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Depuis les années 1980, l’historiographie canadienne s’est penchée sur le discours antisémite des nationalistes canadiens-français de l’entre-deux-guerres[1]. D’autres historiens ont élargi le cadre de l’étude sur l’antisémitisme à l’échelle canadienne en s’attardant aux écrits antisémites d’Adrien Arcand[2]. Mais qu’en est-il du rayonnement international de celui qu’on a nommé, souvent par dérision, le « Führer canadien » ? L’analyse de la correspondance d’Adrien Arcand, qui se trouve à Bibliothèque et Archives Canada, démontre que son influence s’étendait bien au-delà des frontières canadiennes et qu’il a joué un rôle de premier plan dans la diffusion de la littérature antisémite à l’échelle de la planète pendant quatre décennies (de 1930 à 1970).

Syndicaliste et journaliste

Né à Montréal en 1899, Adrien Arcand est le fils de Narcisse Arcand, charpentier et syndicaliste, originaire de Saint-Joseph-de-Deschambault dans le comté de Portneuf, et de Marie-Anne Mathieu, directrice d’école, organiste et maîtresse de chapelle, originaire de Sainte-Marie-de-Beauce. Rien ne le prédestinait à devenir un antisémite notoire. Il aurait pu suivre les traces de son père, qui fut un ardent militant de gauche, ayant participé à la fondation du Parti ouvrier qui a vu le jour à Montréal en 1899. Mais le jeune Arcand emprunta plutôt la direction opposée en devenant un extrémiste de droite, admirateur des fascismes européens et farouche antisémite. Après des études au collège de Saint-Jean, au collège de Montréal, au collège Sainte-Marie puis à l’Université McGill, le jeune Arcand fait carrière dans le journalisme. En 1920, il fait ses débuts à La Patrie et au Star avant d’aboutir à La Presse, où il travaille comme critique littéraire. Congédié du quotidien en 1929 à cause de ses activités syndicales, Arcand bascule rapidement dans le fascisme, l’anticommunisme et l’antisémitisme. Dans ses hebdomadaires Le Goglu, Le Miroir, Le Chameau, Le Patriote, Le Fasciste canadien et Le Combat national, qu’il publie avec l’imprimeur Joseph Ménard de 1929 à 1939, Arcand dénonce les gouvernements libéraux – à Québec comme à Ottawa – qu’il associe aux « Rouges » de Moscou, répudie les communistes et pourfend les Juifs.

Les écoles juives

Sa croisade antisémite débute en 1929 lorsque, le 22 mars 1929, le secrétaire de la province de Québec, Athanase David, sous le gouvernement libéral de Louis-Alexandre Taschereau, dépose à l’Assemblée législative à Québec le projet de loi 208, la Loi concernant l’éducation des enfants non catholiques romains et non protestants de la cité de Montréal et de ses environs, qui vise à créer une commission scolaire juive regroupant les écoles privées juives existantes. Cette mesure ne tarde pas à susciter un vif mouvement de protestation à Montréal, mouvement qui vient particulièrement de l’archevêché de Montréal. En mars 1930, l’archevêque coadjuteur, Mgr George Gauthier, prononce un discours à l’oratoire Saint-Joseph à Montréal pour dénoncer publiquement cette décision du gouvernement du Québec d’accorder à la population juive une commission scolaire séparée. Mgr Gauthier fait alors lecture d’une lettre qu’il a adressée à Athanase David quelques jours plus tôt, soit le 15 mars 1930. Au-delà de sa protestation, Mgr Gauthier met en garde le ministre contre les dangers qu’une telle mesure peut représenter :

Je ne puis vous cacher, par ailleurs, que pareille intervention est grosse de dangers. Elle soulève des appréhensions qu’il sera difficile de calmer. Est-il vraiment impossible de faire justice aux minorités sans aller jusqu’aux concessions extrêmes indiquées dans le projet de loi ? L’on prétend régler une difficulté : on va créer un problème autrement inquiétant[3].

Mgr Gauthier invite plutôt le premier ministre à se préoccuper du sort de la majorité catholique de la province :

Ne pensez-vous pas, Monsieur le ministre, qu’après avoir ménagé toutes les susceptibilités des protestants, entouré les Juifs d’une sympathie absolument injustifiée, il serait bon que l’on tînt compte de la majorité catholique de cette province, et que l’on ne posât pas à la légère le premier acte qui va bouleverser un système éducationnel qui est pour nous une sauvegarde et une sécurité[4] ?

La missive de Mgr Gauthier fait des vagues. Le 21 mars 1930, le premier ministre Louis-Alexandre Taschereau rencontre le coadjuteur de l’archevêché de Montréal afin de dissiper les craintes soulevées dans les plus hautes sphères du clergé québécois. Israël Medresh, membre de la communauté juive montréalaise et journaliste au Keneder Odler[5] dans l’entre-deux-guerres, attribue le succès des journaux d’Arcand du début des années 1930 à la controverse provoquée par la loi David : « La bataille contre Taschereau autour de cette question des écoles fut très vive dans certains milieux canadiens-français. Grâce à cet enjeu, le petit journal d’Arcand devint mieux connu et s’attira plusieurs lecteurs[6] ».

Dès mars 1930, l’hebdomadaire Le Goglu, dirigé par Arcand, se lance dans le débat des écoles juives en publiant une série d’articles pour dénoncer le projet de loi du gouvernement Taschereau. Le 28 mars 1930, Arcand, sous le nom de plume Émile Goglu, signe un éditorial dans lequel il s’indigne de la façon dont le premier ministre Taschereau traite la question des écoles juives :

Le neveu du feu cardinal érige les écoles juives en commission officielle. Il en fait une affaire d’État, une question nationale. Il élève les Juifs au niveau de la majorité chrétienne et leur donne des statuts scolaires qui comportent de plus amples pouvoirs que les nôtres. Il reconnaît par le fait l’élément juif en tant que Juif, comme partie composante officielle de la population, comme nation distincte, aussi importante que la nationalité anglaise ou française de cette province[7].

Le 11 avril 1930, Le Goglu titre en manchette : « Québec livrée aux Juifs[8] ». Arcand écrit :

Ce qui rend la trahison plus écoeurante, la clique Taschereau-David a non seulement aboli la double taxe que devraient payer les Juifs, mais elle a arrangé la loi pour que si les Juifs ne paient pas une répartition suffisante, les écoles juives soient financées par l’argent des catholiques et des protestants.

Le texte est publié aux côtés d’une caricature méprisante des députés Joseph Cohen et Peter Bercovitch et du premier ministre Taschereau, accompagnée d’un texte dénonçant le projet de loi sur la question scolaire. Arcand écrit que les « deux seuls députés juifs, Bercovitch et Cohen, ont obtenu en un tour de main ce que nos pères ont mis des siècles de combats pour nous gagner ».

La campagne d’Achat chez nous

L’affaire des écoles juives survient au même moment où des ténors nationalistes lancent la campagne Achat chez nous, qui vise à encourager les commerçants canadiens-français dans le contexte de la crise économique qui sévit à Montréal. Les commerçants juifs et canadiens-français se livrent alors une forte concurrence à Montréal, en particulier dans le commerce de détail. En 1931, près de 60 000 Juifs vivent au Québec, en majorité à Montréal. Ils sont prolétaires, marchands ou membres de professions libérales, emplois traditionnellement occupés par les Canadiens français. La campagne Achat chez nous est vite récupérée par Adrien Arcand, qui mène un mouvement de boycottage dirigé contre les commerçants juifs à Montréal et ailleurs au Québec. Dans l’édition du 25 octobre 1929, Le Goglu lance un appel pour sauver le commerce d’épicerie :

Goglus, Gogluses, après bien d’autres industries et commerces canadiens, les étrangers achèvent d’en ruiner un autre : le commerce de l’épicerie. Nos compatriotes anglais nous avaient laissés maîtres de l’épicerie en gros et en détail à Montréal. Ils n’auraient jamais voulu toucher à ce domaine, qu’ils considéraient [comme] le nôtre […] Réagissons, Goglus, soyons Canadiens. Relevons le petit épicier qui expirera bientôt si on ne lui vient pas en aide[9] !

