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Introduction

La ville est souvent célébrée comme le lieu par excellence de la diversité ethnoculturelle. Au Canada, par exemple, une grande majorité des nouvelles et nouveaux arrivant.e.s s’établit dans les grands centres urbains des sociétés d’accueil et la vaste majorité des minorités visibles habite dans les grandes métropoles du pays. Pourtant, peu de travaux sur le multiculturalisme se concentrent sur le rôle des villes dans l’aménagement de la diversité ethnoculturelle. Dans ce texte, je me pencherai sur le contexte de la ville et sur l’échelle spatiale et géographique distincte qu’elle représente afin de savoir si ce contexte soulève des questions et des problèmes spécifiques en lien avec l’aménagement de la diversité. Je m’interrogerai sur la pertinence de l’échelle urbaine pour une philosophie politique du multiculturalisme.

Je maintiendrai que l’attention portée à l’échelle de la ville a une certaine fonction heuristique. Une telle prise en compte nous mène à réviser notre compréhension des agents responsables de mettre en place une politique de multiculturalisme, à revoir l’ordre du jour de la philosophie politique normative en mettant en lumière des questions et problématiques spécifiques à ce contexte et, enfin, à discerner certaines possibilités et certaines stratégies politiques visant à promouvoir la justice et le bien commun. Plus spécifiquement, dans le cadre d’une réflexion sur le multiculturalisme, une attention portée au contexte de la ville porte la promesse d’enrichir notre compréhension des politiques publiques susceptibles de promouvoir ou de compromettre l’intégration et la cohésion sociale dans les sociétés pluralistes.

Je soutiendrai l’idée selon laquelle cet enrichissement potentiel de la théorie du multiculturalisme provient du rôle central joué par les villes dans l’aménagement de l’espace urbain, question occultée dans les discussions centrées sur le multiculturalisme à l’échelle de l’État. Je montrerai qu’un certain courant de pensée centré sur la notion de « ville interculturelle » affirme que la promotion de l’intégration et de la cohésion sociale passe par l’aménagement d’espaces urbains qui favorisent les échanges et les interactions intercommunautaires. Bien que je chercherai à mettre en valeur le rôle des villes dans une théorie du multiculturalisme, mon but n’est pas du tout de délégitimer la place centrale des États dans une telle théorie, mais plutôt de chercher à penser l’articulation et la complémentarité entre le multiculturalisme d’État et le multiculturalisme municipal. De plus, je soulignerai quelques limites auxquelles se heurte la notion de ville interculturelle et je remettrai en question un certain courant d’interculturalisme urbain qui tend à négliger le rôle de l’État central dans la mise en place de politques de multiculturalisme.

Dans un premier temps, j’expliquerai en quoi l’échelle municipale est pertinente pour le développement d’une théorie du multiculturalisme. Dans la seconde section, je préciserai quelles sont les fonctions heuristiques du contexte de la ville dans le cadre d’une théorie du multiculturalisme. Dans la troisième section, je montrerai que la problématique de l’intégration et de la cohésion sociale est au coeur des théories du multiculturalisme et que les principaux théoricien.ne.s du multiculturalisme ont une vision plutôt stato-centriste des processus menant à l’intégration sociale. Dans la dernière section, j’examinerai la notion de ville interculturelle en mettant en lumière la manière dont les villes, par les choix qu’elles font en matière de zonage et de gestion des espaces publics physiques, peuvent agir sur l’intégration sociale en aménageant l’espace urbain de sorte à créer des espaces physiques de rencontres intercommunautaires et à minimiser l’atomisme et la ségrégation spatiale des groupes ethnoculturels. Je soulignerai par ailleurs certaines limites de la capacité des villes à promouvoir l’intégration sociale par le biais de la mise en place d’espaces encourageant les interactions intercommunautaires.

1. La ville et les échelles de la philosophie politique

L’État moderne a un impact profond et structurant sur la vie des individus. L’État impose le respect de la loi, protège et restreint la liberté des citoyen.ne.s tout en les forçant à payer des taxes et des impôts, assure la sécurité nationale et fait la guerre à des puissances étrangères, négocie des traités internationaux et investit des sommes massives pour mettre sur pied des institutions publiques fournissant des services d’une importance capitale dans des domaines tels que l’éducation et la santé. C’est d’ailleurs en raison de l’impact profond des décisions et des actions de l’État qu’une grande part de la philosophie politique consiste à évaluer de manière critique les principales conceptions de la justice qui prétendent révéler ce qu’il est permis ou désirable pour l’État de faire.

Toutefois, l’État moderne n’est pas le seul acteur politique ayant un impact important sur la vie des individus. Plusieurs commentateurs ont ainsi questionné l’« enclavement » de la philosophie politique dans le cadre statocentriste de l’État-nation en démontrant qu’à l’ère de la mondialisation, il est impératif d’évaluer de manière critique l’impact des institutions transnationales et des firmes multinationales, de penser la démocratie à l’échelle transnationale[1] et de remettre en question la légitimé des inégalités socioéconomiques internationales.[2] D’autres ont démontré l’importance de penser le fédéralisme et les relations intergouvernementales subétatiques dans les États plurinationaux.[3] Ces développements en philosophie politique contemporaine semblent indiquer que les processus, les institutions et les conflits politiques existant à une échelle spatiale distincte de celle de l’État moderne doivent bénéficier d’un traitement distinct. Plusieurs théories de la justice distributive affirment par exemple que les principes indiquant ce qu’est une répartition équitable des richesses, des opportunités et des bénéfices et des charges de la coopération sociale à l’échelle « domestique » de l’État-nation sont différents des principes de répartition équitable à l’échelle internationale.[4] En plus des nombreux écrits sur la justice supra-étatique (dans la sphère internationale) et la justice subétatique et supranationale (dans les fédérations plurinationales), il existe maintenant une littérature, moins grande, mais grandissante, qui se penche sur le contexte de la ville afin d’accomplir un pas de plus vers le désenclavement de la philosophie politique. Certain.e.s philosophes politiques contemporain.e.s soutiennent que la ville constitue en elle-même un objet de la justice sociale, c’est-à-dire un cadre institutionnel et géographique distinct avec des questions de justice qui lui sont spécifiques, par exemple en matière d’injustices spatiales, d’accès aux services, de transport ou de logement.[5] Il ne faut certes pas commettre l’erreur de présenter la ville comme une entité politique entièrement séparée de l’État. Les instances administratives municipales sont après tout des paliers de gouvernement constituant un échelon dans la structure organisationnelle complexe qu’est l’État moderne. Néanmoins, comme nous le verrons, il faut également se garder de simplement voir les gouvernements municipaux comme la reproduction à plus petite échelle des paliers supérieurs de gouvernement.

