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Qu’est-ce qu’une archive psychiatrique ? Que peut-elle nous révéler, nous apprendre ? Comment faut-il alors l’aborder, l’étudier ? Et pourquoi et comment doit-on la conserver ? Quels sont, autrement dit, les défis et enjeux de ceux – chercheurs, conservateurs ou dirigeants – qui entrent aujourd’hui en contact avec l’archive psychiatrique ? Ce sont ces questions, aussi vastes qu’essentielles, qu’aborde ce numéro spécial de Santé mentale au Québec. Les récentes transformations de l’historiographie psychiatrique, et notamment l’accent mis sur les pratiques effectives et sur les acteurs de la folie, ont en effet contribué à révéler la dimension complexe et surtout problématique de l’archive psychiatrique. Matériau pluriel, s’offrant à des regards multiples et faisant l’objet d’enjeux et de réflexions divers, parfois même contradictoires, l’archive psychiatrique soulève, en tant qu’objet même, de nombreuses interrogations.

La nôtre naquit au printemps 2013, lorsque notre équipe de recherche sur la Déshospitalisation psychiatrique et accès aux services de santé mentale. Regards croisés Ontario-Québec (IRSC, 2013-2016) apprit que l’administration de l’Hôpital Montfort d’Ottawa entendait modifier les politiques d’archivage des dossiers de ses patients et remettait en question la durée de rétention légale de ces documents. Nos plans de consultations et d’analyse de ces dossiers étaient alors entièrement remis en question, faisant ainsi brusquement jaillir le délicat problème méthodologique et épistémologique de la conservation et de l’étude de l’archive psychiatrique au sein de notre projet de recherche. La nécessité d’une réflexion sur la valeur scientifique de ces archives médicales et sur les enjeux socioéconomiques associés à leur conservation s’est alors imposée.

La conservation d’une masse importante de dossiers cliniques, mais aussi d’objets ou de documents papier ou iconographiques demeure en effet un défi de taille pour nombre d’institutions hospitalières au Canada comme à travers le monde. Face à ces problèmes, certains hôpitaux ont décidé de se délester de ces traces d’un autre temps, tandis que d’autres ont fait le choix de garder ce patrimoine archivistique entre leurs murs ou ceux des centres d’archives publiques ou nationales. Ainsi l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal (IUSMM), anciennement Saint-Jean-de-Dieu, qui fut au tournant du XXe siècle le plus grand asile au Canada, a conservé tous les dossiers de ses anciens patients, plus de 192 000 à ce jour, offrant ainsi la possibilité à des historiens, des sociologues, des conservateurs, des psychiatres et même des patients d’écrire son (leur) histoire (Roy, 1994 ; Bolduc, 2012, 2013, 2014 ; Cellard & Thifault, 2007 ; Nevert, 2009 ; Perreault, 2009 ; Thifault, 2011-2012 ; Thifault & Perreault, 2011 ; Perreault & Thifault, 2012). Si les contraintes économiques et spatiales sont non négligeables dans la prise de ce type de décisions, il n’empêche que la question de la conservation des archives psychiatriques est indissociable de l’importance scientifique et sociale de ces documents. On peut en effet se demander à quoi peuvent bien servir ces dossiers nominatifs d’un autre âge (Prestwich, 2012) ou ces reliques d’une psychiatrie passée. Dans le cas précis des dossiers médicaux, on peut s’interroger sur ce que peut être aujourd’hui la valeur d’un dossier vieux de cent ans et ce qu’est-il possible de faire avec un tel document ? Qui est en droit de le consulter ? Combien de temps doit-on ou peut-on le conserver ? Comment se renouvelle la législation sur ces archives psychiatriques et comment s’accommode-t-elle du passage au numérique ? En France, par exemple, la législation sur les archives a des effets contradictoires. Elle rend théoriquement accessibles aux chercheurs les dossiers médicaux anciens, mais autorise également la destruction des dossiers inactifs dans les établissements hospitaliers confrontés au manque de place et à une demande de consultation croissante des patients et des familles. Le système semble ainsi fonctionner à deux vitesses dans la mesure où certaines institutions ont fait le choix de conserver ces documents, s’engageant ainsi à protéger leur valeur historique, tandis que d’autres, aux prises avec différentes contraintes, se sont alignées sur le processus de destruction commencé au XXe siècle.

