Corps de l’article

Introduction[1]

À Palerme, la politique de renouvellement urbain[2] conduite dans le centre historique — le centro storico — depuis le début des années 1990, est principalement impulsée par la municipalité. L’arrivée de nouveaux citadins dans ce centre-ville, qui prendra son essor une décennie plus tard, est favorisée par l’octroi d’importantes subventions à des propriétaires ou à des investisseurs privés afin qu’ils réalisent des travaux de restructuration ou de réhabilitation de logements ou d’immeubles. Cette transformation urbaine est ainsi largement laissée aux mains des acteurs privés subventionnés et se focalise sur le bâti, sans stratégie de fond quant au renouvellement des fonctions urbaines. Il en découle une déclinaison locale de la gentrification sporadique et hétérogène, en « taches de léopard » (Maccaglia, 2009), dont nous avons plus spécifiquement observé les effets dans le quartier de la Magione, au sein duquel s’est déroulée notre enquête de terrain.

Enquêter à la Magione : observations directes et entretiens

Conduite entre mars et septembre 2014, l’enquête sur laquelle s’appuie cet article a consisté en des observations quotidiennes des espaces collectifs du quartier, complétées par une série de 27 entretiens réalisés avec des habitants et divers acteurs liés à ce territoire (élus municipaux, agents immobiliers, commerçants, intervenants associatifs…). Douze entretiens ont concerné des « nouveaux habitants », c’est-à-dire des personnes qui résident dans le quartier depuis moins de 10 ans (6 femmes et 6 hommes, âgés de 26 à 65 ans), et sept des « anciens habitants » (âgés de 17 à 70 ans), qui résidaient dans le quartier avant l’impulsion de sa transformation en 2000 (qu’ils continuent ou non à y habiter). Sur ces sept entretiens, cinq ont été menés avec des femmes : davantage présentes dans l’espace collectif du quartier, elles étaient plus accessibles pour la jeune chercheuse, qui plus est dans un contexte de fort clivage genré de cet espace.

De longs échanges informels viennent enfin étayer le matériel ethnographique de cette enquête, réalisée dans le cadre d’un master en « Recherches comparatives en anthropologie, histoire et sociologie » (EHESS) soutenu en juillet 2015 par Hélène Jeanmougin, sous la direction de Florence Bouillon et Brigitte Marin.

L’article porte sur les relations entre les différents acteurs des bouleversements de ce quartier, et interroge les effets de cette cohabitation sur le processus de gentrification en cours. Il s’inscrit dans la lignée des travaux de Matthieu Giroud (2007), qui fut parmi les premiers à observer « par le bas » les modes de « résistance » populaire à la gentrification, autrement dit par le prisme des pratiques ordinaires de l’espace urbain. À l’instar d’autres situations décrites par la littérature (Clerval, 2011; Lehman-Frisch, 2008; Smith, 1996), on ne trouve pas sur notre terrain de mouvement de revendication s’opposant explicitement et de manière organisée à l’arrivée de nouveaux habitants issus des classes moyennes et supérieures. En revanche, le quartier de la Magione a pour particularité d’être le lieu d’une forme de résistance à la « normalisation » de l’espace puisque l’occupation intensive de la rue paraît de nature à non seulement freiner le processus de gentrification, comme cela fut également observé dans le quartier de Château-Rouge à Paris (Clerval, 2011), mais peut-être même l’inverser. L’objet de cet article sera de comprendre quels sont les paramètres permettant de saisir l’échec partiel de la politique de gentrification du quartier de la Magione, pourtant impulsée et encouragée par les pouvoirs locaux.

Les anciens résidents du quartier de la Magione sont issus des couches les plus populaires de la société palermitaine. Depuis le début des années 2000, on observe sur ce même territoire l’arrivée de familles nettement plus dotées financièrement, attirées par l’architecture distinctive et spacieuse des anciens palais de la noblesse palermitaine, fraîchement réhabilités. Cette transformation du tissu résidentiel et social génère une situation de concurrence entre des perceptions plurielles du quartier et des « manières d’habiter » (Authier, 2001) profondément divergentes. Comment se traduit cette concurrence dans les pratiques ordinaires des citadins ? Quelles sont les stratégies mises en oeuvre par les uns et les autres pour « gagner du terrain » en imprimant et stabilisant leurs « empreintes » (Grafmeyer, 1991) dans le tissu urbain du quartier ? Enfin, quels sont les effets de ces « conflits d’urbanité » (Joseph et Céfaï, 2002) sur la temporalité et les modalités de transformation de ce territoire ? C’est à partir de ces trois questionnements que nous proposons d’explorer ici le rapport entre anciens et nouveaux habitants et les jeux d’interactions qui structurent leurs relations au quotidien. Nous montrerons que dans un contexte d’« entre-deux » de la diversification sociale (Bacqué et Fijalkow, 2006) du quartier de la Magione, les usages et les ambiances des espaces extérieurs au logement constituent un enjeu aussi déterminant que l’accès au logement du point de vue du déroulement du processus de gentrification.

