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Si l’on peut faire remonter leurs origines au début du siècle dernier, les Études internationales (ÉI) ont connu une croissance notable au courant des deux dernières décennies. En effet, on assiste à une prolifération de publications scientifiques, centres de recherche et autres programmes universitaires sous cette dénomination. Toutefois, malgré cette popularité croissante, on confond encore aujourd’hui ce champ d’études avec les Relations internationales (RI), discipline issue de la science politique s’intéressant principalement, mais pas exclusivement, aux relations interétatiques. Cette confusion est accentuée par le rôle prépondérant que jouent les RI au sein des institutions se réclamant des Études internationales (Hey 2004). Cependant, ce champ d’études se distingue des RI par un double élargissement.

Dans un premier temps, les Études internationales refusent de réduire leur objet à sa définition strictement benthamienne[1]. En effet, elles lui préfèrent une conception plus large, comme dans la définition succincte qu’en donne Patrick T. Jackson, pour qui elles sont « les rencontres transfrontalières avec la différence » (« cross-boundary encounters with difference ») (2015 : 942). Ainsi, aux sujets traditionnels des Relations internationales que sont les guerres interétatiques et les organisations internationales s’ajoute un vaste éventail de phénomènes allant des flux financiers aux mouvements religieux transnationaux, en passant par les enjeux environnementaux. Dans un second temps, l’élargissement des Études internationales s’effectue par l’adoption de l’interdisciplinarité. Ainsi, afin d’appréhender cette diversité de phénomènes sociaux, les ÉI rassemblent en leur sein historiens, sociologues, juristes, économistes et politologues. Cependant, comme l’affirment Forest, Tremblay et Le Prestre, les Études internationales sont pour l’instant « davantage coalition de sujets d’intérêt convergents qu’expression d’une ambition disciplinaire » (Forest et al. 2009 : 417). En d’autres termes, bien qu’en pleine expansion, ce champ n’a pas vu l’émergence d’un cadre conceptuel, d’une méthodologie ni même d’un programme de recherche partagé qui aurait pu structurer la recherche internationaliste.

Si ce pluralisme théorique et méthodologique offre certains avantages sur le plan de la recherche, il pose cependant un défi à l’établissement de programmes d’enseignement. Jeanne A. K. Hey note ainsi que les ÉI ne peuvent se prévaloir du statut de discipline universitaire étant donné l’hétérogénéité de leur recherche. Dans une conception humboldtienne[2] de l’enseignement, cette hétérogénéité rend difficile la création de programmes structurés en études internationales (Hey 2004). Cette caractéristique explique ainsi la prépondérance des programmes d’ÉI de type parapluie, c’est-à-dire des programmes multidisciplinaires relativement peu structurés où l’étudiant choisit lui-même son parcours intellectuel. Bien qu’offrant une certaine liberté, ce type de programme reste problématique pour la transmission d’un corpus de connaissance commun qui pourrait être à la base de ce champ d’études (Blanton 2006). Une situation exacerbée par l’étendue de l’objet de ce champ d’études. Bien que ces défis soient déjà grands dans le cas des programmes de premier cycle, ils sont particulièrement apparents aux cycles supérieurs où les impératifs de la spécialisation sont confrontés aux caractéristiques mêmes des Études internationales.

Le but du présent article est de voir comment ont fait face à ces défis deux types de programmes connexes qui ont émergé de la matrice des Études internationales : les Études globales[3] (ÉG) et les Affaires internationales (AI). Comme les Études internationales, ces deux types de programmes revendiquent leur interdisciplinarité et traitent souvent d’enjeux similaires. Rarement étudiées en tant que projet autonome, ces deux dénominations ont même souvent été utilisées comme synonymes du concept d’ÉI par certains travaux précédents (Ishayama et Breuning 2004). Cependant, nous posons l’hypothèse que ces deux termes, renvoyant à des réalités institutionnelles distinctes, offrent des possibilités différentes de celles des Études internationales, notamment dans l’établissement de programmes universitaires aux cycles supérieurs. Afin de voir comment ces deux champs s’organisent face à ces défis et en quoi ils se distinguent des Études internationales, nous livrerons notre analyse en deux temps. Tout d’abord, nous ferons état des conditions d’émergence et de l’évolution de ces deux types de programmes, par une analyse du débat théorique dans le cas des Études globales et par l’évolution institutionnelle dans le cas des Affaires internationales. Par la suite, nous ferons une analyse empirique de vingt programmes de maîtrise afin de constater comment ces différences s’articulent dans la pratique.

I – Les champs d’études

A – Les Études globales

Les Études globales sont présentes dans le paysage universitaire depuis peu de temps. En effet, le premier programme de premier cycle a été créé en 1995 à l’Université de Californie à Santa Barbara, alors que les premiers programmes de maîtrise et de doctorat ont vu le jour respectivement en 1997 et en 2006. Il convient cependant de préciser que ce domaine d’études s’organise très rapidement. En effet, dès 2005, on trouvait plus d’une centaine de programmes de premier cycle et, en 2010, on recensait près de 60 programmes de maîtrise. Bien que ces programmes se donnent essentiellement en Amérique du Nord, ils sont présents dans des proportions moindres en Asie et en Europe (Juergensmeyer 2012). Par ailleurs, sous la dénomination d’Études globales, on trouve aujourd’hui des instituts de recherche, une multiplicité d’associations, dont le Global Studies Consortium, diverses conférences universitaires, un corpus de publications universitaires et un nombre non négligeable de journaux de vulgarisation en ligne. Si ces éléments confèrent aux Études globales une certaine légitimité dans le monde universitaire, l’influence des ÉG se fait également sentir dans le monde des organisations non gouvernementales (ONG), des mouvements sociaux et chez d’autres acteurs qui inscrivent leur action au niveau global.