L’hypothèse que j’explorerai dans cet article propose de voir la ville comme un cadre pertinent pour penser le multiculturalisme. Le multiculturalisme peut être vu comme un simple constat empirique; le terme réfère alors tout simplement au fait qu’une société contienne plusieurs groupes ethnoculturels, notamment des groupes issus de l’immigration établis depuis plus ou moins longtemps dans une société d’accueil.[6] Le multiculturalisme peut également désigner un idéal normatif qui reconnaît la pertinence, d’un point de vue éthico-politique, de l’appartenance ethnoculturelle, qui rejette l’exigence d’assimilation à la culture majoritaire et qui défend la liberté individuelle de choisir comment exprimer son identité ainsi que l’égalité entre les groupes ethnoculturels. C’est ainsi que l’on utilise le terme lorsque l’on présente le multiculturalisme comme une théorie politique normative ou comme une composante d’une conception de la justice.[7] Enfin, le multiculturalisme peut référer à un ensemble de politiques publiques promues par un gouvernement afin de réaliser l’idéal normatif de multiculturalisme.[8] Par exemple, le Canada, tout comme l’Australie, s’est doté d’une politique officielle de multiculturalisme en 1988 lorsque la Chambre des communes a adopté la Loi canadienne sur le multiculturalisme. D’une manière générale, une politique de multiculturalisme implique que le gouvernement joue un rôle proactif dans la reconnaissance symbolique de la diversité ainsi que dans la lutte aux obstacles structurels et institutionnels à la pleine inclusion des minorités culturelles.[9] Une telle politique favorise des mesures telles que le financement d’activités et d’organismes culturels, la refonte du curriculum scolaire et des symboles nationaux afin de prendre en compte les trajectoires historiques distinctes des groupes minoritaires, l’octroi de certains services publics dans la langue maternelle des nouvelles et nouveaux arrivant.e.s, l’aide à l’insertion professionnelle destinée aux immigrant.e.s, ou encore, la mise en place de mesure d’accommodements raisonnables, voire d’exemptions légales, visant à permettre aux individus de conserver certaines pratiques religieuses ou culturelles tout en participant à la vie sociale, économique et politique de la société d’accueil.

La ville est un espace physique dans lequel se concentre une population humaine ainsi que des infrastructures qui rendent possible la cohabitation et les interactions entre des personnes s’adonnant à différentes activités humaines résultant d’une division du travail. Il convient de bien distinguer deux aspects de la ville : d’une part, la ville comme espace physique, comme ensemble d’infrastructures et organisation de l’espace, d’autre part, la ville, ou l’urbanité, comme mode d’être ou condition dans laquelle se trouvent les citadins, les habitants de la ville.[10] Le premier aspect concerne le support matériel de la ville, le second l’ensemble des relations sociales et des expériences humaines rendues possibles par ce support matériel. Lefebvre distingue ainsi « la ville, réalité présente, immédiate, donnée pratico-sensible, architecturale – et d’autre part l’urbain, réalité sociale composée de rapports à concevoir, à construire ou reconstruire par la pensée ».[11] D’un côté, les villes correspondent à une certaine réalité géographique, elles existent à une échelle spatiale plus petite que les États modernes, les continents ou encore les régions, mais plus grande que l’échelle locale propre aux quartiers qui composent la ville. Mais les villes sont aussi marquées par un certain caractère et un environnement social qui les distinguent des milieux ruraux. La ville est un espace physique dans lequel se concentrent l’activité humaine et la population humaine. Les villes sont plus denses que les milieux ruraux et les interactions humaines y sont plus nombreuses. Les villes, surtout les grandes villes modernes, sont de plus marquées par l’hétérogénéité et la différence des modes de vie des citadins. L’urbanité est indissociable du phénomène du pluralisme. Ainsi, pour Iris Marion Young, l’idéal normatif de la vie en ville pose l’urbanité comme une condition, un mode d’être basé sur le vivre ensemble d’étrangers (the being toghether of strangers) dont les différences ne sont jamais aplaties par une identité commune ou des valeurs communes.[12] La diversité ethnoculturelle marque la ville dans ces deux dimensions. La ville est l’espace ou le lieu principal où la diversité ethnoculturelle des sociétés contemporaines est concentrée; la vie et l’expérience des citadin.e.s sont marquées par la différence et la cohabitation avec des individus d’appartenances ethnoculturelles diverses.[13]

Le multiculturalisme en tant que fait social est ainsi d’abord et avant tout un fait qui marque les villes. Environ 80% de la population immigrante du Québec habite dans la région métropolitaine de Montréal et les immigrant.e.s représentent 23% de la population de cette région.[14] Déjà plus de 50% de la population de Toronto est née à l’extérieur du Canada. Selon des prévisions de Statistique Canada, en 2017, près de 75% des minorités visibles seront établies dans les trois grands centres urbains canadiens que sont Toronto, Montréal et Vancouver, contrairement à 25% pour le reste de la population.[15] Selon les mêmes prédictions, les minorités visibles représenteront plus de la moitié de la population de Toronto et de Vancouver en 2017.[16] Les grandes villes semblent également plus ouvertes à la diversité et plus enclines à la célébrer que les régions rurales et les ensembles politiques existant à une plus large échelle.[17] Dans plusieurs d’entre elles, les festivals et célébrations à caractère ethnique sont devenus des symboles et des attractions touristiques majeures, contribuant fortement à la création d’une identité locale ainsi qu’au roulement de l’économie; pensons par exemple aux carnavals caribéens de Caribana, à Toronto, ou au Carnaval de Notting Hill, à Londres.

Les données sur la répartition géographique des immigrant.e.s et les pratiques des gouvernements municipaux confirment la perception selon laquelle les villes sont les lieux par excellence du multiculturalisme en tant que fait social. Comme l’affirme Kristin Good, dans son ouvrage Municipalities and Multiculturalism : « les aires métropolitaines sont les endroits où l’on fait l’expérience du multiculturalisme ».[18] Pourtant, il semble y avoir une tendance généralisée consistant à minimiser, voire à déconsidérer le rôle politique et la pertinence des villes. Relativement peu d’attention a été accordée au rôle spécifique des villes dans la mise en place de politiques de multiculturalisme. Le livre de Good est une exception notable à cette omission. Dans cet ouvrage pionnier, Good propose une étude comparative visant à expliquer les différences entre les politiques de multiculturalisme adoptées par huit municipalités des grandes régions métropolitaines de Toronto et Vancouver. Elle souligne plusieurs facteurs contribuant à éclipser la place des villes dans les études sur la théorie et la pratique du multiculturalisme en contexte canadien.[19] Good remarque qu’on a l’habitude de considérer que les villes n’ont qu’un rôle limité et marginal dans l’organisation des sociétés modernes. Les villes, dans cette perspective, ne seraient que des instances administratives ayant comme seules finalités de favoriser la croissance économique locale et d’orchestrer la mise en place de certains services de base, tels que la collecte des ordures, l’entretien des rues et le transport en commun. De plus, comme d’autres commentateurs, elle souligne que dans plusieurs pays, dont le Canada, les villes n’ont aucun statut constitutionnel; leur autonomie institutionnelle et juridictionnelle est limitée, ce qui renforce la perception voulant que les villes ne soient que de simples extensions administratives des provinces ou des gouvernements centraux, paliers de gouvernance où le sort des citoyens serait véritablement décidé.[20]

Good invalide ces perceptions du rôle politique somme toute assez limité des villes en montrant, d’une part, que les administrations municipales ont en général été capables de mettre en place des régimes de gouvernance informels afin de sortir des contraintes juridictionnelles formelles et, d’autre part, que la vision des villes comme simples fournisseuses de services tend progressivement à être remplacée par une compréhension des villes en tant que foyers locaux de démocratie.[21] Par ailleurs, plusieurs analystes des politiques publiques ont détecté une tendance à la décentralisation vers les villes en ce qui concerne la gestion de la diversité ethnoculturelle et ont commencé à documenter les initiatives des grandes villes canadiennes en matière d’aménagement de la diversité et d’accueil des nouvelles et nouveaux arrivant.e.s.[22]

Si l’on remarque que les villes ont toujours un rôle politique limité et qu’elles ont été quelque peu négligées par les philosophes politiques, il n’en reste pas moins que les données sur la répartition géographique des minorités ethnoculturelles devraient nous mener à conclure que les gouvernements municipaux doivent être des acteurs privilégiés dans la mise en place des politiques de multiculturalisme.