Réhabiliter le centre : la gentrification programmée du centro storico

Le centro storico de Palerme est un vaste territoire de 250 hectares dont la partie orientale s’ouvre sur la mer. Divisé en quatre arrondissements, il accueille 7 théâtres, 158 églises, 55 couvents et plus de 400 palais nobiliaires, et concentre la plupart des services administratifs (Maccaglia, 2009). En 1950, le centro storico comptait 125 000 habitants; mais il se dépeuple progressivement jusqu’à atteindre 24 810 habitants au moment de l’impulsion de la politique de renouvellement urbain en 1993 (Stünzi, 2007 : 61). Ce territoire connaît donc depuis des décennies un double processus de paupérisation et de dégradation du bâti, dont une grande partie est insalubre. Les causes de cette situation sont multiples : bombardements intenses durant la Seconde Guerre mondiale, gestion désarticulée et mafieuse des travaux de reconstruction globale, important tremblement de terre en 1968...

La politique de renouvellement du centro storico se base sur un programme d’initiative communautaire européen (URBAN Palermo) visant à réhabiliter le tissu urbain historique, ainsi que sur un plan d’urbanisme spécifique (le PPE, Piano particolare esecutivo). Le PPE mise sur les initiatives publiques et privées, et prévoit l’intervention de la municipalité à trois niveaux : restauration et entretien du patrimoine lui appartenant; acquisition d’édifices destinés à accueillir des services administratifs ou des logements sociaux; surtout, octroi de subventions régionales à fonds perdus aux propriétaires privés souhaitant entreprendre des travaux de réhabilitation du bâti (Maccaglia, 2009 : 83). L’analyse des données statistiques[3] montre un fort impact de cette politique urbaine sur le marché immobilier comme sur le peuplement du centro storico. Au total, entre 1995 et 2006, la valeur des immeubles réhabilités a augmenté de 195 % et celle des édifices à réhabiliter de 412 %[4]. Entre 1991 et 2001, on observe en outre une diminution importante du nombre de chômeurs sur cette zone (-28,8 %), tandis que la population active occupée augmente (+4,2 %), ainsi que la part de professions libérales et d’entrepreneurs au sein de cette dernière (+24,6 %)[5].

Ces programmes de renouvellement s’accompagnent de l’introduction d’un marketing urbain visant la transformation de l’image du centro storico. Sur le plan international, son attractivité se construit par la valorisation d’un riche patrimoine culturel et architectural, la restructuration du bord de mer et la récurrence de discours publics « normalisants » pour contrer l’image d’une ville sous emprise mafieuse (Söderström, 2009). Localement, la réouverture de lieux culturels emblématiques et l’organisation de manifestations culturelles témoignent de cette volonté de patrimonialisation et de requalification symbolique du centre-ville historique. Il s’agit, comme à Naples, de favoriser « la renaissance d’un orgueil participatif qui se déclenche autour du patrimoine du centre ancien » (Cattedra, Memoli, 2000). La politique de gentrification se réalise donc ici moins au nom de la « mixité » ou de la « diversité », comme c’est très souvent le cas en France[6], qu’autour de l’idée de reconquête d’un territoire perdu.

Si l’on entend par gentrification le phénomène associant une hausse des prix de l’immobilier, un remplacement de résidents à faibles revenus par des ménages mieux dotés et une transformation de l’espace physique comme de l’image du quartier (Kennedy et Leonard, 2001), alors le centro storico palermitain est bien l’objet d’un processus de ce type. Cependant, comme nous le verrons, la transformation de ce centre a des effets contrastés.

Le quartier de la Magione : anciens et nouveaux habitants

La Magione fait partie de la Kalsa, l’arrondissement du centro storico abritant le plus important patrimoine architectural de la ville. Les nombreux palais nobiliaires qui s’y trouvent témoignent de son passé particulièrement fastueux. Proche du front de mer (voir carte no1), il est au coeur du projet urbain palermitain prévoyant le rattachement de la ville à son waterfront (Söderström, 2009 : 144). Quartier de naissance des juges antimafia Giovanni Falcone et Paolo Borsellino, tués dans des attentats en 1992, la Magione est en outre un territoire central dans la réappropriation symbolique du centre de Palerme.