On peut expliquer l’émergence de ce champ d’études par les deux motifs habituels que sont la reconnaissance d’un nouvel objet d’étude et l’insatisfaction à l’égard des disciplines existantes dans leur prise en charge de celui-ci. Les tenants des Études globales estiment que, malgré le renouvellement des Relations internationales qu’illustre l’émergence des Études internationales, l’élargissement des domaines couverts, la richesse et la diversité des approches théoriques ne sont pas suffisants pour appréhender les changements actuellement vécus par les sociétés. En effet, selon eux, le « paradigme » de l’international reste fondamentalement centré sur une ontologie, une épistémologie et des méthodes de recherche qui ne lui permettent pas de rendre compte de cette nouvelle réalité que représente la globalisation[4], que nous définirons simplement comme la construction de nouveaux espaces globaux d’action, qu’ils soient économiques, culturels, sociaux, politiques ou autres.

Dans un premier temps, on pourrait soutenir que les Études globales se définissent par l’étude d’un nouveau phénomène : la globalisation et ses processus. La prise en charge de ce nouvel enjeu s’est faite en deux temps. Au début, la globalisation fut analysée dans le monde universitaire selon une perspective disciplinaire. Les différentes disciplines, telles que l’histoire, la science politique, l’économie et la sociologie, se sont ainsi penchées sur ce phénomène à l’aide de leurs outils conceptuels et méthodologiques respectifs. Rapidement, considérant les différentes dimensions et composantes qui structurent la globalisation, les Études globales se sont élargies à la multidisciplinarité et à l’interdisciplinarité. Dans An Introduction to Global Studies, les responsables de l’ouvrage écrivent :

Most academic pursuits that have adopted the “Global Studies’’ label are developed around this idea that this is a multidisciplinary and interdisciplinary enterprise. That is, global studies attempts to understand the world by looking at it from multiple perspectives (multidisciplinary) drawing upon the insights and theoretical framework from various academic fields. […] In addition, global studies also seeks to make connections between those different perspectives – to understand how they are related and how they might fit together as a part of larger whole (interdisciplinary).

Campbell, MacKinnon et Stevens 2010 : 3

L’autre dimension constitutive des Études globales, qui n’est pas unique à ce champ d’études, est la présence, dès leur apparition, d’une perspective éthique ou d’un discours politique sur le monde qui se traduit par un souci de relier travail universitaire et action sur le terrain afin de participer à la création d’un monde meilleur (Campbell et al. 2010). En somme, les analyses menées par les Études globales sur les enjeux globaux relèvent d’un double registre : celui de l’analyse universitaire, mais aussi celui du registre d’un discours normatif centré sur la recherche des actions et des politiques les plus pertinentes pour résoudre les problèmes globaux.

Cette manière de présenter les ÉG, c’est-à-dire de les définir par leur objet d’étude, la globalisation examinée dans des perspectives disciplinaire, pluridisciplinaire et politique, est actuellement au coeur d’un important débat portant sur la définition et l’identité des ÉG. Un débat qui est structuré et polarisé par la réponse à apporter à la question suivante : les Études globales se réduisent-elles à être des Études de la globalisation ou constituent-elles un champ d’études distinct, à savoir « un champ transdisciplinaire émergent qui intègre une grande variété de disciplines et d’approches pour mieux comprendre les composantes transnationales de notre monde globalisé » ? (Juergensmeyer 2013 : 765-769). Pour Jan Nederveen Pieterse, qui lança ce débat avec son essai What is Global Studies ?, il est évident que, si la sociologie globale est différente de la sociologie de la globalisation tout comme l’histoire globale l’est de l’histoire de la globalisation, on peut penser qu’en ce sens les Études globales ont une valeur ajoutée qui va au-delà des Études internationales et des Études de la globalisation. Cette valeur ajoutée s’appuie sur l’inscription des Études globales dans un champ d’études fondé sur l’interdisciplinarité, mais aussi sur le polycentrisme des points de vue, les analyses multiniveaux, le tout articulé avec une approche centrée sur l’analyse des enjeux et processus, transnationaux et inscrits dans une logique d’action et de solution de problèmes (Pieterse 2013).

Fondé sur le postulat voulant que les limites disciplinaires des Études de globalisation ne puissent rendre compte du monde tel qu’il est, un consortium international des Études globales a déjà été créé en 2008 à Tokyo. Il repose sur l’identification et l’acceptation d’un certain nombre de caractéristiques qui font des ÉG un champ d’études distinct. Selon les membres fondateurs de ce consortium, les Études globales sont transnationales, interdisciplinaires, transdisciplinaires, orientées vers la solution de problèmes, contemporaines et historiques, critiques et multiculturelles et, enfin, globalement responsables parce qu’elles visent à améliorer l’état de la planète et à préparer leurs étudiants à vivre dans un monde cosmopolite (Juergensmeyer 2011).

Ainsi, dans cette discussion qui a cours au sein des Études globales, il semble y avoir une volonté nette de ne plus réduire celles-ci à l’Étude de la globalisation, mais d’en faire un champ d’études fondé moins sur un cadre conceptuel précis et partagé que sur l’identification et la qualification de ses principales dimensions — transnationales, interdisciplinaires et multidisciplinaires, etc. L’objet de notre recherche est d’examiner comment cette discussion se traduit dans la définition, la mise en place et le fonctionnement des programmes de formation en Études globales.