Le 22 mai 1932, le journal Le Miroir publie une lettre invitant les femmes à ne plus acheter de nourriture de commerçants juifs. Dans l’édition du 24 juillet 1932 du journal Le Miroir, Arcand mène une charge contre les commerçants juifs. « Pas un sou aux pouilleux ! », peut-on lire en manchette de ce journal du dimanche qui était vendu au coût de cinq sous. Dans ce numéro, Arcand accuse les Juifs d’avoir volé les commerces des Canadiens français :

Dans notre province, en moins de trente ans, le Juif a su, par sa malhonnêteté et non par son habileté, s’emparer de nos commerces, de nos industries et bousculer les nôtres dans leurs propres régions. Il a introduit dans nos moeurs économiques le vol sur la pesée, la qualité, sur la mesure, contre les douanes, l’accise, etc.[10]

Dans Le Goglu du 30 décembre 1932, Arcand traite les Juifs de voleurs. Il précise qu’à Montréal, ce ne sont pas les Anglais qui ont envahi les Canadiens français, ce sont les Juifs :

La part que l’Anglais nous a laissée, nous n’avons pas su la conserver. Nous avons laissé le Juif pénétrer dans l’Est [de Montréal], nous voler nos commerces, nos épiceries, nos boucheries, nos magasins de vêtements, de meubles, de merceries, de chapeaux. Ce n’est pas l’Anglais qui a envahi l’Est, c’est le Juif, et nous l’avons laissé faire.

On retrouve ces mêmes accusations gratuites et sans fondement dans l’hebdomadaire Le Patriote, publié de 1933 à 1936. « Les Juifs se sont emparés de notre commerce par le vol », lit-on dans Le Patriote du 10 mai 1934.

Les crimes rituels

L’antisémitisme de plume d’Arcand ne se limite pas à une campagne de boycottage contre les commerçants juifs. Arcand exploite aussi les vieux mythes des crimes rituels que l’on a attribués aux Juifs. Dans Le Miroir du 3 juillet 1932, on peut lire en manchette : « Les juifs sont des assassins ». L’article raconte l’histoire de Simon, un enfant assassiné en 1472 à Trente, en Italie, par des Juifs qui l’auraient vidé de son sang pour le mêler à la pâte du pain azyme lors de la Pâque juive. Le Miroir dresse la liste d’une quinzaine de saints martyrs canonisés par l’Église catholique pour avoir été prétendument égorgés par des Juifs. Une caricature choquante accompagne le texte qui montre un Juif égorgeant un enfant. On retrouvait ces mêmes histoires de crimes rituels commis par des Juifs en France sous la plume d’Albert Monniot[11]. Écrivain et essayiste français, Monniot (1862-1938) était un disciple d’Édouard Drumont, écrivain et journaliste français qui a joué un rôle central dans l’affaire Dreyfus en France à la fin du xixe siècle[12]. Les crimes rituels juifs ont aussi été exploités par les nazis en Allemagne, notamment dans l’hebdomadaire Der Stürmer de Julius Streicher. En outre, Arcand reprend une idée répandue dans les cercles antisémites européens, entre autres par Der Stürmer, selon laquelle les Juifs seraient responsables de l’enlèvement et de l’assassinat du jeune enfant de l’aviateur Charles Lindberg.

Adrien Arcand s’inspire d’ailleurs de l’avènement au pouvoir d’Hitler en Allemagne pour fonder, à l’hiver 1934, le Parti national social-chrétien (PNSC). Ses membres, appelés les chemises bleues, portent l’uniforme militaire et arborent fièrement la croix gammée. Le PNSC plaide en faveur de l’unité nationale du Canada et de l’instauration d’un État corporatiste chrétien. En 1935, Adrien Arcand lance son journal, le Fasciste canadien, qui affiche l’écusson du parti, un swastika orné de feuilles d’érable et d’un castor, les deux symboles traditionnels du Canada. Le parti d’Arcand est financé par le Dr Paul-Émile Lalanne, qui lui verse 15 000 $ en 1929 pour publier ses journaux. Le riche médecin est un avorteur, un faiseur d’anges bien connu à Montréal. Le docteur Lalanne possède une île sur le lac Saint-François près de Salaberry-de-Valleyfield. Sa maison est tapissée de croix gammées. En 1935, le docteur prononce une conférence à Montréal lors d’une soirée organisée par l’assemblée Lafontaine, membre des Native Sons of Canada, sous le thème de Why We Should Oppose the Jew.

Il est difficile de cerner les origines de l’antisémitisme d’Adrien Arcand. L’historien Pierre Trépanier a soutenu qu’Arcand était un authentique chrétien et que c’est en partie à cause de sa religion qu’il est devenu antisémite : « Les efforts qu’il [en parlant d’Arcand] multiplie pour accorder sa foi et son antisémitisme sont d’un chrétien sincère, qui, en disciple fidèle des anciens ultramontains intransigeants, ne peut concevoir de politique qui se prétende affranchie de l’ordre religieux[13]. » Dans un recueil de dévotion à la prière et à la Sainte Vierge, intitulé Mon livre d’heures, qu’il publie en 1936, Adrien Arcand montre que son antisémitisme va bien au-delà de la doctrine de l’Église catholique en ce qui concerne les Juifs : « C’est venir en conflit avec le dogme catholique que d’affirmer, avec les Juifs, que Jésus et Marie étaient des Juifs[14] ». Arcand utilise une vue d’esprit, comme lui seul sait le faire, pour tenter d’établir que Marie ne peut être issue de la race juive : « Vous ne fûtes d’aucune race, pas plus de la juive que d’aucune autre, parce que votre sang n’était pas du sang juif, mais du sang de la quintessence humaine comme l’était celui de la première Ève, qui n’était d’aucune race ou nation, mais dont sont sorties toutes les races et nations[15] ».

Les Protocoles

Le fanatisme d’Adrien Arcand s’exprime clairement dans le rôle qu’il a joué dans la publication et la diffusion des Protocoles des Sages de Sion, le plus célèbre faux antisémite de l’histoire moderne. Le 26 août 1897 paraît en Russie, dans le journal Le Drapeau, un texte intitulé « Protocoles des Sages de Sion ». Le document se présente tel un compte rendu détaillé d’une vingtaine de réunions judéo-maçonniques secrètes tenues à Bâle, en 1897, au cours desquelles un « Sage de Sion » se serait adressé aux chefs du peuple juif pour leur exposer un plan de conquête du pouvoir mondial par les Juifs. Selon la thèse des antisémites, leur objectif consiste à devenir les maîtres du monde, après la destruction des monarchies et de la civilisation chrétienne. Pour mettre à exécution ce plan machiavélique, on aurait proposé d’utiliser la violence, la ruse, les guerres, les révolutions, la modernisation industrielle et le capitalisme. Une fois que le monde serait réduit en cendres, le pouvoir juif pourrait s’installer aux quatre coins du globe. En fait, les antisémites ont inventé de toutes pièces cette théorie du complot, qui a survécu à travers le dernier siècle jusqu’à nos jours. En réalité, le premier Congrès sioniste mondial, tenu à Bâle en Suisse, le 26 août 1897, sous l’impulsion de Theodor Herzl, visait d’abord et avant tout à jeter les bases du sionisme, c’est-à-dire l’installation en Palestine de fermiers, d’artisans et d’entrepreneurs juifs. À partir de 1897, le Congrès sioniste se réunit sur une base annuelle dans le but de favoriser la colonisation juive en Palestine et de trouver des fonds pour financer ces opérations. Mais ce n’est pas du tout l’interprétation qu’en font les antisémites dans les Protocoles des Sages de Sion.