Carte 1

Délimitation du terrain d’enquête

Délimitation du terrain d’enquête
Carte réalisée par Delphine Mondon et reproduite avec la permission de l’auteure

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Le quartier se déploie autour de la piazza Magione, une large place de 33 000 m2 restructurée en 2000 à l’occasion de la Convention des Nations Unies contre la criminalité organisée transnationale, dont la place devint la vitrine. De larges pelouses et de nombreux arbres furent alors installés sur les ruines des anciens îlots successivement détruits. Aujourd’hui, de petites allées divisent la place en plusieurs larges rectangles de pelouse. Au centre se trouvent les vestiges d’un couvent, dans lequel oeuvrait jusqu’en 2005 une mission des Soeurs de Mère Teresa. Désormais vide, le bâtiment est couvert de fresques de street art et de graffitis.

Toute la façade sud de la place est occupée par l’édifice imposant de l’école primaire Ferrara. La plupart des autres immeubles abritent des logements. L’hétérogénéité du bâti et les différents stades de réhabilitation des immeubles créent de forts contrastes visuels, sur la place comme dans les rues adjacentes.

Photos 1 et 2

Les contrastes des réhabilitations, sur la piazza Magione et dans une rue adjacente

Photographies d’Emma Grosbois[7] et Hélène Jeanmougin reproduites avec la permission des auteures
Photographies d’Emma Grosbois[7] et Hélène Jeanmougin reproduites avec la permission des auteures

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Six bars et trois restaurants sont installés aux rez-de-chaussée des côtés ouest et est de la place. Trois de ces établissements affichent des prix et un service de standing élevés. Le quartier ne compte plus aucun commerce de proximité, à l’exception d’une petite épicerie et d’une pharmacie. Un bed and breakfast a ouvert en 2012 dans un petit immeuble de trois étages. À l’est, la place est occupée par un terrain de football, très fréquenté par des joueurs de différentes tranches d’âge, issus ou non du quartier. Les autres usages de la place sont cycliques. Le soir, la place accueille une vie nocturne animée, tandis qu’elle est surtout un lieu de passage dans la matinée. Au printemps notamment, les pelouses sont très fréquentées dès le début après-midi. On y observe aussi bien des propriétaires de chiens qui viennent promener leur animal que des groupes d’adolescents ou d’adultes assis sur l’herbe, et des enfants qui jouent au ballon.

Photos 3 et 4

Usages des pelouses de la place au printemps

Photographies d’Emma Grosbois reproduites avec la permission de l’auteure
Photographies d’Emma Grosbois reproduites avec la permission de l’auteure

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Jusqu’aux années 2000, la population de la Magione est très pauvre et vit souvent dans des catoi, ces habitations construites informellement au rez-de-chaussée d’édifices partiellement écroulés, constituées d’une pièce unique dans laquelle réside une famille entière. La plupart de ces habitants ont des statuts d’occupation précaires : certains louent à très bas prix des logements inconfortables voire insalubres, une grande partie occupe sans droit ni titre des maisons abandonnées par les propriétaires ou accusent des défauts de paiement du loyer. Le plan d’urbanisme prévoit un relogement dans un parc immobilier temporaire. Mais du fait de ces statuts précaires, seule une minorité des locataires sera relogée — souvent hors du quartier et selon un critère d’ancienneté de résidence — tandis que la municipalité rachète à bas prix des immeubles entiers pour les « restructurer ».

Ça fait 15 ans que je n’habite plus ici. J’habite plus loin vers là-bas, ils m’ont trouvé un logement social. […] Beaucoup de personnes ont dû s’en aller, que tu le veuilles ou non, c’était pareil […] Mais à certains, ils ne leur ont pas accordé de logement social, non, les pauvres, ça faisait de la peine […] Moi j’ai été chanceuse qu’ils m’en attribuent un, c’est parce que j’habitais depuis 30 ans dans mon logement. […] Quand ils ont fait partir tout le monde, certains ont dû se trouver des appartements à louer, en dehors du quartier. On s’est tous divisés […]

Ancienne habitante de la Magione, 52 ans, femme au foyer. Entretien réalisé le 26 juillet 2014

L’analyse des données sociodémographiques[8] est significative de la transformation sociale que connaît ce territoire. Ainsi, le déclin démographique observé entre 1981 et 1991 (-51,75 % de population) n’est plus de mise dans la décennie suivante (+17,2 % entre 2001 et 2011). Entre 1991 et 2001, les indicateurs de gentrification se multiplient : bien que l’on observe un déclin du nombre de résidents, la part des diplômés (bac+3 ou diplôme supérieur) explose (+415,4 %), les familles composées de trois membres, souvent considérées comme typiques des familles gentrifieuses (Van der Berg, 2011 : 18), augmentent de 9,1 %, tandis que la part des ménages de plus de six personnes, représentatifs des anciens habitants, diminue de 43,6 %.