B – Les Affaires internationales

De leur côté, les programmes d’Affaires internationales se sont développés plutôt au début de la guerre froide au sein des universités étatsuniennes. Phénomène presque exclusivement américain jusqu’à la fin de cette période, ces programmes connaîtront dans les années 1990 une phase de diffusion en proliférant un peu partout à travers le monde. Cette époque fut aussi caractérisée par l’organisation de ces écoles à travers l’Association of Professional Schools of International Affairs (APSIA). Si cette organisation ne rassemblait que 13 universités nord-américaines au moment de sa fondation en 1989, on trouve aujourd’hui en son sein plus d’une soixantaine d’établissements situés dans une quinzaine de pays (APSIA 2015). Au-delà de cette évolution quantitative non négligeable, on assiste aussi à une véritable transformation qualitative. En effet, comme le rappelle Ernest J. Wilson III, la mise en place d’un système distinct de récompenses, d’associations professionnelles et autres journaux spécialisés comme le Journal of Public and InternationalAffairs au cours des dernières années a favorisé la création d’un espace autonome pour les Affaires internationales qui leur a permis de se distinguer des formations universitaires disciplinaires (Wilson 2007).

Par ailleurs, alors que les Études globales se définissent par un nouveau paradigme marquant une rupture avec les Études internationales, les programmes d’Affaires internationales ne peuvent revendiquer une distinction aussi catégorique. En effet, les Affaires internationales sont davantage une forme particulière de formation en Études internationales. Cela s’explique notamment par les origines des premiers programmes d’Affaires internationales. En effet, leur apparition s’inscrivait dans un contexte bien précis : le nouveau rôle exercé dans le monde par les États-Unis d’Amérique à la fin de la Seconde Guerre mondiale (Goheen 1987). Après des décennies d’isolationnisme, les États-Unis devaient alors jouer un rôle d’avant-plan sur la scène internationale et dans de nombreuses régions du monde. Afin de pallier le manque d’effectifs du département d’État et de fournir une expertise sur ces régions, les universités américaines, avec l’aide de grandes sociétés philanthropiques comme les fondations Rockefeller et Carnegie, créèrent des chaires de recherche et autres écoles d’études internationales et régionales (Guilhot 2011). C’est dans cette dynamique que se formèrent les écoles d’affaires internationales. Si la recherche produite par ces établissements correspond aux projets des Études internationales et que ces écoles développent de nouveaux concepts, tels que la diplomatie publique, la formation que celles-ci proposent s’est peu à peu structurée autour d’un axe spécifique : la mise en pratique. En effet, ces écoles ont depuis les années 1980 pour fonction de former des praticiens, c’est-à-dire des carrières à l’extérieur du monde universitaire. Dans cette perspective, les programmes offerts par ces établissements se rapprochent des formations universitaires professionnelles (Bourdoncle et Lessard 2003). Ne visant pas la formation de chercheurs, ces programmes sont caractérisés par des dispositifs et des méthodes de formation qui intègrent ateliers de formation, stages en milieu de travail et autres activités centrées sur les compétences.

Au-delà de ces particularités, une autre dynamique a été déterminante dans le développement des Affaires internationales : l’internationalisation des programmes d’Affaires publiques. En effet, de nombreux programmes d’Affaires internationales ont été mis en place dans des universités offrant jusque-là exclusivement des programmes d’Affaires publiques. L’origine de ces programmes[5] s’inscrit dans l’ère progressiste aux États-Unis d’Amérique, une époque caractérisée par un désir de séparer la question de l’administration des considérations partisanes. Ces programmes avaient donc pour vocation de former les futurs administrateurs et analystes de politiques publiques (Infeld et Adams 2011). Ces programmes ont par la suite évolué face aux mutations de l’État et au dépassement du cadre étatique qu’entraînent l’émergence de mécanismes de gouvernance internationale et la transnationalisation des enjeux contemporains. Afin de former les futurs administrateurs à cette réalité, les programmes d’affaires publiques ont ainsi dû revoir leur contenu afin d’y inclure une logique internationale. Trois éléments caractéristiques de leur approche (DeLeon 2008) sont désormais centraux dans la définition des Affaires internationales :

  1. Une orientation vers la résolution de problèmes, c’est-à-dire que la quête de connaissances ne repose pas sur la connaissance pour la connaissance, mais consiste plutôt à trouver des solutions à des problèmes concrets et contemporains.

  2. La multidisciplinarité, car les tenants et aboutissants des problèmes auxquels les Affaires internationales s’attaquent ne sont pas circonscrits aux domaines d’une seule discipline.

  3. Le respect de certaines valeurs, parce que les sujets qui préoccupent les Affaires internationales sont liés aux enjeux démocratiques et éthiques. Cela se traduit par la place importante accordée aux droits humains, aux questions d’éthique et au droit international au sein de ces programmes.

Enfin, Wilson inscrit le développement de ce type de programmes et de ces écoles dans un débat qui anime la communauté des RI depuis une trentaine d’années (Wilson 2007). De nombreux chercheurs dans cette discipline s’inquiètent en effet du rôle déclinant que jouerait la théorie, c’est-à-dire la production universitaire, sur la conduite des affaires étrangères (George 1994 ; Lepgold 2001 ; Walt 2005). Déplorant l’absence de dialogue entre les membres de la communauté universitaire et les praticiens, ces auteurs affirment que cet isolement a des effets nuisibles pour les deux groupes. Cette situation serait des plus problématiques, puisque l’écart se serait creusé au cours des années 1990 et au début du XXIe siècle (Nye 2008 : 598). Dans cette perspective, les programmes et les écoles d’Affaires internationales peuvent être perçus comme un pont entre ces deux communautés. En effet, bien que s’inscrivant dans le monde universitaire, ce type de formation axé sur une carrière non universitaire serait un lieu propice d’échanges entre la « théorie » et la « pratique ». La prolifération de ces programmes serait donc une réponse à cet écart croissant entre les préoccupations des acteurs internationaux et les débats qui animent le milieu universitaire.