L’historien Norman Cohn, qui, dans les années 1960, a consacré une étude très fouillée du mythe de la conspiration juive et des Protocoles des Sages de Sion, a décrit comment les Protocoles reflétaient la structure complexe de l’antisémitisme moderne, sous sa forme la plus virulente. Cohn explique leur succès par la représentation que l’on se faisait du Juif au début du xxe siècle comme le symbole des aspects les plus négatifs attribués à la modernité :

Le monde moderne vit se réaliser au xixe siècle l’émancipation des Juifs, d’abord en France, ensuite dans les autres pays de l’Europe occidentale et centrale. Partout, les Juifs accumulèrent les réussites dans les domaines où leur histoire leur permettait d’exceller : la banque, certaines branches du commerce, le journalisme[16].

Si, dans l’optique des antisémites, le Juif est l’incarnation de tous les maux du monde moderne, il apparaît que les fondements de cette forme d’antisémitisme la plus virulente remontent à la nuit des temps. Les Protocoles des Sages de Sion ont été écrits sur la base du vieux mythe de la conspiration mondiale des Juifs qui a persisté pendant plusieurs siècles et s’est répandu dans le monde entier. L’historien, philosophe et politologue français Pierre-André Taguieff retrouve dans les Protocoles des Sages de Sion le dualisme manichéen issu du vieil héritage judéo-chrétien. Taguieff a identifié les deux principaux thèmes exploités par les antisémites qui se sont inspirés des Protocoles : celui du meurtre rituel et celui de la conspiration mondiale. « D’où les deux grands stéréotypes antijuifs qui viennent de loin, disons de la démonologie médiévale, stéréotypes accusatoires folklorisés et indéfiniment recyclés dans la modernité, pivots de rumeurs elles-mêmes récurrentes : le Juif sanguinaire et le Juif conspirateur/dominateur[17]. » Pierre-André Taguieff perçoit dans cet antisémitisme viscéral une forme de déviance émotive :

La judéophobie se caractérise, voire se singularise, en tant que forme spécifique de xénophobie, par sa forte charge mythique, indissociable de ses sources théologico-religieuses. Cette dimension mythologique s’accompagne chez les individus qu’on peut considérer comme des antijuifs fanatiques, de tendances qu’il faut bien qualifier de psychopathologiques[18].

Norman Cohn a défendu pareille hypothèse en concluant que ce mythe du Juif conspirateur répondait à de profonds et tenaces besoins inconscients : « Il a toujours eu l’étonnante faculté de transformer certains individus en fanatiques aveugles, inaccessibles aux arguments rationnels et imperméables à l’évidence, et de semer le trouble et la confusion parmi un grand nombre de gens par ailleurs parfaitement raisonnables[19]. » Le psychiatre Theodore Isaac Rubin a poussé plus loin cette analyse. Il a démontré sur les bases de la psychiatrie moderne que l’antisémitisme peut être considéré comme une forme de maladie mentale[20]. Mais l’antisémitisme résiste à toute analyse rationnelle et scientifique. La croyance aveugle au mythe de la conspiration mondiale des Juifs est demeurée bien vivante dans l’esprit des antisémites, bien qu’il fût démontré dès les années 1920 que les Protocoles des Sages de Sion constituaient un faux fabriqué par un espion russe vivant à Paris au début du xxe siècle, à la demande expresse de la police secrète du tsar. Les Russes en firent un instrument de propagande visant à faire croire qu’un conseil de sages juifs, les Sages de Sion, avait orchestré un complot dans le but de dominer le monde.

Les Protocoles des Sages de Sion ont circulé en Europe et ailleurs dans le monde dans l’entre-deux-guerres par millions d’exemplaires. Les Protocoles des Sages de Sion obtiennent un large succès dans le monde anglo-saxon au début des années 1920. Tant en Angleterre qu’aux États-Unis, les Protocoles sont diffusés à grande échelle. C’est d’abord en Angleterre, en 1920, que paraît la première édition anglaise des Protocoles sous le titre de The Jewish Peril. Le 8 mai 1920, le Times de Londres consacre un article à ce livre. Si l’auteur de ce texte s’interroge sur l’authenticité des Protocoles, il lui accorde suffisamment de crédibilité pour en faire la promotion : « Si les Protocoles ont été écrits par les Sages de Sion, alors tout ce qui a été entrepris et fait contre les Juifs est justifié, nécessaire et urgent[21] » L’année suivante, le 18 août 1921, le Times reconnaît son erreur. Le journal publie la correspondance de son représentant à Constantinople, Philip Graves, qui révèle que les Protocoles sont en fait le plagiat d’un pamphlet dirigé contre Napoléon III et publié en 1865 par Maurice Joly sous le titre de Dialogue aux Enfers entre Montesquieu et Machiavel. L’historien Norman Cohn, qui a fait une analyse comparative des Protocoles et du livre de Maurice Joly, conclut que plus de 160 passages des Protocoles, totalisant deux cinquièmes du texte en son entier, sont fondés sur des passages de Joly[22]. Ce n’est qu’en 1992 qu’on a établi l’identité de l’auteur des Protocoles : Mathieu Golovinski, un faussaire qui aurait écrit ce document en 1907 pour le représentant politique du Tsar en France.

Malgré la mise au point du Times de Londres, les Protocoles des Sages de Sion se répandent comme une traînée de poudre en Europe et en Amérique. Aux États-Unis, les Protocoles font du bruit grâce à la campagne menée par Henry Ford. En octobre 1920, le Dearborn Independent, le journal du fabricant de voitures, publie une série d’articles inspirés des Protocoles. En novembre 1920, ces articles sont également publiés dans un volume intitulé Le Juif international : le principal problème mondial. Henry Ford assume les frais de la campagne de publicité de ce livre, dont le tirage atteint 500 000 exemplaires dans le pays de l’oncle Sam[23].

Dès le début des années 1920, les Protocoles se propagent jusqu’au Québec. Le document circule dans les cercles catholiques ultraconservateurs. En 1921, l’abbé J.-Antoine Huot l’évoque dans l’Action sociale[24]. Au début de la décennie 1930, la communauté juive montréalaise s’inquiète de la propagation du faux antisémite dans la Belle Province. À l’occasion du débat sur la loi pour faire cesser les propos diffamatoires dans les journaux, le député libéral de Saint-Louis, Peter Bercovitch, exprime ses inquiétudes et dénonce les Protocoles dans un discours prononcé le 16 février 1932 à l’Assemblée législative à Québec :

Les Protocoles de Sion, dont certains journaux de la province de Québec font état, sont reconnus par l’histoire comme un cruel et terrible mensonge inventé dans le but de diffamer la population juive entière. Dès 1925, le London Times publiait un exposé des protocoles et prouvait qu’ils étaient le produit de l’autocratie russe, et rien d’autre chose qu’une masse de sottises répandues par les agitateurs antisémites[25].