La plupart des nouveaux habitants qui arrivent au début des années 2000 sont issus de l’« élite culturelle et économique palermitaine »[9]. Les grands espaces offerts par les appartements des palais nobiliaires, le bénéfice symbolique procuré par la proximité d’un riche patrimoine culturel et l’opportunité économique que constitue un investissement dans le quartier attirent, dès les premiers octrois de subventions municipales, des familles « pionnières ». Très dotées financièrement, celles-ci exercent majoritairement des professions libérales dans les secteurs de la finance, la justice ou l’architecture, ou occupent des postes importants au sein de l’administration publique. C’est à la fin des années 2000 que s’intensifie la restructuration d’espaces plus modestes (catoï ou appartements au sein de petits immeubles) privilégiés par des célibataires ou par de jeunes couples aux professions libérales et en début de carrière, professions libérales en début de carrière, qui réalisent ici leur première accession à la propriété. Les nouveaux habitants ont donc des revenus variables, mais ils partagent un statut de propriétaire et un haut niveau de diplôme — à l’instar de la petite bourgeoisie intellectuelle que l’on trouve dans de nombreux quartiers gentrifiés parisiens (Clerval, 2013) — ainsi que des goûts et un style de vie spécifiques.

Les anciens habitants qui continuent à habiter ou fréquenter la Magione sont quant à eux issus des couches les plus populaires de la société palermitaine. Les femmes effectuent parfois des petits ménages chez des particuliers, mais la plupart ne travaillent pas en dehors du foyer. Peu (voire pas) qualifiés, les hommes sont souvent employés dans le secteur du bâtiment; en essor depuis la reconstruction d’après-guerre, son essoufflement au début des années 1980 a eu des conséquences particulièrement fortes dans le quartier. L’activité économique n’y est en effet ni liée à la pêche, comme c’est le cas d’une partie de la Kalsa plus proche de la mer, ni à l’artisanat ou à l’existence d’un marché quotidien comme dans d’autres secteurs du centro storico (Ballarò, Vucciria, Capo). Au quotidien, la majorité de ces hommes effectuent des petits « boulots », généralement informels, de courte durée et peu rémunérateurs (déménagements, transport ou vente de fruits et légumes, petits travaux dans le bâtiment...).

Interconnaissance versus anonymat : le village contre la ville

Comme dans d’autres contextes « d’entre-deux » de la diversification sociale, l’enquête de terrain a montré que l’on assiste, à la Magione, à une concurrence de perceptions, d’appropriations et d’usages de l’espace collectif du quartier (Bacqué et Fijalkow, 2006 : 64), et à l’émergence de conflits de coprésence (Simon, 1997 : 52) entre nouveaux et anciens habitants.

Bien qu’une très large partie des anciens habitants de la Magione ait été exclue du tissu résidentiel par les opérations de renouvellement urbain et les investissements spéculatifs, nombreux sont ceux qui retournent régulièrement dans le quartier. Alors que les « continuités populaires » (Giroud, 2007) sont dans d’autres contextes surtout le fait des hommes, et sont liées à des activités commerciales (Giroud, 2007; Bacqué, 2006; Clerval, 2011), les femmes sont ici très présentes dans l’espace public, et la poursuite des sociabilités locales semble en être la raison principale. Ainsi, d’anciennes habitantes qui ne résident plus dans le quartier s’y retrouvent quotidiennement pour discuter et faire jouer ensemble leurs enfants respectifs. Les groupes de femmes sont relativement fermés à l’autre genre : des hommes passent, saluent, discutent un instant, s’assoient éventuellement sur leur scooter si la conversation s’attarde, mais ne s’installent pas au sein du groupe, avec lequel ils maintiennent toujours une certaine distance physique. Ces mères de famille se retrouvent plutôt l’après-midi, soit dans les rues adjacentes où elles s’assoient sur des chaises en rez-de-chaussée du domicile de l’une d’entre elles qui y réside encore, soit directement sur la place, et dans tous les cas aux mêmes endroits que lorsqu’elles résidaient dans le quartier.

On s’asseyait déjà ici à l’époque, il n’y avait rien, seulement de la terre, de la poussière et des poubelles, mais ça me plaisait, on se connaissait tous ! […] J’habite à Ballarò[10] avec mon mari mais je ne me sens pas bien là-bas, je ne connais personne et je n’ai confiance en personne, alors je viens ici tous les jours.

Ancienne habitante de la Magione, 22 ans, femme au foyer. Entretien réalisé le 9 septembre 2014

L’intensité de ces sociabilités est à rapprocher des logiques de peuplement du quartier. De nombreux liens de parenté existent entre les anciens habitants de la Magione qui, pour beaucoup, appartiennent à des familles installées à proximité de cette place depuis plusieurs générations. Dans un contexte palermitain marqué par une économie sinistrée et un taux de chômage approchant à la fin des années 2000 les 25 % de la population active [et atteignant 60 % chez les jeunes (Maccaglia, 2009)], ces liens familiaux étroits représentent une sécurité autant affective que sociale et matérielle. Nos observations répétées de la place indiquent que les anciens habitants accordent une place privilégiée à l’espace collectif, pensé comme extension de l’espace privé du logement (De Certeau, 1994 : 21), dont les fonctions sont le plus souvent réduites à l’essentiel. Cette articulation particulière entre un « dedans » et un « dehors » s’explique autant par l’exiguïté des logements que par des dynamiques sociales (chômage, situations familiales conflictuelles…) impliquant une perception de l’espace de la rue comme espace ordinaire et quotidien de vie et de socialisation (Sauvadet, 2006 : 92). La distance au quartier maintenue par les nouveaux habitants est dès lors perçue comme déplacée, témoignant d’une non-appartenance à ce territoire, voire d’une appropriation abusive.