II – Méthodologie

Afin de voir comment ces champs se traduisent en programmes d’enseignement, nous nous sommes penchés sur une étude empirique des programmes de second cycle en Études globales et en Affaires internationales. Le premier défi méthodologique de cette analyse fut la question des dénominations. En effet comme il a été mentionné en introduction, ces trois champs ont souvent été amalgamés dans des travaux précédents étant donné leurs caractéristiques communes. Cette confusion est accentuée par le fait que certains programmes ont changé de nom dans le courant des dernières années sans avoir changé le contenu de la formation. La dénomination des programmes et des institutions renvoie ainsi à un nombre divers de considérations allant des questions de marketing (Steger 2013) aux choix politiques[6] (Rosow 2003). Comment, dans ce cas, déterminer l’affiliation de ces programmes sans avoir préalablement effectué une analyse de ceux-ci ?

Afin de surmonter ce défi, nous avons établi notre échantillon à partir des établissements membres de deux organisations universitaires spécifiques : l’Association of Professional Schools of International Affairs (APSIA) et le Global Studies Consortium (GSN). Fondée en 1989, l’APSIA est une organisation réunissant un peu plus d’une dizaine d’écoles d’affaires internationales étatsuniennes qui a connu une expansion rapide au courant des années 2000 et qui compte désormais des établissements membres partout dans le monde. De son côté, le GSN est une association d’universités offrant des programmes des deuxième et troisième cycles en Études globales qui a vu le jour en Californie en 2007. Ce choix repose sur l’hypothèse soulevée en introduction qui postule que, si ces établissements universitaires ont décidé de s’organiser au sein d’une association spécifique et relativement autonome, elles doivent considérer que leurs programmes d’études sont distincts de ceux des Études internationales. Ainsi, au sein de ces organisations, nous avons sélectionné les dix programmes les plus anciens[7] offrant des programmes de maîtrise. Ce choix repose sur l’idée que les écoles les plus anciennes auront eu plus le temps de définir leur programme. La liste des programmes sélectionnés se retrouve dans le tableau suivant :

Tableau 1

Liste des programmes sélectionnés

Liste des programmes sélectionnés

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Poursuivant une pratique commune dans l’analyse des programmes universitaires (Kelleher 2005 ; Brown, Pegg et Shively 2006), nous avons recueilli nos données par l’entremise des sites Internet de ces universités. Bien que possédant certaines limites, cette approche permet d’obtenir un portrait général de ces programmes et reste une méthode très efficace pour rassembler des données pour des études comparatives. Par ailleurs, le fait que de nombreux étudiants utilisent le site Internet pour remplacer la visite du campus a permis une analyse qualitative et quantitative de l’information présente sur cette plateforme (Ishayama et Breuning 2004). Ainsi, à l’aide de cette méthode, nous avons considéré quatre caractéristiques des différents programmes. Nous avons d’abord étudié la définition qu’ils se sont donnée. Par la suite, nous nous sommes intéressés au corps enseignant afin de voir la composition disciplinaire de ces programmes. Nous avons aussi examiné leur curriculums en mettant un accent tout particulier sur les cours obligatoires structurant ces formations. Finalement, nous nous sommes penchés sur les composantes professionnelles, c’est-à-dire les stages et autres activités de préparation au marché du travail.

III – Analyse

A – Définition

À la lumière de la discussion qui a cours au sein des Études globales évoquées précédemment, on ne peut que constater que, sur les dix programmes de notre échantillon, la très grande majorité, soit huit programmes, tente de faire des Études globales un nouveau champ d’études. Ces huit universités placent au coeur de la définition de leur programme la compréhension et l’analyse dans une perspective interdisciplinaire ou multidisciplinaire des nouvelles tendances globales, des enjeux transnationaux et de leur impact sur la politique, l’économie et les sociétés. Par ailleurs, deux programmes définissent de manière plus précise ce qu’il faut entendre par nouveau champ d’études. Ces deux propositions suggérant une polarisation entre analyse appliquée et analyse critique susceptible d’orienter l’évolution de ce champ d’études émergent.

Ainsi, l’Université de Caroline du Nord définit les Études globales comme une discipline émergente et se positionne comme un programme à l’avant-garde de la définition de ce champ et des approches méthodologiques. C’est pourquoi cette université a mis en place une maîtrise de recherche appliquée dont les objectifs sont les suivants :

  1. Souligner les enjeux émergents et contemporains ayant une importance globale.

  2. Préparer les leaders actuels et futurs en leur fournissant les connaissances et les outils conceptuels requis pour une carrière à l’international.

  3. Offrir une éducation qui pousse les individus à comprendre la nature du changement que connaît le monde globalisé et à y répondre.

De son côté, l’Université d’Hitotsubashi offre aux étudiants qui veulent faire de la recherche sur les enjeux globaux et étudier les gens qui en subissent les effets négatifs afin de trouver les moyens d’améliorer les conditions de leur existence un programme basé sur les trois principes suivants :

  1. Une méthodologie de recherche centrée sur les enjeux qui remettent en question la formation de cycle supérieur en sociologie en définissant les enjeux contemporains et en essayant par la suite de démystifier les contextes dans lesquels ils s’inscrivent.

  2. Une étude centrée sur la recherche de solutions.

  3. Une approche qui, constatant que les plus importants problèmes globaux se trouvent surtout en Asie, en Afrique, en Amérique latine et au Moyen-Orient, remet en question la pertinence des paradigmes européens dans des contextes non européens et propose un programme de formation dont un des objectifs est précisément de libérer les étudiants de ces perspectives d’analyse eurocentrée.