Or, cette réalité concernant la conservation des archives psychiatriques s’amplifie à l’aune d’autres contraintes d’accès à ces fonds, car, inévitablement, le long processus qui mène à l’accès aux archives hospitalières ou privées ne répond pas toujours aux délais qui incombent à la réalisation et à la diffusion des résultats des recherches subventionnées par des fonds publics. Ainsi, les chercheurs s’intéressant aux dossiers médicaux travaillent sous le régime dérogatoire des archives hospitalières et des comités d’éthique, dont la politique et les exigences en termes de gestion s’éloignent parfois des intérêts de la recherche scientifique. Tandis que ceux qui travaillent sur des archives privées sont confrontés au bon vouloir des propriétaires des collections. Parfois même, selon le lieu de conservation des documents, des règles différentes s’appliquent. Ainsi, la correspondance d’un savant peut faire ou non l’objet d’une publication, selon le lieu de découverte de l’archive et la nature des lois qui y encadrent le droit d’auteur. Une chose est sûre, tous les chercheurs doivent composer avec de multiples contraintes institutionnelles, relationnelles ou techniques, qui ont pour conséquence de les ralentir dans leurs investigations, voire même parfois de les tenir à l’écart des fonds archivistiques.

En outre, pour « l’historien des fous », cet isolement se conjugue parfois à un autre type d’exclusion dans la mesure où son objet de recherche demeure marginal dans le milieu universitaire, à moins bien sûr d’être arrimé à la grande Histoire, celle du crime, des guerres ou de la science par exemple (Guignard, Guillemain & Tison, 2013). Néanmoins, plusieurs historiens ont utilisé les dossiers nominatifs dans leurs recherches, et ce, dès les années 1980 dans la continuité de « la nouvelle histoire » en France ou de l’école conflictuelle aux États-Unis. On cherchait alors à mettre en lumière l’histoire des individus passée sous silence dans l’Histoire des grands hommes qui avait prévalu au cours des décennies précédentes. Bref, on cherchait à redonner une place aux « exclus » dans l’histoire et l’archive psychiatrique constituait alors une source de choix pour étudier ces hommes infâmes (Foucault, 1977) que sont les fous et autres marginaux. Ce champ de recherche qui n’a cessé depuis de se développer en puisant ses ressources gnoséologiques dans des archives inédites, participe pleinement à l’histoire de la santé « au ras du sol » (Klein, 2016b) comme à cette histoire de la médecine qualifiée de from below (Revel & Peter, 1974 ; Porter, 1985). C’est dans le but de contribuer à cet effort collectif, catalyseur d’une branche disciplinaire encore émergente, bien que déjà ancrée dans l’historiographie médicale franco-européenne (Delille, 2013 ; Guillemain, 2010 ; Klein, 2008, 2011, 2015, 2016a ; Majerus, 2013 ; Tison & Guillemain, 2013 ; Richelle, 2014 ; Roekens, 2014 ; von Bueltzingsloewen & Eyraud, 2014) que nous avons décidé d’engager un travail réflexif en organisant une journée d’étude internationale sur le sujet des archives psychiatriques.

Le mardi 2 juin 2015 à l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal nous avons donc réuni des chercheurs, étudiants, archivistes et gestionnaires d’institutions hospitalières ou archivistiques autour de la question de « L’archive dans l’institution psychiatrique comme matériel empirique : enjeux méthodologiques et épistémologiques ». Il s’agissait de développer une réflexion commune sur l’importance scientifique et sociale de la préservation de ces archives médicales, ainsi que sur les différents enjeux associés à leur conservation et à leurs usages. Elle entendait permettre des échanges d’expériences, de pratiques et de points de vue entre les différents utilisateurs et les gestionnaires des archives psychiatriques invités à répondre aux questions qui découlent des enjeux actuels entourant leur traitement scientifique et leur conservation.