Les nouveaux habitants, je ne les connais pas parce que sincèrement ce sont eux qui ne se font pas connaître. Moi poliment parfois je leur dis « bonjour », « bonsoir », mais ils sont distraits, je sais pas, pris par le travail, pris par leurs obligations, mais un salut ça ne fait pas de mal [ton ironique] dans le sens où ça ne te prend pas tant de temps que ça, tu pourrais au moins saluer. […] Ils s’occupent plutôt de leurs affaires, ils n’y habitent pas, ils prennent leur voiture et ils rentrent le soir. Ce sont des personnes qui sont venues vivre dans un quartier qui peut-être ne leur appartient pas.

Ancienne habitante de la Magione, 21 ans, sans emploi. Entretien réalisé le 21 mai 2014

Le « nouvel habitant » décrit par cette habitante s’apparente au « citadin blasé » de la sociologie simelienne, caractérisé par l’intellectualité, l’imperson- nalité des échanges, voire une « réserve sourdement hostile à l’égard de son voisin » (Agard, 2002). Cette « mentalité métropolitaine » (Simmel, 1903 : 69) s’opposerait aux valeurs de cohésion sociale étroite et de solidarité quotidienne exprimées par les anciens habitants, qui soulignent le caractère illégitime de cette population, indifférente au sort des autres.

Les personnes qu’il y avait avant, c’était des gens pauvres, mais ils vivaient ici, on discutait, on s’aidait les uns les autres, on se racontait les choses qui allaient, celles qui n’allaient pas […] C’était des gens qui m’avaient vue grandir, qui comprenaient mes exigences, nos exigences, […] qui te demandaient si tu avais de quoi manger pour ce soir, comment allait ton fils, pourquoi tu avais été hospitalisée. Ce sont des petites choses mais qui ensuite te manquent. Les nouveaux, disons que ce sont des personnes qui mangent et qui ne comprennent pas que d’autres ne mangent pas. Il n’y a aucune confidence, aucun dialogue.

Ancienne habitante de la Magione, 52 ans, femme au foyer. Entretien réalisé le 29 juillet 2014

S’il y a sans doute une part d’idéalisation dans ces descriptions du quartier d’« avant », cette perception est partagée par tous les anciens habitants enquêtés, qui évoquent une solidarité perdue, doublée d’une familiarité que traduit et manifeste l’usage d’une langue commune, le Sicilien, peu ou mal parlée par les nouveaux résidents.

Ces nouveaux habitants ont, pour leur part, un rapport très différent à l’espace local. Signalons d’abord qu’ils font preuve d’une grande mobilité, tant au niveau international que dans la ville. Tous ceux que nous avons rencontrés ont étudié en dehors de Palerme (en Italie ou à l’étranger), ont un réseau professionnel et personnel très large, et parlent au moins une langue étrangère. Cette mobilité élargie va de pair avec une faible fréquentation des rues du quartier. Une vie professionnelle dense et l’usage de moyens de transport motorisés limitant la déambulation dans l’espace local figurent parmi les facteurs explicatifs de ce faible investissement. En outre, le quartier comporte peu de commerces correspondant aux habitudes sociales, vestimentaires et alimentaires de la petite bourgeoisie palermitaine. Les équipements publics du type crèche ou poste sont inexistants dans le secteur, et les nouveaux résidents ne scolarisent que rarement leurs enfants à l’école du quartier. Enfin, et surtout, ils évoquent la gêne occasionnée par les usages intensifs de l’espace public par les anciens habitants.

Dans notre rue, il y avait des personnes un peu bizarres. Chaque matin, quand on partait au travail, il y avait toujours ces deux dames assises qui nous regardaient sans cesse ! Tu sais, elles mettent des chaises dehors, dans la rue, et elles regardent les gens. Elles te regardent tout le temps, elles savent quand tu rentres, quand tu sors...