Le contenu et la spécificité de ces huit programmes reposent sur les disciplines et spécialités auxquelles est rattaché le corps professoral. Présentés par ordre d’importance, les programmes d’Études globales sont concentrés principalement autour du politique (global governance, politics and policy, changing world order), de l’économie (global economy, global business and economy, pauvreté, développement durable), de l’environnement, de la sécurité humaine ou environnementale, des droits humains, des études régionales, de la culture (culture globale, religion, ethnicité, idéologie) et, enfin, de l’idée de société elle-même (société globale, institutions, société civile, etc.). Finalement, deux programmes seulement se définissent par l’étude de la globalisation, de ses processus et de ses conséquences soit l’Université nationale australienne et le programme d’Études européennes de Leipzig.

De leur côté, les dix programmes d’Affaires internationales sélectionnés nous permettent de comprendre sous quelle forme se décline cette réalité institutionnelle. Dans un premier temps, ces programmes sont proposés par un type d’établissement universitaire bien particulier : les écoles d’Affaires internationales. Situées quelque part entre la graduate school et la professional school, ces écoles jouissent d’une relative autonomie au sein de leur université (Gohenn 1987). Par ailleurs, selon leur dénomination, sept de ces programmes se définissent comme étant des maîtrises professionnelles, c’est-à-dire que leur formation est axée sur la pratique. La majorité des programmes mettent donc l’accent sur les débouchés professionnels, sur le placement des anciens étudiants ainsi que sur un équilibre entre la formation théorique et les opportunités pratiques offertes par ces programmes. Étant donné cette orientation spécifique, seule la Josef Korbel School of International Studies, associée à l’Université de Denver, aborde la question de la préparation au doctorat parmi les avantages de sa formation. Par ailleurs, considérant son nom, Master of Arts in International Studies, on peut présumer que la maîtrise offerte par l’Université de Denver se situe entre une formation en Études internationales et une formation en Affaires internationales au sens formel du terme.

Si les descriptions des autres programmes sont relativement similaires, le programme Public Diplomacy de l’Université de Californie du Sud (USC) est un cas atypique par rapport au reste de notre échantillon. D’abord, ce programme n’est pas affilié à seule une école, mais se trouve plutôt sous la tutelle de la USC School of International Relations et de la USC School for Communication and Journalism. En outre, au lieu de proposer une vaste gamme de spécialités, ce programme offre plutôt une formation spécialisée sur la diplomatie publique. Cette spécialisation apparaît notamment dans les quatre objectifs d’apprentissage de ce programme :

  1. Comprendre et déployer un éventail d’instruments pour atteindre les objectifs d’une politique étrangère par l’engagement des publics internationaux et nationaux.

  2. Aborder les enjeux liés à l’engagement avec les sociétés civiles à l’étranger dans différents contextes géographiques et historiques, à travers de multiples disciplines universitaires, afin de faire progresser et de documenter la pratique professionnelle.

  3. Travailler efficacement en tant que membre d’une équipe, chercheur individuel ou, encore, spécialiste dans le domaine de l’engagement la société civile à l’étranger.

  4. Communiquer de manière succincte et efficace, de façon orale ou écrite et selon la forme de communication utilisée dans le domaine de la diplomatie publique.

B – Pluridisciplinarité

Afin d’étudier la pluridisciplinarité de ces programmes, nous avons examiné les formations suivies par les membres des corps enseignants[9]. Nous avons ainsi effectué une analyse des doctorats[10] obtenus par ceux-ci pour savoir quelle discipline était présente et dominante au sein de ces écoles. Nous avons produit une typologie répartissant les différents champs d’études et autres disciplines sous quinze catégories distinctes. Ces catégories reposent sur une des proximités historiques entre certaines disciplines ou, encore, sont déterminées par le partage de certains objets de recherche. Les quinze catégories analysées sont les suivantes :

  1. l’anthropologie et la sociologie,

  2. les arts et les humanités,

  3. les programmes bidisciplinaires,

  4. la communication et la linguistique,

  5. le droit,

  6. l’économie et le management,

  7. l’éducation,

  8. les Études internationales,

  9. la géographie et les études régionales,

  10. les Études globales,

  11. l’histoire,

  12. la science politique,

  13. la psychologie,

  14. les STEM[11],

  15. autres catégories.

Les disciplines ou intitulés qui ne s’intégraient pas dans les précédentes catégories, comme le travail social et les ressources naturelles, ont été rassemblés sous la catégorie « autre ».

Tableau 2

Les enseignants des programmes d’Études globales

Les enseignants des programmes d’Études globales

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Tableau 3

Les enseignants des programmes d’Affaires internationales

Les enseignants des programmes d’Affaires internationales

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Avant de nous pencher sur la question des disciplines, remarquons d’abord que les deux échantillons se distinguent par la taille des établissements. En effet, le nombre d’enseignants dans les écoles d’Affaires internationales est en moyenne trois fois plus élevé que dans les écoles d’Études globales. Cette différence s’explique en partie par le fait que les écoles d’Affaires internationales ont massivement recours à l’expertise des professeurs des autres départements de leur université. Au-delà de cette différence quantitative, notre premier constat est que, dans les deux cas, la catégorie disciplinaire la plus importante reste le domaine politique, qui compose 20,8 % des diplômes dans le cas des Études globales et 31,9 % dans le cas des Affaires internationales. Au-delà de cette similitude, on remarque que la multidisciplinarité de ces deux champs d’études ne se structure pas de la même manière ni autour des mêmes disciplines.

Dans le cas des Études globales, la seconde catégorie disciplinaire la plus importante est l’anthropologie et la sociologie avec un peu moins du cinquième des formations, alors que les autres disciplines présentes ont un poids beaucoup plus faible chez les membres du corps enseignant. En somme, la multidisciplinarité des Études globales tient plutôt à un vaste groupement de spécialistes issus de divers contextes disciplinaires, ce qui n’empêche pas certaines polarisations.