Cependant, il peut sembler que cette conclusion ait peu d’impact du point de vue de la politique et de l’idéal normatif du multiculturalisme. En effet, du point de vue politique, on peut être tenté de dire que la pratique du multiculturalisme par les villes n’est que la pratique du multiculturalisme d’État à plus petite échelle. En effet, une grande part de ce que font les villes quant à l’aménagement de la diversité revient à appliquer à plus petite échelle les grandes lignes d’une politique de multiculturalisme d’État : mise en place de programmes de lutte à la discrimination, au racisme et aux stéréotypes, adoption de symboles plus inclusifs, lutte aux obstacles à la participation et la représentation des minorités culturelles dans les instances administratives et décisionnelles publiques, financement d’organisations et d’événements à caractère culturel ainsi que de services d’insertion professionnelle pour les nouvelles et nouveaux arrivant.e.s, etc.[23] De plus, sur le plan de la théorie, rien dans le fait que les villes soient plus diversifiées n’implique que le multiculturalisme municipal doive prendre ses distances par rapport aux idéaux normatifs du multiculturalisme pensé à l’échelle de l’État (rejet de l’« assimilationnisme », pertinence des identités ethnoculturelles, liberté de choisir son appartenance culturelle, égalité entre groupes ethnoculturels).

Or, les philosophes politiques intéressé.e.s par la ville affirment que les gouvernements municipaux ne sont pas simplement des gouvernements nationaux reproduits à plus petite échelle.[24] Mais quelle est donc la spécificité des politiques urbaines, s’il en est une, du point de vue de la théorie et de la pratique du multiculturalisme? Outre le fait que l’immigration marque beaucoup plus fortement les zones urbaines, quels aspects distinctifs de la ville et de la politique municipale sont pertinents pour l’élaboration d’une théorie du multiculturalisme? Pour répondre à cette question, la prochaine section se nourrit des réflexions méthodologiques sur le contextualisme en théorie politique afin de cerner la valeur heuristique de la prise en compte du contexte de la ville.

2. Les fonctions heuristiques du contexte de la ville

Pour reprendre la distinction tripartite entre le multiculturalisme social, politique et philosophique, on peut dire que la conclusion que j’ai provisoirement atteinte à ce stade est que si l’on accepte les idéaux normatifs du multiculturalisme et que l’on prend sérieusement en compte le fait social du multiculturalisme à l’échelle municipale, on est poussé à reconnaître que les gouvernements municipaux doivent être des acteurs de premier plan dans la mise en place d’une politique de multiculturalisme. D’un point de vue méthodologique, cet argument s’appuie sur une forme de contextualisme faible. Une telle forme de contextualisme a pour fonction heuristique de nous permettre d’identifier les agent.e.s responsables de mettre en place des mesures visant à promouvoir un idéal de justice entre groupes ethnoculturels.

Plusieurs philosophes politiques engagé.e.s dans les débats sur la diversité ethnoculturelle ont qualifié leur approche de « contextualiste ».[25] D’une manière générale, le contextualisme en philosophie politique consiste à prendre en compte certains faits ou cas particuliers en vue d’aboutir à une conclusion particulière. Jacob T. Levy distingue plusieurs formes de contextualisme en fonction de leur valeur heuristique ajoutée, c’est-à-dire en fonction de ce que la prise en compte du contexte ajoute à la théorie de la justice comprise comme un ensemble de propositions abstraites et normatives ne portant pas sur des états de fait particuliers.[26] On pourrait ranger dans le contextualisme « faible » les approches qui utilisent les cas particuliers (le contexte) afin d’illustrer et de clarifier une proposition théorique ou encore les approches qui utilisent des cas particuliers comme des tests afin de vérifier la conformité d’une théorie à des intuitions morales bien établies.[27] Dans ces approches faiblement contextualistes, le contenu de la théorie reste inchangé par la prise en compte du contexte, lequel joue donc un rôle heuristique limité, voire facultatif.

C’est à partir de ce faible niveau de contextualisme que l’on aboutit à la conclusion que les villes doivent être des actrices privilégiées dans la mise en place d’une politique du multiculturalisme. Ici, l’attention portée au contexte de la ville a une valeur heuristique limitée en ceci qu’elle ne nous mène pas à réviser les principes de la théorie normative du multiculturalisme, ni à élaborer de nouvelles politiques de multiculturalisme; elle nous renseigne plutôt sur les agent.e.s qui sont les mieux placé.e.s pour réaliser les idéaux normatifs du multiculturalisme par le biais de politiques sensibles aux différences ethnoculturelles.

La conclusion voulant que les villes soient des actrices privilégiées dans la mise en place d’une politique de multiculturalisme n’est pas banale d’un point de vue politique. Elle commande en effet un transfert de ressources et d’autorité des paliers « supérieurs » de gouvernement (les échelons fédéral et provincial dans le cas du Canada) vers les municipalités.[28] Cependant, comme je l’ai expliqué, cette conclusion a peu d’impact sur le plan du contenu des politiques et de l’idéal normatif du multiculturalisme.

La thèse que j’examinerai dans les lignes qui suivent est plus ambitieuse. Elle prétend que l’attention donnée au contexte municipal nous permet de réviser, ou du moins d’enrichir notre compréhension de l’intégration et de la cohésion sociale, une notion que l’on peut ranger du côté de la théorie ou de la philosophie du multiculturalisme. Pour reprendre l’analyse de Levy, on peut dire que cette thèse s’appuie sur une forme plus forte de contextualisme dans laquelle la prise en compte du contexte ne laisse pas inchangées certaines propositions théoriques ou normatives. Selon Levy, un des usages forts du contexte consiste à « identifier des circonstances, des conditions et des situations dans lesquelles les applications d’une théorie déjà développée prennent une tournure nouvelle, inhabituelle et surprenante ».[29] L’attention portée aux circonstances dans lesquelles une théorie s’applique permet en outre d’identifier les problèmes que cette théorie doit résoudre et les questions auxquelles elle doit répondre. L’une des fonctions heuristiques du contexte est donc de refondre l’ordre du jour de la philosophie politique. De plus, comme je le montrerai en partant d’un examen de la diversité en contexte urbain, l’attention portée au contexte permet de mettre en lumière de nouvelles avenues et possibilités pour la poursuite d’objectifs politiques désirables. Je soutiendrai que la ville, en tant que réalité politique existant à une échelle géographique distincte de l’État, constitue un ensemble de circonstances spécifiques auxquelles sont liés des problèmes de philosophie politique ignorés par les approches centrées sur l’État ainsi que des stratégies politiques et des champs d’action politique propres aux gouvernements municipaux.