Nouvelle habitante de la Magione ayant déménagé après un an de résidence dans le quartier, 28 ans, doctorante en ingénierie urbaine. Entretien réalisé le 25 septembre 2014

Dans mon immeuble il y a une famille […] qui a un peu ce style de vie typique du quartier […] Ils hurlent toute la journée, ils chantent, ils invitent des gens tout le temps, il y a les enfants qui jouent […] Elle habite au rez-de-chaussée, la porte de l’immeuble est toujours ouverte, et elle a commencé à monopoliser ce qui était en réalité l’espace collectif. Elle met une table basse, un parasol, des chaises, le chien est accroché au mur ou en liberté. […] Il y a des va-et-vient incessants de tous les habitants de la rue, parce qu’ils se connaissent tous. Le matin, ils prennent le café ensemble, ils ont ce genre d’habitude de village, c’est comme dans un village.

Nouvel habitant de la Magione, étudiant en architecture, 29 ans. Entretien réalisé le 20 mai 2014

Au caractère illégitime de la présence des nouveaux habitants, distants et indifférents, s’oppose ici celle des anciens, envahissants, bruyants et peu respectueux de la tranquillité d’autrui[11]. La continuité des présences populaires observées dans l’espace collectif du quartier fait perdurer des dynamiques relationnelles assimilées de manière récurrente par les nouveaux habitants à celles ayant cours dans un « village ». Celles-ci se caractériseraient par le manque d’anonymat, le maintien de rapports de genre traditionnels et l’existence d’un contrôle social informel, notamment à travers la présence de « personnages publics » (Jacobs, 1961) intrusifs[12].

En freinant le développement d’une « néo-convivialité » — pourtant associée de façon récurrente au « quartier-village » par les nouveaux habitants de territoires centraux en renouvellement urbain (Lehman-Frisch et Capron, 2007) — ces dynamiques incitent les nouveaux résidents à des pratiques d’évitement, voire à des retranchements dans l’espace privé du logement. Ces conflits de coprésence, et les conceptions divergentes de ce qu’est (et doit être) un espace collectif, se cristallisent à la Magione autour de deux enjeux saillants, relatifs aux activités qui se déploient sur la place au cours de la nuit d’une part, aux activités commerciales informelles d’autre part.

Économie informelle et activités nocturnes : tensions et controverses

Pour les anciens habitants, les ressources de l’espace collectif du quartier sont sociales, mais aussi économiques. Dans un contexte local précédemment décrit de fort chômage et de pénurie de travail légal, l’économie informelle — c’est-à-dire prenant des libertés avec les lois et les règlements de l’État en tant qu’acteur économique (Peraldi, Duport, Samson, 2015) — constitue un secteur d’activité essentiel[13].

Sur la place de la Magione, c’est surtout aux beaux jours et la nuit que fonctionne le commerce informel. Les pelouses de la place se couvrent alors de chaises et de tables en plastique à partir de la fin d’après-midi. Des ape — les véhicules triporteurs très utilisés dans le sud de l’Italie — chargées de dizaines de chaises en plastique empilées les unes sur les autres, dont l’équilibre précaire est assuré par de jeunes hommes du quartier, slaloment dans les ruelles attenantes à la place pour monter les bancarelle, les stands. Le matériel, le pain, la viande et les bières sont le plus souvent achetés à crédit et remboursés dans les jours suivants grâce à l’argent de la vente.

Photo 5

Une ape chargée de chaises dans une ruelle à proximité de la piazza Magione

Une ape chargée de chaises dans une ruelle à proximité de la piazza Magione
Photographie d’Emma Grosbois reproduite avec la permission de l’auteure

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Photo 6

Un bar informel situé sur la piazza Magione en début de soirée

Un bar informel situé sur la piazza Magione en début de soirée
Photographie d’Emma Grosbois reproduite avec la permission de l’auteure

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L’été, les jeunes filles et les femmes rejoignent vers 20h les maris, les frères et les cousins dans leurs bancarelle respectives, où elles aident à confectionner les sandwichs et à vendre les boissons, tandis que les hommes grillent la viande. Elles rentrent plus tôt au domicile que ces derniers, souvent vers 1h ou 2h du matin. Mais la soirée se poursuit jusqu’au petit matin : les prix bon marché, les grandes pelouses, la musique diffusée par des enceintes disposées à différents endroits de la place, ainsi que les nombreux bars « légaux » ouverts tout au long de l’année et situés autour de la place, attirent beaucoup de jeunes Palermitains[14].

Si la Magione est ainsi un espace de centralité nocturne et un lieu d’agrégation d’une partie de la jeunesse palermitaine, les nouveaux résidents du quartier ne participent pas aux festivités de la nuit, vécues comme sources de « nuisances ». La rhétorique du « retour à la norme » et au calme est mobilisée pour plaider en faveur de l’interdiction des festivités nocturnes auprès des autorités locales. Outre la gêne occasionnée au quotidien, l’enjeu est aussi économique : cet usage festif de la place contribuerait à la dépréciation de la valeur immobilière des appartements situés sur la place[15].