Ainsi, au sein de l’Université nationale australienne, on remarque une prédominance très claire de la science politique, qui représente 60 % des spécialités du corps enseignant. Dans une moindre mesure, les Études internationales occupent aussi une place importante au sein de cet établissement avec 13,3 % des postes. Une réalité qui ne surprend pas, sachant que le programme de maîtrise relève de la School of Politics and International Relations de cette université. À l’autre bout du spectre, on trouve le programme de l’Université de Leipzig dont plus du quart des enseignants ont une formation en Études globales, ce qui représente la proportion la plus forte de notre échantillon. Il est cependant important de noter qu’une large partie du corps enseignant est formée de doctorants de ce programme ainsi que de diplômés de cette école.

Du côté des Affaires internationales, où l’on observe une prédominance de trois catégories disciplinaires, c’est-à-dire la science politique, l’économie et le management ainsi que les études internationales, qui représentent à eux trois plus de 60 % des formations du corps enseignant, les programmes montrent des portraits plus ou moins similaires. Il semble que ces portraits soient plus uniformes, bien qu’on puisse y voir deux légères variations au sein du corps enseignant. Ainsi, les maîtrises de Tufts et de Yale ont une orientation juridique, comme le révèle le nombre plus élevé de juristes parmi les enseignants. Par ailleurs, les enseignants de Yale, Johns Hopkins et Princeton se distinguent de leurs homologues par la place laissée parmi eux aux économistes, une profession représentant des proportions de 30,4 %, 26,5 % et 23,9 % dans ces universités. Dans le cas de Princeton, cela s’explique par sa tradition positiviste. Du côté de l’Université de Denver, les Affaires internationales sont dominées par la catégorie politique, Denver étant unique par le poids que représente cette catégorie avec 55,8 % des formations de ses enseignants.

C – Curriculum

Comment la grande variété de disciplines présentes dans ces programmes se traduit-elle dans les cursus ? Nous répondrons à cette question en regardant les cours obligatoires des différents programmes. Nous avons réussi à trouver la liste de ces cours obligatoires dans 18 des 20 établissements universitaires retenus[12].

Dans le cas des Études globales, les cours sur la méthodologie de la recherche sont présents dans cinq programmes. Dans deux programmes, ceux de l’Université de Sophia et de l’Institut royal de technologie de Melbourne (RMIT), on trouve dans le bloc des cours obligatoires les seuls cours de méthode de recherche. Si le programme d’Études européennes a intitulé son cours Methodology for the Study of Globalization, tous les autres programmes offrent aussi des cours qui s’intéressent aux concepts et aux méthodes de la recherche propres aux Études globales. Cette insistance sur les cours de méthodologie de la recherche s’explique par le fait que huit programmes sur les dix analysés présentent les études doctorales, la carrière universitaire ou le travail de recherche comme des débouchés possibles.

On trouve par la suite un deuxième bloc de cours obligatoires centrés sur la compréhension des dimensions globales du politique, de l’économie et de la société. Ainsi, quatre programmes offrent des cours traitant des enjeux politiques globaux qui vont de la question de la gouvernance politique globale à l’ordre mondial, en passant par l’étude de l’impact sur les systèmes politiques et les organisations internationales des acteurs transnationaux. Le programme d’Études européennes est le seul à offrir un cours d’Études internationales dans son bloc de cours obligatoires politiques.

De même, quatre programmes ont inscrit dans leurs cours obligatoires l’étude des phénomènes globaux et de leur impact sur la société et ses différentes composantes. Ainsi, l’Université d’Aarhus offre un cours intitulé tout simplement Global Society, pendant que Santa Barbara propose les cours Global Organisation and Civil Society et Theories of Intercultural Understanding. L’université danoise offre un cours sur la condition globale qui s’intéresse plus particulièrement aux dimensions culturelles et politiques. Il faut souligner le cours obligatoire contenu dans la mineure en Études globales de l’Université de l’Illinois et intitulé Governing the Global Society : Pursuing Order, Welfare and Legitimacy. Ce cours repose sur les trois propositions suivantes qui s’inscrivent à leur manière dans le projet des Études globales tout en se concentrant sur l’étude critique des enjeux globaux et transfrontaliers :

  1. Il existe désormais une société globale.

  2. Ces organisations de gouvernance – l’État, le marché et la démocratie – présentent des défauts.

  3. En l’absence de réformes, la société globale est en danger.

Les enjeux économiques globaux font partie des cours obligatoires dans trois programmes seulement. À l’exception de l’Université de Caroline du Nord dont le cours s’appelle Global Economy, les intitulés de ces cours d’économie sont relativement conventionnels : économie politique internationale, économies internationales ou même de micro et macro-économie. Face à cette réalité et étant donné la place mineure que joue cette discipline dans les corps professoraux analysés, nous pouvons présumer que l’économie n’est pas un pilier des programmes étudiés.

Le portrait est relativement différent lorsqu’on se penche sur le cas des programmes d’Affaires internationales. Toujours selon le postulat qu’il s’agit de formation professionnelle, on note qu’à travers le cursus proposé ces formations partagent une forme de corpus commun qui repose sur deux types de cours.

Dans un premier temps, l’ensemble de ces maîtrises[13] ont au minimum un cours obligatoire en économie. C’est notamment le cas de l’Université de Denver, déjà plus proche des Études internationales, et dont l’unique cours obligatoire d’économie s’inscrit dans une perspective d’économie politique. De son côté, Princeton met l’accent sur une formation solide en sciences économiques avec des cours de microéconomie, de macroéconomie ainsi que d’économétrie, indépendamment de la spécialisation de l’étudiant.