L’hypothèse de la pertinence du contexte urbain affirme que c’est en tant que lieu ou espace physique où se produisent les interactions entre personnes d’appartenances diversifiées que la ville est un objet de pensée distinct et pertinent pour les théoricien.ne.s du vivre ensemble dans les sociétés pluralistes. Les villes sont les entités politiques qui aménagent l’espace physique réel à l’échelle locale et rendent possible, ou découragent, les contacts et les rencontres interculturelles. C’est donc d’abord et avant tout sur le plan de la spatialité, de la manière dont elle configure les usages qu’on fait de l’espace, que la ville est conceptuellement distincte et spécifiquement pertinente pour les théoricien.ne.s du multiculturalisme.[30]

Comme l’affirme Daniel Weinstock : « la ville pose en effet de manière particulièrement vive les problèmes normatifs qui émergent du fait que les citoyens d’une même ville doivent non seulement partager l’espace virtuel des droits, mais également l’espace très concret qui représente le cadre de leur coexistence physique ».[31] Des théoricien.ne.s de la démocratie et de la justice sociale ont déjà remarqué que la gestion et la configuration des espaces urbains soulèvent des questions et des enjeux normatifs inédits. Par exemple, des travaux récents sur les transformations des espaces physiques urbains ont montré que la privatisation croissante des espaces publics (notamment, le remplacement des marchés et des places publiques par de grands centres commerciaux détenus par des actrices et acteurs privé.e.s) constituait une menace bien réelle à la qualité de la démocratie.[32] D’autres travaux ont mis en relief l’impact des inégalités sociospatiales au sein de la ville ainsi que le rôle des politiques municipales de zonage et de logement dans la perpétration d’inégalités socioéconomiques.[33]

Quant aux questions normatives liées à la diversité, certain.e.s ont mis en lumière l’importance de protéger le « droit à être visible dans la ville », visibilité qui s’exprime dans le marquage identitaire de lieux physiques (édifices de culte, commerces ethniques, etc.), dans un contexte où l’on observe une volonté de neutraliser les espaces physiques de la ville.[34] D’une manière générale, je me pencherai sur l’idée que les politiques d’aménagement de l’espace urbain et de zonage mises en place par les villes ont un impact notable sur la qualité des relations entre différents groupes ethnoculturels. Alors que certain.e.s voient l’idéal d’une ville interculturelle encourageant les interactions intercommunautaires par le biais de politiques d’aménagement de l’espace urbain comme une alternative au multiculturalisme d’État, auquel on reproche de ne pas proposer de mesures concrètes et efficaces pour favoriser l’intégration et la cohésion sociale, je soulignerai la complémentarité entre les approches centrées sur l’échelle municipale et celles qui sont centrées sur l’État tout en montrant les limites de l’idéal de la ville interculturelle.

3. Multiculturalisme d’État, intégration et cohésion sociale

J’ai distingué trois niveaux d’analyse (descriptif, normatif et politique) qui correspondent à trois usages, trois significations du terme « multiculturalisme » (comme fait social, philosophie normative et politique publique). L’une des critiques les plus répandues et les plus persistantes du multiculturalisme part d’un quatrième niveau d’analyse, d’un quatrième sens du multiculturalisme. Le multiculturalisme peut également désigner une certaine conception des relations sociales et des dispositions civiques appropriées pour une société marquée par le fait de la diversité. Or, on reproche souvent aux principaux défenseurs du multiculturalisme de mettre de l’avant une conception de la justice et des politiques publiques qui mènent à des relations sociales marquées par l’isolement de diverses communautés culturelles ainsi que la méfiance, l’incompréhension ou encore l’indifférence entre celles-ci. En d’autres mots, le multiculturalisme mènerait à l’effritement du lien social, de la solidarité et de la cohésion sociale. Selon ce point de vue, les politiques de multiculturalisme auraient pour effet de permettre aux nouvelles et nouveaux arrivant.e.s de vivre leur vie en parallèle, sans s’intégrer à la société d’accueil ni interagir avec le groupe majoritaire. La reconnaissance des différences mènerait ainsi à la fragmentation de la société, à l’effritement du tissu social et des bases de la solidarité tout en empêchant le maintien ou la création d’une identité nationale commune. Des critiques s’inscrivant dans des contextes nationaux tout aussi différents que les États-Unis, le Québec, la France, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et le Canada anglais ont formulé différentes variantes de l’objection de la cohésion sociale afin de jeter le doute sur le bienfondé du multiculturalisme.[35] Depuis une dizaine d’années, plusieurs commentateurs et acteurs politiques partent de cette critique afin d’affirmer que les politiques de multiculturalisme devaient être remplacées par une politique d’interculturalisme résolument engagée dans la promotion des échanges intercommunautaires afin de contrer les effets ghettoïsants du multiculturalisme.[36]

L’interculturalisme est un terme polysémique. Je l’ai ici associé à l’idée qu’il faut faire la promotion des échanges et interactions entre divers groupes ethnoculturels et lutter contre l’isolement communautaire. C’est l’idée qui me semble dominante dans la conception de l’interculturalisme mise de l’avant par le Conseil de l’Europe ainsi que certain.e.s auteur.e.s européen.ne.s, comme Ted Cantle.[37] Appelons cette variante d’interculturalisme, la conception interactionniste de l’interculturalisme. Une autre variante d’interculturalisme semble plutôt mettre l’accent sur l’idée que les immigrant.e.s ont le devoir de s’intégrer à la société d’accueil et qu’il est légitime, pour le gouvernement d’une telle société, de prendre des mesures afin de créer une identité et une culture communes qui accordent une place prioritaire à la culture et aux valeurs du groupe culturel majoritaire. Appelons cette seconde variante, la conception majoritariste de l’interculturalisme.[38]

Dans ce qui suit, je montre que non seulement les critiques que les tenant.e.s de l’interculturalisme adressent au multiculturalisme ne sont pas fondées, mais encore que l’interculturalisme interactionniste n’est pas différent du multiculturalisme. L’interculturalisme majoritariste est certes différent du multiculturalisme, mais il s’agit d’une position peu attrayante en raison des inégalités qu’engendre la priorité accordée à la culture majoritaire.[39] Je limiterai donc ma discussion aux tensions (apparentes) entre le multiculturalisme et l’interculturalisme de type interactionniste. Je ne peux toutefois faire l’économie d’une discussion sur l’interculturalisme interactionniste puisque le thème de la ville y est central. Une fois que j’aurai écarté l’idée que le multiculturalisme est étranger à l’objectif de promouvoir les interactions entre groupes culturels et démontré qu’il n’y a pas de différences importantes entre l’interculturalisme (interactionniste) et le multiculturalisme, on pourra voir les tentatives mises en place par les tenant.e.s de l’interculturalisme (interactionniste) de préciser l’idéal de la ville interculturelle comme des tentatives d’articuler une conception du multiculturalisme à l’échelle municipale.