Lorsque le député Bercovitch parle de « certains journaux de la province de Québec », il fait immanquablement allusion aux journaux fascistes d’Adrien Arcand, dont le contenu éditorial s’inspire fortement des Protocoles des Sages de Sion. En juillet 1936, le journal Le Fasciste canadien, du Parti national social-chrétien d’Arcand, publie à la une un long article intitulé « L’authenticité des Protocoles » : « Les Protocoles des Sages de Sion (que chacun doit lire et relire) renferment le plan de la conquête du monde par les Juifs. Les youpins disent que c’est un faux inventé par les anti-juifs. Mais les Juifs eux-mêmes, en des milliers de circonstances, ont publié le contenu exact des “Protocoles”[26]. »

Il est incontestable qu’Adrien Arcand a été un acteur important dans la diffusion des Protocoles des Sages de Sion au Québec, au Canada et ailleurs dans le monde. Dans les années 1930, une traduction française de l’édition russe de Serge Nilus, préparée en 1912, circule déjà au Canada français. Le lecteur peut s’en procurer des exemplaires en adressant une demande au Comité anticommuniste de Montréal, case postale 2290, place d’Armes, Montréal. Or il s’avère que cette boîte postale est la même que celle utilisée par le Parti de l’Unité nationale du Canada d’Arcand à la même époque. La version des Protocoles publiée par Arcand comporte 16 pages[27]. Elle présente de courts textes répartis dans 24 chapitres qui abordent divers thèmes, dont la possession de l’or, la gestion des banques, la débauche, la terreur, le libéralisme, la maçonnerie, le contrôle de la presse ; tous des thèmes péjoratifs que les antisémites attribuent à la volonté de domination des Juifs[28]. Le document est vendu au prix de cinq sous. Dans une publicité apparaissant à la fin du document, le parti d’Arcand se vante d’offrir la brochure au meilleur prix sur le marché[29]. Arcand offre même des rabais pour des commandes de plusieurs exemplaires. Pour des quantités de 1 000 à 5 000 exemplaires des Protocoles, un rabais d’un demi-sou par unité est accordé et pour des quantités de plus de 5 000, on offre une réduction d’un sou l’unité. Dans l’édition du Fasciste canadien de février 1939, on retrouve une publicité au sujet des Protocoles des Sages de Sion. On peut y lire dans un encadré : « Lisez “Les Protocoles des Sages de Sion” (16 pages, grand format, 5 cents) qui vous donneront le plan de conquête du monde par les Juifs, plan qui s’exécute à la lettre, plan que les événements ont parfaitement prouvé depuis sa première publication en 1895[30] ».

La Clé du mystère

Adrien Arcand tente de prouver l’authenticité des théories avancées dans les Protocoles des Sages de Sion en publiant en 1937 un document hautement antisémite intitulé La Clé du mystère. Traduit en anglais sous le titre de Key to the Mystery, ce texte, en citant hors contexte des déclarations d’écrivains et de personnalités juives connues dans le monde, tente de démontrer que le peuple juif aurait orchestré un complot visant à dominer le monde. Dans une lettre datée du 14 septembre 1937 adressée au premier ministre canadien William Lyon Mackenzie King, le secrétaire général du Congrès juif canadien (CJC), H.-M. Caiserman, soutient qu’un million d’exemplaires de cette brochure, 500 000 en version originale et 500 000 en traduction anglaise, auraient été imprimés en 1937 à Montréal aux presses du journal L’Illustration nouvelle, où Arcand travaille comme journaliste tout en vaquant à ses occupations de chef du Parti national social-chrétien (PNSC)[31]. Le chiffre avancé par Caiserman peut paraître exagéré, mais l’ouvrage d’Arcand n’en exerce pas moins une certaine influence dans les milieux antisémites mondiaux.

Lorsqu’on parcourt l’historiographie qui traite du fascisme et de l’antisémitisme dans l’Europe de l’entre-deux-guerres, on découvre que La Clé du mystère a aussi circulé dans les milieux antisémites en Europe et aux États-Unis, et qu’Adrien Arcand a joué un rôle clé dans sa diffusion planétaire. Dans un ouvrage consacré à l’antisémitisme dans le monde, publié en 2004, Pierre-André Taguieff fait référence au rôle joué par Adrien Arcand dans la diffusion de La Clé du mystère :

L’un des textes dérivés des Protocoles qui eut le plus d’écho à la fin des années 1930 porte le titre hautement symbolique « La Clé du mystère ». Il s’agit d’une compilation antisémite qui est ordinairement attribuée à Adrien Arcand, chef d’un groupe fasciste canadien, le Parti national social-chrétien, connu aussi sous l’appellation de « chemises bleues ». Il fut largement diffusé en France en 1937, sans nom d’auteur, par les soins de l’Office de propagande nationale, dirigé par Henry Coston, lui-même éditeur des Protocoles à partir de 1934, année de sa rencontre avec les milieux nazis liés au Weltdienst[32].

Selon Pierre-André Taguieff, Henry Coston s’est aussi inspiré de La Clé du mystère pour produire un dossier de sa revue Le Siècle nouveau (no 1, octobre 1937), intitulé « La conspiration juive[33] ». Toujours en France, La Clé du mystère aurait été distribuée en 1937 lors de réunions publiques du Rassemblement antijuif de France, un groupe d’antisémites français formé avant la Seconde Guerre mondiale par Darquier de Pellepoix[34]. Cette information est confirmée dans une lettre échangée entre le comité exécutif du Congrès juif mondial à Paris et le secrétaire général du CJC à Montréal, le 5 octobre 1937. Celle-ci fait état des dommages causés par La Clé du mystère en France et des efforts consentis par les groupes de défense des Juifs pour en empêcher la distribution dans l’Hexagone : « Elle est distribuée par le Centre de propagande antijuive. Nous faisons tous nos efforts pour empêcher sa propagation aussi radicalement que cela a été fait en Suisse et nous vous tiendrons au courant des résultats obtenus[35]. » Pour ce faire, le Congrès juif mondial demande au CJC de lui fournir des exemplaires de La Clé du mystère : « Pour aboutir à quoi que ce soit en France et en Belgique, il nous faut disposer d’un certain nombre d’exemplaires, et comme il est malaisé de se les procurer, nous vous serions très reconnaissants de nous en envoyer d’urgence, en français aussi bien qu’en anglais », précise-t-on dans la lettre. Le même jour, le 5 octobre 1937, une demande semblable est formulée au CJC par le Centre israélite d’information situé à Amsterdam. Selon cette missive, une édition allemande de La Clé du mystère (Der Schlüssel des Geheimnisses) est citée dans un article d’un journal fasciste et antisémite autrichien de Klagenfurt, Alpenländer Rundschau, du 25 septembre 1937 : « Would you be so kind as to procure us a few copies of that pamphlet. Is this anti-Communist Women’s Union of any importance and has it had other pamphlets published ? In that case please send us these publications[36]. »

La Clé du mystère est en demande dans les milieux juifs à travers le monde. Cet intérêt pour la brochure antisémite d’Arcand a comme seul objectif d’étudier le discours antisémite pour mieux le combattre. Le 21 octobre 1937, le professeur de théologie juive du Hebrew Union College de Cincinnati, en Ohio, réclame à son tour des exemplaires de La Clé du mystère auprès du CJC : « Incidentally, I have had several requests for copies of the Key. If you can send me the “mezia” it will be highly appreciated[37]. » Une lettre du American Jewish Committee du 13 octobre 1937, adressée au CJC, fait état d’une édition de La Clé du mystère en langue allemande qui circule à Winnipeg : « Have you seen the Deutsche Zeitung, # 17, September 29 (Winnipeg, Canada) with the front page item Das Ende einer Propagandaluege re Key to the Mystery ? Besides this, the copy is nicely crammed with anti-Semitism[38]. » Pour sa part, le secrétaire général du CJC, H.-M. Caiserman, fait état d’un envoi de 150 exemplaires de La Clé du mystère qui aurait été intercepté par la douane américaine. Les brochures, qui avaient été expédiées par J.-G. Lambert, étaient adressées au colonel E. U. Sanctuary, un sympathisant nazi bien connu aux États-Unis :

We may add that an initial shipment of about 150 copies of the “Key to the Mystery” were denied entry into the United States by the American Customs Inspector at Route 9 boundary, about a week ago. The shipment was made by the above-mentioned Dr Lambert and was addressed to col. E. U. Sanctuary, a known Nazi leader in the United States[39].