Le présent numéro est le fruit de cette démarche réflexive et s’inscrit dans la continuité des échanges qui ont eu lieu lors de cette journée d’étude internationale. Il rassemble en effet les textes de certaines communications ou affiches présentées lors de cette journée, auxquels sont venus s’ajouter des recherches inédites et des travaux originaux visant à ouvrir la perspective sur la pluralité de l’archive psychiatrique et la variété des regards qui peuvent se pencher sur elle. En rassemblant des chercheurs francophones issus de différents pays, ce volume entend valoriser tant la recherche francophone en histoire de la santé mentale, qui est un champ de recherche aussi florissant qu’en cours de reconnaissance, que proposer une approche comparative permettant de faire dialoguer les traditions et contextes nationaux en termes de traitement de l’archive psychiatrique. L’approche internationale (Canada-France-Belgique) permet en effet d’élargir la réflexion sur les difficultés pratiques et les enjeux méthodologiques liés au travail dans des archives psychiatriques mené dans différents pays. La rencontre de chercheurs belges, québécois, franco-ontariens et français est en outre une occasion de rendre compte des diverses positions méthodologiques et épistémologiques ou, en d’autres mots, des différentes avenues que peut prendre la recherche en santé mentale basée, en partie ou en totalité, sur les données empiriques cliniques.

C’est avec cette même volonté de mise en regard de pratiques que ce volume rassemble des travaux de différents acteurs de l’archive, qu’ils soient chercheurs débutants ou confirmés en histoire, sciences de la santé et histoire de l’art ou qu’ils soient conservateurs. La mise en perspective du regard des archivistes ou du personnel des services de conservation avec les chercheurs universitaires et les étudiants ouvre en effet la voie à la mise en place de méthodes et de relations de travail nouvelles reconnaissant et valorisant les besoins de chacun. De plus, la mise en commun de différentes expériences et perspectives de professionnels en contact avec ces documents offre l’opportunité d’en extraire des données synthétiques qui contribuent à l’avancement des connaissances dans ce domaine de pratiques encore peu étudié. Les nouvelles connaissances issues de ces interactions permettent notamment de circonscrire des méthodes d’accès aux archives, d’explorer l’évolution des formes des dossiers cliniques, de détailler les multiples voies que peut prendre la recherche sur et avec l’archive psychiatrique. Les questions de confidentialité des données, de suppression des informations nominatives, de durée de conservation des copies numériques des archives, ou du rôle des comités d’éthique à la recherche des établissements médicaux et universitaires et des relations que les professionnels de l’archive psychiatrique entretiennent avec eux, peuvent ainsi être également abordées à l’aune de différentes perspectives et selon les législations propres aux pays de provenance des chercheurs. Autrement dit, c’est un enrichissement certain de la réflexion sur la valeur et la sauvegarde du patrimoine archivistique en psychiatrie qui s’offre ici dans un cadre favorisant les propositions concrètes, judicieusement documentées, de pratiques efficaces de prise en charge de ces documents d’histoire.

Enfin, au-delà de la réflexion méthodologique et épistémologique sur l’archive, les textes de ce volume contribuent, en tant qu’études historiques, à l’enrichissement de la connaissance historique sur les savoirs et les pratiques de soins proposés aux patients psychiatrisés depuis plus de deux siècles. Ils permettent notamment de retracer des parcours de vie à partir des dossiers cliniques analysés, de correspondances ou d’autres sources archivistiques au potentiel insoupçonné. Ils favorisent également, par là même, une meilleure documentation du contexte sociopolitique de l’internement et du traitement de ces personnes jugées mentalement étrangères à elles-mêmes. Le corpus de témoignages confrontés, débattus, enrichis des regards et des expériences de tout un chacun, qui est livré ici par des archivistes, des conservateurs, des chercheurs universitaires ou des jeunes de la relève de différents pays francophones, constituent en effet une mine d’informations inédites, riches de leur caractère transnational et interdisciplinaire. Or, cette variété d’interventions, qui s’ancre dans un pluralisme épistémologique nourri de la connaissance médicale, historique, sociologique ou anthropologique, ouvre finalement un champ de possible concernant l’étude des archives psychiatriques encore peu interrogées sur ce qu’elles peuvent nous apprendre sur la « folie » au sein de nos sociétés. De l’étude du contenu du dossier clinique et de ses métamorphoses au fil du temps, à la circonscription des pratiques d’intervention et des conditions d’internement, en passant par des questionnements sur les politiques en santé, ce corpus offre des données dont le potentiel d’investigation scientifique est extrêmement riche et ouvert à des chercheurs de différentes disciplines et formations.