Il y a plusieurs bonnes raisons de remettre en question la critique du multiculturalisme proposée par les tenant.e.s de l’interculturalisme. Premièrement, la politique du multiculturalisme n’a jamais évacué l’objectif de promouvoir les interactions interculturelles et de contrer l’isolement des groupes ethnoculturels. Par exemple, dès sa première formulation au début des années 1970, le multiculturalisme canadien avait pour objectif de favoriser la participation des nouvelles et nouveaux arrivant.e.s en luttant contre la discrimination et le racisme et de promouvoir les échanges. Le même objectif de dialogue interculturel est réaffirmé dans la Loi canadienne du multiculturalisme, laquelle vise « à promouvoir la compréhension entre individus et collectivités d’origines différentes et la créativité qui résulte des échanges entre eux ».[40] Plusieurs ont ainsi remarqué qu’il est difficile d’identifier des différences significatives entre le multiculturalisme et l’interculturalisme.[41]

Deuxièmement, les penseurs du multiculturalisme n’ont pas négligé d’offrir une théorie de l’intégration et de la cohésion sociale. Elles et ils ont déjà compris l’intégration et la cohésion comme des processus multidimensionnels. Kymlicka distingue ainsi les volets économique, politique et social de l’intégration.[42] Il conçoit l’intégration politique et économique en termes de participation. L’intégration politique des immigrant.e.s est réussie lorsque celles et ceux-ci prennent part à la société civile et sont présent.e.s dans les corps élus et la fonction publique. Le multiculturalisme favorise l’intégration politique des immigrant.e.s en luttant contre les obstacles à la participation politique (racisme, discrimination systémique) et en octroyant des droits de représentation spéciaux aux membres de groupes minoritaires. L’intégration économique est réussie lorsque les nouvelles et nouveaux arrivant.e.s ne sont pas exclu.e.s du marché de l’emploi. Une telle intégration est favorisée par les politiques de multiculturalisme qui cherchent à éliminer la discrimination basée sur la « race » ou l’appartenance culturelle et religieuse et exigent que les employeuses et employeurs tolèrent certaines pratiques culturelles (comme le port de vêtements à connotation ethnoreligieuse ou l’adoption de pratiques alimentaires distinctes) dans les milieux de travail.

De plus, Kymlicka conçoit l’intégration sociale comme relevant des sentiments d’identification mutuelle et d’acceptation.[43] Cette forme d’intégration est réussie lorsque des liens affectifs intercommunautaires se tissent, lorsque les membres de la majorité ne perçoivent pas les immigrant.e.s comme une menace et lorsque les immigrant.e.s affichent un sentiment d’appartenance à la société d’accueil. Plusieurs mécanismes peuvent favoriser l’émergence de tels sentiments. D’une part, Kymlicka affirme qu’un État qui traite les membres de groupes minoritaires équitablement tendra avec le temps à gagner leur loyauté et leur identification. C’est ce qu’il appelle la force gravitationnelle des institutions libérales et démocratiques.[44] D’autre part, il affirme qu’un État multiculturel favorise l’intégration sociale en faisant la promotion d’une identité nationale dont le multiculturalisme est une composante symbolique centrale. Une telle identité permet de « normaliser la diversité », ce qui ferait en sorte que les membres de la majorité perçoivent la diversité comme une source de fierté plutôt que comme une menace ou une source d’angoisse, et que les immigrant.e.s développent le sentiment d’être accepté.e.s et d’appartenir à la société d’accueil.[45] Le mécanisme causal ici à l’oeuvre ne repose pas tant sur le partage d’une identité ou de valeurs communes et sur l’idée que le lien social se fonde directement sur un dénominateur commun de non-différence, mais bien sur le fait que le multiculturalisme est érigé en symbole national et en source de fierté, ce qui favorise indirectement le lien social dans les sociétés pluralistes en rendant acceptable le fait que certain.e.s affichent leur appartenance à différents groupes ethnoculturels.

Troisièmement, la critique voulant que l’adoption de politiques de multiculturalisme mène à la fragmentation de la société et soit nuisible à l’intégration et à la cohésion sociale s’appuie sur une caricature du multiculturalisme qui relève de la rhétorique politique de la « mort du multiculturalisme » véhiculée ces dernières années par des dirigeants européens tels qu’Angela Merkel, Nicolas Sarkozy et David Cameron. Or, comme l’ont démontré Kymlicka et Banting, la thèse de l’échec du multiculturalisme est plutôt contredite par les données empiriques. Alors que les pays ayant été les plus proactifs dans la mise en place de politique de multiculturalisme (Canada, Australie, Suède) affichent des degrés d’intégration supérieurs lorsque l’on mesure la participation politique des immigrant.e.s (intégration politique), leur accès à l’emploi (intégration économique) et leur sentiment d’identification au pays d’accueil (intégration sociale), les pays qu’on cite en exemple pour justifier la thèse des effets néfastes du multiculturalisme sur l’intégration et la cohésion (Allemagne, Pays-Bas, France) ont généralement peu fait quant à la mise en place de politiques de multiculturalisme.[46]

La critique répandue selon laquelle le multiculturalisme mène à l’isolement des communautés et à l’effritement de la cohésion sociale est gravement erronée. On peut toutefois se demander si la conception de l’intégration sociale propre au multiculturalisme est incomplète en ceci qu’elle est exclusivement centrée sur les leviers dont dispose l’État central. En effet, une telle conception mise sur le développement de sentiments verticaux d’identification des nouvelles et nouveaux arrivant.e.s à l’État et sur le développement de liens sociaux et de sentiments horizontaux d’identification entre les citoyen.ne.s provenant de diverses origines. Les principaux leviers dont disposent les États pour favoriser l’intégration sociale sont la force gravitationnelle des institutions justes et la normalisation de la diversité par l’adoption d’une identité nationale multiculturelle.

Il est toutefois plausible de croire que les villes devraient occuper une place importante dans un tel tableau. Dans la mesure où l’un des objectifs de l’intégration est de favoriser le développement de liens sociaux et de sentiments d’identification mutuelle entre les membres de diverses communautés, on peut notamment penser que l’intégration sociale requiert un certain degré d’interaction sociale entre les membres de tels groupes et que ces interactions ont une valeur instrumentale positive. Les liens d’identification mutuelle interindividuels émergent en effet d’une multitude d’interactions qui peuvent se produire, par exemple, dans le cadre d’échanges commerciaux, le voisinage et la vie quotidienne, la vie professionnelle, les activités sportives, récréatives et festives. De plus, les interactions sociales entre personnes appartenant à des groupes différents peuvent contribuer à rendre connu de tou.te.s (notamment des membres de la majorité culturelle) les expériences et les modes de vie distincts des groupes minoritaires. De telles interactions contribuent notamment à rendre visibles à chacun.e les formes d’injustice et d’exclusion qui accablent certaines minorités alors que l’absence d’interaction rendrait ces expériences invisibles aux yeux des citoyen.ne.s pleinement intégré.e.s et des groupes ethnoculturels dominants.[47] Puisque de telles interactions se produisent à l’échelle locale, dans des aires géographiques régulées et mises en place par les villes, les gouvernements municipaux peuvent grandement inhiber ou favoriser de telles interactions. Cette idée est au coeur de l’idéal de la ville interculturelle. Dans la prochaine section, j’explore cet idéal et montre comment des politiques urbaines de zonage et d’aménagement de l’espace peuvent nuire à l’intégration sociale ou la favoriser en fonction de leur impact sur la ségrégation et sur l’atomisation. Mon but est à la fois de montrer qu’une théorie de l’intégration se doit non seulement d’être multidimensionnelle, mais également multiscalaire, et de souligner certaines limites des approches d’interculturalisme urbain centrées sur la promotion d’interactions positives au sein des espaces de la ville.