L’intérêt suscité pour La Clé du mystère ne se limite pas à l’Europe et aux États-Unis. On en fait écho jusqu’en Afrique du Sud ! Dans une lettre du 3 juillet 1939, H.-M. Caiserman répond à une demande d’information d’un confrère du South African Jewish Board of Deputies à Johannesburg, G. Sharon, à propos des origines de La Clé du mystère. Il l’informe que ce document a été édité par le Parti national social-chrétien, son chef Adrien Arcand et l’ancien secrétaire du parti, le Dr J. G. Lambert[40]. Dans les années 1930, les autorités juives dans le monde font appel à des experts pour évaluer l’authenticité des déclarations juives reproduites dans La Clé du mystère. En 1939, par exemple, l’Alliance israélite universelle de Paris obtient l’opinion d’un professeur en études espagnoles de l’université de la Sorbonne, Maurice Bataillon, qui étudie une correspondance de 1489 entre le rabbin des Juifs d’Arles et un autre Juif à Constantinople portant sur la conspiration juive au Moyen Âge, citée en page quatre dans La Clé du mystère. L’expert arrive à la conclusion que cette lettre constitue un faux : « M. Bataillon, who is also one of the directors of the Institute of Spanish Studies at the University of Paris, demonstrates that these letters are the result of a forgery[41] », peut-on lire dans une note retrouvée aux archives du CJC à Montréal.

Les Protocoles des Sages de Sion et La Clé du mystère ont permis à Adrien Arcand de se tailler une place au sein des principales organisations fascistes et antisémites en Europe et aux États-Unis. Grâce à son rôle dans la publication et la diffusion de ces deux documents, Adrien Arcand est entré en contact soutenu avec les plus grands antisémites de ce monde. Toutefois, Arcand n’aurait certainement pu développer tout ce réseau de contacts sans la réalisation de son rêve en 1938 de rassembler tous les fascistes canadiens.

Le Parti de l’Unité nationale du Canada (PUNC)

En 1938, le Parti national social-chrétien (PNSC), la Canadian Union of Fascists[42] et le Canadian Nationalist Party[43] unissent leurs forces pour fonder le Parti de l’Unité nationale du Canada (PUNC). Adrien Arcand en devient le chef. Les membres du PUNC remplacent le traditionnel swastika par un flambeau, symbole de la culture occidentale chrétienne, entouré de feuilles d’érable et surmonté d’un castor. La décision d’Arcand d’abandonner le swastika n’est pas étrangère à la détérioration des relations entre le Vatican et le parti nazi. Le 14 mars 1937, le jour de la Passion du Christ, le pape Pie XI condamne le paganisme nazi dans l’encyclique Mit Brennender Sorge (« avec la plus grande inquiétude » en français). Dès lors, Adrien Arcand se dissocie publiquement d’Hitler, sans toutefois condamner l’antisémitisme du chef nazi. Dans un rapport publié le 17 février 1937, la GRC avance que le Parti national social-chrétien compte 6 000 membres au Canada, dont 5 000 au Québec[44]. Ce chiffre nous apparaît excessif compte tenu de la taille des foules aux rassemblements du parti d’Arcand, qui dépassent rarement 500 personnes à Montréal, et des difficultés financières incessantes éprouvées par Arcand dans les années 1930 pour financer l’impression de ses publications. En fait, il est difficile d’évaluer avec exactitude le nombre de membres du parti d’Arcand en 1938. Selon des informations recueillies auprès d’archivistes à la GRC, la police fédérale a détruit tous les documents du Parti de l’Unité nationale du Canada lors de saisies effectuées au quartier général du parti à Montréal en mai 1940.

La correspondance antisémite d’après-guerre

Arrêté en 1940 puis emprisonné durant toute la durée de la Seconde Guerre mondiale, Adrien Arcand recouvre la liberté en 1945. Il s’établit à Lanoraie, où il vit en compagnie de son épouse, Yvonne Giguère. Arcand entretient une correspondance avec les ténors de l’antisémitisme à travers le monde après la guerre de 1939-1945. Le 29 janvier 1952, A. F. X. Baron[45], le dirigeant du Nationalist Information Bureau, une organisation fasciste anglaise vouée à la publication et à la diffusion de littérature antisémite en Europe, écrit à Adrien Arcand pour lui demander de lui faire parvenir 150 exemplaires (ou plus si possible) de La Clé du mystère[46]. Dans les jours précédents, le 23 janvier 1952, A. F. X. Baron avait sollicité la collaboration d’Arcand pour qu’il écrive un article dans sa publication : « My Bureau would be glad to publish any article by you in its monthly bulletin which will go out to over 600 nationalist organisations throughout the world. An article by you would have a great effect[47]. » Le 2 février 1952, Peter J. Huxley-Blythe, le responsable de la distribution au Nationalist Information Bureau, s’adresse à son tour à Arcand pour lui commander 200 exemplaires de La Clé du mystère, et ce, pour satisfaire à la demande d’un client en Allemagne : « I’m anxious to obtain two hundred (200) copies of your excellent work, Key to the Mystery as soon as possible to fulfill an order I have received from Germany[48] ». Dans les jours qui suivent, le 5 février 1952, un acolyte du Nationalist Information Bureau, répondant au nom de Hilary Cotter, écrit à Arcand de Cork en Irlande pour lui commander à son tour des exemplaires du document qui semble tant convoité : « We have had a tremendous demand for your book THE KEY TO THE MYSTERY. Could you, therefore, send us at least 100 copies, but much more if possible, please ?[49] » Le 27 février suivant, Peter J. Huxley-Blythe répond à Arcand et lui confirme avoir reçu 300 exemplaires de la brochure Key to the Mystery[50]. Une autre organisation fasciste, la Westropa Press, qui dirige ses activités de distribution de matériel antisémite à partir de ses bureaux en Angleterre, s’intéresse à La Clé du mystère. Le 28 mars 1956, son directeur, Anthony Gannon, écrit à Arcand pour en obtenir des exemplaires[51].