De manière récurrente est également pointée l’incivilité des anciens habitants, autre registre discursif justifiant des demandes d’intervention publique. Cette incivilité est associée à des pratiques jugées « irrespectueuses » vis-à-vis des règles collectives, au premier titre desquelles le commerce informel de biens ou de services[16] :

L’interdiction des vendeurs informels sur la place n’est pas contre la vie nocturne, c’est contre l’absence de règles ! Parce que si tu as un bar, tu dois payer l’occupation des droits de voiries, les taxes, le personnel […] Et tu vois le camion abusif qui met des chaises en plastique et qui salit, c’est totalement injuste […] Et selon moi il n’y a même pas à être contre ou en faveur, c’est une chose illégale et comme telle, il n’y a aucune considération morale qui entre en compte.

Nouvelle habitante de la Magione, 40 ans, travaille dans l’immobilier. Entretien réalisé le 29 septembre 2014

Quant aux anciens habitants, ils perçoivent positivement cette présence d’une partie de la jeunesse palermitaine pendant les mois estivaux. Il ressort des entretiens que les diverses nuisances sont un moindre mal face à la ressource à la fois économique et sociale que génère la présence de ces jeunes. C’est également à travers la condition commune de ce travail à la dimension saisonnière et aux règles tacites que se construit la perception d’un « nous » homogène :

Bien sûr, il y a du bruit et parfois ça nous dérange, mais ça nous fait travailler, ça nous permet de mettre un peu d’argent de côté pour l’hiver. […] C’est un point de repère, nous nous connaissons tous avec les personnes qui ont des stands. Et les jeunes qui viennent ici ont tous un excellent rapport avec ceux qui y travaillent, ils nous saluent de façon familière, parce que ce sont des jeunes qui nous connaissent depuis des années, qui nous respectent. […] Et on arrête lorsque l’école reprend à la rentrée, ça redevient calme.

Ancienne habitante de la Magione, 56 ans, femme au foyer. Entretien réalisé le 11 septembre 2014

Dans un contexte palermitain où la « lutte contre la mafia » est un motif politique consensuel, la municipalité associe volontiers informalité, incivilité et groupes mafieux lors de ses allocutions à propos de la Magione[17]. Loin de considérer que les enjeux et les conflits dont la place fait l’objet relèvent d’une « lutte des places » pour l’occupation matérielle et symbolique de l’espace, les autorités locales prennent de facto fait et cause pour les nouveaux habitants en condamnant le caractère « abusif » des activités informelles, terme qui souligne dans un même mouvement le caractère juridiquement condamnable et moralement répréhensible de ces pratiques[18]. L’appartenance à une citadinité et à une identité urbaine locales se reconnaît alors à travers le partage de « bonnes pratiques » liées au respect du « bien commun » patrimonial, et au paiement des taxes et des impôts. Les habitants récemment arrivés relaient cette articulation entre légitimité et légalité, le respect de la « règle » devenant comme on l’a vu principe de justice sociale.

Quel avenir pour le quartier de la Magione ?

Impulsée depuis une quinzaine d’années, la gentrification de la Magione ne semble avoir que modérément affecté les usages ordinaires de l’espace public du quartier, en dépit de l’éviction massive des anciens habitants. Les continuités populaires contribuent à modeler pour une large part le rythme, l’ambiance et le fonctionnement social des lieux. Les nouveaux habitants perçoivent ces continuités comme une entrave à l’accumulation de différents indices de connaissance et de reconnaissance locales.

Si l’on suit la distinction entre « résider » et « habiter » établie par Matthieu Giroud[19], on peut dire que les nouveaux arrivants sont désormais majoritaires dans l’espace résidentiel du quartier et donc dans le résider, tandis que les anciens dominent l’espace collectif local, c’est-à-dire l’habiter. Ces tensions entre habiter et résider se construisent à travers un subtil jeu de complémentarités : comme dans d’autres contextes, les présences et la visibilité des uns sont permises par les absences et l’invisibilité des autres (Giroud, 2007 : 318).

Quels sont alors les facteurs expliquant cette inégalité des « empreintes » et la persistance de ces continuités populaires ? Autrement dit, quels sont les éléments de contexte nous permettant d’identifier les paramètres ayant permis de freiner le processus de gentrification ? Si les travaux d’Anne Clerval ont clairement démontré que les quartiers « immigrés » ont été moins rapidement touchés que les autres par les processus de gentrification à Paris, ce paramètre ne peut être pris en compte dans le cas de la Magione, où les immigrés sont peu présents. En revanche, tout laisse à penser que la persistance d’un usage populaire des rues y contribue, à l’instar de ce que décrit l’auteure pour Château-Rouge et le bas-Belleville (Clerval, 2011). L’évitement, qui caractérise pour une large part les pratiques urbaines des nouveaux habitants, témoigne de l’absence de passage d’une gentrification résidentielle à une gentrification de rue (Patch, 2008).