4. L’intégration sociale dans les villes et les dynamiques urbaines de ségrégation et d’atomisation

La notion de « ville interterculturelle » s’enracine dans la conviction que les villes peuvent contribuer à l’intégration sociale par le biais de l’aménagement d’espaces publics permettant des rencontres et des interactions interculturelles dans la vie quotidienne. Or, ces interactions ne sont pas désincarnées, elles sont le fruit de rencontres réelles entre des personnes en chair et en os qui se produisent dans des espaces physiques tout aussi réels. Ces rencontres et échanges interculturels ont lieu à l’échelle locale, dans les infrastructures et les espaces physiques (utilitaires et récréatives) meublant la ville. Comme le souligne le Conseil de l’Europe, dans son Livre blanc sur le dialogue interculturel :

Il est essentiel de créer des espaces de dialogue ouverts à tous. La réussite de la gouvernance interculturelle, à tous les niveaux, dépend largement de la multiplication de tels espaces : espaces physiques, tels que rues, marchés et magasins, maisons, jardins d’enfants, écoles et universités, centres socioculturels, clubs de jeunesse, églises, synagogues et mosquées, salles de réunions dans les entreprises et lieux de travail, musées, bibliothèques et autres équipements de loisirs, ou espaces virtuels comme les médias.[48]

L’échelon municipal de l’organisation politique des sociétés est porteur d’une pertinence toute spécifique, car ce sont les villes qui organisent l’espace et les usages qu’en font les citadin.e.s à l’échelle locale. Sur le plan de l’aménagement de la diversité ethnoculturelle, plusieurs interventions spécifiquement à portée de main des municipalités tournent autour d’une organisation de l’espace urbain favorisant le contact intercommunautaire : « le rôle de l’urbanisme interculturel est de créer une dynamique spatiale qui invite à la rencontre et facilite les échanges entre personnes de différentes origines, et de minimiser les espaces encourageant l’évitement, l’appréhension ou la rivalité.[49] » À l’échelle internationale, on observe l’émergence d’un mouvement visant à reconnaître officiellement le statut de ville interculturelle.[50] Le réseau des « villes interculturelles » encourage les villes à échanger sur leurs expériences respectives, fait la promotion de pratiques exemplaires et met sur pied un index des villes interculturelles attribuant un score aux villes membres en fonction des initiatives prises en matière d’interculturalisme. Cette initiative met fortement l’accent sur la promotion d’interactions interculturelles positives au sein des espaces urbains. Barcelone, par exemple, est sans doute la ville s’étant dotée d’un plan d’action visant à promouvoir l’interculturalisme le plus ambitieux et le plus élaboré. Ce plan d’action s’inscrit clairement dans une conception « interactionniste » de l’interculturalisme[51] et fait de la parti-cipation, de la promotion des échanges interculturels et des interactions interculturelles le fondement d’une stratégie visant à promouvoir la cohésion sociale dans le respect de la diversité.[52]

Les villes peuvent contribuer à la promotion d’interactions menant à l’intégration (ou inhiber des telles relations sociales) en mettant en place des politiques d’aménagement de l’espace urbain. De telles politiques peuvent directement créer des espaces publics urbains, par exemple lorsqu’une ville décide d’investir dans la création de parcs, d’équipements sportifs ou en désignant certaines rues comme piétonnes. Les administrations municipales peuvent également influencer indirectement l’aménagement d’espaces urbains en adoptant des règlementations de zonage qui habilitent et restreignent les usages de l’espace qui peuvent être faits par des actrices et acteurs privé.e.s (des individus ou corporations propriétaires d’immeubles et de terrains). De tels règlements de zonage peuvent par exemple interdire la construction d’industries dans certaines zones ou encore faire en sorte que les immeubles de certaines rues soient uniquement destinés à des fins commerciales. Partant de là, les villes peuvent influencer la qualité et le degré des interactions sociales intercommunautaires d’au moins deux manières.

4.1 La ségrégation spatiale urbaine

Premièrement, les politiques de zonage des villes peuvent avoir un effet décisif sur la ségrégation ethnoculturelle spatiale et la répartition géographique des groupes minoritaires dans la ville. Une politique de zonage inadéquate peut même rendre inopérants les efforts d’un État central en vue de promouvoir les échanges intercommunautaires. Par exemple, les États peuvent chercher à favoriser l’intégration sociale en faisant en sorte que certaines institutions publiques soient des lieux de rencontres où se côtoient les membres de différents groupes. L’école publique est ainsi en principe un lieu de rencontre ouvert à tous les groupes ethnoculturels et elle est souvent présentée comme un lieu mixte qui permet aux jeunes de se lier à des personnes d’origines diverses.[53] La composition démographique des écoles publiques reflète toutefois la composition démographique des quartiers et des arrondissements ou municipalités dans lesquelles elles se trouvent. Or, la répartition géographique des groupes minoritaires est fortement affectée par les politiques de zonage des villes. Par exemple, un quartier ou un arrondissement qui interdit la construction de bâtiments résidentiels à plusieurs unités de logement ou qui interdit la construction de logements subventionnés sera nécessairement habité par les classes sociales les plus aisées. Mais, comme il existe un recoupement entre classe et ethnicité faisant en sorte que le revenu moyen de plusieurs groupes ethnoculturels minoritaires en voie d’intégration économique est inférieur à celui des groupes culturels dominants pleinement intégrés, ces quartiers ne seront peu ou pas marqués par la mixité ethnoculturelle et il en ira de même pour les écoles localisées dans ces quartiers.[54] De plus, même si l’État arrive à mettre en place un système d’écoles publiques mixtes et ouvertes à tou.te.s, il est n’est pas improbable que certaines minorités souhaitent envoyer leurs enfants dans des écoles privées confessionnelles qui sont loin d’être mixtes. Dans un tel contexte, il est impératif que les quartiers ne soient pas entièrement ségrégés en fonction de critères ethnoculturels de sorte que les enfants de groupes minoritaires préférant des écoles séparées puissent néanmoins socialiser avec des membres de divers groupes ethnoculturels dans les parcs, dans les commerces et les centres récréatifs qui forment la base d’une vie de quartier dynamique. Les villes ont donc la responsabilité d’éviter les politiques de zonage qui exacerbent la ségrégation spatiale.