La Clé du mystère est aussi très populaire chez nos voisins du Sud. En 1949, on en retrouve une édition anglaise (The Key to the Mystery) aux États-Unis. Le document est disponible par la poste en écrivant à Women’s Voice, Room 803, 537 S, Dearborn Street, Chicago, Illinois. Un document retrouvé aux archives du CJC dresse la liste des distributeurs de The Key to the Mystery aux États-Unis. On y apprend que la brochure d’Arcand a été distribuée en août 1949 lors d’un congrès de fascistes américains à St-Louis par la Christian Nationalist Crusade, une organisation dont le mandat consiste à préserver et à défendre les valeurs chrétiennes au pays de l’oncle Sam. Celle-ci était dirigée par nul autre que Gerald L. K. Smith, une figure de proue du fascisme d’après-guerre aux États-Unis. Gerald L. K. Smith est candidat à la présidence américaine sous la bannière de l’American First Party en 1944. Il recueille 1 781 voix. Après la guerre, il fonde la Christian Nationalist Crusade qui organise des rassemblements profascistes et anticommunistes aux États-Unis. Le mouvement, dont les bureaux sont situés à St-Louis dans le Missouri, publie un journal, The Cross and the Flag, qui s’en prend ouvertement aux Juifs. En 1967, cette publication d’extrême droite publie un article intitulé « Jewish Tyranny in Canada », dans lequel l’auteur, Raymond Maynard, vante les agissements d’Adrien Arcand et du Parti de l’Unité nationale du Canada[52]. À l’instar d’Arcand, Gerald L. K. Smith nie l’existence de l’Holocauste. Les deux hommes s’entendent à merveille. Smith échange des lettres avec Adrien Arcand. À la lecture de cette correspondance, on note que le fasciste canadien jouit d’une grande notoriété aux États-Unis. Le 5 février 1949, Gerald L. K. Smith invite Arcand à venir prononcer deux ou trois discours aux États-Unis, toutes dépenses payées. Les lettres ne disent pas si Arcand a répondu à l’invitation de son homologue américain.

Le 2 novembre 1961, un avocat américain du nom de Marvin Brooks Norfleet écrit à Arcand pour lui faire part de son intention d’écrire un livre sur les Juifs. Pour ce faire, il souhaite citer des extraits du Talmud qui ont été reproduits dans La Clé du mystère. Afin de s’assurer de l’authenticité de son contenu, il adresse une série de questions à Arcand, dont celle-ci : « Am I correct in understanding you were the author, or editor, of The Key to the Mystery[53] ? » Dans sa réponse du 7 novembre 1961, Adrien Arcand confirme être l’auteur de La Clé du mystère. Il admet aussi avoir utilisé les presses du journal L’Illustration nouvelle de la rue Marie-Anne à Montréal en 1937 pour publier ce pamphlet hautement antisémite qui a fait le tour de la planète : « 1. I have been the “author” (rather compiler) of the Key to the Mystery both in French and English ; 2. The Key was printed in Montreal in 1937 on the duplex presses of the daily morning paper “L’Illustration nouvelle”, Marie-Anne Street, Montreal, of which I was editor in chief and mandatory for 98 % of the shares (owned by Eugène Berthiaume, then living in Paris). In 1938-39, reissues were reprinted from the “mats” of the previous editions[54]. »

Le rayonnement de La Clé du mystère atteint même l’Amérique latine. Le 9 mars 1966, Arcand reçoit une lettre de Santiago, au Chili, d’un dénommé René Rodriguez, membre du Mouvement national socialiste du Chili. Rodriguez loue les vertus de La Clé du mystère et demande s’il serait possible de réimprimer la brochure pour en faire la distribution dans son pays :

Un de mes camarades possède La Clé du mystère, votre oeuvre. Un monument inestimable, point de vue propagande. Nous nous demandions qui trouver pour réimprimer ce fascicule, quitte à le faire passer pour un restant de la première impression au Canada. L’essentiel est de trouver un papier un peu jauni. Jauni naturellement ou artificiellement… et aussi, naturellement si on pouvait le faire traduire en espagnol[55].

René Rodriguez informe Arcand que son mouvement s’est permis de tirer un article ou deux de La Clé du mystère pour les faire imprimer dans son journal La Cruz Gamada (La croix gammée).

Le fonds Adrien Arcand à Bibliothèque et Archives Canada contient très peu de correspondances d’Adrien Arcand avec la France antisémite de l’après-guerre. On y retrouve notamment des lettres d’Henry Coston (1910-2001), journaliste, écrivain et éditeur antisémite français et disciple d’Édouard Drumont. Dans une lettre non datée, Coston demande à Arcand des renseignements sur des figures juives qui se trouvent au Canada, dans le but de l’aider dans la préparation de son livre sur l’Europe des banquiers :

Mon cher Adrien, Merci pour votre longue et intéressante lettre. Je vois que nous sommes toujours en parfaite communion d’idées. Pour le travail que je prépare sur l’Europe des banquiers, j’aurais besoin de quelques précisions. J’ai en effet une documentation sur les ramifications des Rothschild de Londres au Canada. Je voudrais, si c’est possible, obtenir des renseignements sur l’état-civil et l’activité des personnages dont les noms suivent : Joseph Smallwood, Claude K. Howse. Une petite note sur leur passé, les fonctions qu’ils ont occupées, en un mot une notice genre who’s who me serait bien utile[56].

Dans une autre lettre, Coston s’adresse à Arcand pour se plaindre d’un de ses proches qui n’a pas payé les exemplaires du livre Mein Kampf qu’il lui a fait parvenir. Dans ses journaux, Arcand fait la promotion de la librairie de Coston. Dans son édition de février 1953, le journal L’Unité nationale publie une liste d’ouvrages antisémites que le lecteur peut se procurer en écrivant à l’épouse de Coston, Mme G. Coston, gérante de la Librairie française à Paris. Au bas de la publicité, le journal d’Arcand n’a que de bons mots pour la librairie de Coston : « En raison de la personnalité de Mme G. Coston, femme de Henry Coston, ancien directeur de la Libre Parole, condamné aux travaux forcés à perpétuité pour son action contre la judéo-maçonnerie (gracié en 1951), on peut faire confiance à cette librairie[57] ».

Arcand a aussi correspondu avec Urbain Gohier (Urbain Degoulet de son vrai nom). Avocat, écrivain, pamphlétaire antisémite, Urbain Gohier (1862-1951) a écrit plusieurs ouvrages à caractère antisémite dont son journal La vieille France publié de 1916 à 1924. Il a été l’un des premiers éditeurs des Protocoles des Sages de Sion en France. Après avoir soutenu le gouvernement de Vichy pendant la Seconde Guerre mondiale, il a été condamné en 1944 et est mort dans l’oubli en 1951. Arcand est aussi en contact avec un journaliste et essayiste catholique français du nom de Léon de Poncins (1897-1976) qui descendait d’une famille noble. Le vicomte de Poncins est un fervent catholique qui s’est fait connaître surtout en dénonçant les prétendus complots de la franc-maçonnerie, de même que la présumée implication juive dans les affaires du Vatican, notamment lors du concile Vatican II qui a permis à l’Église de retirer aux Juifs toute responsabilité dans la mort du Christ. Déjà dans les années 1930, Léon de Poncins considère Arcand comme une sommité en matière de judaïsme. Le 27 avril 1933, de Poncins écrit au premier ministre du Canada, Richard Bennett, pour lui soumettre un questionnaire sur la question juive. Dans la lettre, qui porte l’en-tête de l’hebdomadaire français Pantagruel, Léon de Poncins écrit qu’il consultera également « monsieur Armand Lavergne, vice-président du Parlement[,] et monsieur Adrien Arcand, directeur du journal Le Miroir[,] qui nous semblent, après votre Excellence, les personnalités les plus qualifiées pour parler avec autorité sur cette importante question[58] ».