Ce volume a ainsi toutes les qualités d’un guide méthodologique sur l’exploitation des archives psychiatriques autant que d’un essai sur la prise en charge de la folie dans la modernité francophone. Il contribue donc à la fois à une histoire par le bas de la psychiatrie, tel qu’elle se développe aujourd’hui, mais se présente aussi comme un support de réflexions (et donc de décisions) sur le devenir de l’archive psychiatrique. En offrant un cadre de dialogue ouvert pour différents professionnels, ce numéro permet de briser des a priori et de sensibiliser les uns et les autres à l’importance de l’archive psychiatrique que ce soit comme document médical, archivistique ou historique. Car l’archive psychiatrique, notamment lorsqu’elle prend la forme d’un dossier clinique, peut aussi bien parler à un historien, un sociologue, un anthropologue ou un psychiatre, qu’elle peut renseigner le médecin, l’infirmier ou le patient sur le suivi de la maladie. Ainsi, de meilleures politiques et pratiques concernant la protection des données psychiatriques peuvent être envisagées à partir de cette réflexion commune entre médecins, chercheurs, conservateurs et décideurs sur l’importance des archives médicales et les enjeux économiques ou d’espace associés à leur préservation. Réflexion à laquelle ce numéro entend pleinement contribuer.

Dans une première partie, consacrée à la Pluralité et aux difficultés de l’archive, des chercheurs et conservateurs donnent à voir la diversité de l’archive psychiatrique, tout en mettant en lumière les obstacles et défis entourant sa découverte, sa constitution, sa valorisation, son interprétation ou sa conservation. Dans son article À la recherche de l’archive psychiatrique perdue. L’histoire des fonds d’archives d’Alfred Binet (1857-1911), le philosophe et historien de la santé Alexandre Klein retrace tout d’abord l’histoire de la constitution des différents fonds d’archives du psychologue français Alfred Binet. Il met ainsi en valeur l’historicité, rarement abordée, de l’archive psychiatrique et rappelle l’important et délicat travail d’investigation et de compilation souvent nécessaire à la constitution d’un fonds d’archives. Il souligne ainsi très justement cette partie souvent oubliée du travail des historiens qui consiste à constituer l’archive psychiatrique avant même de pouvoir l’étudier. Christine Bolduc nous présente ensuite, dans son texte intitulé La collection patrimoniale de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal : un trésor à préserver, la collection d’archives dont elle était jusqu’à peu conservatrice. Il s’agit de tous les dossiers des usagers, mais également des ouvrages, rapports, photographies et objets médicaux ou religieux que l’IUSMM conserve. Elle insiste à cette occasion sur l’importance pour les institutions hospitalières de s’intéresser à ce patrimoine exceptionnel, mais trop souvent en danger. À sa suite, l’historienne Marie LeBel propose une contribution sur un thème peu étudié. Dans Manque de collaboration, manque d’effectifs ou disparition des données : le nécessaire et difficile accès aux archives psychiatriques, elle identifie en effet les défis de la recherche sur le sujet de la psychiatrie-santé mentale au sein d’une communauté francophone en situation minoritaire. Le sujet est important dans le cadre de ce numéro sur l’archive psychiatrique pour justement démontrer la difficulté d’accès aux archives hospitalières. L’étude de LeBel ajoute en outre un intéressant contraste avec la situation plus connue des recherches menées, par exemple, à Montréal ou à Québec. Enfin, l’historienne de l’art Ginette Jubinville propose une analyse originale des archives iconographiques qui ont accompagné les débuts de la psychiatrie française au XIXe siècle. À partir de l’analyse des oeuvres d’art commandées par les tout premiers psychiatres, elle nous convie, dans L’archive iconographique : que nous révèle la culture visuelle des débuts de la psychiatrie française au dix-neuvième siècle ? à une nouvelle lecture de l’histoire de la naissance de la psychiatrie en France.

