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Après son jubilé en 2015, Meta connaît une autre année faste. En effet, 2016 a commencé par un numéro spécial que le 60e anniversaire nous a empêchés de publier l’année dernière. Le numéro sur les « zones d’incertitude », dirigé par Nicolas Froeliger, Lance Hewson et Christian Balliu, dignes représentants du G3 de la traductologie francophone (Paris, Genève et Bruxelles), a d’ores et déjà suscité de nombreuses réactions positives. Et Meta profite de l’occasion pour encourager les chercheurs francophones et francophiles à nous soumettre le fruit de leurs travaux en français. La revue s’est en effet engagée à consacrer au moins la moitié de ses pages à des textes en français à l’horizon 2018, sa survie budgétaire dépendant de cet objectif. Et pourquoi pas ? La traductologie francophone souffre d’atrophie de diffusion mondiale. Dans la mesure où les grandes maisons d’édition s’acharnent à imposer le monolinguisme anglo-saxon dans leurs revues spécialisées, il incombe aux revues encore indépendantes, comme Meta, de faire le contrepoids. Et si vous me permettez le jeu de mots, Meta fait le poids ! Osons donc notre langue…

Année faste parce qu’en plus des deux numéros réguliers, celui-ci et le 61(3), nous aurons le plaisir d’accueillir un numéro extraordinaire piloté par Sylvie Vandaele et Pier-Pascale Boulanger sur la traduction scientifique. Bien qu’étant passée à trois numéros par an, dont un spécial, la revue offre désormais la possibilité d’un numéro extraordinaire aux chercheurs disposant de fonds de recherche suffisants pour financer un quatrième numéro de Meta.

Le présent numéro offre 10 articles de fond et 10 recensions. Tout d’abord quatre études en didactique de la traduction, un domaine qui ne demande qu’à se développer, les besoins se faisant de plus en plus criants.

Le premier est axé sur la technologie au service de l’enseignement, en particulier l’analyse textométrique à l’aide de l’outil Lexico3 d’un discours anglais traduit en français. L’objectif est de localiser les fragments qui donnent lieu à des traductions différentes et explorer l’éventail des traductions proposées. Les ressources numérisées ainsi élaborées constituent une aide précieuse pour l’évaluation du travail fourni par les apprenants ainsi qu’un outil d’autoévaluation pour ces derniers.

Le second analyse les interprétations erronées les plus fréquentes dans le domaine de l’évaluation et propose l’alignement constructif comme cadre pédagogique, soit une approche intégrée de plusieurs méthodes et outils pour déterminer dans quelle mesure les acquis d’apprentissage escomptés sont atteints et identifier les besoins d’apprentissage. Cet article met l’accent sur l’utilité de l’évaluation continue formative.

Les textes multimodaux forment le corpus de la troisième étude qui s’attarde aux nouveaux défis que pose le visuel tant aux enseignants qu’aux apprenants. L’auteur prône une approche multimodale dans la formation en traduction, le développement de la sensibilisation aux textes multimodaux ainsi que la créativité des étudiants et le rôle du spécialiste dans la classe de traduction.

Un quatrième article aborde la didactique de la révision. Il porte sur les résultats d’une étude de suivi de la verbalisation de réviseurs professionnels. L’étude souligne les types de sous-processus de révision, leur relation avec le produit et le processus de révision, et suggère une sous-compétence particulière de la compétence de révision, à savoir la capacité à expliquer.

L’article suivant porte sur la façon dont les traductions russes de textes originaux de la presse en anglais, néerlandais et finnois traitent les expressions métaphoriques. La comparaison des métaphores identifiées avec leurs équivalents russes permet ensuite de déterminer dans quelle mesure certaines images acquièrent dans le texte cible un degré d’étrangeté absent dans le texte original.

Le sixième travail compare lui aussi des traductions, cette fois publiées. Il s’agit des traductions japonaise et chinoise de deux nouvelles de Paul Morand. L’auteure effectue en fait une comparaison des mouvements modernistes japonais et chinois à partir de la traduction et se demande comment le statut culturel des traducteurs a influencé les stratégies de traduction et dans quelle mesure ces stratégies ont été vectrices d’une certaine forme de modernité dans les deux cultures cibles.

On assiste de nouveau dans l’article suivant à une comparaison mais cette fois du texte original français, du manuscrit traduit remis à une maison d’édition espagnole et du livre finalement publié. L’étude montre que certaines divergences, telles l’explicitation ou la suppression des répétitions, ne sont pas toujours directement imputables au traducteur mais qu’elles sont le résultat d’une stratégie de normalisation de la part des responsables de l’édition visant à faciliter la lisibilité du texte final.

Le huitième article se penche d’un point de vue théorique, d’abord, sur les relations complexes entre la langue juridique, l’interprétation juridique et la traduction juridique. Ensuite, à partir d’une étude de cas en langues allemande et norvégienne, elle considère la situation de communication spécialisée comme un processus cognitif complexe dont seule une approche pragmatique permet de réussir la communication à la fois avec les spécialistes et les non-spécialistes.

C’est par un biais historique que l’auteur de l’avant-dernier travail aborde la traduction. Il remet en question la marginalité des discussions concernant l’identité dans les Balkans ou à propos des Balkans et prône plutôt l’intimité culturelle appliquée aux histoires de migration. Pour ce faire, il examine deux oeuvres grecques : un roman à demi autobiographique traduit en anglais et un film sous-titré en anglais, et montre que le médium écrit et le médium audiovisuel offrent différentes possibilités de communiquer l’altérité balkanique.

Finalement, le numéro clôt sur une étude de la traduction des sociolectes, concrètement la traduction du vernaculaire noir américain à partir du cas de deux romans autobiographiques et un bestseller américains traduits en français, dans lesquels le rôle du Black English dépasse celui de la simple couleur locale. Il s’avère que dévier des normes et des formes du français permettrait de mieux « traduire » ce parler noir dans le but d’en préserver la valeur culturelle et idéologique. Je vous souhaite une excellente lecture.