L’idéal de ville interculturelle se fonde sur la promotion d’échanges et d’interactions interculturels et cela implique de promouvoir une certaine mixité ethnoculturelle dans les quartiers. Il faut néanmoins se garder de dénoncer trop hâtivement l’existence d’enclaves ethniques dans les grands centres urbains comme une forme de ghettoïsation néfaste du point de vue de l’intégration sociale. En contexte canadien, par exemple, les données empiriques sur la répartition géographique des immigrant.e.s au sein des villes permettent bel et bien d’observer une tendance vers la concentration de certains groupes ethnoculturels dans certains quartiers des régions métropolitaines de Toronto, Montréal et Vancouver.[55] Toutefois, concentration ne veut pas dire ségrégation : dans les villes canadiennes, même dans les quartiers comprenant les plus fortes concentrations ethniques, aucun groupe ethnoculturel n’arrive à lui seul à constituer une majorité.[56]

Un tel niveau de concentration peut même favoriser, indirectement, les rencontres et le dialogue interculturels. J’habite par exemple près d’une cathédrale de l’Église ukrainienne orthodoxe bordée par un parc nommé Parc de l’Ukraine dans lequel est célébré chaque année un festival ukrainien qui se veut une occasion de rencontres joyeuses et conviviales pour tou.te.s les habitant.e.s du quartier, peu importe leur origine ethnique. Comme le parc et la cathédrale, le lieu du festival est fixé en raison de la concentration ukrainienne qui a historiquement façonné la vie du quartier environnant. Ces lieux, bâtiments et événements sont géographiquement situés tels qu’ils le sont afin de desservir les intérêts d’une population locale. Dans ce cas, la concentration ethnique favorise les rencontres interculturelles plutôt qu’elle ne les décourage puisque c’est précisément en raison de cette concentration qu’il fait sens de tenir une célébration à caractère ethnoculturelle dans ce lieu précis. En somme, pour qu’il y ait rencontre interculturelle, la diversité doit être visible, tangiblement présente et affirmée. Or, cette visibilité serait probablement amoindrie dans une ville où la répartition géographique des minorités ethnoculturelles serait parfaitement uniforme ou encore dans une ville cherchant à construire des espaces publics physiques neutres, non marqués par la présence de la diversité.

La présence de groupes minoritaires issus de l’immigration laisse des traces visibles dans la ville, elle marque nos paysages urbains par l’usage que font les nouvelles et nouveaux arrivant.e.s de l’espace, notamment en aménageant des lieux de culte et des commerces.[57] Ces lieux physiques, porteurs de marqueurs identitaires visibles, ont naturellement tendance à émerger dans des quartiers où se concentrent certains groupes; ils visent en effet généralement d’abord et avant tout à desservir les membres d’une communauté bien précise (c’est tout particulièrement le cas des lieux de culte). Loin d’effriter les bases de la cohésion sociale, ces lieux rendent visibles aux habitant.e.s de la ville certains groupes marginalisés et permettent ainsi de véritables rencontres interculturelles. Comme le souligne Annick Germain, c’est plutôt l’absence de contact et l’invisibilité des différences qui menacent la cohésion sociale.[58]

4.2 L’atomisme des villes modernes

Deuxièmement, il se peut qu’une ville, par ses choix en matière d’aménagement de l’espace, décourage les interactions sociales positives entre membres de groupes divers même s’il n’y a pas de ségrégation ou de concentration spatiale des groupes ethnoculturels. Une ville peut en effet miner de telles interactions entre membres de différents groupes simplement en décourageant toute forme d’interaction sociale et en favorisant l’atomisme social. Plusieurs soulignent que des lois de zonage qui prescrivent un usage univoque pour de vastes aires géographiques dans la ville ont tendance à favoriser l’insécurité dans les rues en plus de rendre celles-ci ennuyantes, ce qui contribue à inciter les gens à se confiner dans leur domicile ou leur lieu de travail.[59] La création de vastes quartiers à usage commercial fait naître des rues peu fréquentées le soir, donc plus dangereuses. L’existence de vastes quartiers résidentiels dans les banlieues, sans commerces ni lieux de divertissement contribue à créer des zones inintéressantes dont les rues sont vides. De telles zones sont peu propices aux interactions sociales et favorisent le retrait des individus dans les lieux privés que sont la résidence et les grands centres commerciaux. Partant de ce constat, on peut affirmer qu’il importe, si l’on veut promouvoir les interactions sociales, que les espaces urbains soient organisés de manière plurivoque plutôt qu’univoque. Comme le souligne le Conseil de l’Europe, la création de vastes zones urbaines à vocation univoque (strictement réservées soit à des usages résidentiels, industriels ou commerciaux) favorise l’atomisation et l’isolement.[60] C’est plutôt lorsque les quartiers sont plurivoques, c’est-à-dire lorsque les infrastructures résidentielles, commerciales, culturelles, religieuses et récréatives s’entremêlent, lorsque des espaces vivants, achalandés, mixtes et agréables existent – des marchés, des rues jalonnées de cafés et de terrasses, des parcs, des centres culturels, etc. – que l’on peut mettre en contact au quotidien et de manière récurrente les habitant.e.s d’une ville.

En contexte nord-américain, la banlieue est un exemple typique d’organisation univoque de l’espace urbain. Depuis la seconde moitié du XXe siècle, les banlieues ont généralement adopté une configuration spatiale favorisant la création de vastes zones composées presque uniquement de maisons, de rues sans vie réservées aux automobiles, d’une concentration des commerces dans d’énormes power-centres munis de stationnements gigantesques à proximité des autoroutes. Des politicologues se sont récemment intéressés à la question de la répartition territoriale des sentiments de méfiance et d’hostilité envers les immigrant.e.s à l’échelle du Québec. Leurs résultats sont surprenants et fort révélateurs pour mon propos : contrairement à ce que véhicule une perception très répandue, ce n’est pas dans les régions rurales éloignées que ces sentiments sont les plus forts, mais plutôt dans les vastes banlieues entourant Montréal.[61] On peut donc se demander dans quelle mesure l’aménagement univoque de l’espace et l’atomisme qui marquent ces zones influencent la répartition territoriale des attitudes négatives à l’égard des nouvelles et nouveaux arrivant.e.s.

De plus, la création de quartiers et d’espaces urbains à usage plurivoque, agréables à parcourir, plus excitants, sécuritaires et moins aliénants est plus susceptible de générer des formes d’identités locales basées sur l’appartenance et l’identification à un lieu, que la mise en place de quartiers univoques sans vie et sans dynamisme.[62] Or, il peut être plus rapide et aisé pour les nouvelles et nouveaux arrivant.e.s de développer de tels sentiments d’appartenance locale que de développer un sentiment d’appartenance nationale à la société d’accueil dans son ensemble, surtout si un groupe culturel majoritaire domine les symboles et les modes de représentation de la « nation ».