Dans un deuxième temps, la formation repose aussi sur un cours de méthodologie et d’analyses quantitatives. Encore une fois, neuf des dix universités imposent ce type de cours. Le cours Quantitative Analysis for International & Public Affairs donné à Columbia est assez représentatif. S’attardant aux techniques statistiques de base, il porte une attention spéciale à leurs applications dans le contexte de politiques publiques et de gestion. Par ailleurs, ce cours enseigne le fonctionnement de STATA étant donné le rôle important de cet outil informatique dans divers contextes institutionnels.

Finalement, ces formations offrent diverses spécialisations qui déterminent l’orientation de la formation de l’étudiant. Ces spécialisations s’articulent autour de deux pôles. Ainsi, l’étudiant peut choisir un thème sur lequel se structurera sa formation. On peut penser à des thèmes allant du droit international aux questions de sécurité, en passant par les finances internationales ou la santé publique mondiale. Par ailleurs, de nombreuses écoles offrent aussi une spécialisation axée sur une région du monde. Les étudiants ont ainsi l’occasion d’appréhender toute la complexité du Moyen-Orient, de l’Amérique latine ou de l’espace postsoviétique à travers les questions sociologiques, historiques, politiques et économiques. C’est dire que, malgré la présence d’éléments similaires au sein du cursus obligatoire, les programmes d’Affaires internationales offrent une vaste gamme de cours répondant à la diversité des enjeux internationaux contemporains.

D – Professionnalisation, débouchés et compétences

La professionnalisation des programmes de formation n’est manifestement pas un axe structurant dans le monde des Études globales. Si tous les programmes annoncent des activités de formation pratique, ces dernières prennent dans six d’entre eux la forme d’un stage optionnel – le stage n’est obligatoire dans aucun programme –, de recherche ou de terrain dans une organisation pendant la durée du programme ou encore de cours orientés sur la recherche appliquée et l’apprentissage par résolution de problèmes. L’éventail des compétences que les étudiants peuvent acquérir dans ce type de programme est très varié. Il va de l’ajout d’une dimension internationale à sa formation (Aarhus) à la redéfinition du métier d’éducateur en y intégrant la connaissance des enjeux globaux (Illinois), en passant par les compétences habituelles qu’on retrouve dans un programme de maîtrise, qu’elles soient théoriques, analytiques, internationales, critiques, interculturelles, d’organisation et de gestion de projets, de communication, etc.

Pour ce qui est des débouchés, l’Institute for the Study of Global Issues de l’Université Hitotsubashi a mené une recherche sur le placement de ses finissants pour la période 2000-2010. On y constate que, sur un total de 191 finissants, 64 se sont inscrits dans un programme de doctorat et 29 ont trouvé un emploi lié à la recherche et à la consultation, ce qui correspond à près de 48 % du total dans ces deux seuls secteurs d’activité. Par ailleurs, huit des dix programmes étudiés mentionnent l’accès au doctorat et à la carrière universitaire ainsi qu’à des emplois en recherche comme étant des débouchés possibles. Toujours selon les informations données par les sites, dont on ignore si elles relèvent ou pas d’une stratégie de marketing, les employeurs potentiels des finissants se retrouvent principalement dans les ONG, les organisations internationales et gouvernementales, les think thanks, les entreprises privées, les firmes multinationales, les médias, les entreprises de consultation et de développement international.

À l’inverse de ce qu’on observe dans les Études globales, les composantes professionnelles sont au coeur des programmes d’Affaires internationales. Cela se traduit notamment par la place que joue le stage au sein de ce type de formation. En effet, dans sept des dix programmes analysés, le stage est un prérequis pour l’acquisition du diplôme. Dans les trois cas restants que sont l’Université de Denver, l’American University et l’Université Tufts, cette activité est très encouragée, mais laissée à la discrétion de l’étudiant.

La professionnalisation est aussi manifeste par la présence de différentes composantes spécifiques au sein de la formation. Par exemple, à l’Université de Georgetown, des anciens praticiens jouent le rôle de concentration coordinator dans chacun des champs d’études. Ils utilisent leur expérience professionnelle afin de soutenir et conseiller le corps professoral sur des domaines aussi divers que la sélection de cours, la question des stages ou bien encore les opportunités d’emplois. Ces spécialistes offrent aussi des formations optionnelles sur des compétences diverses allant des concepts de stratégie globale en passant sur l’élaboration d’un projet de développement international. Loin d’être un cas unique, ce genre de programme se retrouve dans la plupart des écoles d’Affaires internationales.

L’orientation professionnelle de ces diplômes est également évidente par le choix des doubles diplômes et des maîtrises communes offertes par ces écoles. En effet, la grande majorité de ces établissements proposent ce type de formation et les deux combinaisons les plus récurrentes sont un double diplôme avec les facultés de droit (9) ainsi qu’avec les écoles de management (6), deux institutions offrant des formations professionnelles reconnues. Au-delà de ces deux possibilités, on trouve d’autres diplômes dans des domaines aussi divers que la santé publique, le travail social, l’urbanisme.

Pour ce qui est des débouchés, les différentes écoles mettent généralement l’accent sur la fonction publique et internationale. Dans une moindre mesure, il est aussi mention du secteur privé et des organisations à but non lucratif. Dans une perspective historique, le rapport Goheen (1987) nous en apprend un peu plus sur l’évolution des débouchés de ces écoles. En effet, au courant des années 1970 et 1980, les difficultés liées à une baisse du budget du département d’État, notamment sous l’administration Reagan, ont entraîné une réorientation de la formation vers le secteur privé avec une spécialisation accrue en économie (Goheen 1987). Par ailleurs, il ne faut pas oublier que les relations entre ces écoles et le secteur privé sont apparues dès leur création. On peut ainsi mentionner le cas de la School of Advanced International Studies de l’Université Johns Hopkins qui fut très proche du secteur pétrolier étant donné sa spécialité précoce dans le domaine des études moyen-orientales (Gutner 1987).