S’il a beaucoup d’affinités avec les antisémites français, c’est toutefois de l’autre côté de la Manche, en Angleterre, qu’Adrien Arcand entretient le plus de liens avec les ténors du fascisme et de l’antisémitisme de l’Europe de l’après-guerre. Le 15 décembre 1947, Gerard Hamilton, un proche de sir Oswald Mosley, chef fondateur de la British Union of Fascists, écrit à Arcand : « Je vous envoie ce mot pour vous dire combien j’admire votre courage et votre lutte. Je sais que mon opinion est partagée par mon ami, Sir Oswald Mosley, que je vois souvent[59] ». Dans une lettre du 9 janvier 1948, Gerard Hamilton réitère son amitié envers Arcand, pour qui Oswald Mosley a beaucoup d’estime :

Je vais vous rendre les deux pièces, que vous voulez retrouver, dès que je les aurai montrées à Sir Oswald Mosley. Celui-ci est parti pour son Château de Crowood dans le Wiltshire pour y passer les fêtes et il sera à Londres dans quelques jours. À Londres, je le vois presque tous les jours […] Naturellement, j’ai dit à Sir Oswald que je vous avais écrit et il était très heureux de le savoir[60].

Une lettre du 15 janvier 1948 laisse sous-entendre que sir Oswald Mosley lit les textes d’Arcand :

J’ai à vous dire que j’ai déjeuné hier chez Mosley et que j’ai pu lui causer longuement. Je lui ai montré toutes les pièces que vous avez eu l’obligeance de m’envoyer et il m’a demandé de pouvoir les apporter avec lui à la campagne, où il va demain jusqu’à lundi de la semaine prochaine. Je vous les rendrai donc ensuite. Sir Oswald m’a dit qu’il allait vous expédier un exemplaire de son livre The Alternative qui vient de paraître avec une petite dédicace. J’espère que le livre vous parviendra. Faites-moi savoir je vous prie[61].

C’est avec l’un des pionniers du fascisme en Angleterre, sir Barry Edward Domvile, qu’Arcand eut la plus volumineuse correspondance. Dans quelque soixante lettres couvrant la période de 1948 à 1967, répertoriées dans le fonds Adrien Arcand à Bibliothèque et Archives Canada, Barry Domvile et Adrien Arcand échangent leurs points de vue sur l’actualité, les Juifs et les diverses publications antisémites qui circulent à l’époque en Europe et en Amérique du Nord. Domvile ne rate pas une occasion de louer le travail d’Arcand, comme on peut lire dans une lettre qu’il lui adresse le 27 novembre 1954 : « Thank you so much for your excellent paper L’Unité nationale. I am glad that you are back in the fight again. The so called Revisionnists in USA are doing a good job, but it is difficult to measure the extent of their success here[62]. » L’amiral Domvile survivra à Arcand. L’officier déchu de la marine anglaise publiera deux livres célèbres : Look to your Moat (un historique de la marine anglaise) et From Admiral to Cabin Boy (qui raconte son parcours dans la marine anglaise jusqu’à sa cellule de la prison de Brixton). Barry Edward Domvile meurt en 1971.

Adrien Arcand a aussi été très proche d’Henry Hamilton Beamish, fondateur d’une organisation fasciste et antisémite anglaise appelée The Britons. Les deux hommes ont fait connaissance avant la guerre, en 1936, alors que Beamish séjourne aux États-Unis et au Canada. Le journal Le Combat national du Parti de l’Unité nationale d’Arcand raconte cet épisode dans son numéro de novembre 1938 : « M. Beamish passa dix jours parmi nous en 1936. À son arrivée à Londres, il fit des conférences et donna aux journaux des entrevues sur ses trois mois d’études dans les provinces canadiennes et les États américains[63] ». Henry Hamilton Beamish avait beaucoup d’estime pour Arcand. C’est à l’invitation de Beamish qu’Adrien Arcand fut appelé à prendre la parole, le 30 octobre 1937, lors d’un vaste rassemblement fasciste à New York organisé par la German-American Bund. À l’instar d’Adrien Arcand, Henry Hamilton Beamish est mis hors d’état de nuire pendant la guerre. Considéré par le gouvernement britannique comme un ennemi de la nation, il est arrêté en 1940 pour être interné durant toute la durée de la Seconde Guerre mondiale. De 1945 à 1948, les deux hommes, qui avaient vécu une expérience semblable lors de leur détention durant la guerre, se mettent à correspondre. Ils s’écrivent sur une base régulière à partir de 1945. En 1948, par exemple, Arcand envoie une lettre à Beamish dans laquelle il lui raconte des anecdotes tirées de sa vie au camp de Fredericton : « J’ai été relâché des camps le même jour que vous, un 3 juillet, à la différence que c’était en 1945. J’y suis resté durant cinq années et cinq mois[64] ». Henry Hamilton Beamish s’est dit très impressionné par le chef du Parti national social-chrétien. Il prédit même qu’Adrien Arcand prendra le pouvoir à Ottawa :

After Adolf Hitler, I consider Adrien Arcand to be the one leader who stands out far above any others I have met, as he has all the necessary flair, whim and originality which a real leader requires. A catholic of course, as are all French Canadians, but he knows exactly how far he can use and trust the clerical element. At the first sign of a Jew-Bolshevist upheaval in Canada, he is in a position to take over the government of the country[65].

Henry Hamilton Beamish nourrissait l’espoir de devenir ministre de la propagande d’un Canada dirigé par Arcand. À ce chapitre, il a joué un rôle clé dans la distribution de La Clé du mystère en Afrique du Sud, et ce, en anglais et en afrikaans[66]. Sur la question juive, Beamish et Arcand sont en communion d’esprit. Ils proposent la même solution pour régler le sort des Juifs. De fait, Henry Hamilton Beamish se fit connaître dans le monde au cours de l’entre-deux-guerres après avoir promu l’idée de déporter les Juifs sur l’île de Madagascar. Dans une lettre adressée à Arcand, le 15 juillet 1946, Beamish relance cette idée qui circulait déjà en Europe dans les années 1930 : « Madagascar is still waiting for them but nothing will happen about this either until suffering begins and all this Jew money is blown sky high[67]. »

Henry Hamilton Beamish ne verra jamais son rêve de déporter les Juifs sur l’île de Madagascar se réaliser. Ironiquement, le Britannique s’éteint le 27 mars 1948, l’année même où l’Angleterre joue un rôle clé dans la création de l’État d’Israël.

La République universelle

Au début des années 1950, Adrien Arcand, qui n’a rien perdu de sa verve, profite du contexte de la vague anticommuniste issue de la Guerre froide pour poursuivre sa campagne de propagande haineuse contre les Juifs. En 1950, Adrien Arcand publie un fascicule de 22 pages intitulé La République universelle dans lequel il soutient que les deux guerres mondiales ne furent que les premières étapes d’une « révolution mondiale » fomentée par les Juifs[68]. « Depuis 1945, depuis que tous les pays derrière le rideau de fer ont été engloutis dans l’abîme du judéo-communisme, voyez comment l’Amérique du Nord, le dernier puissant bastion qui reste à conquérir, est envahi [sic] de toutes les façons par les Juifs[69] ».

Dans l’esprit d’Arcand, judaïté et communisme vont de pair. Pendant longtemps, les Juifs ont été associés à tous les aspects négatifs du mouvement communiste. On les accusait de conspirer contre les monarchies et d’être à l’origine des mouvements révolutionnaires. Ces accusations ont été lancées en France au xixe siècle par Édouard Drumont en lien avec la révolution de 1789. Elles ont refait surface lors de la révolution russe de 1917. Comme plusieurs antisémites de son époque en Europe et aux États-Unis, Arcand propageait des théories de conspiration juive visant à dominer le monde. C’est ainsi que le chef du Parti de l’Unité nationale du Canada a utilisé la propagande anticommuniste pour mieux pourfendre les Juifs. Dans le mensuel L’Unité nationale, qu’il lance en 1953, Arcand recycle ses théories d’avant-guerre au sujet de présumés complots judéo-communistes visant à dominer le monde. Arcand et ses acolytes y présentent les Juifs comme les géniteurs du communisme dans le monde. Cette opinion est reprise dans chacune des éditions de L’Unité nationale, dont celle de février 1954 :

Le communisme a été, dès son origine, ses premières proclamations, une idée juive. Les grands prophètes du communisme ont tous été des Juifs ou des demi-Juifs, de même que ses grands prosélytes et les grands financiers internationaux qui ont financé la révolution communiste européenne de 1848, la révolution communiste ratée de Russie de 1905, la révolution communiste réussie de Lénine-Trotsky en 1917, et toutes celles qui ont ensuite eu lieu jusqu’à ce jour (même en Chine)[70].