Avant de conclure, il convient de prendre un peu de recul face à la thèse voulant que les sociétés pluralistes aient intérêt à miser sur les vertus potentielles des interactions, des rencontres et des contacts entre personnes appartenant à divers groupes afin de favoriser l’intégration sociale des immigrant.e.s. Cette thèse est une thèse empirique qui doit être avérée par les faits. L’idée principale qui la soutient est que l’existence d’interactions sociales peut être vue comme une cause, voire une condition nécessaire de l’émergence de liens sociaux marqués par l’identification mutuelle et la confiance entre des personnes provenant de groupes culturels distincts. Cette thèse se fonde ainsi sur ce que l’on appelle, en sciences sociales, l’« hypothèse du contact ». Selon cette hypothèse, que l’on doit à l’ouvrage The Nature of Prejudice de Gordon W. Allport[63], c’est par la communication avec autrui qu’on arrive à améliorer les relations interpersonnelles et à éliminer les préjugés. Dans le domaine de l’aménagement de la diversité ethnoculturelle, l’hypothèse du contact nourrit l’espoir que l’on peut briser les stéréotypes culturels, le racisme et la xénophobie en favorisant les rencontres interculturelles dans la vie quotidienne.[64] Le dialogue interculturel aurait ainsi la vertu de diminuer les tensions intercommunautaires, d’atténuer la méfiance qu’entretiennent des individus à l’égard de groupes ethnoculturels qu’ils perçoivent comme différents et permet la création de capital social de type relationnel, c’est-à-dire de liens et de réseaux qui transcendent les clivages ethnoculturels.[65] Ultimement, l’inclusion de personnes aux affiliations ethnoculturelles diversifiées dans de tels réseaux d’interactions basés sur la confiance et le respect devrait mener à un apaisement des anxiétés identitaires propres à la majorité ethnoculturelle des sociétés d’accueil ainsi qu’à l’émergence, chez les membres de groupes minoritaires, du sentiment d’être acceptés par la société d’accueil et, par le fait même, d’un sentiment d’appartenance et d’identification à la société d’accueil.

Toutefois, si l’hypothèse du contact trouve encore aujourd’hui son lot de supporteurs et si elle est loin d’être désuète en psychologie sociale et en sciences sociales en général (l’ouvrage d’Allport, The Nature of Prejudice, continue d’être réédité, traduit et largement discuté)[66], il reste que cette hypothèse est fortement contestée. Certain.e.s prétendent que ce n’est que dans des conditions idéales (de laboratoire) que les études empiriques arrivent à confirmer cette hypothèse et qu’on dispose de trop peu de données sur les interactions en milieu urbain pour conclure hors de tout doute à la plausibilité du mécanisme causal postulé par l’hypothèse du contact.[67] D’autres ont émis de sérieux doutes quant aux vertus des interactions interculturelles. Par exemple, Robert Putnam lui-même, à qui l’on doit la notion de capital social, affirme ainsi qu’en contexte de diversité urbaine, le contact interculturel tend plutôt à diminuer, du moins à court terme, le capital social relationnel associé aux réseaux qui dépassent les clivages ethniques, sociaux, culturels et religieux.[68] Le contact pourrait donc parfois avoir l’effet de renforcer les préjugés et la méfiance entre les groupes.

On peut par contre se demander si les conditions du contact intergroupe bénéfique sur le plan de la réduction des préjugés et de la méfiance sont véritablement réunies dans les environnements urbains servant de cadre aux études empiriques des critiques de l’hypothèse du contact telles que celles réalisées par Putnam. En effet, Allport soutient que ces bénéfices liés au contact intergroupe ne se produisent uniquement que lorsque ces contacts sont soutenus et récurrents, lorsqu’ils bénéficient d’un soutien et d’un encadrement institutionnels, lorsqu’il existe une égalité de statut entre personnes appartenant à différents groupes et lorsque différents groupes partagent des buts communs.[69] Toutefois, si les préconditions de la validité de l’hypothèse du contact sont si exigeantes, alors il s’ensuit que le succès des politiques urbaines visant à favoriser l’intégration sociale en encourageant les interactions sociales dépend du succès des politiques de multiculturalisme à l’échelle nationale. En effet, l’égalité de statut entre les citadin.e.s d’une ville appartenant à divers groupes ethnoculturels n’est possible que dans la mesure où la société dans son ensemble accepte l’idée de base selon laquelle les minorités ethnoculturelles ont un statut égal et dans la mesure où l’État central arrive à mettre en place des mesures efficaces pour combattre le racisme et la discrimination, et pour assurer que les membres des groupes minoritaires aient des chances égales de réussir économiquement et d’influencer les décisions politiques. De plus, l’État central, bien qu’il ne soit pas le seul dans cette catégorie, reste l’un des acteurs ayant la plus grande capacité de fournir des cadres institutionnels nourrissant les interactions récurrentes entre personnes d’origines diverses (comme des écoles publiques mixtes et autres institutions publiques) ainsi que des buts communs pouvant être adoptés par des personnes appartenant à différents groupes ethnoculturels (grands projets de société, compétitions sportives ou artistiques d’envergure internationale). Ainsi, la capacité des villes à mettre en place des espaces physiques où se produisent des interactions susceptibles de conduire à l’intégration sociale, si elle existe, ne peut remplacer les efforts des gouvernements centraux pour garantir l’intégration sociale, économique et politique des groupes ethnoculturels; elle est plutôt dépendante du succès des initiatives des paliers « supérieurs » de gouvernement (fédéral, provincial) en matière de multiculturalisme.

Conclusion

Dans ce texte, j’ai exploré l’idée voulant que l’échelle spatiale ou géographique à laquelle s’applique une théorie politique, telle que la théorie politique normative du multiculturalisme, ait une certaine importance. J’ai démontré que le contexte ou l’échelle géographique de la ville joue plusieurs fonctions heuristiques dans l’élaboration d’une conception du multiculturalisme. Une attention accordée à ce contexte nous permet de découvrir quels devraient être les agents de la justice ou encore les principaux acteurs politiques devant réaliser les idéaux normatifs du multiculturalisme. Le contexte urbain a également comme fonction heuristique de mettre certaines questions normatives à l’ordre du jour de la philosophie politique ainsi que de mettre en lumière des avenues et stratégies politiques afin de concrétiser des idéaux normatifs donnés. Ainsi, une théorie du multiculturalisme soucieuse de penser les bases de l’intégration et de la cohésion sociales aura intérêt à prendre en compte les dynamiques de ségrégation spatiale et d’atomisation dans les villes modernes. Une telle théorie se doit de penser la manière dont les villes aménagent l’espace urbain par le biais des politiques de zonage et par la mise en place d’espaces physiques publics. Je n’ai pas cherché à démontrer que les politiques urbaines de promotion des interactions sociales pouvaient à elles seules résoudre le problème de la cohésion dans les sociétés pluralistes ou encore que le multiculturalisme (ou interculturalisme) municipal devait remplacer le multiculturalisme d’État. J’ai plutôt soutenu qu’une théorie de l’intégration sociale dans les sociétés multiculturelles se doit d’être multi-scalaire et de penser la complémentarité et l’interdépendance entre les politiques municipales et les politiques de l’État central. En effet, d’un côté si les villes font des choix en matière de zonage qui ont pour effets d’exacerber la ségrégation spatiale des groupes ethnoculturels dans les grandes villes, les efforts des gouvernements centraux pour favoriser des interactions intercommunautaires au sein d’institutions publiques mixtes, communes et ouvertes à tou.te.s risquent d’être vains. D’un autre côté, si l’hypothèse du contact, telle que formulée par Allport, est correcte, alors les villes n’arriveront à promouvoir l’intégration sociale par le biais de la mise en place d’espaces d’échanges interculturels que dans la mesure où l’État central et la société dans son ensemble affirment et protègent le statut égal des membres de groupes ethnoculturels minoritaires.