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Cette étude aborde un domaine de l’histoire économique et des affaires encore peu couvert jusqu’à présent dans l’histoire du Québec, soit celui des syndicats financiers. En présentant une analyse des syndicats financiers au Québec sur une période de plus de 100 ans, soit de la Confédération à 1987, cet ouvrage nous fait découvrir de manière très détaillée les éléments de la genèse de l’endettement du gouvernement du Québec, dette avec laquelle nous vivons aujourd’hui et qui est souvent au coeur du débat politique. L’auteur sort donc des thèmes historiques « à la mode » pour couvrir cet aspect important et peu connu de notre histoire économique.

L’analyse présente donc les relations du gouvernement du Québec avec les syndicats financiers tels les banques, les maisons de courtage (ex. Morgan Stanley Inc., Leihman Brothers, Goldman, Lévesque, Beaubien), les sociétés d’État (ex. Hydro-Québec), et qui sont les principaux acteurs derrière ces sociétés financières. Les moyens mis en place pour le remboursement de la dette au fil du temps sont aussi scrutés à la loupe. Pour chaque période, un survol de la situation générale (fédérale et provinciale) est effectué pour ensuite s’intéresser plus spécialement à la situation du gouvernement du Québec selon divers thèmes et petites périodes. Pour soutenir l’analyse, l’ouvrage présente des tableaux et graphiques détaillés sur l’évolution des maisons de courtage, les émissions et les conditions d’émission des emprunts, ainsi que sur le développement des marchés des obligations (conversion de la dette en obligations), des bons du trésor (emprunt temporaire), des fonds d’amortissement et de remboursement de la dette, des obligations d’épargne et des écarts sur rendement des obligations et sur l’évolution de la cote du crédit, pour ne nommer que ceux-ci.

L’ouvrage est divisé en trois grandes périodes importantes. La première couvre l’époque de 1867 à 1915. L’année 1867 marque un essor des syndicats financiers lorsque le Canada devient un pays. Les gouvernements cherchent alors à développer l’économie du Canada, alors caractérisée principalement par des emprunts massifs pour développer les transports, dont les chemins de fer. L’entrée du Québec sur les marchés financiers, en 1874, correspond plus particulièrement aux besoins de transports ferroviaires. Dans ce contexte, dans le reste du Canada, les syndicats financiers sont davantage britanniques, et ce, jusqu’à la Première Guerre mondiale, alors que le gouvernement du Québec fait appel aux marchés français. Toutefois, en 1900, avec l’arrivée des États-Unis dans le paysage financier, un premier changement de structure survient : plusieurs banques et maisons de courtage acquièrent la possibilité de se regrouper dans une entreprise ponctuelle. Par ailleurs, on remarque aussi durant cette période la difficulté des banques francophones à percer le marché auprès du gouvernement provincial, car les trésoriers montréalais anglophones favorisent la Banque de Montréal.

La deuxième période couvre les années 1915-1960. Au début de cette période, le marché américain devient très présent et actif, et s’ouvre également à la participation du public. Le financement lors de cette période est caractérisé par les effets de la guerre, mais aussi, entre 1930 et 1940, par ceux de la Grande Dépression, pendant laquelle la forte croissance de la dette est reliée aux programmes sociaux destinés à venir en aide à la population. C’est aussi une période de grande perturbation des marchés. En effet, on remarque une grande importance de la Banque de Montréal auprès de tous les gouvernements québécois durant cette période, à l’exception de celui d’Alexandre Taschereau. Constatant et voulant remédier à certains monopoles, ce dernier demande des soumissions des maisons de courtage, sollicitant ainsi la concurrence. Sous Maurice Duplessis, les émissions se font par négociations destinées à constituer un large syndicat. Duplessis tente également de limiter l’accroissement de la dette et même de la réduire (1950-1960). Ainsi, pendant cette deuxième grande période, les relations avec les syndicats financiers varient d’un gouvernement à l’autre. C’est également à cette époque (1953) qu’Hydro-Québec entre sur les marchés financiers, pour un jour en devenir un joueur important.

Dans la dernière période, c’est-à-dire de 1960 à 1987, on assiste à un grand foisonnement. Tout se transforme rapidement. L’endettement du Québec croît alors de manière remarquable, surtout en ce qui a trait au développement des projets hydroélectriques. Cette période est marquée, entre autres, par la remise en cause par Jacques Parizeau du large syndicat établi sous Duplessis, encore dominé en 1964 par A.E. Ames et la Banque de Montréal. Le Rapport Parizeau, finalisé en 1969, permet de mettre en place une loi sur l’assurance-dépôt en plus d’un service d’inspection et de contrôle des institutions financières. De ce rapport découle également la création de la Caisse de Dépôt et Placement (1965), qui constitue un catalyseur de changement. La structure des syndicats financiers se transforme et permet alors de multiples options au gouvernement pour se financer.

Globalement, ce qui se dégage de l’univers du financement au Québec est que ce dernier ne développe pas les mêmes instruments financiers et n’a pas le même statut que le fédéral sur les marchés. L’histoire fait bien ressortir des écarts sur rendement et sur la cote de crédit plus faibles au Québec qu’en Ontario, et ce, de manière assez significative pour que l’on puisse se demander s’il y a un lien avec la question de la situation socioculturelle et politique distincte du Québec depuis la Confédération. Par ailleurs, cet ouvrage démontre l’approche toujours innovatrice et débrouillarde utilisée par le Québec en matière de financement de même que la contribution d’Hydro-Québec, du gouvernement québécois et des autres organisations du secteur public dans le développement des maisons de courtage franco-québécoises telles que LG. Beaubien, René T. Leclerc, Ernest Savard Ltée.

Enfin, cette histoire s’arrête en 1987, malheureusement, non pas par manque d’intérêt de l’auteur, mais pour des raisons reliées aux transformations dans les instruments financiers et à l’accessibilité de l’information pertinente. La multiplication des fusions des maisons de courtage due à la déréglementation rend l’accès aux archives difficile en raison de leur contenu désormais considéré comme stratégique. Somme toute, c’est un ouvrage exceptionnel et d’une minutie irréprochable du point de vue de l’analyse.