Cependant, son mouvement ne réussira jamais à gagner la faveur d’un large public. Arcand échoue à ses deux tentatives de se faire élire comme député aux élections fédérales de 1949 et de 1953 dans la région de Berthier-Maskinongé. Écarté du pouvoir, il se limitera à prononcer des discours, à publier sa propagande anticommuniste et, surtout, à déverser son fiel sur les Juifs.

En 1961, durant le procès d’Adolf Eichmann pour crimes de guerre, Arcand prend la défense de ce haut gradé des SS, qui avait dirigé le bureau des Affaires juives de l’Office central de sécurité du Reich et organisé les déportations vers Auschwitz. Selon Arcand, il n’y aurait pas eu six millions de Juifs tués dans les camps de la mort, mais bien 600 000, dont la moitié seraient morts dans le ghetto de Varsovie, déclare-t-il le plus sérieusement du monde lors d’une entrevue accordée à L’Europe réelle[71].

En 1965, la section québécoise du Parti de l’Unité nationale du Canada d’Adrien Arcand lance la publication Serviam, qui se définit comme la « seule publication politique de combat anticommuniste et antimaçonnique préconisant l’établissement du national-corporatisme au Canada[72] ». Le mensuel, qui prétend défendre les valeurs chrétiennes, dénonce le communisme, le libéralisme et le matérialisme. Dans son édition d’avril-mai 1967, Serviam se défend d’être antisémite : « Le PUN n’est pas antisémite, il est pro-gentil et pro-chrétien, se défend Arcand. Il combat l’erreur du communisme qui est l’oeuvre des Juifs et réclame la suppression des chapitres du Talmud qui sèment la haine des chrétiens[73]. »

À bas la haine !

Tout le discours antisémite d’après-guerre d’Adrien Arcand est résumé dans un livre intitulé À bas la haine !, qu’il publie en juillet 1965. Le livre a été écrit au moment où se tenait, à Rome, le IIe concile oecuménique du Vatican. Bien que l’Église ait retiré aux Juifs toute responsabilité dans la mort du Christ, Adrien Arcand refuse obstinément de se ranger derrière Rome. Il maintient ses opinions farouchement antisémites. Parmi ses nombreuses récriminations, Arcand reproche aux Juifs de prêcher l’idée selon laquelle les non-Juifs n’ont pas d’âme : « De toutes les croyances, religions, sectes qui ont passé sur notre planète, une seule, la pharisaïque-judaïque, a enseigné que les êtres humains non-membres de son bercail sont des animaux, du bétail, des êtres sans âme[74] ». Pour Arcand, « [c]e qu’on appelle antisémitisme n’est en somme qu’un acte d’amour et de loyauté portant le Gentil à la défense de ses valeurs spirituelles et matérielles attaquées par le Juif infiltré dans la Gentilité[75] ». Jusqu’à la fin de ses jours, Arcand niera l’existence de la Shoah.

En 1966, Adrien Arcand reçoit une demande du docteur Joseph-Albert Mathez pour qu’il vienne témoigner en sa faveur lors d’un procès qui a lieu en Suisse. Le docteur Mathez est traîné en cour par la communauté juive helvétique après la publication de son livre, Le passé, les temps présents et la question juive, qui remet en cause l’existence des chambres à gaz dans les camps de la mort en Europe[76]. La demande du Dr Mathez est transmise au conseil supérieur du Parti de l’Unité nationale du Canada à Montréal, qui juge que la santé précaire de son chef ne lui permet pas d’aller livrer ce périlleux combat outre-mer. Le 10 septembre 1966, le chef provincial de la section québécoise du Parti de l’Unité nationale du Canada, Gérard Lanctôt, écrit au Dr Mathez pour justifier la décision du conseil de ne pas permettre au chef national d’aller témoigner en sa faveur en Suisse :

Notre parti qui, comme vous, a subi les attaques de la juiverie, désire au plus haut point votre victoire. Vous n’avez écrit que la Vérité dans votre livre, et nous croyons fermement que la Vérité, après ces combats épiques, finira par triompher. Mais le Conseil supérieur du Parti, réuni récemment pour étudier votre lettre et décider de votre invitation, a résolu à l’unanimité de ne pas permettre à M. Adrien Arcand, notre chef, de quitter le Canada, pour aucune considération que ce soit. Si permission lui avait été accordée, le Parti et ses amis lui auraient fourni les moyens de voyager comme un prince, avec escorte, en tout honneur qu’il mérite, vers votre pays[77].

Le 1er août 1967, Adrien Arcand succombe à un cancer du larynx. Il trouve son dernier repos au cimetière de Lanoraie. Ses proches et amis sont nombreux à assister à ses funérailles. Parmi eux se trouve un jeune Germano-Canadien du nom d’Ernst Zündel qu’Arcand avait pris sous son aile à la fin des années 1950. Zündel, qui deviendra plus tard l’une des figures de proue du négationnisme dans le monde, sera déporté en Allemagne en 2005 pour y être jugé. Lors d’un entretien téléphonique que nous avons eu avec lui, le 22 avril 2012, Zündel ne tarit pas d’éloges envers celui qu’il appelle son « tuteur » : « Arcand est un génie canadien-français incompris. Il est le plus grand Canadien que j’ai rencontré », de dire le septuagénaire[78]. Sur ses liens avec Hitler, Zündel reconnaît qu’Arcand a été en contact avec les nazis, mais il jure qu’il n’a jamais été financé par Berlin :

Les nazis connaissaient Arcand. Il était très respecté à Berlin. Mais il est faux de prétendre qu’il était un agent d’Hitler. C’est grotesque. Il a déjà rencontré un émissaire d’Hitler, un certain Kurt Ludecke. La rencontre a eu lieu en 1932 à Montréal dans un parc situé au boulevard Pie-IX, près du fleuve. Il a ensuite correspondu avec les nazis pour obtenir de la documentation. L’organisation de Rudolf Hess lui envoyait des livres. Arcand parlait très bien allemand. Il a aussi été en contact avec le Welt Diesnt en Allemagne, lors du procès de Berne en 1936 sur l’authenticité des Protocoles des Sages de Sion. Mais là s’arrêtent ses liens avec Hitler.

À la fin de l’entrevue, Zündel a rappelé toute l’influence qu’a eue Adrien Arcand sur ses opinions à l’égard de l’Allemagne nazie :

Comme tous les Allemands de ma génération, j’avais un préjugé défavorable pour l’Allemagne nazie. Pour moi, les nazis étaient tous des assassins qui avaient exterminé les Juifs. Mais Arcand m’a fait changer d’opinion. J’ai été profondément influencé par lui. Il m’a dit de ne pas être victime de la propagande et de retourner aux sources. Comme je l’ai déjà dit, Arcand a fait de moi un Allemand.

nous a-t-il confié au terme de l’entrevue, l’une des rares qu’il a accordées depuis sa déportation en Allemagne.