La seconde partie, relative aux Usages et apports de l’archive, nous invite à découvrir les possibilités et potentialités de l’archive psychiatrique au Canada, en Belgique et en France. Dans un premier article intitulé Les notes « Observations de l’infirmière » du Département de psychiatrie de l’Hôpital Montfort, l’infirmière canadienne et professeure en sciences infirmières, Sandra Harrisson réévalue le potentiel archivistique des notes d’observations infirmières à partir des centaines de dossiers médicaux de patients psychiatriques qu’elle a étudiés pour son projet doctoral. Elle soutient que cet outil de communication nursing, trop souvent sous-estimé tant par les professionnels de la santé que par les chercheurs, est une source aussi riche que sous-exploitée dans le cadre des projets de recherche en sciences infirmières sur la santé mentale. L’historienne belge Veerle Massin poursuit sur la même lancée, dans Les archives psychiatriques : une occasion de saisir l’expérience du patient, en s’interrogeant sur la capacité qu’ont les archives à dévoiler l’expérience « réelle » des patients. À partir de l’expérience des femmes internées à l’hôpital du Beau Vallon, elle propose une réflexion méthodologique sur l’utilisation de l’archive psychiatrique comme « preuve de l’expérience ». L’archive psychiatrique nous donne à penser non seulement la pratique médicale, mais aussi la pratique sociale liée à la mise à l’écart de certaines personnes, l’historien étant partie prenante de l’écriture de ces diverses pratiques. Enfin, l’historien français Hervé Guillemain explore, dans Des institutions privées d’histoire, les archives, jusqu’alors négligées par l’historiographie, d’entreprises capitalistes dédiées à la gestion de la folie (France, 1930-1950). Repérées en suivant les transferts de malades à la fin des années 1930, ces institutions privées d’accueil de malades mentaux n’avaient laissé aucune trace dans les revues professionnelles. Par son enquête, Guillemain rappelle ainsi l’importance de l’archive comme source dans l’écriture d’une nouvelle histoire de la psychiatrie.

Enfin, le numéro se conclut par une troisième partie consacrée au lien entre Archives et histoires de vie qui commence par le récit du troublant parcours de vie transinstitutionnel de six enfants abandonnés. Dans La bande des six réclame plus de liberté, les historiens de la psychiatrie Martin Desmeules et Marie-Claude Thifault présentent, à partir d’un document récupéré dans les dossiers de six enfants illégitimes admis à l’Hôpital Saint-Jean-de-Dieu à la fin des années 1950, l’étonnant processus de négociation entrepris entre les psychiatres et ces six jeunes délinquants. Ils insistent à cette occasion sur l’importance d’intégrer dans le discours historique la parole des sans-voix. L’historien Emmanuel Delille s’applique ensuite, dans Reconstituer une sociabilité savante à partir du fonds d’archives du Centre Hospitalier Henri Ey de Bonneval, à retracer la vie intellectuelle des psychiatres français dans la société d’après-guerre, relevant notamment l’importance des réseaux de sociabilité et de correspondances qu’ils entretenaient. Il rappelle avec justesse que la richesse des documents conservés dans le fonds qu’il étudie ne doit pas faire oublier que tout fonds d’archives souffre de lacunes, et que ce qu’il conserve est le résultat d’un tri sélectif. L’historien français Philippe Artières, quant à lui, propose dans Les archives psychiatriques : des archives pour quelle histoire ?Les papiers de René L. une réflexion sur la décolonisation de l’Algérie à partir des notes au dossier et des dessins d’un patient rapatrié et interné en 1963. Cette histoire « clinique » d’un patient comme tant d’autres lui permet de mettre en relief l’individu dans un contexte plus large, celui de la France postcoloniale récente, mais également la place des dossiers « ordinaires » dans la mise en narration de l’histoire des patients en psychiatrie. Enfin, Alexandre Pelletier-Audet, doctorant en histoire, nous présente le contenu de son affiche présentée lors de la journée d’étude du 2 juin et qui lui a valu le prix du public. La représentation socioculturelle du suicide au Québec au milieu du 20e siècle. Étude de cas est une mise en parallèle d’articles de journaux concernant la mort d’un jeune émigré italien à Montréal et du dossier du coroner relatif à ce décès. Il montre avec brio la manière dont le discours médiatique se construit à partir d’une interprétation large des faits et comment le retour aux archives permet de dévoiler, en regard, les représentations du suicide à l’oeuvre dans la société québécoise de l’époque.