IV – Conclusion

Quelles conclusions peut-on tirer de cette étude exploratoire des programmes d’Études globales et d’Affaires internationales ? Du côté des ÉG, deux constats s’imposent. Le premier est que les Études globales ne constituent pas un champ disciplinaire qui serait structuré par un langage conceptuel commun, un corpus théorique partagé à l’intérieur duquel on pourrait retrouver différentes perspectives d’analyse ou un registre théorique original qui dépasse les propositions d’analyse de la globalisation. En ce sens, les ÉG reposent plutôt sur une axiomatique du global qui tient pour avéré le fait que l’organisation de nos sociétés ne peut plus se comprendre qu’à la lumière de leur détermination par le « monde » global. L’analyse des dix programmes que nous avons scrutés nous permet de proposer que les Études globales constituent, au mieux, un champ d’études émergent centré plus sur l’étude des tendances globales et transnationales que sur l’analyse de la globalisation et de ses différents processus. Ce champ d’études est bien évidemment multi et interdisciplinaire, comme on l’a vu auparavant. Nous le qualifions d’émergent, parce qu’il est très éclaté et qu’il n’a pas de standardisation ou de balises communes acceptées qui seraient au coeur des programmes de formation en ÉG.

Le deuxième constat porte sur la dimension politico-éthique des Études globales dont on a vu que ces programmes de formation devraient avoir pour objectif de former des citoyens responsables et de contribuer à trouver des solutions aux problèmes globaux auxquels nous sommes confrontés. Cette dimension est peu présente dans les programmes que nous avons examinés. Cela se traduit non seulement par l’absence de cet énoncé d’intention dans les objectifs des programmes, mais aussi par le fait que peu de programmes sont orientés et structurés par une approche centrée sur la recherche de solutions. De ce point de vue, les Études globales ne se caractérisent pas par l’innovation pédagogique ou universitaire, puisque ce sont pour l’essentiel des programmes de maîtrise qui préparent dans la grande majorité des cas aux études doctorales et à la recherche.

C’est sur ce dernier point que repose la principale différence entre les Études internationales et les Affaires internationales. Ni critique épistémologique ni nouveau champ d’études, les Affaires internationales sont plutôt un prolongement des Études internationales à travers le développement d’une formation professionnelle distincte. Comme le montre notre analyse, ces programmes partagent un ensemble de caractéristiques communes : une autonomie institutionnelle grâce à la création d’écoles pluridisciplinaires, des pratiques pédagogiques spécifiques comme la présence d’anciens praticiens en résidence, une importance accordée au stage dans la formation ainsi que des éléments communs dans le cursus.

Par ailleurs, peut-on aussi voir la prolifération des programmes d’Affaires internationales comme une conséquence des mutations du milieu universitaire au cours des trois dernières décennies ? S’éloignant du modèle classique de l’université publique et indépendante, l’université néolibérale contemporaine serait aujourd’hui caractérisée par une marchandisation de l’éducation qui transparaît dans la redéfinition de l’étudiant comme consommateur et dans le déclin du financement public (Naidoo et Williams 2015). Dans cette perspective, le développement des maîtrises d’Affaires internationales s’expliquerait par une volonté d’offrir une formation axée sur le marché du travail. Celles-ci auraient l’avantage d’avoir un haut taux de placement dans un milieu où l’éducation est perçue comme un investissement personnel. Bien que cet article ne se soit pas penché sur les tenants et les aboutissants de cette question, celle-ci mériterait d’être sérieusement examinée.

Il nous faut préciser les limites de nos conclusions qui ne tiennent pas compte de nombreuses considérations. Ainsi, cette analyse ne prend pas en considération, d’une part, les dynamiques institutionnelles et interuniversitaires qui conditionnent l’évolution des champs disciplinaires dans le monde universitaire ni, d’autre part, l’impact des politiques et régulations politiques nationales sur l’évolution de l’offre des programmes de formation universitaire. De plus, notre méthode de sélection de programmes a entraîné deux biais indirects. En effet, dans les deux cas, les organisations choisies se trouvent aux États-Unis, ce qui explique la surreprésentation des universités étatsuniennes en leur sein. Il faut donc accepter nos conclusions à la lumière de la sous-représentation des institutions européennes, latino-américaines, asiatiques et africaines. L’autre biais indirect est de nature linguistique. En effet, dans l’ensemble des programmes étudiés la formation se donne en anglais. Il est donc possible que d’autres traditions linguistiques conditionnent différemment l’organisation et la structure de ces champs d’études.

Le point de départ de cette recherche était une interrogation quant au lien qu’on peut établir entre les Études globales, les Affaires internationales et les Études internationales. Dans le cas des Affaires internationales, ces formations entretiendront toujours un rapport symbiotique avec les Études internationales, puisque c’est en partie sur la littérature produite par les Études internationales que reposent les Affaires internationales. Pour ce qui est des Études globales, nous soumettons que ce champ d’études se développe parallèlement aux Études internationales et que pour le moment ces deux manières de comprendre le monde, le global et l’international, coexistent, chacune étant nécessaire à la production d’une lisibilité des mutations en cours. Cette coexistence se maintiendra tant que les Études globales ne bousculeront pas les Études internationales sur leur terrain de prédilection, le politique et l’analyse des relations interétatiques. Seules des recherches ultérieures nous permettraient de répondre à la question de savoir si le chantier consistant à penser le politique au-delà de l’État-nation est véritablement engagé par les Études globales.