À la Magione, le difficile ancrage du pouvoir étatique et de ses institutions locales, à replacer dans un contexte sicilien plus large de défiance vis-à-vis de l’État, et la prégnance d’économies informelles ou illégales, sont également à prendre en compte. Ils expliquent en grande partie le développement d’un système de subsistance se construisant dans les marges du pouvoir, qu’il soit étatique ou municipal, les deux étant étroitement associés dans l’esprit des habitants. C’est sans doute également à travers ce prisme qu’on peut saisir la faculté des anciens habitants de la Magione à détourner ou subvertir les règles de la légalité et de la civilité telles qu’elles sont édictées par les nouveaux habitants.

En outre, si la gentrification du centro storico a fait l’objet d’un indéniable volontarisme municipal, celui-ci s’est focalisé sur le seul tissu résidentiel. La municipalité est jusqu’à présent très peu intervenue dans le fonctionnement de la trame urbaine, dans l’organisation des transports, dans l’équipement des espaces publics, dans l’offre de services et l’offre commerciale, toutes choses dont on connaît l’importance cruciale pour à la fois générer et stabiliser un processus de gentrification. La réversibilité et la fragilité des politiques urbaines palermitaines, qui se caractérisent par une politique clientéliste et électoraliste (Orlando, 2011), une gestion publique épisodique (Maccaglia, 2009), une superposition de la « ville légale » et de la « ville parallèle » (ibid.), et une forme d’impuissance à réguler les usages de l’espace urbain, sont donc des éléments tout à fait centraux dans le caractère inabouti de la gentrification du quartier de la Magione.

Mais la faiblesse historique de l’interventionnisme public dans les espaces collectifs de la ville appartient peut-être au passé. Tout laisse à penser en effet que la municipalité est de plus en plus sensible aux interpellations des nouveaux habitants qui, a contrario des anciens, savent parfaitement faire jouer ressources et réseaux pour être entendus par les instances locales. Depuis l’été 2014, un arrêté municipal interdit la présence nocturne des vendeurs informels à la Magione, tandis que la piétonnisation de la place a récemment été décidée par la municipalité : deux indices forts d’une volonté des pouvoirs publics locaux d’impulser cette gentrification de rue en modifiant les usages et les ambiances des espaces publics.

Ces mesures s’inscrivent dans une politique municipale centrée sur les espaces publics du centro storico instaurée depuis le retour à la mairie en 2012 de Leoluca Orlando, l’initiateur de la politique palermitaine de renouvellement urbain. Elle prend appui sur le constat d’un risque de désertion des nouveaux habitants, lassés du fonctionnement urbain « désordonné », de la vie nocturne incontrôlée et du manque d’équipements (parkings, écoles...) de la ville-centre. Au cours de l’enquête, de nombreux habitants récemment arrivés dans le quartier de la Magione nous ont effectivement fait part de leur projet de le quitter. L’impossibilité pour les nouveaux résidents d’imprimer durablement leurs marques dans l’espace public conduit en outre à une dévalorisation progressive des biens immobiliers, plus difficiles à revendre actuellement qu’ils ne l’étaient il y a quelques années. Ce processus amorce peut-être un cycle de régression des valeurs immobilières, compromettant la réalisation d’investissements fructueux, dont on sait qu’ils jouent un rôle crucial dans le processus de gentrification (Smith, 1987).

Le jeu paraît donc ici ouvert. Si les anciens habitants, en « s’accrochant » à leurs usages populaires de la ville en dépit des interdictions et des transformations à l’oeuvre, continuent à « donner le ton » (Chamboredon, Lemaire, 1970), il est alors envisageable que les nouveaux venus quittent effectivement le quartier, voire que d’anciens habitants puissent, peut-être, y résider à nouveau. Cette dynamique, que l’on pourrait (imparfaitement) qualifier de nouvelle précarisation serait, à notre connaissance, quasi- inédite. Un tel scénario n’a certes rien d’évident. Mais le contexte palermitain a assurément démontré la « compétence » des récepteurs des transformations urbaines (habitants et usagers des espaces publics) à infléchir (au moins partiellement) le cours des choses à travers un refus de se couler strictement dans les propositions faites par la puissance publique (Deboulet, Berry-Chikhaoui et Roulleau-Berger, 2007). La poursuite de l’enquête à la Magione sur une temporalité longue[20] nous permettra de tester cette hypothèse de nouvelle précarisation et de suivre l’évolution du peuplement comme des usages ordinaires du quartier. Il s’agira alors d’approfondir l’analyse de cette capacité à « résister en habitant » (Giroud, 2007) des classes populaires qui parviennent dans certains contextes (et peut-être sur une temporalité limitée) à contrarier les logiques de « reconquête » urbaine, à la fois par leur présence et par la continuité de leurs pratiques.