre groupes comprenant des élèves dyslexiques.

5. Discussion des résultats

Nous avons vu que notre étude confirme plusieurs hypothèses. Sur le plan théorique, notre thèse se trouve confortée par les différentes références conceptuelles convoquées. En introduisant la dimension sociale dans la construction des instruments cognitifs des élèves et notamment d’élèves dyslexiques, on observe une dynamique responsable de progrès cognitifs individuels. Par ailleurs, l’étude fournit une description des élèves producteurs d’écrits en situation paritaire. Elle explore l’impact de l’interaction sociale sur la qualité de leurs productions de contes, surtout celles d’élèves dyslexiques. Les interactions en corésolution ont facilité la coordination des points de vue pour parvenir à une réalisation commune, et ainsi facilité le fonctionnement d’une cognition collective centrée sur la production de contes. Elles ont donc montré que les coordinations interindividuelles sont à l’origine de nouvelles coordinations cognitives intra-individuelles. Les progrès observés chez les élèves dyslexiques résultent bien des interactions sociales qui ont favorisé le développement d’arguments pour organiser le récit et produire un conte au sein du groupe.

Ainsi, notre hypothèse est vérifiée : les interactions sociales ont une incidence positive sur la production écrite de tous les élèves, y compris les élèves dyslexiques. Les résultats semblent aller dans le sens des travaux de Vygotski (1985) et du courant de Genève. De même, les changements d’habitude de travail montrent une amélioration des performances dans tous les groupes constitués avec, cependant, une qualité plus significative dans les productions des groupes comprenant des élèves dyslexiques.

Dans l’interaction paritaire, les élèves dyslexiques ont manifesté une plus grande confiance en eux et se sont autorisés à donner leur point de vue. Une telle dynamique a contribué à une meilleure estime de soi et conséquemment, au développement de leur expression scripturale et créative. Ces progrès individuels résultent d’une intériorisation des instruments cognitifs élaborés collectivement avec leurs camarades tout venants.

Ainsi, le travail en groupe a facilité le conflit positif qui s’est produit par la confrontation des points de vue individuels. En effet, l’intérêt des échanges pour la construction de nouvelles habiletés cognitives, notamment la corésolution de construction de récits, a été démontrée depuis longtemps (Perret-Clermont, 1996, p. 305). Dans notre étude, nous avons observé que l’élève dyslexique s’incorpore très vite au groupe en y tenant une place qui n’appartient qu’à lui, et que son action individuelle sert véritablement le projet commun.

Dans ce contexte inclusif, la production du conte articule la rencontre du texte littéraire avec la création des élèves en les guidant et en les encourageant dans leur tentative de lire et d’écrire (Marsat, 2005b, p. 7). En effet, dans notre dispositif, l’adaptation didactique de contes est conçue pour que tous tirent un bénéfice des occasions d'échange et d’entraide pour entrer dans l’écrit et l’améliorer. Parmi les créations, c’est le conte de Carole et Clémence en 6 C, La légende de Nances, qui a été retenu par l’ensemble des élèves des trois classes de sixième. Les élèves ont choisi ce conte, car ils l’ont trouvé plus proche de l’histoire de Nances que les autres textes, et la présentation soignée ainsi que la fin leur ont plu. Par ailleurs, ce conte suit bien la structure brève du conte et respecte les critères de production écrite pour être lu à un public extérieur au collège.

Toutefois, l’interprétation de nos données nécessite une précision. En effet, l’exploration d’interactions sociales a porté sur une population restreinte; par conséquent, les résultats obtenus ne sont valides que pour les élèves rencontrés et uniquement dans le contexte du déroulement du cours de français.

Notons, par ailleurs, que le facteur social n’est pas le seul facteur du développement et que ses effets sont soit soutenus, soit masqués par d’autres. Notre étude suggère un enjeu relationnel entre pairs en ajout aux composantes de la perception d’un potentiel et de la présence sociale positive dans la coconstruction de contes. Elle indique qu’une limite à la collaboration peut être liée à l’habitude de travail indépendant en cours de français. Ces derniers points soulevés invitent à poursuivre cette recherche exploratoire notamment avec une population plus importante.

6. Conclusion

La présente étude s’intéressait aux aspects liés à la participation aux interactions sociales dans un contexte d’apprentissage collaboratif. Nous avons défini l’interaction sociale comme un lieu où s’organise l’apprentissage au sein de groupes d’élèves comprenant des enfants dyslexiques. Afin de mieux comprendre comment se traduisent les effets des interactions sociales dans les productions écrites des élèves, nous nous sommes fixé comme objectif d’explorer leurs potentialités à produire un conte en groupe. Pour cela, nous avons initié des entretiens et recueilli les propos, sans toutefois utiliser de mesures comparatives autres que les résultats de la recherche scientifique ou le cadre théorique. Nous avons interrogé plus en profondeur neuf élèves diagnostiqués dyslexiques. Leurs propos recueillis lors des entretiens reflétaient la compréhension développée au fur et à mesure par la chercheuse. Les critères de qualité retenus pour les productions ont montré l’évolution significative entre les premiers textes écrits et ceux réécrits par les élèves. Plusieurs de nos résultats confirment ou ajoutent aux travaux des chercheurs sur des aspects de l’interaction sociale, mais aussi sur l’attitude envers la collaboration. Les activités d’apprentissage collaboratif dans la production de contes impliquent un changement d’habitude de travail qui exige une forte implication personnelle, la mise en place de pratiques structurelles du travail en petit groupe et le développement d’habiletés relationnelles.

Quelles que soient leurs différences, les élèves dyslexiques peuvent construire avec d’autres des connaissances et progresser individuellement. Ainsi, ces élèves à besoins éducatifs particuliers, scolarisés en classe de sixième, ont développé, de manière significative, des compétences en production d’écrits, ce qui renforce nos hypothèses. Ils ont fait partie des groupes qui ont le plus tiré profit de cette expérimentation, dès que fonctionnait l’interaction avec un camarade un peu plus expert. Par conséquent, l’interaction sociale est une clé pour ajuster les pratiques d’enseignement de la langue française, l’éducation littéraire et humaine aux besoins particuliers des élèves. Elle est aussi un moyen éducatif cohérent avec la spécificité humaine, car elle met en jeu la capacité de métamorphose de chacun en une personne construite au moyen des matériaux apportés par la rencontre des autres (Jacquard, 2002, p. 185). Ainsi, lors de la séquence de réinvestissement qui a suivi et qui correspondait à l’évaluation finale, les élèves dyslexiques ont réussi à produire individuellement un conte d’aussi bonne qualité que celui réalisé en groupe, même si des difficultés persistaient. Dès lors, le travail en groupe apparaît bien comme l’une des voies à poursuivre pour aider ces élèves, dans le cadre de la conduite habituelle d’une classe entière.

La discussion sur les résultats soulève cependant un certain nombre de questions qui renvoient aux limites de la présente étude. Nous ne pouvons donc retenir les résultats de cette étude qu’à titre indicatif et en aucun cas les généraliser à une population plus étendue. Pourtant, ils ouvrent de nouvelles pistes de recherche : La comparaison entre les pairs conduit-elle à plus de créativité ? Quelles sont les circonstances qui influencent l’accroissement de la créativité des élèves à besoins éducatifs particuliers ? Comment la qualité des apprentissages est-elle influencée?